Chapitre V. Faulkner ou l’événement toujours différé, l’herméneutique toujours en défaut

Nous ne savons pas ce qui se passe dans ses œuvres mais nous savons que ce qui s’y passe est terrible
Jorge Luis BORGES

Brigitte n’engendre pas les faits, les faits lui tombent dessus
Elfriede JELINEK 912

Car une première lecture de Faulkner pourrait consolider nos hypothèses sur cet esprit pionnier qui hante la littérature américaine. En effet ses romans eux aussi racontent bien souvent un déplacement, un voyage (Tandis que j’agonise, Lumière d’août, Les palmiers sauvages…), ses fictions elles aussi voient derrière les événements une vérité dont on cherche à démêler les secrets, une interprétation dont on s’acharne à saisir les codes.

Rien de neuf alors avec le grand écrivain sudiste ? Bien sûr que si : il installe une sorte de dialectique entre les événements et leur(s) interprétation(s) unique – dialectique qui se situe au cœur même de son écriture, qui lui donne sa forme, si contournée. En fait, chez Faulkner il est fort rare que l’événement apparaisse directement, et encore plus rare qu’il soit raconté et décrit dans tous ses détails. Le récit ne cesse de tourner autour de lui, et c’est à travers toutes ces interprétations, fussent-elles erronées, qu’une réponse à la question : de quoi s’agit-il ? finit par arriver. L’événement s’appréhende à travers les cercles concentriques des multiples lectures qui en sont faites. Jamais vraiment là, jamais de face, jamais brut, il est toujours construit.

Il est pareil au forçat des Palmiers sauvages, ce nouvel Adam que la crue du Mississipi a libéré contre son gré, et qui erre sur le fleuve sans savoir où l’inondation le conduira. Comme lui, l’événement flotte sur toutes ces interprétations, épave subsistant d’un naufrage. Quel naufrage ? Justement celui de l’esprit des pionniers, de l’idéal de la frontière, voilà ce que nous voudrions montrer. Chez Faulkner on croit d’abord pénétrer à nouveau dans ce système de valeurs, mais c’est en fait à un retournement complet qu’on assiste. Ce n’est plus le mouvement qui est mis en avant et magnifié, c’est l’immobilité. Ce ne sont plus les pionniers qui "comprennent", ce sont tous ceux qui ne sont pas de leur monde : les femmes, les idiots, les indiens, les "nègres"…. Il va de soi qu’en sont complètement transformées la définition et la pratique de l’événement romanesque.

De prime abord, on pourrait penser que l’omniscience du narrateur, ou celle du personnage qui "monologue", reprend quelque peu de ses droits. La prolifération paradigmatique des interprétations n’est pas, comme cela se verra chez un Proust par exemple, l’expression d’un doute ou d’une incertitude. Bien au contraire : le lecteur, trop naïf sans doute, éprouve sans cesse le sentiment que narrateur, et auteur, doivent inlassablement redresser ses erreurs : il est si prompt à se fourvoyer dans de fausses explications, dûment énoncées, dûment dénoncées.

Eclairons ce point à partir des catégories de Ricœur. Dans le registre narratif de Mimésis II d’abord (la configuration), on dira que la narration de l’événement, pour capital qu’il soit, est toujours différée, voire carrément absente du texte (dans cette perspective, les figures du voyeur et du voyant prendront une place centrale). Ensuite, du côté du lecteur (registre de Mimésis III, la refiguration), l’interprétation de ces événements toujours présents-absents est donc toujours infléchie, déviée, redressée. Enfin, du côté de Mimésis I (la préfiguration), nous montrerons que ces deux aspects proviennent du poids du Destin chez Faulkner. Et c’est ainsi que la "marche en avant" de l’histoire, analysée plus haut comme si caractéristique de la fiction américaine, se trouve ici constamment entravée. Le récit de Faulkner n’avance guère.

Il est donc très rare qu’un événement soit "directement" narré. Cet écart perpétuel entre l’événement et sa "lecture" (à la fois au sens premier du terme et au sens d’une herméneutique) passe par de multiples procédés rhétoriques qui minent la narration et sapent le réalisme en renforçant le sentiment d’irréalité 913 . Le lecteur est constamment déstabilisé, détourné par toute une série de figures de style, que je détaille, de la plus "douce" à la plus forte.

Le premier de ces procédés est sans doute le plus fréquent : ces as though, ces as if  (« comme si », « on eût dit », etc.), si visibles. Quelques occurrences (je souligne) :

‘« Ça a été comme ça. Ils sont tombés dedans, toute la famille, revenus à la côte d’où était venu le premier Sutpen[…], faisant la culbute jusque dans le Tidewater simplement en vertu de l’altitude, de l’élévation et de la pesanteur, comme si lafaible prise que la famille avait eue sur la montagne[…] avait lâché tout à coup… » (Absalon, Absalon !). ’ ‘« On dirait qu’il les soulève et les laisse retomber au fond d’un puits invisible, le son s’éteignant sans s’éloigner, comme si tout mouvement risquait de le chasser de l’air ambiant en résonances successives » (Tandis que j’agonise.Il s’agit des planches que Cash prépare pour le cercueil d’Addie).’ ‘« Et c’est chaque fois l’explosion tournoyante, l’envol du beffroi, comme si l’heure, au lieu d’ajouter simplement une nouvelle particule infinitésimale à la longue progression qui, depuis la Genèse, déroule sa monotonie, avait ébranlé l’air vierge avec le premier et violent ding-dong du Temps et de la Condamnation sans appel » (Requiem pour une Nonne, à propos des oiseaux qui nichent dans le beffroi du tribunal de Jefferson).  ’ ‘« …et le docteur se remit en marche, non pour répondre au nouvel appel, lui qui n’avait eu aucun pressentiment, mais comme si les coups répétés avaient simplement coïncidé avec le retour de la vieille impasse où il se débattait depuis quatre jours, mystifié, tâtonnant, pensant, remâchant ses pensées ; comme si un instinct peut-être le remettait en marche, le corps seul, pas l’esprit » (Les palmiers sauvages,  au début du roman, lorsque Harry frappe à la porte du médecin) 914 . ’

Ce dernier exemple montre l’ambiguïté, ou la perversité, du procédé : il nie ce qu’il affirme à propos de la "lecture" de l’événement relaté. Au delà du comparatif "comme" qui indique une simple ressemblance, les "comme si" de Faulkner sont en même temps des "non pas" (car ce qui y est développé est donné comme faux) et des "mais" (où il est suggéré que l’interprétation qui suit le "comme si" est la seule vraie). Il n’est certes pas vrai que « l’heure avait ébranlé l’air vierge », et pourtant c’est cette irréalité qui est mise en avant et développée, au rebours des certitudes du lecteur 915 .

