Chapitre II. La décomposition du monde

La hargne morbide de Céline s'exerce d'abord à l’encontre de cette mollesse généralisée, de ce « manque de tenue 553  » du monde. Ça ne fait que se déliter, et cette déliquescence gagne toutes les figures : la "nature", qui pour être décomposante, peut aussi se décomposer, tout comme la ville, le moi, le corps 554 .

Chez Céline corps et monde pourrissent, interchangeables. Ils fuient en liquide, ils dégoulinent, fangeux. La jungle est le lieu par excellence de cette vacuité, où l’on moisit dans l’inaction, où l’absence d’événements abrutit. "Etat : néant" 555 , que celui où les hommes, ces « sacs à larves », « fondent pire que du beurre ». Même la roche n’est plus aux lendemains de pluie que « flasque mélasse ». L’informe est partout, le mou fondamental du quotidien, des choses. Les frontières s’effacent, tout fond dans tout, gagné par un marécageux et lent envahissement qui vient on ne sait d’où ni de quoi : « Elles sont autres quand on les retrouve les choses, elles possèdent, on dirait, plus de force pour aller en nous plus tristement, plus profondément encore, plus doucement qu’autrefois, se fondre dans cette espèce de mort qui se fait lentement en nous, gentiment, jour à jour, lâchement devant laquelle chaque jour on s’entraîne à se défendre un peu moins que la veille ». Le mal peut être vraiment dit viscéral, au sens propre : notre intérieur, ce sur-place qui pourrit, est constamment dévoré par les asticots, et « tout le ridicule piteux de notre puérile et tragique nature se déboutonne pour ainsi dire devant l’Eternité 556  ».

Comment échapper à cette amollissante mort, à cette mort par amollissement, qu’on retrouve partout ? Car même la ville se dissout dans ses marches improbables, sa banlieue, « grand abandon mou qui entoure la ville, là où le mensonge de son luxe vient suinter et finir en pourriture ». Les frontières de la ville sont ce terrain vague aux contours imprécis, « ce quartier qui va perdre ses boutiques au long des rues et même ses couleurs l’une après l’autre et finir comme ça en bistrots précaires juste aux limites de l’octroi. Quand on est pas pressé, on se perd facilement dans ces rues-là, dérouté qu’on est d’abord par la tristesse et par le trop d’indifférence de l’endroit. Si on avait un peu d’argent on prendrait un taxi tout de suite pour s’échapper tellement qu’on s’ennuie 557 ». Tout est perméable, l’enveloppe du corps, l’enveloppe des choses, les événements perdent toute consistance, se dissolvent dans le flux des jours. Tout s’interpénètre, la vermine toujours gagne. Il n’y a plus de dehors, plus de dedans. Dès qu’une aventure naît, elle meurt aussitôt, se décompose, mortel est l’ennui. Le moteur narratif a des ratés, des pannes, le récit se délite, rate – s’achève (?) dans la fin du langage lui-même, du « qu’on n’en parle plus », derniers mots du Voyage, au « plus rien existe » de la fin de Rigodon, à ces pointillés où meurent et pourrissent les exclamations et imprécations du docteur Destouches. Vraiment « elles ne résistent guère nos phrases au désastre de leur décor baveux 558  »… C’est la vision de Céline, hallucinatoire, paranoïde 559 .

Loin d’un tel extrémisme, des philosophes ont analysé la dialectique de l’aventure et du quotidien, du mouvement et de l’immobilité. Un Jankélévitch, par exemple, a décrit cet ennui dissolvant du quotidien, cette « manière d’être commune et platement quotidienne » : elle est « comme une espèce de bourre cotonneuse qui amortit tous les chocs, émousse tous les angles, estompe tous les contours, détend tous les ressorts, l’ennui apporte partout la confusion, le flou et la torpeur 560  ». Dans l’ennui, la froide coupe de l’événement ne peut plus rien séparer, les séparations sont devenues flasques, molles, indistinctes.

