Chapitre V. La mort

Peut-être la mort sera-t-elle notre plus grande et plus dangereuse aventure, car ce n’est pas sans raison que l’aventurier est constamment en quête de ses lisières flamboyantes
Ernst JUNGER

Accepter même de perdre ma mort m’a fait choisir ma vie
André MALRAUX 657

Cette fatalité du destin, Nostromo, le héros de Conrad, la connaît, ô combien. Il n’a en effet d’autre choix que de se faire tuer par le père de celle qu’il aime. Nostromo ("nostro uomo"), le "capataz de cargadores" (contremaître des débardeurs), a tous les caractères de l’aventurier classique : il est à la fois « imprévoyant et généreux, prodigue de ses dons, d’une vanité virile, avec le sentiment confus de sa grandeur, son dévouement fidèle et quelque chose de désespéré aussi bien que d’éperdu dans ses élans ». Il accomplit tous les exploits : sauver le futur président du Costaguana, préserver le trésor de la mine Gould. D’héroïques chevauchées jalonnent ses combats.

Mais sa vie ne s’arrête pas là. Dépositaire du trésor, il devient le capitaine Fidanza. Alors, changeant de nom, il pénètre dans un autre monde, celui de la lenteur : « Il faudra que je m’enrichisse très lentement », dit-il. Ce qu’il va faire, dissimulant l’or sur une île, allant au gré des besoins prélever quelques lingots. Et voilà que cette lenteur se met à le "hanter", à l’obséder – jusqu’à sa mort, stupide, qui n’est pas du tout celle dont il a rêvé. Telle est la punition de celui qui a quitté le monde de l’aventure.

Lorsque la mort survient en effet pour l’aventurier, elle se doit d’être grandiose, à l’image de la vie. Toutes deux se répondent. Par un permanent effet de miroir, la vie n’est tout entière que fréquentation de la mort. Et c’est finalement cette proximité permanente qui est la véritable vocation de l’aventurier. Il doit sans cesse « se coller sur le dos la malédiction de la mort 658  », pareille à une chimère baudelairienne.

Un lieu commun voudrait que l’aventurier accomplisse ses exploits "au mépris du danger", au mépris de la mort 659 . Or c’est exactement le contraire : il a besoin de la mort, de sa proximité, de sa familiarité pour éprouver la vie, pour donner « une forme à sa vie ». Si la mort n’est pas là qui rôde, où est l’aventure ? Il faut prendre la mort comme limite, comme frontière à frôler – en faisant en même temps tout pour l’éviter. Comme le "professeur" de L’agent secret qui se promène sans cesse avec des explosifs chargés, l’aventurier « ne se fie qu’à la mort 660  ». La confrontation avec cet événement majeur, avec ce danger suprême, définit l’action aventurière. L’instinct de mort n’en est-il pas le moteur final ?

A l’opposé, la peur de la mort peut être paralysante, figeant toute énergie, conduisant à l’immobilisme, « mort vivante du névropathe » pour Henry Miller 661 . Pour que cesse cette mort lente du quotidien 662 , l’événement de la mort doit être constamment réinventé. Où l’on voit que l’attitude du "véritable" aventurier est le contraire du mépris face à ce point limite dont on fréquente les entours : au plus près, mais, si possible, en s’en sortant toujours 663 .

C’est bien la relation au temps qui différencie les deux sortes de mort. L’aventure est un futur toujours à atteindre, un instant à vivre, une surprise, un événement, dont le point suprême, ultime, est la mort. Elle est toujours dans l’avenir, celui-ci d’autant plus pressenti qu’on frôlera davantage celle-là. Et l’avenir n’est pas le réel, ni accompli (cela, c’est le passé) ni en train d’être vécu (le présent). A la façon de Robert Musil, Jankélévitch lie l’aventure au possible, qui n’est pas assuré de devenir réel : « l’aventure porte la désinence du futur », futur qui est « l’empire énigmatique des possibles et [qui] dépend de ma liberté ; le possible n’est-il pas ce qui peut être ainsi ou autrement, et qui sera ceci ou cela selon mon courage, selon les risques que je consentirai à courir, selon ma bonne ou ma mauvaise chance ? » L’ouverture est la plus grande possible, voilà ce qui précisément séduit l’aventurier : « L’aventure ne subit-elle pas l’attrait de l’infini ? Je sais que, et je ne sais pas quoi. L’avenir est un je-ne-sais-quoi ». Et Jankélévitch de distinguer avènement et événement, advenit et evenit 664  : « l’aventure est l’avènement de l’événement.[…] L’événement n’est qu’une date sur le calendrier, mais l’avènement se devine comme l’"avent" d’un mystère.[…] L’avènement est l’instant en instance : non plus l’actualité en train de se faire, ni au fur et à mesure qu’elle se fait, mais encore sur le point de se faire.[…] Telle est l’aventure-minute, la minuscule aventure de la minute prochaine… 665  ». C’est cette fréquence, ce rythme, cette vivacité de l’instant immédiatement à venir, avec son lot de surprise et d’imprévu qui advient sur le fond toujours possible de la mort, qui caractérise l’aventure. « Pas d’autre vie que celle de l’instant », lit-on encore chez Thomas Wolfe 666 . Et seul l’événement, à son ouverture, est susceptible d’ouvrir ainsi aux potentialités du futur, car on ne sait jamais quelles en seront les conséquences – ou les inconséquences 667 .

A l’opposé des héros de Céline, dont la vitalité est toujours en défaut, dont la couardise est aussi jouissance de sa propre ignominie et de sa propre bassesse 668 , les aventuriers affirment leur vitalité et leur virilité en osant s’approcher au plus près de l’abîme de la mort. Et les Nostromo, les Kurtz, les Henry Durris de Durrisdeer (Le maître de Ballantrae), les Martin Eden, tous ces modernes Prométhées, tous ces "plus forts", sont aussi foncièrement solitaires – par choix. C’est seul qu’on affronte l’événement, c’est seul surtout qu’on frôle la mort, on n’est vainqueur que seul : « Quant à moi, je suis individualiste. Je crois que la course est gagnée par le plus rapide, que la vie est au plus fort. Voilà la leçon que m’a apprise la biologie, ou que je crois avoir apprise 669  ». Tous ces misérables qui sont incapables de s’élever au-dessus de la masse sont coupables de cette incapacité même. La faiblesse est un péché.

