De l’essai dans le roman

Et c’est ici que la forme « essai » du roman de Musil prend tout son sens : il s’agit d’"essayer de l’événement possible". Ce qui ne va pas sans risque : supprimer la logique narrative, la nécessité causale, certes, mais le formalisme est-il bien loin ? Ou, pour le dire autrement, la fiction ne glisserait-elle pas alors vers l’essai, s’éliminant elle-même ? Proust trouvait cette dérive du dernier mauvais goût 1222 . Virginia Woolf la craignait pour elle-même :

‘« …ne fais-je que triturer des mots, tant je les aime ? Non, je ne crois pas. Dans ce livre j’introduis presque trop d’idées. Je voudrais exprimer la vie, la mort, la raison, la folie. Je voudrais critiquer le système social, le montrer à l’œuvre dans toute son intensité. Mais en ce moment je suis peut-être en train de poser.[…] Ai-je en moi le pouvoir d’exprimer la vraie réalité ? Ou bien ne puis-je écrire que des essais sur moi-même ? » 1223

Essais, dit-elle ? Musil répondrait qu’il convient alors de conserver au terme toute sa polysémie.

Il pose le problème en ces termes : « un homme qui cherche la vérité se fait savant ; un homme qui veut laisser sa subjectivité s’épanouir devient, peut-être, écrivain ; mais que doit faire un homme qui cherche quelque situé entre deux ? 1224  » Il y a donc d’un côté le pôle de la connaissance objective, de l’autre celui de l’art, de la poésie. Comment faire pour qu’ils se rejoignent ?

Il importe de bien comprendre ce point de la poétique de Musil. Lukacs va nous y aider. Dans une lettre de 1910, il cherche à cerner ce qui fait la spécificité de la forme "essai" en la distinguant et de l’écriture scientifique, et de l’écriture poétique 1225 . Il commence ainsi : « …le style dramatique a pour conséquence naturelle la projection de tout événement intérieur dans des actes, des mouvements et des attitudes des personnages, ce qui le rend de la sorte visible et saisissable par les sens ».

A un bout donc, on est en pays de connaissance : les personnages, au théâtre comme dans le roman, se définissent par "leurs" événements : ce qui leur advient, c’est aussi ce qui se passe en eux. Et ce qui se passe en eux, on le saisit par les aventures qui leur surviennent, par les actes qu’ils accomplissent. La question : « Qu’est-ce que la vie, et comment endurer au mieux ses peines avec vaillance ? », le poète ne se la pose pas, mais il y répond – par ses héros, par leur façon d’être soumis et de réagir à l’adversité et aux violences que les dieux ou le destin leur infligent. Le poète est un « créateur d’images ». C’est le côté de « l’écrivain » de Musil, le domaine du « non-ratioïde ».

A l’autre bout, dans le conceptuel "pur", le philosophe, lui, pose vraiment la question, puis tente d’y répondre au moyen de concepts et de valeurs : c’est un « instaurateur de signification ». Mais son mode est désincarné… Cette fois c’est le pôle « savant », « ratioïde 1226  ».

C’est l’essai qui pour Musil dénoue le problème. Par sa formule hybride, il a plus généralement ouvert de nouvelles voies au roman – presque jusqu'à fondre les deux genres dans ce qui s’est appelé le roman-essai, ou l’essai-roman, on ne sait plus trop lequel mettre en avant dans cette hybridation d’hybride 1227

Mais que devient l’événement romanesque dans cette improbable fusion – en particulier dans L’homme sans qualités ? L’analyse que fait Lukacs du concept de forme va permettre de le comprendre. Dans son effort pour distinguer l’essai du traité philosophique 1228 et de la forme « poétique » (et plus généralement de toute écriture « artistique »), Lukacs affirme d’abord que cette dernière « reçoit du destin son profil et sa forme ». Autrement dit, la forme n’est pas le problème premier du poète. Elle est comme la marche, elle se prouve en marchant. Le poète ne la cherche pas, elle lui vient en écrivant, et elle constitue alors les « limites » de la création, son « cadre », selon la formulation de Lotman.

A l’inverse, dans l’essai, le critique fait corps avec son objet, qui devient un « élément effectivement vivant dans ses écrits » : « dans les écrits des essayistes, la forme devient destin, principe créateur du destin ». L’essayiste s’intéresse précisément à la forme de l’œuvre d’art qu’il étudie :

‘« La forme est sa grande expérience vécue… Elle devient une conception du monde, un point de vue, une prise de position à l’égard de la vie dont elle est née.[…] Le moment destinal du critique est donc celui où les choses deviennent formes, l’instant où tous les sentiments et toutes les expériences vécues qui étaient en deçà et au delà de la forme reçoivent une forme, se fondent et se condensent en une forme. C’est l’instant mystique de la conciliation de l’extérieur et de l’intérieur, de l’âme et de la forme. » 1229