Le deuxième procédé est plus péremptoire, voire comminatoire : les not only… but (« non seulement…, mais encore ») :

‘« C’est à partir de ce jour-là que j’ai compris que Dieu est non seulement un gentleman de bonne composition mais qu’il est également originaire du Kentucky » (Le Bruit et la Fureur, monologue de Quentin)’ ‘« Car non seulement il n’avait pas perdu son innocence, mais il n’avait pas encore découvert qu’il était innocent » ( Absalon, Absalon !)’ ‘« et non seulement Drusilla ne manifestait ni honte ni remords, mais elle allait jusqu’à faire semblant de ne pas comprendre ce que tante Louisa voulait dire » (Les Invaincus. Bel exemple de ces négations qui se multiplie chez Faulkner. En voici un autre, dans Tandis que j’agonise : « Je ne sais pas ce que je suis. Je ne sais pas si je suis ou non. Jewel sait qu’il est, parce qu’il ne sait pas qu’il ne sait pas s’il est ou non. Il ne peut pas faire le vide en lui-même pour pouvoir dormir, parce qu’il n’est pas ce qu’il est et qu’il est ce qu’il n’est pas ») ’ ‘« C’est donc cela que tu n’as jamais pu lui pardonner ?[…] le fait que non seulement elle n’en a pas souffert mais qu’elle y a trouvé du plaisir,[…] le fait que tu as été contraint de perdre non seulement ton indépendance de célibataire, mais ton amour-propre d’homme attaché à la chasteté de sa femme » (Requiem pour une Nonne, Stevens, à Gowan à propos du séjour de Temple dans un bordel) 916 . ’

Ces « non seulement…mais », empreints de condescendance, signifient que l’interprétation simpliste (celle du lecteur ou d’un personnage), si elle peut être admise, est par trop minimaliste. Là encore, la seule véritable, la "bonne", qui contient d’ailleurs la première, est inattendue. Disons-le à la manière de Faulkner : non seulement elle est inattendue, mais bien souvent elle fait peur, ce qui peut expliquer qu’on n’ose la formuler… Edouard Glissant : « le non seulement…, mais qui intervient assez souvent et qui a fait pencher cette parole sur tant d’abîmes. Non seulement ce que vous voyez, mais ce que vous avez envie, et tout autant peur, de ne pas voir.[…] Non seulement le réel le plus misérable, mais le tourment qui approfondit cette misère et lui confère sa grandeur ». Et l’auteur de Faulkner, Mississipi de conclure : « Ce principe d ‘écriture "problématise" le réel, permet[…] d’en élargir le possible 917 ». Faulkner nous conduit ainsi vers sa vision du monde, certes fondamentalement tragique par son sens de l’ « irréparable », selon le mot de Malraux 918 , mais elle n’en est pas moins ouverte (il s’avèrera que cette malédiction originaire n’est pas simple nécessité).

Le dernier procédé enfin est carrément dilatoire : le not… but. Glissant a également souligné ces « non pas…, mais », ces « peut-être (que)…, mais » qui sont « les utilisations les plus fréquentes de ce suspens d’écriture qui dédouble le réel, en inverse parfois la logique 919  », qui déstabilise son appréhension :

‘« ce n’est pas qu’elle eût essayé d’exister d’une certaine manière pendant ces cinq années, mais c’est que lui-même n’avait commencé à exister qu’à la naissance de cette fille, tous deux étant liés irrévocablement à partir de cette heure et pour toujours, non par l’amour, mais par une fidélité implacable » (Le Hameau, à propos de la femme de Houston) ’ ‘« ils continuaient à ne jamais se quereller parce qu’elle refusait de s’y prêter, et cela non par suite d’une patience réelle ou feinte, ni parce qu’elle même était accablée, effrayée, mais simplement parce que[…] elle savait qu’il était indispensable que l’un des deux gardât son sang-froid… » (Les palmiers sauvages)’ ‘« On dirait qu’ils nous touchent, non par le sens de la vision, mais comme le jet d’une lance d’arrosage, le jet au moment où il frappe, aussi dissocié du tuyau que s’il n’en était jamais sorti » (Tandis que j’agonise, à propos des yeux d’Addie, la mourante)’ ‘« La maison ne semblait pas se rapprocher : elle était simplement suspendue en avant de nous, flottante et croissant lentement de volume, comme dans un rêve » (Les Invaincus)’ ‘Jackson, dans L’Appendice Compson, est ce « Grand Dieu Blanc avec une épée », qui place au dessus de tout, « non l’honneur de sa femme, mais le principe selon lequel l’honneur devait être défendu, qu’il existât ou non, parce que cette défense le faisait exister même s’il n’existait pas » ’ ‘« cette indéniable odeur de nègres » dont le petit garçon de L’intrus n’a « jamais une seule fois réfléchi, ni examiné, si, par hasard, cette odeur était, en réalité, non pas celle d’une race, non pas même positivement celle de la pauvreté, mais peut-être celle d’une condition, une idée, une croyance, une acceptation passive par eux-mêmes de l’idée que, par le fait d’être des nègres, ils n’étaient pas censés avoir le goût de se laver convenablement ni souvent… »’ ‘« Il lui semble que la semaine qui se termine a fui, semblable à un torrent, que la semaine suivante, celle qui va commencer demain, est l’abîme, que maintenant, sur le rebord de la cataracte, le torrent fait entendre un cri unique, sonore, austère, non pour se justifier, mais pour lancer un dernier adieu avant la chute, pour saluer une dernière fois, non pas un dieu, mais l’homme enfermé dans sa cellule grillée, si près qu’il peut entendre, non seulement cette église, mais les deux autres temples qui dresseront eux aussi une croix pour sa crucifixion » (Lumière d’Août) 920 . Dans cette dernière citation, on rencontre le thème majeur du temps, flot vertical qui nous emporte, pareil au « Old Man » des Palmiers sauvages, forme même du Destin 921 …’

Bien sûr, il n’y a pas là qu’effets de style. Bien souvent, dans ces figures 922 où s’effectuent des sortes de "sauts" dans la focalisation, la prise en compte du discours passe d’un personnage à l’autre, l’interprétation qui est niée peut être celle du personnage dont il est question, ou celle de son entourage, ou celle du lecteur. Celle qui est présentée comme vraie peut à son tour être celle du personnage principal, ou celle du narrateur omniscient… Ou de l’auteur ? La question reste la plupart du temps ouverte…

En tout cas, si on a pu dire qu’« elles ne relèvent pas du discours logique, mais de la rhétorique 923  », ces constructions n’en ont pas moins pour fond une interrogation radicale sur la causalité des actions humaines. Ce que le dernier procédé, qui contient tous les précédents par le côté inattendu de l’interprétation proposée (mieux : imposée), illustre particulièrement. Pareils aux "parce que quoi ?" des enfants qui remplacent un "pourquoi ?", ces « curieux Because, [ces] Parce que qui sont les articulations typiques des romans de Faulkner 924  » sollicitent une réponse qui ait la forme, là aussi singulière et paradoxale, d’une certitude non apodictique. A la question du sens que pose de façon obsessionnelle un Thomas Pynchon, au problème ontologique, ils ripostent brutalement : « Pourquoi ? –Parce que » 925 .

Dans Lumière d’Août, une première "explication" est donnée à cette explication qui n’en est pas une : « L’homme sait si peu de choses sur son prochain. A nos yeux, hommes et femmes agissent toujours pour les mêmes motifs qui nous pousseraient nous-mêmes si nous étions assez fous pour agir comme eux 926  ». L’incommunicabilité entre les individus, l’incompréhension mutuelle, l’impossibilité de saisir les motifs des actions d’autrui contraignent celui qui "parle" 927 à imaginer les raisons, forcément inappropriées, forcément déplacées, qui pousseraient son "interlocuteur" (et le lecteur) à agir de la même façon que lui face à l’événement. Elles l’obligent ensuite à dire les vrais moteurs de ces actions. Le problème est que ces derniers sont très généralement incompréhensibles, ou plutôt inexplicables.