L’aventurier ne peut être qu’égotiste – égoïste. Il n’y a pas d’aventure collective 670 . La guerre en est le meilleur contre-exemple, où chaque individu est pris dans cette quotidienne boucherie qui le dépasse 671 . Le héros de l’aventure s’occupe d’abord de son destin individuel, se préoccupe de construire sa propre légende 672 . Les événements qu’il poursuit sont à sa mesure, uniques.

Dans le Nostromo de Conrad, on retrouvera bien de ces traits. Mais toujours avec les nuances propres à l’écrivain polono-anglais. Chez lui, l’aventure n’est pas seulement le fait d’individus "égotistes" qui refuseraient pour eux-mêmes la mort lente du quotidien au nom de l’image qu’ils cherchent à (se) forger d’eux-mêmes. Elle se veut toujours altruiste 673 . Voici par exemple comment Conrad explique la vocation maritime des britanniques : l’aventure sur les mers et la discipline sur un bateau permettent à « l’esprit de service » qui est leur « principale caractéristique » de trouver sa meilleure expression : « cet ensemble flottant d’individus qui luttaient pour gagner leur vie loin des yeux de l’humanité avait choisi la mer aveuglément, accidentellement.[Cette] tradition est vite devenu un esprit.[…] Les nuages d’égoïsme avide, les subtiles dialectiques de la révolte ou de la peur peuvent l’obscurcir pendant un temps, mais en vérité elle reste un souverain immortel investi du pouvoir d’honneur et de honte ». C’est que la navigation de grand large « commande l’unité dans un corps de travailleurs engagés à une occupation autour de laquelle chacun dépend de l’autre 674  ». La solidarité est ici vitale, obligatoire dans la vie en mer, il n’est donc pas étonnant que les anglais s’y soient complus – et Conrad.

Mais il fait figure d’exception 675 . Affronter la mort à plusieurs n’est pas la vocation des héros de récits d’aventure. Deux formes de morts – et, donc, de vies – sont bien antagonistes : d’un côté celle, misérable, des "assis", dirait Rimbaud, de l’autre celle, grandiose, de l’aventurier, qui meurt dans le feu de l’action, "les bottes aux pieds", rêve du cow-boy. D’un côté, la mort-tumeur, tiède, de l’autre la disparition brutale dans un geste héroïque : « Etre tué, disparaître, peu lui importait : il ne tenait guère à lui-même, et il aurait trouvé son combat, à défaut de victoire. Mais accepter vivant la vanité de son existence, comme un cancer, vivre avec cette tiédeur de mort dans la main… 676  ». Stevenson évoque ainsi les "privilèges de la mort gracieuse" de l’aventurier :

‘« Renoncer à tous les problèmes que pose la vie en se réfugiant dans un salon à température constante – comme si ce n’était pas cent fois mourir et pendant dix ans de suite ! Comme si ce n’était pas mourir, et sans même les privilèges de la mort !Comme si ce n’était pas mourir en étant, malgré tout, le spectateurs patients de notre évolution pitoyable ![…] Il vaut mieux vivre et en finir une fois pour toutes que de mourir à petit feu dans une chambre de malade.[… ] La vie ne s’achève-t-elle pas avec plus de grâce quand le corps est projeté du haut d’un précipice dans une gerbe d’écume, que lorsque, pitoyable, elle s’enlise peu à peu jusqu’à son terme dans des deltas sableux ? » 677

Il y aurait, selon le beau titre de Pierre Michon, des "vies minuscules". Il est, aussi, des morts minuscules. Constamment, le roman d’aventures oppose ses héros aux faibles, aux malades, dont l’apparition au sein du récit est fugitive, et qui disparaissent dans la mort aussi vite qu’ils s’y sont glissés – aussi vite du point de vue du récit, pas du point de vue de l’histoire. Comme leur mort, leur vie est à petit feu, c’est « la farce atroce de durer » de Céline 678 . La relation à la mort constitue bien le critère différentiel entre le "héros" d’aventure et les autres.

C’est pourquoi aussi les thèmes du vieillissement et de la maladie sont des contrepoints à l’aventure. Ils sont en effet synonymes de lenteur. Le père de Jim, dans l’île au trésor, peut servir d’emblème : à peine apparu disparaissant du récit, il meurt dès les premières pages,. Malade antérieurement au début du roman (« mon pauvre père était déjà gravement malade »), il n’a pas sa place dans la fiction aventureuse. Trop effacé, même sa mort manque d’éclat (elle est expédiée en cinq lignes) 679 . La maladie, c’est le symptôme central de cette lèpre du quotidien qui ronge les organismes, qui conduit à une mort en tout point indigne de l’aventurier : « La déchéance. Ce qui pèse sur moi c’est, – comment dire ? ma condition d’homme : que je vieillisse, que cette chose atroce : le temps, se développe en moi comme un cancer, irrévocablement… Le temps, voilà 680  ».

Cette mort par épuisement est celle des "ouvriers", ou plutôt des esclaves noirs abandonnés d’Au cœur des ténèbres, presque indiscernables de la nature dans laquelle ils sont littéralement en train de se fondre, de fondre : « Des formes noires étaient accroupies, prostrées, assises entre les arbres, appuyées aux troncs, cramponnées au sol, à demi surgissantes, à demi estompées dans l’obscure lumière[…]. Ils mouraient lentement – c’était bien clair. Ce n’étaient[…] rien que des ombres noires de maladie et de famine, gisant confusément dans la pénombre verdâtre.[…] Ces formes moribondes étaient libres comme l’air, et presque autant insubstantielles 681  ».