Par opposition, la voici précisément, cette coupe franche, jusque dans le style, chez Stevenson : netteté, précision, tranchant du maître. Ici c’est l’écriture de l’exactitude, de la concision, du pur événement. Et peu importe que l’intrigue soit plus ou moins bien ficelée. Ce qui compte c’est que toujours l’événement fasse rebondir l’intérêt. Il s’agit, sans cesse, d’aller de l’avant 561 , du côté de l’histoire comme de celui du récit. Sautons d’une aventure à l’autre. Le bateau peut bien s’échouer, comme dans L’île au trésor, le récit, lui, jamais ne doit le faire.

Dès lors tout ce qui pourrait nuire à la progression de l’aventure, ralentir le récit (descriptions, commentaires, etc.) est de trop : « Le style et les idées, les personnages et les dialogues » sont autant d’« obstacles à écarter », au profit des seuls événements, que le lecteur cherche comme le cochon les truffes, l’expression est de Stevenson. Et d’enfoncer le clou : « Tel événement doit se dérouler dans tel endroit, tel autre événement doit suivre nécessairement, et tous les événements qui composent le récit doivent s’y répondre comme des notes de musique.[…] Comparées à cela, toutes les autres expressions en littérature, à l’exception du lyrisme pur et de la philosophie, sont de nature bâtarde, d’exécution facile et faibles de résultat 562  ». La profession de foi narrative est fort claire : plus de détours, fini les temps morts. Dans l’aventure selon Stevenson, il n’y a jamais d’échec, car de toute façon le récit avance. Certains personnages ne parviennent pas à leurs fins ? Là n’est pas la question. Long John Silver ne conquiert pas le trésor, et alors ? Du moment que la narration a continué d’avancer, à un rythme effréné, scandée par les événements comme autant de « notes de musique », jusqu’au dénouement. La remarque de Tadié est juste : « c’est l’aventure qui fait la preuve du héros ». On passe des tristes « viandes » naturalistes à un roman qui débite de l’événement « comme le charcutier de la charcuterie 563  »…

Avec Jack London, le registre est le même. L’auteur de Croc-Blanc oppose l’"artiste", celui qui en fait trop, et l’"artisan" des lettres   : « Puisqu’il s’agit de fiction, le lecteur n’a que faire de tes dissertations sur le sujet, de tes remarques, de tes connaissances en tant que telles, de tes réflexions et des tes idées sur la question – mais mets tout cela qui est toi dans les récits, dans les histoires, tout en t’éliminant toi-même, et cela sera ça, l’atmosphère, c’est toi, comprends-tu, toi ! toi ! toi ! 564  ».

Telle est donc la vulgate du romancier d’aventures : ne jamais suspendre le récit, ne jamais l’alourdir de considérations générales ou d’impressions inutiles. Sans trop le savoir, une nouvelle rhétorique naît, dont il n’est pas sûr qu’elle soit moins contraignante que celle du naturalisme.

Ce nouveau credo, une série d’articles de Jacques Rivière, de mai à juillet 1913, en fait le tour, qui fit un certain bruit dans le Landerneau littéraire, notamment français. Selon le directeur de la N.R.F., le symbolisme avait éteint les derniers feux naturalistes sous un formalisme et un idéalisme de plus en plus stériles. Le XIXe siècle s’était achevé « sur l’obscurité et l’ennui » engendrés par tous ces "ismes". Mais c’en est assez de ces œuvres où « l’auteur suspend son récit et s’installe dans une sorte d’émotion, dans un milieu d’ondes et de frémissements ». Fort heureusement, « quelque chose a bougé »,« nous avons changé d’âme ». Voici qu’« un petit vent aigre a soufflé tout à coup », venu d’Angleterre : « Dans l’œuvre qu’enfin vous me présenterez, je veux ne plus trouver trace des plaintes de votre cœur, de vos mélancolies, ni de vos élans et n’avoir affaire qu’à des événements ». Voilà le grand retour de ceux-ci, de ces « rencontres, visites, montées et descentes d’escaliers, incidents de trottoir, hasards de coins de rue » qui sont la forme même du roman, qui sont l’espace où se déploie une liberté enfin désentravée : « A droite – ou bien est-ce à gauche ? – un événement nous épie, prêt à sauter sur nous. Tant pis ! Tant mieux ! L’espace est libre de tous côtés ! 565  ». C’était déjà le ton de Stevenson, lorsqu’il prodiguait ses conseils au jeune Marcel Schwob : « Vous avez encore à nous donner quelque chose de plus grande allure ;[…] quelque chose qui sera dit avec toutes les clartés et les trivialités du langage, non chanté ainsi qu’une berceuse à peine articulée 566  ».