Et pourtant tous s’acharnent à la trouver, cette "explication" (les guillemets restent de mise), comme Addie la mourante de Tandis que j’agonise : « je pensais combien les mots s’élèvent tout droits, en une ligne mince, rapides et anodins, alors que les actions rampent, terribles, sur la terre, s’y cramponnent, si bien qu’au bout d’un certain temps, les deux lignes sont trop éloignées l’une de l’autre pour qu’une même personne puisse être à cheval sur les deux. Je pensais que péché, amour, peur, tout cela n’était que des sons que les gens qui n’ont jamais péché, ni aimé ni craint, emploient pour ce qu’ils n’ont jamais eu et ne pourront jamais avoir, à moins qu’ils n’oublient les mots ». Ou comme le vieillard d’Absalon : « la langue (ce fil ténu et fragile, dit grand-père, au moyen duquel les petits coins superficiels, les bords de vies humaines secrètes et solitaires peuvent être rapprochés un instant de temps à autre avant qu’ils ne se renfoncent dans les ténèbres…) 928  ». L’agonisante Addie, le grand-père d’Absalon… Comme si l’approche de la mort donnait une lucidité nouvelle sur la fragilité des mots… Tout le travail de l’écrivain, jamais achevé, toujours recommencé, consiste à réduire la fracture, à projeter cette ligne, verticale, paradigmatique, de mots et d’interprétations, sur le paysage horizontal, syntagmatique, des actions et des événements 929 . C’est contre cet "incurable retard des mots" que s’acharnent ses négations et dénégations. Et c’est pourquoi il étire dans l’espace de la page ces « non pas… mais », ces « comme si… », qui toujours aspirent à rejointoyer les événements et leur dire, qui tentent de renouer les fils sans cesse défaits du langage. Jankélévitch voit dans l’acte poétique « un perpétuel va-et-vient entre le rayonnement du sens et le contrecoup des signes 930  ». Voilà une belle définition de l’écriture même de Faulkner. Ses négations sont aussi des affirmations. Elles nous disent : voilà où le récit aurait pu aller, voilà où il aurait pu vous conduire, mais voilà aussi où il ne va pas.

Dans les romans de Faulkner, les événements disparaissent sous les couches interprétatives qui se superposent et ne cessent de se corriger les unes les autres. On pourrait dire plus précisément que leur mode d’"apparition" est justement dans ces superpositions qui les cachent, qui en dessinent les contours. Les événements chez Faulkner sont des « apparitions disparaissantes », selon une autre formule de Jankélévitch 931 .

Pynchon craignait que l’Amérique ait manqué la bifurcation historique juste. Avec Faulkner, ce qui importe avant tout, c’est que le destinataire ne rate pas la bonne voie aux multiples embranchements. Il n’y a plus seulement une unique erreur historique, il y a à tout instant des croisements où on risque d’être dérouté vers de fausses interprétations des événements qui adviennent, omniprésents bien que toujours cachés. Le narrateur doit sans cesse nous remettre sur la bonne piste, nous pauvres lecteurs, beaucoup moins sûrs du chemin qu’une Lena Grove, qui dans Lumière d’août marche à la recherche de Lucas Burch, inlassable, sans question. Nous, incorrigibles lecteurs, beaucoup plus hésitants sur le but qu’un Anse Bundren, qui dans Tandis que j’agonise ne cesse de répéter : « J’lui ai donné ma parole. Elle avait mis ça dans son idée 932  ».

Et c’est ainsi qu’un événement n’existe qu’à travers les visions qu’on en a. C’est ce qui pourrait s’appeler le "réalisme subjectif" de Faulkner : « Les associations sont subjectives, c’est-à-dire qu’elles se passent dans la tête de Benjy et non dans l’œil du lecteur », dit l’auteur lui-même dans une lettre. Voilà bien la difficulté. Comment saisir les motivations des personnages, comprendre leurs réactions face à l’événement qui leur arrive ? Il y a deux empêchements majeurs : d’une part, l’incommunicabilité fondamentale entre les êtres qu’on a lue dans Lumière d’Août (« l’homme sait si peu de choses sur son prochain »…), d’autre part l’incapacité des « grands mots », du « fil ténu » du langage, à rendre compte des actions humaines.

Voilà pourquoi notre interprétation immédiate est à tout coup erronée, pourquoi il est nécessaire de faire « constamment appel à un grand nombre de mots négatifs qui, niant constamment l’impression première, tentent de saisir ce qui est au-delà de l’accidentel et du passager ». D’où en même temps le sentiment d’un écart incommensurable entre la "pauvreté" des personnages et même de ce qui leur arrive et la multiplicité, l’amplitude des mots qui s’acharnent à les dire. Comme si les hommes ne pouvaient « contenir les mots chargés de les évoquer 933 ». Les mots sont des vêtements beaucoup trop larges…

Beaucoup trop larges ? Ils les rendent pourtant immenses, ces héros, comme les événements, qu’on ignore « mais dont on devine qu’ils sont terribles », selon le mot de Borges. A la fatale extériorité du lecteur Faulkner s’attaque par ces constructions en spirale où se répètent à tout niveau les dénégations : non, lecteur, l’interprétation que tu fais n’est pas la bonne, ou, au mieux, elle n’est que partielle, fragmentaire. A ton tour, pénètre dans l’œuvre pour saisir les événements qu’elle surcharge, descends dans le gouffre de l’inattendu. Véritable travail de création que la lecture de Faulkner, on l’a souvent dit.

Mais alors, glissant de Mimésis III à Mimésis I, n’est-il pas légitime de se demander si toute interprétation n’est pas toujours déjà fausse ? N’est-il pas présomptueux d’explorer ce puits au fond duquel on espère trouver le fin mot du mystère des personnages, de leurs actes, des événements qui leur adviennent ? Y rencontrera-t-on la vérité ? Cette foule d’explications, cette multitude de "parce que" ne répondent-ils pas à une question qui n’existe pas ? Pareils à la rose des mystiques, ils sont sans pourquoi. Comme Eula : « C’était comme si, même dans sa petite enfance, elle savait qu’il n’y avait pas d’endroit où elle désirât aller, rien de neuf ou de nouveau au bout d’aucune progression, qu’un endroit ressemblait à un autre, n’importe où et partout ». Cette jeune fille enflamme pourtant toute la gent mâle du comté, qui se presse à sa porte, se bat pour sa conquête. Mais elle reste là, « simplement assise, et immobile, sans penser même, apparemment 934  ». Comme toujours, le doute subsiste ("comme si", "apparemment") – ce qui ne fait que rajouter un tour supplémentaire à la spirale de l’incertitude. A ce premier niveau, le présent des événements et des actions reste problématique.

La causalité des actions ne l’est pas moins. Si l’interprétation première est à rejeter, celles qu’on nous propose ne rassurent pas davantage. Elles sont trop inattendues, trop en porte à faux avec les certitudes mêmes des personnages, dont le comportement pourtant n’est guère hésitant : soit apathiques, soit agissant selon un "cela va de soi" sans question, à la façon du Lucas Beauchamp de L’Intrus.

Osons quand même descendre plus bas dans le gouffre. Ces deux premiers niveaux de compréhension paraissent ne conduire nulle part ? Il faut alors entrer dans ce qui fait le fond de la vision de Faulkner, du côté de Mimésis I.