Dans cette échelle de valeurs, l’aventure se place donc à l’exact opposé de la maladie, synonyme de mort lente. Il est significatif de voir Bardamu retrouver le « goût de l’aventure 682  » dès lors que sa température retombe à 37° : « Ainsi passèrent des jours et des jours, je reprenais un peu de santé, mais au fur et à mesure que je perdais mon délire et ma fièvre dans ce confort, le goût de l’aventure et des nouvelles imprudences me revint impérieux 683 ».

Chez les "purs" aventuriers de Stevenson ou London, nul malade ne dure bien longtemps, aucun signe positif n’affecte l’affection. On oppose à cette faiblesse le côté toujours affirmatif, la puissante vitalité du héros. On marque sa prédilection, partout, toujours, pour la force, la santé, l’énergie. Dès la première page de L’île au trésor, trois mots qui disent tout suffisent à la description du vieux pirate : « un homme grand, fort, puissant ».

Dans un texte autobiographique où il met sans cesse en avant sa vigueur, sa jeunesse, sa santé, London expose complaisamment le regard que d’autres lui portent :« Sans doute représentais-je pour lui le mystère, le romanesque, l’aventure, tout ce qui était refusé à la faible lueur de vie qui vacillait en lui ». On joue l’aventure contre la maladie. Un peu plus loin (« Les deux braves demoiselles, au teint blanc et rose et aux boucles grises, n’avaient jamais contemplé le visage rayonnant de l’aventure 684  ») c’est la vieillesse qui est antinomique de l’aventure. C’est qu’elle est trop proche de ce genre de mort que l’on redoute tant, de cette fin par amenuisement de la vie.

Dans L’homme qui dort, Georges Perec prend à contre-pied ces valeurs, la mobilité, la force, la quête de l’événement auquel on veut se confronter comme à une épreuve. Son personnage observe, dans les jardins du Luxembourg, « un vieillard momifié, immobile », qui « regarde devant lui, dans le vide, pendant des heures » : « il a sur les autres êtres humains ce privilège de pouvoir rester immobile comme une statue, pendant des heures et des heures, sans efforts apparents » Les qualités ici admirées (« tu l’admires. Tu cherches son secret 685  ») sont la vie « végétale », la vie « annulée », l’absence de mouvement…

Mais il est vrai que Perec n’écrit pas à la grande époque du roman d’aventures. N’y a-t-il alors que coïncidence de dates ? Toujours est-il que le sociologue allemand Georg Simmel construit le système des valeurs aventureuses en plein dans cet âge d’or 686 . Il affirme notamment que l’aventure est « par excellence la forme de vie qui convient le moins à la vieillesse », car son « principe d’accentuation » est « étranger » à cette dernière : la vieillesse est faite de « contenus de vie », l’aventure est un « processus de vie ». La dynamique de la vie, relié au côté « subjectif » de la jeunesse, est remplacée par « l’objectivité » de la vieillesse, qui vit dans la « contemplation ». Dans la première, on vit dans l’événement, dans la seconde, on ne vit, ou plutôt on ne survit, que dans son souvenir – on y meurt en s’effaçant.

Il faudra donc toujours exalter l’activité physique, gage de bonne santé et de vigueur, et, bien sûr, le "dehors", parce que c’est à l’air pur que l’événement se rencontre : « avec cette vie au grand air, sur ce sol salubre, sous cette zone tempérée, travaillant de la tête et de la main, ils ne pouvaient croire que la maladie dût jamais les atteindre 687  ». Alors, lorsqu’on surprend Stevenson à faire l’Apologie des oisifs, ce n’est pas du tout ce qu’on pourrait croire. Sa posture est rousseauiste, qui appelle à préférer l’école de la vie extérieure, si pleine d’aventures en puissance, si grosse d’événements possibles, aux pesanteurs de l’enseignement traditionnel, confiné dans les salles d’études 688 . L’esprit est bien le même que dans l’article sur la marche : « le paysage au cours d’une randonnée pédestre est parfaitement accessoire. Celui qui est vraiment de la confrérie ne voyage pas en quête de pittoresque, mais de certains états d’âme vivifiants ». Ailleurs Stevenson fait référence à Walt Whitman, qui évoque « le sentiment plein de gaieté et de fraîcheur de la route 689 ».

Le grand air est donc toujours synonyme de santé, de bien-être… A l’inverse, la maladie a partie liée avec l’enfermement, la lenteur, l’immobilité – et surtout, suprême horreur, avec ce type de mort hésitante, ajournée pourrait-on dire, qui est l’opposé de l’aventure. S’il est bien vrai que « la mort est le précieux épice de l’aventure 690  », on aura compris que n’importe quelle mort ne saurait convenir. Elle se doit de faire événement, et seule est "bonne" celle en "héros".

Mais ce "goût du risque" (la formule n’est qu’une autre manière de dire le souhait de la proximité à la mort), ne se veut pas seulement un moyen de pimenter une vie par trop fade en elle-même. La vie n’a pas besoin d’un tel "supplément" pour valoir la peine d’être vécue : « il ne s’agit pas de vivre dangereusement. Les toréadors ne me plaisent guère. Ce n’est pas le danger que j’aime. Je sais ce que j’aime. C’est la vie 691  ». "Frôler la mort" donc, faire d’elle l’horizon prochain, toujours touché, jamais atteint, cela s’appelle "réussir sa vie", revenir à la "vraie vie", à la "vie primitive", au plus près de "la Nature".Ce n’est donc pas par un simple effet de mode qu’on a écrit tant de récits préhistoriques à la grande époque du roman d’aventures, tant de nouvelles mettant en scène des personnages dont le "fond préhistorique" ressurgit, dont les atavismes ancestraux ont subsisté. La mort violente, conclusion obligatoire de la vie au grand air de ces ères anciennes, rôdait, si attirante, pensait-on…

Mais alors, dira-t-on, si une telle mort violente, subite, est préférée à celle, infiniment lente, du quotidien ou de la maladie, le suicide ne devrait-il pas pleinement correspondre au souhait de l’aventurier ? Ce serait bien mal le comprendre : se suicider, c’est mépriser et refuser autant la vie que la mort. Or l’événement de la mort (la mort comme événement), c’est celui que tous les coups de boutoir de la vie aventureuse font approcher, font respecter. Et la réciproque fonctionne tout aussi bien : la vie doit (re)devenir événement, séduction, et pour ce faire, elle a besoin de retrouver ce compagnonnage avec la mort qu’elle n’aurait jamais dû perdre 692 . L’une et l’autre, finalement, sont les deux faces d’une même glorification de l’intensité de la vie.