Une nouvelle ère s’ouvre, celle du « plaisir d’être au milieu des événements,[du] plaisir d’être au milieu des hommes. Plaisir d’abord d’être quelqu’un à qui quelque chose arrive. Les symbolistes ne le connaissaient pas ; la moindre aventure leur paraissait un déshonneur ; ils se croyaient compromis s’ils se trouvaient pris dans quelque incident de la rue ». Pour le nouveau romancier, « le roman qu’il écrira sera tout entier en acte », c’est-à-dire qu’il ne doit plus être composé que d’actions. Au contraire du symboliste, toujours tourné vers le passé et « en état de mémoire », l’écrivain nouveau, « sera, lui, en état d’aventure », tourné vers « l’avenir, l’ouverture sur les choses inconnues 567  ».

Il ne faut plus se laisser emporter par le verbe – qu’on identifie au verbiage. Ne doit demeurer que l’enchaînement des événements : « M. Stevenson, comme ses personnages, a un grand don pour le silence. Il s’en tient invariablement à son histoire, et ne s’en laisse pas détourner pour discuter de visions de la vie ou de théorie de l’univers ». C’est le talent reconnu de l’auteur de L’île au trésor que cette « curieuse faculté à dire dans l’espace le plus réduit ces quelques mots seulement qui impriment la marque dans l’esprit du lecteur 568  ». Assez de remplissage 569 donc, tenons-nous en à l’essentiel. Et l’essentiel c’est, à tout prix, d’avancer, histoire et récit mêlés : « Le mouvement même de la phrase est le mouvement d’un homme allant quelque part et généralement luttant contre quelque chose ». Tous insistent sur la netteté des contours, les arêtes vives du style de Stevenson, ses « phrases courtes et coupantes », qui usent de très peu de mots, mais si exacts, si précis : « Ce mot d’anguleux appartient au caractère aigu de ses gestes verbaux, autant qu’aux sabres d’abordage et couperets de ses pirates de carton 570  ». Il convient de toujours coller à l’événement, au plus près, d’épouser le bruit et la fureur de l’action, d’aller au plus court.