Nous pénétrons dans l’univers de la malédiction. Comme le forçat des Palmiers sauvages par le Mississipi, les personnages sont ballottés par le fleuve du destin. Les fourmis humaines (l’image se trouve dans Requiem) sont écrasées par le poids infini de la fatalité. Mais dire cela ce n’est pas dire grand’chose… Si singulière est la façon dont le récit de Faulkner, cette machine à incertitudes, évite l’événement. Formulons les choses ainsi : face aux événements dont ils sont les jouets, il y a dans l’attitude des personnages comme une sorte de "mobilité immobile" qui les enferme. Mais aussitôt, de nouveau, les questions surgissent : s’agit-il là d’une simple soumission au destin contre lequel il est de toute façon inutile de lutter ? d’une incompréhension radicale de ce qui se passe tant cela dépasse l’entendement des "bouseux" de Faulkner ? Ou, plus noblement, adoptent-ils une position stoïcienne face aux inconséquences des dieux ?

Et qu’est-ce qui est différé : ces mêmes événements, racontés sans jamais vraiment l’être, ou "seulement" leur narration ? Dans les fictions de Faulkner il arrive des événements. Mais ils ne sont pas décrits. Leur survenue, pour certaine qu’elle soit dans l’inéluctable du temps, est sans cesse différée 935 . Ou peut-être est-ce leur narration. De toute façon l’ellipse est constante, et la valse des questions sans fin. Voilà bien le paradoxe irrépressible : le lecteur a la tête pleine de ces tournures péremptoires, de ces « non seulement, mais », ces « non pas, mais », de ces négations qui se veulent autant d’affirmations sur la bonne interprétation, sur la bonne lecture, mais qui ne font que susciter les interrogations, les "peut-être" qui ici se multiplient, et dont on se doute qu’ils ne rencontreront jamais une réponse assurée…

Il n’y a pas de nœud dans ces histoires, et c’est la vision du temps de Faulkner qui les rend si étranges. D’une part son présent est "sans avenir", d’autre part il est surchargé d’un passé irrachetable. Sartre écrit, à propos du Bruit et la Fureur : « rien n’advient, l’histoire ne se déroule pas.[…]Rien n’arrive, tout est arrivé.[…] L’homme est la somme de ses propres malheurs 936  ». Les événements ne sont pas directement là car le temps (la conscience qu’en ont les personnages) n’existe qu’au passé, dont toute l’intemporalité pèse sur le présent. Bien qu’indiqué très tôt dans Sanctuaire, le récit du viol est constamment différé, et il faudra attendre le procès de Goodwin pour que nous soient, à peine, révélées ses circonstances, avec l’exposition au tribunal de l’épi de maïs maculé 937 .

Les personnages de Faulkner sont aux antipodes du héros américain, toujours parti à la poursuite des événements, dans une quête sans fin 938 . Eux les subissent, incapables de "coller au présent", et c’est cette impossibilité qui donne sa forme à la narration. Voilà pourquoi c’est toujours en retard qu’on « apprend tout ce qui est arrivé », passant toujours à côté : « Faulkner traite l’événement par défaut, le décrit en creux, le suggérant par un faisceau d’allusions, d’indices plutôt et d’informations lacunaires plutôt que de le désigner nommément », écrit André Bleikasten 939 .

Mais loin d’en minimiser l’importance, ce renversement radical de la narration comme récit d’événements augmente leur pouvoir de fascination : « L’œuvre de Faulkner m’a toujours paru être ainsi : une révélation différée qui engendre sa technique, non pas d’élucidation, mais, en fin de compte, d’amassement d’un mystère et d’enroulement d’un vertige – accélérés plutôt que résolus par cette folle vertu du diffèrement et du dévoilement – autour d’un lieu qu’il lui faut signifier 940  ». N’est décrit que l’avant et l’après de l’événement : c’est dans le futur, donc en retard, toujours trop tard, qu’on mesure son caractère de fatalité. Le mystère ne cesse de s’épaissir, sont démultipliés entours et alentours de l’événement, tout ce qui normalement devrait en éclairer toutes les composantes, les causes, les conséquences – et l’effet est inverse…

La surprise du récit de Faulkner est ainsi à double détente :

– Du côté de Mimésis I, contre cette idée que l’homme, quelles que soient ses limitations, est doté d’un certain pouvoir sur le monde, donc d’un avenir à sa portée. Si le temps faulknerien n’est pas sous l’emprise d’une nécessité qui détermine les événements (car il reste contingent), l’accomplissement du destin n’en a pas moins lieu, et peu importe la taille des événements qui le portent. Aucune hiérarchie ne les ordonne 941 , et les actions humaines n’y changent rien. Cet écart entre les événements et leur insignifiance, leur constante interprétation par le poids de la malédiction inaugurale, littéralement déboussolent la lecture. Aucune causalité rassurante ne fonctionne, toutes sont constamment déjouées, le lien entre une action et sa motivation devient incertain. Comme seule "explication" il ne reste que le destin.

– Du côté des personnages (Mimésis II), la surprise n’est pas moindre. Elle est cette fois dans l’advenue malgré tout de ce à quoi ils s’attendent. On reste ahuri que l’inéluctable s’accomplisse, même pour quelque chose d’anodin (mais qu’est-il d’anodin dans un tel monde?) : à l’arrivée de la pluie, annoncée pourtant par des éclairs et de gros nuages, « notre père lève la tête, la mâchoire pendante[…]. Derrière son visage ahuri de surprise, comme hors du temps, il songe à cet ultime outrage ». La surprise, c’est cette arrivée effective du « cela devait arriver », cet accomplissement du destin. « Il va m’arriver quelque chose » dit d’abord Temple, puis « Je vous avais bien dit que cela arriverait 942  ».

Cet ébahissement, on le dirait presque animal. Et les termes qui le qualifient servent aussi bien à dire ces autres comportements (autres, vraiment ?) : l’apathie, l’immobilité contemplative, presque mystique 943 . Extase qui prend deux visages : celui des voyeurs d’abord, dont le regard creuse un nouvel écart encore par rapport à l’événement, tout comme s’il n’était pas directement vécu. Celui des voyants ensuite, marginaux tout aussi omniprésents (femmes, idiots, fous, noirs, indiens), dont l’« immobilité dynamique 944  » ralentit puis arrête le temps lui-même, écrasé sous son propre poids.

Les voyeurs se retrouvent partout 945 , et ce n’est bien sûr pas fortuit. Chez Faulkner, ce n’est pas l’événement qui est vu, mais celui qui le regarde. Impuissant à en changer le cours, il observe complaisamment les autres emportés par le flot du destin. Ce regard fasciné (particulièrement abject chez Popeye) auquel on ne peut échapper (voilà pourquoi après Sanctuaire, il y a Requiem pour une Nonne), n’est d’abord que celui du spectateur, du simple « sujet percevant » de Sartre 946 . C’est cette attitude purement passive qui est d’abord détaillée, bien plus que l’objet regardé.

Mais les proliférations imaginatives des voyeurs supplantent très rapidement la simple perception, et l’événement, bien que toujours aussi peu visible dans le récit, sert néanmoins de point d’ancrage à ces débordements fantasmatiques. Et voilà comment la fameuse scène initiale de Sanctuaire se construit, à travers les regards croisés de Popeye et d’Horace Benbow, à travers le miroir de la source, dont les « mille reflets brisés 947  » sont le symbole de tout le roman.

C’est autour de ce jeu de regardants/regardés que sans cesse tourne le récit, fasciné comme l’est Darl par les yeux de son demi-frère Jewel (Tandis que j’agonise). Bien qu’au cœur de tout cela, l’événement est enfoui sous les couches narratives qui s’en rapprochent, s’en détournent, sinuent autour de ce point focal toujours là, jamais là. Décrire les spectateurs, dire leurs images mentales plutôt que le spectacle, éloigne de l’événement – resserre sur lui. Absent du récit, il est omniprésent dans l’histoire.

