3°) Structure narrative et fin : l’événement finaliste

Je vais leur en donner, moi, de la clôture narrative
Philip ROTH

Mais, mon ami, vous savez bien qu’il n’y a rien de tel pour s’éterniser, que les situations fausses. C’est affaire à vous, romanciers, de chercher à les résoudre. Dans la vie, rien ne se résout ; tout continue.
André GIDE 238

On l’a vu dans toute la partie précédente, il va presque de soi qu’un récit toujours avance, il est une progression. La fin du livre doit alors tout naturellement être le sommet de la narration, son aboutissement, dans tous les sens du mot. L’histoire doit être conduite à son terme. Dès les premières pages des Âmes mortes, Gogol prépare son lecteur, qui doit avoir « la patience de lire jusqu’au bout cette fort longue histoire, appelée à prendre d’autant plus d’ampleur qu’elle approchera du dénouement : la fin, comme on sait, couronne l’œuvre 239  ».

On a déjà pu observer que c’est bien cette fonction de « couronnement » que Lotman assigne à la fin : elle serait mythologisante, c’est-à-dire, dans son vocabulaire, qu’elle «dynamise la marque du but ». Elle est donc chargée de donner le sens, ultime (définitif ?), du texte.

Je rappelle la formulation de Jauss : « en cas d’excessive accentuation de la fin, on a la structure téléologique, dont le modèle primitif est l’eschatologie chrétienne ». Edgar Poe, lorsqu’il parle de la composition, ne dit pas autre chose : « Ce n’est qu’en ayant sans cesse la pensée du dénouement devant les yeux que nous pouvons donner à un plan son indispensable physionomie de logique et de causalité – en faisant que tous les incidents, et particulièrement le ton général, tendent vers le développement de l’intention 240  ». Il reste donc à dégager la fonction de ce que la linguistique pragmatique appelle cet aspect télique 241 , de cette « accentuation de la fin ».

Notes
238.

La tache[2000], trad. de l’anglais (américain) par J. Kamoun, Gallimard, 2002, p. 186. Les faux-monnayeurs[1925], Folio Gallimard, 1997, p. 308.

239.

Les âmes mortes[1842], trad. du russe par H. Mongault, Livre de Poche, 1962, p. 28. L’ironie est que le roman de Gogol est inachevé – ou tout au moins qu’il en a brûlé la seconde partie…

240.

Edgar Allan POE, « Méthode de composition », in La genèse d’un poème[1846], trad. de l’anglais (américain) par C. Baudelaire, Folio Gallimard, 1978, p. 268.

241.

Maria KOSZLOWSKA, « Bornage, télicité et ordre temporel », Le temps des événements, Op. Cit., pp. 221-243.