Le suicide est un déni de ces deux faces. Le Perken de Malraux est fondé à répondre ainsi à la question de Claude : « – Vous n’avez jamais songé à vous tuer ? – Ce n’est pas pour mourir que je pense à ma mort, c’est pour vivre ». Le Marlow de Conrad lui non plus n’entend rien à la psychologie du suicide : « Non, ce qui était lâche, c’était l’idée d’en finir. Voilà ce que j’entends par manque de courage ». Quant au terroriste Chen de La condition humaine, il proclame : « lancer des bombes, même de la façon la plus dangereuse, c’était l’aventure ; la résolution de mourir, c’était autre chose ; le contraire peut-être 693  ».

Dans son face à face avec la mort, dans sa relation intime avec elle, l’aventurier se dresse contre elle comme on lutte avec l’ange. C’est un révolté au sens de Camus : « L’insurrection humaine, dans ses formes élevées et tragiques, n’est et ne peut être qu’une longue protestation contre la mort, une accusation enragée de cette condition régie par la peine de mort généralisée 694  ». C’est celui qui, au plus haut point, refuse la mort – à condition de préciser que c’est la mort sous forme de lente déchéance qu’en réalité il refuse (la mort doit être une « coupe franche », selon le mot de Chesterton 695 ). Et, conséquence logique de ce refus, c’est la proximité la plus forte possible avec une mort qu’on pourrait qualifier de brusque qui est recherchée : « S’intéresser profondément aux hasards de notre existence, apprécier intensément la texture variée de l’expérience humaine, conduit plutôt un homme à mépriser les précautions et à risquer sa vie pour un rien.[…] nous aimons trop la vie pour avoir le loisir de nourrir la peur de la mort 696  ». La mort, c’est réellement l’amie-ennemie intime de l’aventurier, c’est l’événement ultime que toujours il chasse – dans les deux sens du mot : il la poursuit dans le même temps qu’il la repousse. Il ne fait que transgresser des frontières : c’est ainsi qu’on peut définir le danger qu’il court, qu’il recherche – et tous ces passages sont autant de "défis" à la mort. Tel est le destin de ce « somnambule, en lutte avec le rêve même qui le pousse à errer dans des endroits périlleux 697  ». Son destin… sa malédiction ?

Simmel définit l’aventure comme forme extérieure au courant de la vie, ce qui traduit bien la dualité sans cesse exprimée par les aventuriers et leurs scribes : « Lorsque de deux choses vécues, dont les contenus ne sont guère différents, l’une est éprouvée comme étant une "aventure", tandis que l’autre ne l’est pas, c’est dans la différence du rapport vis-à-vis de la totalité de la vie qu’il faut en chercher la cause ». Cet ensemble de la vie, c’est « le résultat de la participation des contenus de la vie à un processus de vie unique qui circulerait en quelque sorte à travers eux ». Et c’est alors à ce « courant », ce flux de la vie, que l’aventure s’oppose, s’isolant de lui : « Car par le terme aventure nous tenons toujours à désigner un événement qui est aussi bien au-delà de l’événement purement brutal dont le sens nous reste extérieur, qu’il l’est de la série vitale et continue dans laquelle chaque chaînon contribue à donner au chaînon qui le suit un sens global ». D’un côté donc, le courant de la vie, ce "cancer" dont parlent les personnages de Malraux, de l’autre, l’événement de l’aventure. D’un côté, l’écoulement du temps, qu’« on ne voit guère », pense Roquentin. D’un côté cet « état mitoyen entre la veille et le sommeil », cette « convulsion d’ennui qu’on appelle : le bâillement », selon les expressions d’un Michelet. De l’autre, ces instants où on vit intensément « l’irréversibilité du temps », où « on a l’impression qu’on peut faire ce qu’on veut » : c’est cela, « le sentiment de l’aventure 698  ».

Simmel ajoute que l’aventure est organique : loin que le flux de la vie lui impose sa loi, c’est elle qui de l’intérieur détermine sa propre forme, de manière autonome. Détachée de l’avant et de l’après, sans lien causal avec eux, elle a son temps propre : « le fait qu’un événement isolé et dû au hasard puisse impliquer un sens et une nécessité détermine la notion d’aventure, dans son opposition avec toutes les parties de la vie que le destin place dans sa périphérie ». Roquentin dit aussi cet isolement de l’événement aventureux : « Quelque chose commence pour finir : l’aventure ne se laisse pas mettre de rallonge ; elle n’a de sens que par sa mort 699  ». L’événement aventureux est alors ce « point d’intersection du moment de sécurité et du moment d’insécurité » dont l’aventurier a besoin pour "vivre". Homme de pari, il a besoin de cette « harcelante préméditation de l’inconnu », selon la belle formule de Malraux 700 . Il se comporte toujours comme si cet événement qui doit survenir, qui est espéré, avait un sens : « L’aventurier se comporte vis-à-vis de l’irrationnel dans la vie comme nous nous comportons d’ordinaire vis-à-vis de ce qui est calculable à l’avance.[…] Bien que les obscurités du sort ne soient pas plus transparentes pour lui que pour les autres, il se conduit comme si elles l’étaient 701  ». La mort, devenue événement, est alors pour l’aventurier cette faucheuse dont le jeu qui consiste à la frôler redonne tout son éclat et toute son intensité à la vie 702 . Frôler la mort, oui, tout en luttant de toutes ses forces pour l’éviter, rechercher à tout prix ces discontinuités que créent les événements, l’inattendu, pour mieux tenter, au risque de l’absurde, de donner un sens à l’irrationnel, tel est le destin ultime de l’aventurier…

Et, faut-il le préciser, c’est la fiction qui est la mieux à même de faire émerger « ces instants virtuels immergés dans le continuum de l’intervalle 703  ». C’est elle, parce que sa vocation est d’isoler, dans le flux de la vie, ces événements typiques qui sont supposés lui donner son sens en « en organisant la succession vers une fin », pour reprendre les expressions de Stevenson 704 . C’est la leçon que reçoit, en même temps qu’il la donne, Lord Jim : lorsqu’il a abandonné le Patna, il a scellé son futur sans le savoir. Ou, davantage, Jim Hawkins : s’évadant du fort de L’île au trésor, il ignore que c’est ce qui va permettre de sauver ses compagnons, auxquels pourtant il a désobéi.