Chez Conrad, une telle vertu se nomme sobriété. Ce serait l’une des valeurs communes au métier de la mer, dont la vocation s’est imposée à lui contre toute la tradition et la volonté familiales, et à celui d’écrivain. Le marin Korzeniowski-Conrad des Souvenirs personnels est fier que tous ses certificats portent la mention : « Parfaitement sobre ». Le qualificatif peut s’entendre pour "l’autre vie" : « je me suis efforcé d’être un travailleur sobre toute ma vie – toutes mes deux vies ». La posture est morale 571 , qui sous-tend la forme même des récits de Conrad : « Il est plus d’un genre d’ivresse. Même devant les rêveries les plus séduisantes, je suis demeuré soucieux de cette sobriété de la vie intérieure, de cet ascétisme du sentiment, qui seuls permettent d’exprimer sans honte la forme nue de la vérité telle qu’on la conçoit, telle qu’on la sent 572  ». Et, la suite est logique, il ne faut jamais se laisser emporter par la passion, une imagination trop débridée : « le danger, c’est que l’écrivain devienne la victime de sa propre exagération ». L’émotion sans contrainte, le transport incontrôlé, tels sont les ennemis de l’écrivain qui se veut authentique : « un historien des cœurs n’est pas un historien des émotions ». Position éthique qui devient une position esthétique : le roman, cette recherche de la vérité, réclame « cette maîtrise du rire et des larmes qu’on dit être la réussite suprême de la littérature d’imagination », maîtrise qui requiert celle du son, qui « a toujours eu plus de pouvoir que le sens ». Il est donc nécessaire de trouver « l’accent juste », la bonne « manière 573  ». Là encore, Conrad évoque sa double vocation : « peut-être ma formation de marin a-t-elle agi sur une disposition naturelle[…], mais le fait est que j’ai positivement horreur de perdre, ne fût-ce que pendant un instant d’émotion, cette pleine possession de moi-même, qui est la première condition pour bien servir. Et j’ai transporté cette idée – bien servir – de ma première existence à ma seconde. Moi qui n’ai jamais cherché dans l’acte d’écrire autre chose qu’une forme du beau, j’ai transporté cet article de foi du pont des navires à l’espace plus restreint de ma table de travail 574  ». Comme chez Stevenson donc, c’est l’intelligence qui prime, le contrôle de l’écriture – ce qui n’est bien sûr nullement une remise en cause de l’imaginaire. Ce serait même le contraire, comme on le verra dans la manière dont Conrad distingue imagination et invention.

Et c’est ainsi que sobriété du récit et sobriété de l’expression allant de pair, il convient de ne pas traîner en route 575

On est loin du naturalisme, et du réalisme victorien qui souvent s’en inspire. Qu’on lise l’évocation des récits de Thackeray par Chesterton. Certes, écrit-il, la satire y est féroce, mais la répétition, la lenteur du récit, « bien que parfois ennuyeuse, est d’une certaine manière convaincante, je pourrais même dire réconfortante. Cela vient du sentiment confortable d’aise sociale qui était une marque de l’Angleterre de cette brève période de succès mercantile, ou du moins de cette partie d’Angleterre qui se composait de marchands qui avaient réussi ». Et c’est vrai qu’elle est pour le moins remarquable, cette conjonction entre l’uniformisation du récit naturaliste, aux règles de construction très strictes, et la standardisation du produit industriel dans l’industrie capitaliste naissante.

En tous les cas, c’est contre ce double ennui, d’une vie de labeur ingrate et d’une littérature trop codifiée, que se dressent les romanciers de l’aventure. Eux veulent marcher, et vite. Face à la logorrhée naturaliste et victorienne, Stevenson a légué à la postérité« l’importante impulsion vers un choix verbal plus étroit et plus vigilant », impulsion sur laquelle Chesterton ne manque pas d’ironiser avec tendresse : c’est bien d’un écossais, cette « économie verbale[…], si frugale que ses personnages sont presque maigres 576  ». Que connaît-on de ceux-ci ? Bien peu de choses en effet, et l’analyse psychologique en particulier est réduite à sa plus simple expression. Primauté absolue est accordée à l’événement, qui prend maintenant le nom générique d’aventure 577 , et qui, toujours, s’oppose à la grisaille du quotidien.

Notes
553.

L’expression est de Jean-Pierre RICHARD : « la grande maladie du corps célinien, et prenons ici le corps comme une figure du monde même, c’est l’incertitude interne, le manque de tenue » (Nausée de Céline, Montpellier, Fata Morgana, 1991, p. 8).

554.