Il en est de même du côté des voyants. On pourrait croire qu’eux sont susceptibles d’appréhender le sens des événements présents-absents. Pourtant, là non plus, cela ne fonctionne pas. Faulkner affirme bien que la vie n’est que mouvement et la mort immobilité, mais il ajoute : « le but de tout artiste est d’arrêter le mouvement, qui est la vie, par des moyens artificiels et de l’immobiliser 948  ». L’artiste serait-il un voyant à la manière de Rimbaud ? Certes pas. L’artiste et le voyant de Faulkner ont tous deux le regard de Méduse : ils paralysent ce qu’ils voient en même temps qu’ils font piétiner le récit. Et voici la lente cohorte de ces personnages à l’infinie patience dont l’apathie donne la sensation d’un vide insondable de pensée.

Première catégorie de voyants, les femmes sont au cœur de cette « implacable fatalité [qui] secoue désespérément les pantins 949  » à elles soumis. Un déterminisme proprement physiologique les condamne dès avant leur naissance, comme Quentin, la fille de Caddy : « Orpheline de père neuf mois avant sa naissance, sans nom à sa naissance et déjà condamnée à rester non mariée à partir de l’instant où l’œuf en se divisant détermina son sexe 950  ». Ou Judith Sutpen : « condamnée à être veuve avant d’être mariée », poétiquement décrite comme ces jeunes filles « demeurant en un nébuleux suspens, étranges et imprévisibles, leurs formes mêmes fluides, subtiles et immatérielles, non point portées par quelque quête mais simplement en attente, parasites, puissantes et sereines ». Elles sont d’une sérénité presque ataraxique, ces gardiennes de la fatalité, ces déesses incompréhensibles aux hommes, liées aux forces naturelles dont, contrairement à eux, elles possèdent une connaissance organique et de toute éternité. Voici encore Eula Varner, dont Faulkner lui-même dit qu’« elle était plus grande que la vie. C’était un anachronisme, elle n’avait pas sa place là ; ce petit hameau ne pouvait pas la contenir et, quand elle est allée à Jefferson, Jefferson ne pouvait pas la contenir non plus.[…] elle était trop grande pour ce monde-ci ». Et dans Le hameau : « elle semblait plutôt vivre dans un monde prolifique dans lequel défilaient ses jours, comme si elle écoutait, derrière une vitre insonore, dans un morne hébétement, avec une sagesse blasée fondée sur la prescience de sa maturité féminine, se développer ses propres organes ». C’est dans ceux-ci que mûrit puis s’écoule le flot menstruel, « ordure périodique entre deux lunes en suspens 951  », assimilé au flot du Temps qui nous emporte inexorablement, comme le Mississippi, l’"Old Man" des Palmiers sauvages.

La femme est ainsi la gardienne inflexible du « poids de l’éternel était de l’homme ». Narcissa Benbow de Sartoris, contemplant le portrait de John, frère défunt de son mari Bayard, « comprenait comme elle ne l’avait encore jamais fait l’aveugle tragédie des destinées humaines.[…]Et, comme si elle avait déjà pu discerner, debout à côté de sa chaise, aux aguets dans l’attente de son heure, la sombre figure de cette fatalité qu’elle avait encourue 952  ». Lorsque l’événement survient, forcément malheureux, la femme saisit, sans question, dans son corps même, sa fatalité.

Les idiots et les fous, deuxième catégorie de voyants, ne perçoivent pas moins cette fatalité. "Animés" d’une vie quasi réflexe, ils demeurent d’une insondable immobilité, comme absents face aux événements qui les accablent. Eux aussi sont une matérialisation du Temps qui emprisonne. Ils ne vivent que dans le présent  (« pour cet idiot [il s’agit du Benjy du Bruit et la fureur], le temps n’était pas une durée, c’était un instant, il n’y avait ni hier ni demain, pour lui tout se réduit à ce moment, à maintenant 953  »), ce qui n’empêche pas leur conscience de l’inéluctable d’être suraiguisée, du fait de leur perception purement sensitive  des événements : c’est ainsi que Benjy se souvient du jour où Caddy a cessé de « sentir comme les arbres » – c’est-à-dire, même s’il ne le sait pas, a perdu sa virginité.

Leur voyance ne se sert pas des mots : « C’est arrivé à ce moment-là et à ce moment-là j’ai vu Darl et il savait. Il m’a dit qu’il savait sans se servir de mots, tout comme s’il m’avait dit que maman se mourait sans se servir de mots 954 ». Ils ne disent pas l’événement, mais ils se le transmettent à travers ce que Faulkner nomme cette "surperception" 955 , immédiate et profonde, qu’ils ont des forces de la nature.

Les "nègres", troisième catégorie de voyants, ont la même. Eux aussi sont les éternels jouets du destin, tel Joe Christmas de Lumière d’Août, enfermé dans la fatalité de son sang noir, telle Nancy de Requiem pour une Nonne, « une putain, une droguée, sans rédemption possible, damnée avant sa naissance, et dont la seule raison de vivre était sa chance de finir sur l’échafaud 956  ».

Mais ils n’en sont pas seulement victimes, ils sont aussi les instruments de ce destin, créant eux-mêmes, par une fatalité irrépressible, l’événement à venir : Nancy, en se condamnant par son geste infanticide, contraint du même coup Temple à retomber dans la tragédie de son passé. Tout se passe dès lors comme si leur force d’inertie leur ouvrait les voies du véritable savoir sur la destinée humaine. Voilà comment même des figures passagères de noirs, à peine entrevues sur un quai de gare, ont ce caractère d’inépuisable sérénité, d’immobile vacuité, que procure la vraie connaissance : « Le train décrivit une courbe.[…] et c’est ainsi qu’ils disparurent, doucement enveloppés dans cet air de misère, de patience hors-temps, de sérénité statique… ». Ils ont la connaissance, de façon immémoriale : « les nègres savent, ils savent des choses 957  ».

S’ils sont sûrs, de cette sorte de savoir qu’on pourrait presque dire enfantin, c’est qu’ils portent dans leur chair cette malédiction qui a corrompu tout le Sud : l’esclavage. « Ils enduraient », dit L’Appendice Compson à propos de Dilsey 958 . Ce qui est dire à la fois : ils ont souffert, et ils ont duré. Comme Dilsey précisément, qui tient à elle seule « dans sa vieille main usée la barre de ce navire à la dérive qu’est la maison Compson 959  », presque sereine, jamais abattue par les catastrophes dont elle sait de toute éternité qu’elles doivent advenir.

Les indiens sont la dernière catégorie de voyants – depuis le grand ancêtre, Ikkemotubbe, dont le surnom français "Du Homme" s’est transformé en Doom, qui est le véritable nom de la fatalité faulknerienne 960 . C’est lui qui a mis en marche le destin de ce bout de terre du futur comté de Yoknapatawpha en le cédant à l’homme blanc 961 . Et c’est justement parce qu’ils ont ainsi commencé l’Histoire que les Chickasaw se désintéressent complètement des événements. Tout était déjà inscrit dans cet instant inaugural de l’abandon de la terre ancestrale. Cet événement initial qui contient tout le reste, tout ce qui va suivre, n’en rend que plus dérisoire les actions que tente l’homme blanc pour orienter et infléchir le flot de l’«Old Man ». Ce ne sont là que vaines gesticulations, mouvements insensés.