A contrario les écrivains de l’ennui disent l’absence de tout événement, c’est-à-dire la vie au jour le jour en son "continuum" infini et sans relief. La vie au jour le jour ? La mort lente donc, la Mort à crédit de Céline. Eux "racontent" cette maladie qui vous ronge, la durée, qui « sombre dans l’hypnose de l’ennui quand elle est privée de la ferme charpente des événements 705  ». Deux conceptions du temps s’affrontent, résumées ainsi par Jünger :

‘« Ce que l’horloge signifie pour chacun de nous en particulier peut varier à l’infini. Il est évident que c’est le joueur, avant tout, qui reconnaît en elle une roue de loterie. C’est pourquoi les heures, elles aussi, sont riches pour lui de gains imprévus, de coups du sort – changements, voyages, heures du berger, aventures de toutes sortes. L’autre extrême est incarné par ce type d’hommes qui veulent voir dans l’horloge uniquement un chronomètre. Cependant ils ressemblent encore à des joueurs qui se contenteraient d’un gain modique mais sûr. » 706

Les seconds, ces "petits joueurs", thésaurisent les minutes. Ils transforment l’événement de la mort, son instant, en durée, en « timidité inquiète 707  ». Comme pour L’homme qui dort de Perec, la vie est une sorte de nuit où l’on rêve que « le sommeil est une mort lente qui te gagne, une anesthésie douce et terrible à la fois » : « tu ne connais que ta propre évidence : celle de ta vie qui continue, de ta respiration, de ton pas, de ton vieillissement ». C’est la mort endurée (en-durée), c’est la "mort d’ennui", qui a la triste figure du continu, car « l’ennui a priori traîne après soi l’ennui a posteriori, comme l’échec va à l’échec 708  ». Pour le héros de Perec et plus généralement pour tous les "gagne-petit" de son espèce, « il y a mille manières de tuer le temps et aucune ne ressemble à l’autre, mais elles se valent toutes, mille façons de ne rien attendre 709 ».

Ces vrais joueurs que sont les héros-aventuriers veulent eux aussi "tuer le temps", mais d’une tout autre manière. L’expression doit ici s’entendre au sens littéral : c’est la durée qu’il faut tuer, le lent écoulement des jours – et pour cela remplissons-le, de toutes les ruptures, de tous les événements. Tuer le temps ? C’est éliminer de la vie  les "temps morts", faire en sorte qu’elle soit pleine – d’action, la plus intense possible. Pour que la perception du temps qui passe ne nous lasse, entrons dans le rythme effréné des événements. Et que fait la mort dans ce cadre ?

Pour encore mieux le comprendre, faisons un dernier détour, platonicien. Pour démontrer l’immortalité de l’âme, l’auteur du Phédon construit un parallèle entre les états veille/sommeil et les états vie/mort. Un verbe actif définit à chaque fois le passage de l’un à l’autre : s’endormir, mourir. Et de même que dans le premier cas le processus est réversible (on se réveille), il l’est dans le deuxième (d’où l’immortalité et la métempsycose). A chaque fois donc, il s’agit d’une action (s’endormir/se réveiller, mourir/s’immortaliser).

De ce point de vue le héros-aventurier n’est certes pas platonicien. Il ne meurt pas : il vit – ou il est mort. Il est dans un état ou dans l’autre, mais le processus du passage ne le concerne pas. Ce temps mort, cette non-action qui consisterait à mourir ne le concerne pas. Ce passage de frontière qu’est la mort est pour lui immédiat. C’est de cette même façon que Jankélévitch oppose le « transitif » de l’ennui au « substantif », au « focal » de l’aventure : « l’ennui est coextensif à l’intervalle ; la toile d’araignée de l’ennui tapisse la continuation dans toute sa longueur, meuble tout l’entredeux des instants. Pour employer ici la terminologie de William James : il n’y a plus, dans l’ennui, que des états "transitifs" ; les états "substantifs" et les objets "focaux" s’estompent dans le brouillard 710  ». Et lorsque, dans L’île au trésor, Stevenson oppose la position de Jim Hawkins et de ses compagnons, perchés dans leur fortin, et celle des pirates, qui « campent dans un marécage », on retrouve tout le système d’oppositions que l’on a vu se mettre en place : d’un côté, l’action, les événements bénéfiques, « l’air sain », de l’autre les miasmes et brumes malsaines de ces « marais pestilentiels » qui donnent la malaria, qui forcent à l’inaction, conduisent à la mort lente et sans gloire de la maladie 711 . Les romanciers de l’aventure sont du côté des vainqueurs – même s’ils échouent, bien sûr : ce n’est pas le but qui compte, c’est la rencontre frontale avec l’événement "focal" qui s’oppose au "transitif" de la vie.

