Chapitre III. De l’événement romanesque, à partir de ses trois accentuations

Un livre ne commence ni ne finit : tout au plus fait-il semblant
Stéphane MALLARME 150

Cette question de la relation événement/structure (événement/série, diront les historiens) rejoint donc celle de l’articulation temps/histoire (que cette dernière d’ailleurs soit entendue tant comme Geschichte que comme Historie). Cette articulation est au cœur de l’idée même de narrativité. A partir de nos premières analyses, entrons plus spécifiquement dans cette problématique.

Jauss a relié le caractère narratif de l’événement à ce côté que j'ai appelé hypothétique, à la suite de Michel de Certeau : « L’événement a besoin de la forme narrative pour faire reconnaître sa pertinence aux yeux de l’observateur a posteriori 151  ». Mais comment se fait l’effectuation de cette "forme narrative" ?

La réflexion de Jauss sur cette question, qui porte plus spécifiquement sur la fictionnalisation de l’histoire, en particulier chez l’historien allemand Ranke, est aussi opératoire dans le cas du roman. Selon Karl Stierle, cité par Jauss, un fait historique devient événement dès lors qu’il contient une « double référence au début et à la fin d’un processus »  : « La structure narrative de l’histoire relie début et fin non seulement comme un déroulement factuel, mais comme une configuration conceptuelle. Une histoire naît là seulement où une connexion entre début et fin n’est pas donnée sans plus, mais où cette connexion est "pertinente" 152  ». Jauss affine cette analyse en différenciant trois types d’accentuation dans le récit historique :

‘« En cas d’excessive accentuation du début, nous sommes devant le récit d’origine qui suit le modèle primitif du mythe de la chute : à partir de l’unique événement placé ou reconstruit au commencement, tous les événements ultérieurs s’expliquent comme autant de conséquences de cette origine. En cas d’excessive accentuation de la fin, on a la structure téléologique, dont le modèle primitif est l’eschatologie chrétienne. En revanche, si la différence entre le début et la fin vient au premier plan, il en résulte une thématisation du contingent comme succession d’événements » 153

A partir de ces trois "accentuations", et de leurs prolongements, nous allons passer en revue diverses théories narratives, ce qui permettra de dégager les derniers caractères de l’événement romanesque qu’on dira alors "canonique".

Notes
150.

Cité par Jacques SCHERER, Le « Livre » de Mallarmé, Gallimard, 1978, p. 181A.

151.

Jauss, «  L’usage de la fiction en histoire », Op. Cit., p. 105.

152.

Ibid., p. 104. Soulignons que cette réflexion semble indiquer qu’il ne suffit pas qu’il y ait changement de structures pour qu’il y ait événement : il faut aussi que cela soit «pertinent », c’est-à-dire que cela «acquiert de la signification pour l’expérience de l’observateur rétrospectif ». On voit que c’est encore le côté hypothétique de l’événement qui est ici mis en avant.

153.

Ibid., p. 106.