Absurdes pensées aussi…Tous ces voyants de Faulkner, ces personnages "secondaires", n’éprouvent pas ce besoin de penser. Ils ont toujours déjà compris que les événements adviennent sans que l’homme n’en puisse mais, de toute éternité pourrait-on dire : les femmes, parce qu’organiquement liées aux forces naturelles, les nègres, comme victimes de la malédiction originelle de l’esclavage, les idiots et les fous, parce que nantis des pouvoirs spéciaux des visionnaires, les indiens, en enclenchant le destin par la vente de la terre primitive 962 .

Et ils n’agissent pas non plus car, tout comme la pensée, l’action est une forme de révolte contre ce destin, de résistance aux événements, forcément maléfiques, qu’il charrie dans son flux. Ce sont bien eux, les véritables savants, et si vaine est l’agitation des hommes blancs : « Les blancs on ne les comprend pas. Ils sont comme des enfants, il faut les manier avec précaution parce qu’on ne sait jamais ce qu’ils vont faire l’instant d’après 963  ».

La formule de Sartre est juste : chez Faulkner tout fonctionne selon une « rationalité inverse 964  ». Si le temps est au cœur de son œuvre, c’est selon une dialectique de l’horizontal et du vertical qui ne suit pas la figuration classique. Le temps se représente habituellement sur une ligne droite, horizontale, dont le point-zéro est le présent. Un signe négatif affecte le passé, un signe positif le futur. Ce qui fait avancer les individus est alors cette positivité qui marque le futur, espoir d’une vie meilleure, ici-bas ou dans l’au-delà des doctrines sotériologiques.

Faulkner renverse ce schéma. Il a une vision verticale du temps : tout le poids du passé, placé au-dessus du présent, appuie sur lui et encore davantage sur l’avenir, placé au bas de l’échelle. Chez Faulkner, toujours "l’heure est grave", au sens où le temps y est une force de gravité. Ce qui est donné comme seul réel, c’est le passé. Loin d’être affecté du signe positif de l’espoir (jamais personne n’"attend un heureux événement"), l’événement, même hypothétique, ne fait que sortir d’un tel passé. Il est toujours comme déjà advenu, et donc écrasant.

Quelle autre "solution" alors que l’immobilité ? C’est ce que l’homme (il faut entendre : le pionnier, le blanc, le mâle) est incapable de comprendre. Lui veut avancer, coûte que coûte. Il s’acharne – dans le vide. Dieu pourtant « voulait que les hommes restent tranquilles, comme les arbres ou les pieds de maïs. Parce que si ç’avait été Son idée que l’homme soit toujours en mouvement, toujours prêt à s’en aller ailleurs, est ce qu’Il ne l’aurait point fait allongé sur son ventre, comme un serpent ? » L’horizontalité est bien la dimension où se déploie cette inutile mobilité. Quelle leçon Faulkner ne donne-t-il pas à l’esprit pionnier des Amériques ! La marche en avant dans les grands espaces de l’Ouest, la quête de la Frontière, combien ces choses sont vaines quand tout le poids vertical des événements, passés ou futurs (mais quelle différence, en réalité, puisque tout vient des premiers ?) plombe cette agitation : « Quand [Dieu] veut que les choses soient toujours en mouvement, Il les fait allongées, comme une route ou un cheval ou une charrette, mais quand Il veut que les choses restent tranquilles, Il les fait en hauteur, comme un arbre ou un homme 965  ». Cet homme blanc qui pousse son cheval, qui poursuit sa route vers l’Ouest, n’a rien compris.

L’homme debout, chez Faulkner, c’est celui qui ne bouge pas. Non que sa position redressée lui donne la grandeur de celui qui ose affronter le destin. Non, cette immobilité marque la véritable connaissance : celle de la vanité de tout effort face à ce Destin majuscule 966 . Forme même que prend ce fatum, l’événement perd ici sa fonction d’ "embrayeur" de la fiction. Il n’apparaît (si le terme est approprié) et ne se devine qu’à travers toutes ces procédures d’évitement, de détournement et d’effacement, de correction et de différé que nous avons décrites, et qui passent en dernière instance par ces personnages immobiles qui peuplent l’œuvre de Faulkner.

Dans ses « non…mais », ses « non seulement…mais », le premier terme de l’alternative, celui qui est nié ou au moins minimisé, est le plus banal, le plus attendu. Or c’est pratiquement toujours celui où l’action est interprétée comme tournée vers le futur, où l’on verrait le personnage agir en vue d’une fin – mû en somme par le même esprit d’aventure que les pionniers. Le deuxième terme, celui privilégié et présenté comme vrai, est toujours lié à ce passé où le futur est déjà inscrit. L’homme n’est ainsi plus que « la somme de son passé » : « tous leurs ancêtres, leur arrière-plan, c’est une partie d’eux-mêmes à tout moment.[…] un personnage dans une histoire, à chaque instant de l’action, n’est pas exactement ce qu’il est alors, il est tout ce qui l’a fait 967  ».

***

Il y aurait ainsi une manière de lire Le bruit et la fureur 968 . Les trois premières parties (les monologues des trois frères de Caddy) seraient des « non seulement » : elles plongent le lecteur au cœur des sensations et des perceptions des Compson qui tous trois poursuivent éperdument un événement à jamais inaccessible, un objet impossible (Benjy, l’idiot, veut retrouver la tendresse perdue de sa sœur, Quentin, le deuxième frère, court au suicide en rêvant d’inceste avec elle, et le troisième, Jason, part à la poursuite de sa nièce Quentin dont il a découvert l’inconduite). La quatrième partie, celle de l’interprétation, celle de « Faulkner 969 », serait alors celle du « mais ». Elle pourrait être affectèe à Dilsey, la servante noire, qui sait combien toute cette agitation est vaine. Qui sait tout court : sa sérénité est le signe de sa connaissance infinie de l’inutilité de la lutte.

Mais nous, lecteurs, qu’avons-nous finalement lu ? Des événements romanesques ? Rien n'est moins sûr, tant les récits de Faulkner les esquivent, évitent le schématisme de certains "romans de la frontière" qui les multiplient. Aurions-nous mieux compris le monde ? Comment le savoir ? Mais en tout cas, nous aurons compris qu’il ne saurait y avoir d’interprétations trop simplistes, et donc qu’il faut, inlassablement, passer les nôtres au crible de la critique. Telle serait peut-être une des leçons à tirer du romanesque faulknerien.

Une dernière fois avec Faulkner, la question de l’interprétation des événements, qui hante la littérature américaine, resurgit. Elle découle d’une certaine façon, j’ai essayé de le montrer, des problématiques ouvertes par le naturalisme.

D’autres écrivains, ailleurs, ont poussé le raisonnement naturaliste jusqu’à se demander s’il est encore légitime de laisser une place à l’événementiel dans la fiction – ce qui a fini par les conduire à une littérature centrée sur une nouvelle forme d’événement, de plus en plus intérieur.

Notes
912.

Borges est cité par Roger BOZETTO, « Faulkner nouvelliste : un conteur d’histoire », Faulkner, revue Europe n° 753-754, 1992, pp. 98-109 (p. 98). E. Jelinek, Les amantes(1975), trad. de l’allemand par Y. Hoffmann et M. Litaize, Points Seuil, 2003, p. 148.

913.