C’est précisément dans ce brouillard que se tient le personnage de Perec. Il est en quête de tous les temps morts, de tous les passages à vide, il entre en inaction comme on entre en religion ou en analyse. Mais parler de volonté à son propos, est-ce bien approprié ? En quête ? Aventurier de l’absence alors ? Surtout pas, ce serait encore l’enfermer dans la mythologie de l’action (ce qui serait peut-être le seul enfermement qu’il refuserait…) : « Ce qui te trouble, ce qui t’émeut, ce qui te fait peur, ce n’est pas la soudaineté de ta métamorphose, c’est au contraire, justement, le sentiment vague et lourd que ce n’en est pas une, que rien n’a changé, que tu as toujours été ainsi 712  ». Ainsi l’immobilité, l’inaction, l’absence d’événements requièrent peut-être une ascèse, mais surtout sont probablement idiosyncrasiques. Il n’est pas donné à tout le monde de savoir s’ennuyer – et surtout pas aux héros-aventuriers, chacun partant à la découverte de son Amérique…

De son Amérique ? Il n’est dès lors pas étonnant que nombre d’écrivains de l’Amérique réelle, des Etats-Unis, aient à voir avec cette lignée du roman d’aventures. Et on va voir que la thèse n’est pas si restrictive…

Notes
657.

Le cœur aventureux[1929], cité par Venayre, L’esprit de l’aventure, Op. Cit., p. 219. La voie royale, Op. Cit., p. 208.

658.

Joseph CONRAD, Nostromo[1904], trad. de l’anglais par P. Le Moal, Folio Gallimard, 2004, « Note de l’auteur », p. 44, et pp. 472 et 266.

659.

Voir par exemple Mac Orlan, Petit Manuel…, Op. Cit., p. 67.

660.

Conrad, L’agent secret, Op.Cit., p. 114.

661.

« Le névropathe[…] n’a qu’une certitude : la mort, et la terreur que lui inspire cette peu agréable certitude l’immobilise dans une mort vivante plus horrible, mille fois plus, que celle-là qu’il imagine sans la connaître » (Sexus[1948], trad. G. Belmont, Buchet/Chastel, 1969, p. 448).

662.

Dont on trouve l’expression ultime dans l’univers concentrationnaire, où d’emblée on connaît l’issue. David ROUSSET évoque ainsi « le morne inéluctable des jours », la « désagrégeante monotonie du quotidien », « le vide hallucinant des jours sans espoir » (Les jours de notre mort[1947], Ramsay, 1988, pp. 95, 244, 324). Je reviendrai sur ce thème.

663.

Toujours lucide, Conrad n’est pas dupe : « J’ai remarqué que la majorité des amoureux de l’aventure prennent extrêmement soin de leur peau ; la preuve en est que nombre d’entre eux atteignent souvent un âge avancé » (« Bien joué ! »[1918], trad. M. Desforges, in En dehors de la littérature, Critérion, 1992, p. 124).

664.

Toute une chaîne sémantique relie d’ailleurs l’éventualité, l’événement, l’avènement, l’avenir, l’aventure… Un article d’Emmanuel BOISSET (« Eventail historique du mot Evénement », Séminaire « Littérature et événement », Université de Rennes II, février 2003) fait un point étymologique.

665.

Jankélévitch, L’aventure, l’ennui, le sérieux, Op. Cit., pp. 10-12. Voir p. 47 : « Nous décrivions l’aventure comme un remède à l’ennui : en précipitant et passionnant le rythme de la futurition, l’aventure nous fabrique une histoire riche d’événements, de nouveautés et de conjonctures inouïes ».

666.

L’ange exilé, Op. Cit., p. 756.

667.

GIDE, commentant Conrad, a cette formule : « Car ce qui tire le plus à conséquence, ce sont précisément les inconséquences d’une vie » (23 février 1930, Journal 1889-1939, Pléiade Gallimard, 1948, p. 971). « Un roman d’aventure, c’est le récit d’événements qui ne sont pas contenus les uns dans les autres. A aucun moment on n’y voit le présent sortir tout fait du passé ; à aucun moment le progrès de l’œuvre n’est une déduction », écrit encore Rivière (« le roman d’aventures », Op. Cit., p. 66).

668.

Le héros de Céline est un "salaud" sartrien, il est celui qui refuse de s’affronter à "l’être-pour-la-mort", celui qui, par mauvaise foi ou par manque de courage, se dissimule le caractère gratuit et injustifiable de l’existence. Plutôt donc que d’aborder l’événement de la mort de manière frontale, il use de subterfuges et de croyances vaines qui tendent toujours à réduire sa vérité (il est intéressant de remarquer que le terme dérive du francique salo = terne. Où l’étymologie vient corroborer le thème de la fadeur du quotidien, à laquelle finalement le "salaud" célinien ne parvient pas à échapper…).

669.

Martin Eden, Op. Cit., p. 290.

670.

« C’est en quoi nous l’apprécions, l’aventure n’est pas collective. Elle est individuelle et demande une grande liberté de pensée sinon d’action » (Mac Orlan, Manuel, Op. Cit., p. 65).

671.

Comme Céline l’a abondamment montré. Ou Mac Orlan : « La guerre pouvait être considérée comme une aventure. Nous savons tous ce qu’elle a donné quand nous fûmes à même de la réaliser.[…] Les aventures modernes sont chimiques, explosives et stupidement collectives » (Ibid., p. 11).

672.

Purs anarchistes, les aventuriers, comme on le dit parfois ? Peut-être, mais alors de cet anarchisme individualiste à la façon de Stirner, où « l’unique et sa propriété » sont la règle : les institutions, je n’en veux pas pour moi-même, car elles me contraignent. Pour les autres, peu m’importe…

673.

Mayoux écrit : « Conrad a mis en accusation […] sa rêverie romanesque d’adolescent, son goût de l’aventure pour elle-même […]. De l’aventure même, pour le dénoncer, il a tôt isolé le ressort essentiel qui est la subjectivité égotiste, refermée sur elle-même… » (Au cœur des ténèbres, « Préface », Op. Cit., p. 69).

674.

« Bien joué ! », Op. Cit., pp. 117-118.

675.

Qu’on le compare avec Jack London, qui construit sa vie comme une aventure, qui en fait la trame même de tous ses textes, fictionnels, autobiographiques, essayistes. Il s’agit toujours de vivre des situations exceptionnelles, de raconter des histoires et des événements à la mesure des héros prométhéens qu’on imagine.

