III.3.b. Le problème des échelles spatio-temporelles dans les politiques de gestion

Depuis une dizaine d’années, on enregistre les impacts des aménagements réalisés ces dernières décennies sur un milieu considéré alors comme stable. Les gestionnaires sont aujourd’hui confrontés à la complexité d’un hydrosystème fortement anthropisé et se heurtent au problème de la prise en compte des échelles de temps et d’espace.

Un des objectifs essentiel du Comité de pilotage de l’île de Miribel-Jonage est de promouvoir une mise en valeur globale et durable de l’eau. Dans cette optique, le canal de Miribel a dès le départ été intégré à la réflexion. Mais du fait de l’existence d’une coupure administrative forte entre les départements de l’Ain et du Rhône, de part et d’autre du canal, la rive droite n’a longtemps pas ou peu été prise en compte. Il y a donc inadéquation entre l’échelle de gestion et la réalité spatiale du système fluvial. Cette gestion, alors voulue « globale », reste partielle. A l’occasion du renouvellement de la concession du canal de Jonage à EDF, dans laquelle le canal de Miribel a été inclus, les collectivités de la rive droite se sont fédérées en un syndicat intercommunal pour défendre leurs intérêts. Ce syndicat est maintenant intégré au Comité de pilotage des îles, ce qui semble une évolution positive vers la prise en compte de la réalité spatiale de l’hydrosystème dans son ensemble.

En rive droite du canal de Miribel, on observait ces dernières années un hiatus entre la réglementation du risque constituée par le PSS du Haut-Rhône, approuvé en 1972 et basé sur la crue de 1928, et la réalité de l’aléa qui a augmenté. L’aggravation du risque était déplorée par les communes concernées, en particulier Niévroz et Thil, au moins depuis le début des années 1980 (Combe, 2001). Pourtant confirmée par les faits, notamment par la crue décennale de février 1990 qui, on l’a vu, dépassa les limites du lit majeur historique exceptionnel, la situation préoccupante de Thil est longtemps restée non reconnue par les pouvoirs publics et la réglementation. Bien que l’aléa dans sa nouvelle configuration ait récemment été pris en compte dans les Plans Locaux d’Urbanisme, et réactualisé par l’approbation de PPR, l’aggravation des inondations en rive droite n’a pas été officiellement constatée avant une période très récente. Jusqu’au début des années 2000, seule la contraction du champ d’inondation en rive gauche avait été enregistrée et étudiée (Combe, 2001).

Les différents acteurs ont désormais tous pris acte des nouvelles zones inondables. En 2004, face aux demandes répétées des élus de l’Ain et du Syndicat de défense des communes riveraines et suite à une étude identifiant l’évolution et ses facteurs d’explication (Combe, 2001), une étude a été commandée par la DIREN Rhône-Alpes pour envisager une amélioration de la situation des communes de l’Ain, en particulier la commune de Thil. L’objectif est de protéger les enjeux de Thil qui sont actuellement les plus vulnérables, en cherchant à limiter l’inondation des zones urbanisées pour la crue décennale. Parallèlement, plusieurs scénarii sont envisagés afin de restaurer en partie la fonction d’écrêtement de l’île de Miribel-Jonage pour les crues moyennes, en particulier en augmentant le débit transitant par les brèches (BCEOM, 2006a et b). Les résultats fournis par le modèle hydraulique de BCEOM se sont montrés décevants quant aux améliorations pouvant être apportées en rive droite ; l’impact des premiers aménagements est ancien et les formes sont désormais bien fixées. Par ailleurs, on envisage de construire une protection rapprochée des zones urbanisées au moyen d’une digue calée au-dessus du niveau de la crue décennale, voire trentennale comme l’espère la commune, s’il est démontré que cela n’entraîne pas d’aggravation du risque par ailleurs. La construction d’une digue pose une fois de plus le problème du déplacement du risque vers l’amont et vers l’aval et suscite d’ailleurs l’inquiétude de la commune de Niévroz qui demande elle aussi à être protégée316.

Cette coupure administrative et les conflits d’intérêt qui en découlent entraînent un manque de communication entre les acteurs, qui nuit à une vision globale des phénomènes. Cela contribue à la perte de mémoire de l’histoire des actions entreprises et de leur logique, qui a son tour vient aggraver la situation. L’impact des remblais sur les inondations en rive droite n’est ainsi plus évoqué. On semble avoir oublié que l’aménagement des îles devait nécessairement être compensé pour ne pas aggraver le risque d’inondation au nord du canal, et que cette compensation était l’objet principal des projets abandonnés depuis. Lorsque les communes de l’Ain ont été plus touchées qu’auparavant par les crues de 1981, 82 et 83, la diminution de l’écrêtement dans les îles n’a pas été rappelée. Les collectivités concernées ont attribué alors à tort l’aggravation des inondations à l’engravement du canal et ont obtenu la reprise des extractions avec l’appui du préfet de l’Ain. Aujourd’hui, elles semblent ignorer que les dysfonctionnements actuels sont dus en grande partie à cette mesure, et mettent en cause sans aucun fondement un envasement du chenal qu’elles attribuent à la faiblesse du débit réservé dans le canal. Les gestionnaires, quant à eux, évoquent seulement le rôle de l’incision du canal de Miribel et de l’auto-exhaussement de partie amont de la rive gauche qui en découle. L’incidence des remblais sur les conditions de mise en eau et leur contribution à l’aggravation du risque en rive droite du canal de Miribel n’est pas pointée.

Notes
316.

Entretien avec le maire de Niévroz le 10 juillet 2006.