Celui-ci est souvent évoqué. Par exemple par Stanley D. WOODWORTH, à propos de « l’atmosphère » d’un « passage faulknerien » quelconque  : « le lecteur, ne sachant pas d’une ligne à l’autre à quoi s’attendre, ne trouvant pas un enchaînement normal de références connues et parallèles, liées les une aux autres, trouve dans le passage un air désincarné, irréel, halluciné » (« Problèmes de traduction des romans américains contemporains », Revue des Lettres Modernes 40-42, Hiver 1958-59, p. 579).

914.

Absalon, Absalon ![1936], Œuvres Romanesques II, Pléiade Gallimard, 1955, p. 798. Tandis que j’agonise[1930], Œuvres Romanesques I, Pléiade Gallimard, 1977, p. 946. Requiem pour une nonne[1951], Gallimard, 1980, p. 58. Les palmiers sauvages[1939], Gallimard, 1952, p. 17. Trad. de R.-N. Raimbault pour le premier, de M.-E. Coindreau pour les autres.

915.

Cette posture, qui nie immédiatement ce qu’elle vient d’affirmer, se retrouvera dans la figure de l’épanorthose qui caractérise l’écriture de Beckett.

916.

Le Bruit et la Fureur[1929], trad. Coindreau, O.R. I, p. 427. Absalon, Absalon !, p. 803. Les Invaincus[1938], trad. Coindreau, O.R II., p. 1084, Tandis que J’Agonise, Op. Cit., p. 950. Requiem, Op. Cit., p. 84.

917.

Faulkner, Mississippi, Stock, 1996, pp. 282-284. Dans son roman, Tout-monde, Glissant parle encore de « cette sorte de suspens » que ces « non pas seulement, mais » de Faulkner « enseignent », ruses de romancier qui permettent « de présenter un quidam sans en brosser vraiment le portrait, […] pour dérouter le lecteur »… Les personnages caribéens de Glissant, quant à eux, détournent la formule en un « assuré pas peut-être »… (Tout-monde[1993], Folio Gallimard, 2002, pp. 193, 195, 521).

918.

Dans sa fameuse préface à Sanctuaire.

919.

Faulkner, Mississipi, Op. Cit.. Je souligne.

920.

Le Hameau[1940], trad. R. Hilleret, Gallimard, 1973, pp. 230-231. Les Palmiers Sauvages, Op. Cit., pp. 213-214 et 239. Tandis que j’Agonise, Op. Cit., p. 925. Les Invaincus, Op. Cit., p. 961. L’appendice Compson, O.R. I, p. 634. L’Intrus[1948], trad. Raimbault, Livre de Poche, 1970, p. 16. Lumière d’Août[1932], trad. Coindreau, Folio Gallimard, 1996, p. 400.

921.

Dans tous ces exemples, la rectification de l’erreur d’interprétation de l’événement est destinée au lecteur. Il arrive cependant que le destinataire soit un personnage. Ainsi dans Pylône : « …elle se cramponnait au montant du panneau intérieur et se retournait pour regarder Shumann avec une expression qui, il devait s’en rendre compte plus tard, n’était pas du tout la peur de la mort, mais, au contraire, le refus farouche et maintenant insensé de le perdre, lui, […] ». De même, un personnage agit autrement que ce à quoi un autre s’attend : « il s’aperçut qu’elle s’attaquait avec un aveugle acharnement non pas à la courroie qu’il avait en travers de ses cuisses mais à la braguette de son pantalon… » (Pylône[1935], trad. Raimbault, O.R. II, pp. 518-519).

922.

Qui apparaissent aussi dans les lettres : « J’ai toujours écrit sur l’honneur, la vérité, la considération, la capacité à supporter la douleur et l’infortune et l’injustice et à supporter encore, en incarnant tout cela dans des individus qui croyaient en ces principes et les observaient non dans l’espoir d’une récompense mais pour l’amour de la vertu, non pas même parce que ces principes sont admirables en eux-mêmes, mais afin de pouvoir vivre et mourir en paix avec soi-même quand l’heure vient de mourir » (Correspondance Malcolm Cawley-William Faulkner, trad. R. Hilleret, Gallimard, 1970, p. 180).

923.

André BLEIKASTEN, As I Lay Dying (in William Faulkner, avec François PITAVY et Michel GRESSET, Armand Colin, Coll. U, 1970, p. 174).

924.

Mayoux, Vivants piliers, Op. Cit., p. 165.

925.

Sur ce point, cf. Michel GRESSET, « Le "Parce que" chez Faulkner et le "Donc" chez Beckett  », Revue des Lettres Modernes, n° 19, novembre 1961, pp. 124-138.

926.

Lumière d’Août, Op. Cit., p. 36.

927.

Quelle que soit par ailleurs l’instance narrative : l’"auteur", le narrateur, le personnage qui "raconte" (Absalon), le personnage théâtral (Requiem), celui qui "monologue" (Le bruit et la fureur, Tandis que j’agonise).

928.

Tandis que j’agonise, Op. Cit., pp. 1012-1013. Absalon…, Op. Cit., p. 823.

929.

Les conceptions spatiales de la métaphore de Roman Jakobson seraient ici opératoires (« projection du principe de l’équivalence de l’axe de la sélection (l’axe paradigmatique) sur l’axe de la combinaison (l’axe syntagmatique)» (Voir Questions de poétique[1949], Seuil, coll. « poétique », 1973).

930.

Wladimir JANKELEVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien. I – La manière et l’occasion[1980], Points Seuil, 1988, pp. 115-116.

931.

Nombre de ses analyses font songer à Faulkner, qui a cette « finesse infinitésimale […] nécessaire pour capter un événement qui advient dans le temps et qui est une apparition disparaissante » (Ibid., p. 125).

932.

Même si le but véritable d’Anse n’est pas tant d’enterrer sa femme Addie à Jefferson quoi qu’il lui en coûte, que de s’y « faire mettre ces dents » (Tandis que j’agonise, Op. Cit., pp. 969 et 967).

933.

Lettre à J.B. Meriwether, in O.R. I, p. 1248. Pitavy, Light in August, in William Faulkner, Op. Cit., p. 260.

934.

Le Hameau, Op. Cit., pp. 110 et 112.

935.

« Mon intention n’était pas d’indiquer les différentes dates des événements, mais seulement de permettre au lecteur d’anticiper une association, tout en laissant le souvenir postuler sa propre date » (Lettre à Meriwether, O.R. I, pp. 1250-1251). Pauvre lecteur, bien avancé par ce genre de déclarations…

936.

Jean-Paul SARTRE, « La Temporalité chez Faulkner »[1939], in Situations I, Gallimard, 1972, pp. 65 à 75. Ou encore, à propos de Sartoris : « Faulkner nous déçoit encore : il décrit rarement les Actes[…], ne les nomme pas, n’en parle pas » (« Sartoris »[1938], Ibid., p. 9).  

937.

Jean POUILLON écrit : le passé « est derrière chaque présent chronologique pour se faire signifier par lui et pour le ressaisir aussitôt (le présent devient passé et Temple devient cette fille déjà violée que nous n’avons qu’à peine vu être violée) » (Temps et roman, Gallimard, 1946, p. 243).

938.

Rare exception, le colonel John Sartoris, héros sudiste de la guerre de Sécession, vrai héros à l’américaine, dont la quête des événements ne s’arrête pas avec la fin du conflit. On remarquera simplement que s’il est bien le personnage central de L’invaincu, il n’est "présent" que de façon détournée, à travers ces voyeurs que sont son fils Bayard et Ringo, son compagnon.