Mais voilà par ailleurs un écrivain converti au socialisme à la suite de son enquête sur la misère ouvrière dans l’East End londonien (Le peuple des Abysses[1903]), sans pour autant renier sa vocation d’aventurier – et l’individualisme qui va avec ( ce qui le pousse jusqu’à un racisme déclaré : « En tant qu’évolutionniste croyant à la sélection naturelle, ayant à moitié foi dans la loi de Malthus sur la population et tenant compte d’une myriade d’autres facteurs, je ne puis que saluer comme inéluctable la sujétion par les blancs des noirs et autres races brunes » ; « Le socialisme n’est pas un système idéal conçu par l’homme dans le dessein d’assurer le bonheur de tout ce qui vit, ni celui de tous les hommes ; il est destiné à assurer le bonheur de certaines races apparentées. [Les apôtres du socialisme] sont de simples instruments qui travaillent aveuglément à l’amélioration de ces races apparentées au détriment de ces races inférieures qu’ils traitent fraternellement. C’est la loi, ils l’ignorent peut-être, mais cela ne saurait changer la logique des événements » (lettres à Cloudesley Johns, 17 avril et 24 juin 1899, citées par Marianne DEBOUZY, La genèse de l’esprit de révolte dans le roman américain 1875-1915, Lettres Modernes Minard, 1968, pp. 346-347)).

Position difficilement tenable, dont London se sort en généralisant : ce serait un trait essentiel du génie américain que d’être toujours épris du risque et de l’aventure, quelle que soit l’adversité. D’où son attrait pour ceux que la société rejette à ses frontières, « clochards, chômeurs, inadaptés, asociaux de toute sorte ». Ce sont eux qui préparent l’avenir radieux. London s’est rêvé chef révolutionnaire – ce fut encore une forme d’individualisme, teinté ici d’un certain romantisme (il passe d’un individualisme aventurier à un individualisme plus militant, et ce « grâce aux analogies darwiniennes qu’il établissait entre le caractère primitif de l’existence des pionniers, la lutte de l’homme contre l’homme qui aboutissait à la domination des plus faibles par les plus forts dans "l’enfer social", et la primitivité de la vie animale. Les registres étaient différents, mais l’instrument était le même », écrit encore Debouzy, Op. Cit., p. 359)). Il peut dire : Martin Eden, cet autodidacte à la poursuite du succès, ce révolté contre le conformisme, c’est moi.

676.

Malraux, La voie royale, Op. Cit., p. 83. Voir p. 35 : « …l’homme décomposé par son espoir, trompé comme par une tumeur ».

677.

« Aes triplex »[1878], in L’esprit d’aventure, Op. Cit., pp. 23-32.

678.

Voyage…, Op. Cit., p. 427.

679.

Jean-Pierre NAUGRETTE le désigne comme « quelqu’un d’effacé à l’avance » (Le moi et le monde chez Robert Louis Stevenson, Thèse de troisième cycle, Paris III, 1982, pp. 17-19, cité par I. Guillaume, Op. Cit. p. 53). I. Guillaume commente : « L’opposition entre les deux personnages masculins présents au début du récit de Treasure Island s’organise plutôt en fonction d’une ligne de partage entre le temps du quotidien et celui des aventures. C’est le caractère effacé du père et son lien trop étroit avec l’univers de la maladie qui l’amène à être évacué à l’avance de la fiction ».

680.

Malraux, La voie royale, Op. Cit., pp. 205-206.

681.

Au cœur des ténèbres, Op. Cit., pp. 105-106.

682.

qualifié quand même de banal, Céline reste fidèle à lui-même...

683.

Voyage…, Op. Cit., p. 244. Certes, chez Céline, la maladie ne manque pas entièrement d’attraits, puisqu’elle pare le quotidien de toutes les couleurs des visions hallucinées provoquées par le délire : « j’en arrivais à ne plus prendre de quinine pour bien laisser la fièvre me cacher la vie. On se saoule avec ce qu’on a » (p. 224). Ainsi donc, à l’encontre de ce que nous disions, la maladie serait elle aussi une aventure, un événement, permettant à l’écœurante banalité des jours de disparaître dans les brumes de la fièvre : « tout fondait en bouillie de camelotes, d’espérances et de comptes et dans la fièvre aussi, moite elle aussi » (p. 226). Mais quel attrait vicieux est-ce là que celui de la décomposition, pauvre simulacre de l’aventure ? Que la santé revienne donc !, finit par crier Bardamu. Pourtant le retour de la santé n’est pas non plus une garantie. Il ramène d’autres fantasmes, de disparition, de dissolution dans l’étouffant quotidien. Vite alors, qu’il se passe quelque chose, que « les événements se précipitent » (p. 245) pour relancer l’aventure. Ainsi va la frénésie cyclothymique de Céline…

684.

« The road », texte autobiographique cité par S. Chambon et A. Wicke, Jack London, entre chien et loup, Op. Cit., p. 78. Les deux auteures commentent : « en mettant ainsi l’accent sur ces deux notions de vigueur et de jeunesse, London est bien l’un des colporteurs du discours dominant américain. Ces qualités alliées à un goût pour l’aventure, à un talent pour la narration et pour l’écriture, lui permettent de sortir du rang. Car, une fois encore, il s’agit bien de cela : occuper dans un groupe donné une position centrale, voire exceptionnelle ». Virilité, santé, solitude, force… Selon certains, le roman d’aventures ne véhiculerait pas d’idéologie…

685.

Un homme qui dort, Op. Cit., pp. 70-71.

686.

Sa Philosophie de l’aventure fait partie de l’ensemble intitulé Philosophie de la modernité, publié en Allemagne dans les premières années du XXe siècle (édition utilisée : La philosophie de l’aventure, trad. de l’allemand par A. Guillain, L’Arche, 2002, pp. 82-84).

687.

Jules VERNE, L’île mystérieuse[1875], cité par S. Venayre, Op. Cit., p. 80.

688.

Voir Robert Louis STEVENSON, Une apologie des oisifs[1877], trad. de l’anglais par L. Dor et M. Fitzsimons, Allia, 2004. (« Notre oisif[…] a passé beaucoup de temps en plein air, et l’on ne saurait rien imaginer de plus salutaire tant pour le corps que pour l’esprit », p. 16).