C’était déjà chez Conrad : « nous avons pénétré dans des rivières, d’où nous sommes ressortis : des courants de mort vivante, dont les rives se faisaient pourriture boueuse[…]. Un sentiment diffus de stupeur oppressive et vague grandissait en moi. C’était comme un pèlerinage lassant parmi des débuts de cauchemar ». L’animé et l’inanimé deviennent indistincts : « je rencontrai une chaudière vautrée dans l’herbe[…] et aussi un wagonnet de modèle réduit qui gisait là sur le dos, les roues en l’air. L’engin semblait aussi mort que la carcasse d’une bête » (Au cœur des ténèbres, Op. Cit., pp. 101-103). Comme le Céline du Voyage, MALRAUX va reprendre ces accents. Les jungles asiatiques de La voie royale sont proches de celles, africaines, du Cœur des ténèbres : « Depuis quatre jours, la forêt… décomposition de l’esprit dans cette lumière d’aquarium, d’une épaisseur d’eau ». Au milieu de cette liquéfaction torpide, « décomposée par les siècles, la Voie ne montrait sa présence que par ses masses minérales pourries,[…] Claude sombrait comme dans une maladie dans cette fermentation où les formes se gonflaient, s’allongeaient, pourrissaient hors du monde dans lequel l’homme compte… » (La Voie royale[1930], Genève, Cercle du Bibliophile, s.d., pp. 133-134).

555.

« Comme dans cette désolation s’il avait fallu imaginer des événements, ils eussent été trop invraisemblables, le milieu ne s’y prêtait pas, le sergent Alcide préparait d’avance beaucoup d’états "Néant" que Grappa signait sans retard et que le Papaoutah remportait ponctuellement au Gouverneur Général. Entre les lagunes d’alentour et dans le tréfonds forestier quelques peuplades moisies, décimées, abruties par le tripanosome et la misère chronique… » (Voyage au bout de la nuit, Op. Cit., pp. 195-196).

556.

Ibid., pp. 153, 226, 366, 427.

557.

Ibid., pp. 125, 468-469.

558.

Ibid., p. 426.

559.

L’emblème devenu central de ce délire anti-déliquescence, c’est le Juif, le « perméable », le « décomposé », le « nativement pourri », écrit Richard (Nausée de Céline, Op. Cit., p. 43). Le Juif est à la fois hostile et flaccide, et hostile parce que flaccide. L’extrême paradoxe de Céline, irréconciliable, c’est que, vomissant tous les clichés et les faux-semblants, il invente une écriture nouvelle, hors de tous les sentiers battus, mais pour mieux retomber et se vautrer dans les idées reçues et les lieux communs les plus éculés, les "on dit" les plus nauséabonds ….

560.

L’aventure, l’ennui, le sérieux, Op. Cit., p. 125.

561.

Selon Jorge Luis BORGES, Stevenson « se fichait un peu de ses intrigues. Il savait qu’il pourrait toujours se débrouiller avec elles, et même en faire n’importe quoi. Il se contentait d’aller de l’avant » (« A propos de Stevenson », trad. de l’espagnol par J. Deleuze, Stevenson, Cahier de l’Herne, 1995, p. 234). Le Bris commente : « Stevenson travaillait par enchaînement d’images, en modifiant sans cesse le fil de son intrigue – un peu comme si elle se révélait à lui progressivement » (note p. 253).

562.

« À bâtons rompus sur le roman », Op. Cit., pp. 205 et 210.

563.

Tadié, Le roman d’aventures, Op. Cit., pp. 12 et 7 : « l’aventurier produit de l’aventure comme le charcutier de la charcuterie ».

564.

Lettre à Cloudesley, citée in Simone CHAMBON et Anne WICKE, Jack London, entre chien et loup, Belin, 2001, p. 29. C’est London qui souligne, ajoutant : « L’atmosphère est toujours synonyme de l’élimination de l’artiste, ce qui signifie que l’atmosphère, c’est l’artiste ; et quand il n’y a pas d’atmosphère et que l’artiste est toujours là, cela veut simplement dire que la machine se met à grincer et que le lecteur l’entend ».

565.

Jacques RIVIERE, Le roman d’aventure, Postface d’Alain Clerval, Ed. des Syrtes, 2000 (pp. 7, 22, 26, 52, 54, 53, 28). Je souligne.

566.