939.

Parcours de Faulkner, Ophrys, 1982, p. 232.

940.

Glissant, Faulkner, Mississippi, Op. Cit., p. 20. Voir Bleikasten : « s’il lui faut renoncer à surprendre l’événement dans la soudaineté de sa venue, [Faulkner] aura du moins réussi à capter la rumeur de son approche et les échos de sa venue » (Ibid.).

941.

A propos de Tandis que j’Agonise, Carson McCullers écrit : « l’immensité des désastres [qui frappent la famille Bundren] n’est pas plus appuyée que les petits événements sans importance » (citée par Michel GRESSET, O.R. I, Notice, p. 1529)

942.

Tandis que j’agonise, O.R. I, p. 947. Sanctuaire, trad. Raimbault et H. Delbove, O.R. I, p. 728-729.

943.

Pierre BERGOUNIOUX écrit : « Ce qu’enregistrent les personnages de l’événement est strictement défini par le degré même où ils y sont engagés, la perception qu’ils en ont, limitée par les passions qui les affectent, le trouble, l’exaspération ou la folie » (Jusqu’à Faulkner, Gallimard, coll. « L’un et l’autre », 2002, p. 120).

944.

Tandis que j’agonise, O.R. I, p. 947. Cette hébétude lasse un Gide : « Lumière d’août, de Faulkner. J’espérais pouvoir admirer bien davantage. Certaines pages sont d’un grand livre ; perdu dans la manière et le procédé. Faulkner reste trop instamment conscient de l’inconscience de ses personnages, qu’il ne se lasse pas d’exposer et de faire valoir. Quelle monotone insistance il y met ! » (Journal, 4 avril 1936, Op. Cit., p. 1249).

945.

Michel GRESSET en dresse la liste : «George Farr et Robert Saunders dans Monnaie de Singe ; Fairchild et Talliaferro dans Moustiques ; Byron Snopes dans Sartoris ; Quentin Compson dans Le Bruit et la Fureur ; Darl dans Tandis que j’agonise ; Popeye dans Sanctuaire ; Joe Christmas dans Lumière d’Août ; le reporter dans Pylône ; Henry Sutpen dans Absalon, Absalon ! ; Lump Snopes dans Le Hameau ; Montgomery Ward Snopes dans Les Larrons –et j’en passe ! » (Faulkner ou la Fascination, Klincksieck, 1982, pp. 144-145).

946.

L’Etre et le Néant, cité par Gresset, Ibid., p. 146.

947.

Sanctuaire, Op. Cit., pp. 653-657.

948.

Romanciers au Travail, Gallimard, 1967, p. 18 (cité par M. Gresset, Op. Cit., p. 138). La fin de la phrase précise que l’écrivain immobilise ainsi la vie « de telle sorte que, cent ans plus tard, quand un inconnu la regardera, il se remettra en marche puisqu’il est la vie ». Est-ce parce que nous ne sommes pas encore cent ans plus tard que nous ne voyons guère que l’immobilité ici ?

949.

Coindreau, Aperçus de Littérature Américaine, Op. Cit., p. 24. Bleikasten parle du « double geste de célébration et d’exorcisme qui[…] n’a cessé de marquer [la] représentation du féminin » dans toute l’œuvre de Faulkner (Parcours de Faulkner, Op.Cit., p. 306). Karl E. ZINK montre comment la femme y est « associée à la terre implacable et immémoriale » (« La Femme et la Terre Immémoriale », Revue des Lettres Modernes n° 27-29, 1957, pp. 131-153).

950.

Dans Le Bruit et la Fureur (cité par Roger ASSELINEAU, « Faulkner, Moraliste et Puritain », Revue des Lettres Modernes n° 40-42, hiver 1958-59, pp. 231-249. P. 240).

951.

Absalon, Absalon !, Op. Cit., p. 664. Faulkner à l’Université, Conférences à l’Université de Virginie, Gallimard, 1964, p. 43. Le Hameau, Op. Cit., p. 111. Le Bruit et la Fureur, Op. Cit., p.461.

952.

Requiem pour une Nonne, Op.Cit., p. 233. Sartoris, Pléiade I, pp. 325-326.

953.

Lions in the Garden, Interviews, cité par A. Bleikasten, Op. Cit., p. 75.

954.

Tandis que j’agonise, Op. Cit., p. 914.

955.

« Qui peut dire quel degré de "surperception" un fou peut avoir ? », Faulkner à l’université, Op. Cit., p. 123.

956.

Requiem pour une Nonne, Op. Cit., p. 138.

957.

Le Bruit et la Fureur, Op. Cit., p. 424. L’invaincu, Gallimard, 1996, p. 12.

958.

O.R. I, p. 650. Dans Tout-monde, Edouard Glissant, racontant l’horreur du voyage en bateau des esclaves à travers l’Atlantique, écrit « qu’ils s’étaient retirés dans leur corps tout simplement, parce qu’ils duraient, pour voir où tout ça mènerait » (Op. Cit., p. 106). Une même malédiction poursuit les membres d’une famille à travers les générations dans Beloved[1987], de Toni MORRISON, roman qui doit beaucoup à Faulkner.

959.

Maurice Edgar COINDREAU, Préface, Le Bruit et la Fureur, Livre de Poche, 1971, p. 12.

960.

« …what faced us was doom, not destiny, since only destiny is clumsy, inefficient, procrastinative, while doom never is » (Parabole, cité par Asselineau, Op. Cit., p. 240). Voir également le « We are damned and doomed » prononcé par Temple à la fin de Requiem.

961.

Selon Requiem pour une nonne, L’appendice Compson et plusieurs nouvelles (Feuilles Rouges et Un Juste dans Treize Histoires[1931] ; Chevalerie Rustique dans Histoires Diverses[1934] ; L’Ours[1942]).

962.

Faulkner, écrit très justement Bergounioux, « revient à l’origine, c’est-à-dire à ce que font, sentent, pensent ceux qui vivent de l’autre côté de la mince cloison de planches, à la confusion essentielle, préhistorique, pourrait-on dire, que la narration, l’histoire ont niée, oubliée » (Jusqu’à Faulkner, Op. Cit., p. 121).

963.

Pauvres Indiens !, in Histoires Diverses, Op. Cit., p. 205.

964.

Sartre, cité par M. Gresset, article cité, p. 131.

965.

Tandis que j’Agonise, Op. Cit., pp. 919-920.

966.

Qui prend souvent la forme de Dieu, ou de tel nom qu’on lui octroie : « Cosmic Joker » (Les palmiers sauvages), « Arbiter », « Architect » (Descends Moïse), « Stage Manager » (Absalon, Absalon !), joueur d’échecs d’« un jeu démodé, joué avec des pions façonnés trop tard, à l’image d’un vieux modèle périmé dont le Joueur lui-même commence à se lasser » (Sartoris, Op. Cit., p. 347)...

967.

Faulkner à l’université, Op. Cit., p. 96.

968.

Présenté par Faulkner comme son plus bel échec (Faulkner à l’université, Op. Cit., p.76).

969.

« J’ai terminé cette histoire une première fois et ce n’était pas ce que je voulais. Alors je l’ai récrite et ç’a été Quentin et ce n’était pas ça non plus. Je l’ai récrite à nouveau, et ç’a été Jason, ce n’était pas ça ; alors j’ai essayé de laisser Faulkner le faire et ça n’a pas marché non plus » (Ibid., p. 90).