689.

« Le sens de la marche », Op. Cit., p. 137. La citation de Whitman se trouve dans « L’appel des routes »[1873], in Voyages avec un âne dans les Cévennes, trad. de l’anglais par L. Bocquet et J. Parsons, 10/18, 1977, p. 234. A l’exact opposé, chez un ROBBE-GRILLET, la marche est le contraire de l’aventure : le héros des Gommes « marche vers un avenir inévitable et parfait », « il marche et il enroule au fur et à mesure la ligne ininterrompue de son propre passage,[…] un ruban uni où chaque élément se place aussitôt dans la trame, même les plus fortuits… » (Les gommes[1953], 10-18, 1968, p. 52). 

690.

Jankélévitch, L’aventure, l’ennui, le sérieux, Op. Cit., p. 23.

691.

Sylvain Venayre, qui cite ce passage du Terre des hommes de Saint-Exupéry, commente : « Le risque mortel n’augmente pas l’intensité de la vie ; il permet de lui redonner son éclat que la civilisation, dans sa marche triomphante, aurait mis sous le boisseau » (Op. Cit., pp. 82-83).

692.

« – Vous ne connaissez pas l’exaltation qui sort de l’absurdité de la vie, lorsqu’on est en face de la mort comme d’une femme dé… Il fit le geste d’arracher. – déshabillée. Nue, tout à coup… » (Malraux, La voie royale, Op. Cit., p. 209).

693.

Respectivement: Malraux, Ibid.. Joseph CONRAD, Fortune [1913], trad. de l’anglais par P. Neel, 10/18, 1994, p. 212. Malraux, La condition humaine, Cité par Venayre, Op. Cit., p. 85. Et pourquoi même Langlois, le « roi sans divertissement » de Giono, finit-il par se suicider ? Parce que sa chasse au criminel, puis au loup, est terminée, qu’il est tombé dans le quotidien du mariage, du cigare après le repas, etc…

694.

L’homme révolté, Op. Cit., p. 127.

695.

Stevenson « avait un penchant pour la coupe franche. Il ne commit jamais un meurtre sans que ce fût un travail propre et net » (Robert Louis Stevenson, Op. Cit., p. 27).

696.

Stevenson, Aes triplex, Op. Cit., p. 31.(

697.

Conrad, Sous les yeux de l’Occident, Op. Cit., p. 360.

698.

Simmel, Op. Cit., p. 75. Jules MICHELET, La sorcière[1862], GF Flammarion, 2002, p. 57. Sartre, La nausée, Op. Cit., p. 78.

699.

Simmel, Ibid., p. 75, Sartre, ibid., p. 55.

700.

La voie royale, Op. Cit., p. 82.

701.

Simmel, Op. Cit., pp. 78-79.

702.

« Par l’intensité de ces tensions, l’événement ordinaire devient une aventure. Celle-ci n’est, à vrai dire, qu’un morceau de la vie parmi d’autres morceaux, mais elle appartient à ces formes, qui ont au-delà de leur simple participation à la vie et de la contingence de leurs contenus, la force secrète de faire sentir pour un instant la somme entière de la vie comme accumulée en elle » (Simmel, Op. Cit., p. 87).

703.

Jankélévitch, Op. Cit., p. 47.

704.

La littérature « s’occupe, et est destinée à s’occuper, moins de rendre des histoires vraies que de les rendre typiques ; moins de décrire les caractéristiques de chaque fait que, les rassemblant, d’en organiser la succession vers une fin » (« Une humble remontrance », Op. Cit., pp. 231-245. P. 235). Le Bris commente : « la philosophie de l’aventure chère à Stevenson, vaut tout autant pour la vie que pour la littérature : c’est même la tension entre ces deux exigences, si inquiétante aux yeux de James, qui est, chez Stevenson, proprement créatrice. Ce qui caractérise en effet l’événement aventureux, et que schématise l’intrigue d’un récit, est qu’il peut s’isoler du flux de l’existence. Bien sûr, ce flux ne s’interrompt pas pour autant, et passe à travers lui, mais il lui résiste, comme s’il possédait en lui-même un sens propre[…]. Et c’est lorsque nous éprouvons, dans un même mouvement, que cet événement s’isole de la totalité de la vie, et pourtant s’y rapporte, dans son écart même, comme s’il en délivrait une signification cachée, que "nous entrons en aventure". Car l’événement, comme le roman, a un commencement, et une fin, il ne dépend ni d’un avant, ni d’un après – et c’est cette place même, qu’il vient occuper presque de force dans le flux de l’existence, ce temps, ces limites qui déterminent de l’extérieur son sens interne. En cela, soutient Stevenson, il y a une relation profonde, une homologie formelle, entre le roman et l’aventure, entre l’écrivain et l’aventurier – non une "contradiction" comme le pensait Henry James » (Introduction, Henry James-Robert Louis Stevenson. Une amitié littéraire, Op. Cit., pp. 71-72).

705.

Jankélévitch, L’aventure…, Op. Cit., p. 117.

706.

Jünger, Le cœur aventureux, Op. Cit., p. 227 (cité par Venayre, Op. Cit., p. 249).

707.

C’est Gombrowicz qui emploie l’expression, inversant, lui aussi, les valeurs aventurières : « Quelqu’un a dit que la vie, c’est la hardiesse ; non, la hardiesse est une mort lente ; et la vie est justement une timidité inquiète »  (« Dans l’escalier de service »[1929], Bakakaï, trad. du polonais par G. Sédir, Folio Gallimard, 1990, p. 156).

708.

Jankélévitch, L’aventure…, Op. Cit., p. 76. IL ajoute que l’ennui « est la cause de ses propres causes » (p. 100).

709.

Un homme qui dort, Op. Cit., pp. 148, 108, 62.

710.

L’aventure, l’ennui, le sérieux, Op. Cit., pp. 70-71.

711.

Voir L’île au trésor, Op. Cit., par exemple p. 221.

712.

Un homme qui dort, Op. Cit., pp. 30-31.