R.-L. STEVENSON, lettre à Marcel Schwob (7 juillet 1894), in SCHWOB/STEVENSON, Correspondances, trad. de l’anglais par M. Roland, Allia, 1992, p. 53. Partiellement citée par Rivière, Ibid., p. 53.

567.

Rivière, Op. Cit., pp. 54, 26-27, 32, 55, 66. Je souligne.

568.

Arthur CONAN DOYLE, « Les méthodes de M. Stevenson en littérature »[1889], trad. de l’anglais par J. Deleuze, Cahier de l’Herne Stevenson, Op. Cit., pp. 299 et 300. Marcel SCHWOB parle lui aussi des « silences du récit » chez Stevenson (« Robert Louis Stevenson », in Stevenson, Will du moulin, Op. Cit., p. 81. L’étude de Schwob a d’abord paru dans Spicilège en 1896).

569.

Borges : « Vous n’en trouverez jamais, de remplissage, chez Stevenson » (Op. Cit., p. 236).

570.

Gilbert Keith CHESTERTON, Robert Louis Stevenson[1927], trad. M. Le Péchoux, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1994, pp. 84 et 83. Schwob parle du « contraste entre l’ordinaire des moyens et l’extraordinaire de la chose signifiée » (Op. Cit., pp. 86-87).

571.

Ce qui là encore est cohérent avec la vie en mer, à laquelle « l’absolue franchise de ses exigences et la simplicité de son but confèrent une beauté morale élémentaire » (Le compagnon secret[1910], trad. de l’anglais par G. Jean-Aubry, Œuvres III, Pléiade Gallimard, 1987, p. 1066).

572.

Souvenirs personnels, Œuvres III, Op. Cit., pp. 956-957.

573.

« L’accent juste. C’est très important. La vaste capacité des poumons, les cordes vocales tonnantes ou tendres.[…] Donnez-moi le mot juste et l’accent juste, et je remuerai le monde.[…] Il y a la manière. La manière dans le rire, dans les pleurs, dans l’ironie, dans l’indignation, dans l’enthousiasme, dans le jugement – et même dans l’amour » (Ibid., pp. 859-860 et 866). Voir la Préface, programmatique, au Nègre du "Narcisse"[1897] : « …c’est seulement en apportant un soin inlassable, sans jamais se décourager, au tour et à la sonorité des phrases, que l’on peut approcher la plasticité, la couleur et que la lumière de la suggestivité magique peut jouer, l’espace d’un instant fugace, à la commune surface des mots… » (trad. de l’anglais par M.-H. Sabard, L’Ecole des Lettres, 1998, p. 12).

574.

Souvenirs personnels, Op. Cit., pp. 865 et 864.

575.

Ce qui n’est pas forcément contradictoire avec certaines longueurs. Rivière appelle de ses vœux « un roman où rien ne puisse arriver à être inutile, où l’action, comme dans un milieu saturé[…] éclate à la fois en vingt endroits différents et ne puisse être racontée tout entière qu’au prix de mille embarras et de mille recommencements ». C’est qu’« un événement ou un personnage imaginés commencent à prendre vie à mesure qu’ils se compliquent », d’où la nécessité d’une infinité de détails : « un chiffre dont les lignes innombrables sont entrelacées suivant une nécessité obscure : et plus il est complexe, plus il est évident » (Le roman d’aventure, Op. Cit., pp. 59 et 61).

576.

Chesterton, Op. Cit., pp. 103, 109, 104.

577.

On pourrait s’interroger sur cette propension à ériger en valeur la rapidité, la succession précipitée des événements, la « vitesse pour traverser les jours », pour reprendre le beau titre de Pierre Péju[1979]. Cette concision, cette économie, cette rapidité ne peuvent-elles parfois engendrer une certaine monotonie, ne peuvent-elles être source d’un certain ennui, elles aussi ? Où, retournement de valeurs, la rapidité s’égarerait dans les méandres de la lassitude. Où la prégnance de l’action conduit à la prolifération de l’événementiel et, peut-être parfois pour le lecteur, à l’ennui de la répétition…