Musil aurait sans doute pu faire sienne une telle déclaration. Il se trouve à la croisée des deux chemins ici tracés par Lukacs. D’un côté, son écriture, à être romanesque, « artistique », en prend "tout naturellement" la forme. De l’autre, et dans le même mouvement, il porte une attention extrême à la forme… ce qui le conduit à se saisir du "genre" de l’essai, à l’intégrer à sa pratique narrative. Et il faut enfin retenir, élément essentiel, que cette attention revêt un caractère mystique : l’essai selon Lukacs est quête et poursuite de ces instants où extérieur et intérieur ne sont plus disjoints dans la perception. Comme dans les « moments of being » de Virginia Woolf, comme dans les « instants d’Unicité » de Broch…

Et comme dans le "possible", cet « instant où l’on échappe à la vie inessentielle » de Musil. Car c’est cela, l’essai dans le roman pour l’auteur de L’homme sans qualités. Ulrich lui-même l’affirme : l’existence est « une vaste station d’essais, où l’on examinerait les meilleures façons d’être un homme et en découvrirait de nouvelles 1230  ». Alors le roman doit devenir un champ d’expérience, un laboratoire, le « lieu expérimental du dépassement des limites du récit », selon le mot de Jean-Louis Poitevin 1231 . Toujours,  Musil y revient : « La tâche [de l’écrivain] consiste à découvrir sans cesse de nouvelles solutions, de nouvelles constellations, de nouvelles variables, à établir des prototypes de déroulements d’événements, des images séduisantes des possibilités d’être un homme, d’inventer l’homme intérieur ». En effet « le présent n’est qu’une hypothèse que l’on n’a pas encore dépassée » – le « mot trop incertain d’hypothèse » utilisé par Ulrich étant corrigé « plus tard, quand sa puissance intellectuelle eut augmenté », par celui d’« essai ». Car l’ « essai est la forme unique et inaltérable qu’une pensée décisive fait prendre à la vie intérieure d’un homme 1232 ».

On a pu dire que le grand roman de Musil était un roman au subjonctif 1233 , temps du possible comme de l’impossible, temps de « l’autre état 1234  », ouvert. Le roman crée ainsi des situations permettant aux personnages de développer leurs réflexions, à tel point que ces réflexions elles-mêmes « assument en quelque sorte la fonction de l’événement, elles deviennent elle-mêmes "l’action" du roman 1235  ».

La dimension essayiste du roman de Musil prend alors un double sens. Tout d’abord, la "réflexion" y prend le pas sur l’"action", sans toutefois qu’il soit atteint à la construction rigoureuse d’un traité. Ensuite, Musil y "essaie" le maximum de possibilités, de virtualités, y « traite la réalité simplement comme une tâche et une invention perpétuelles 1236 ». C’est qu’il faut décidément échapper à cette loi "des grands nombres" qui toujours reconduit à la triste moyenne. La question est existentielle – et narrative, mais c’est la même chose pour l’auteur de L’homme sans qualités. Place donc à « la combinatoire de la vie », qui traite du possible. Voilà la véritable singularité romanesque   :

« Toute chose participe à l’ensemble, mais possède en plus sa singularité. Toute chose est vraie, mais aussi, sauvage et incomparable. […]La morale est une valeur moyenne et collective parfaitement justifiée à laquelle il faut obéir à la lettre et sans aucun écart dès qu’on l’a reconnue. Mais les cas individuels ne peuvent être résolus par elle ; ils sont mathématiquement d’autant moins moraux qu’ils participent davantage du caractère inépuisable du monde ! » 1237

Musil a pour ambition d’écrire un roman qui teste l’individuel, le non-moyen, l’exceptionnel 1238 . D’où la proposition d’Ulrich à sa sœur-épouse : « que nous essayions de nous aimer comme si vous et moi étions les personnages d’un poète qui se rencontrent dans les pages de son livre ». Musil teste ses personnages, et dans le même temps eux-mêmes se vivent comme des essais : « c’est pourquoi je ne suis jamais tout à fait ce que je pense et ce que je fais : une figure à l’essai dans une forme à l’essai de la totalité 1239  ».

Le roman doit donc mettre en oeuvre ces « prototypes de déroulements d’événements » que sont les situations, où sont essayés certains types d’hommes – et leurs pensées. Il n’est plus seulement traduction de la création divine, il devient le lieu où cette création aussi s’effectue, le lieu où s’inventent, où sont testées de nouvelles façons d’être au monde. Dans sa dissertation scolaire, Ulrich écrit que « Dieu lui-même préfère sans doute parler de sa création au potentiel ». A sa place, le romancier ne se contente pas de réaliser les intentions divines, il est « co-détenteur du pouvoir divin d’expérimentation,[…] capable d’une création continue 1240  ». 

Musil précise encore la façon dont le roman expérimente l’homme – et les événements : « L’explication réaliste de l’événement réel ne m’intéresse pas. J’ai mauvaise mémoire. De surcroît, les faits sont toujours interchangeables. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui est intellectuellement typique, je dirais même : l’aspect spectral de l’événement 1241  ». De cet "aspect spectral", l’"Action Parallèle" est la meilleure illustration. Il s’agit en effet d’une situation exemplaire : véritable laboratoire qui permet de confronter des discours, d’estimer la façon dont réagissent les différentes composantes de la société "cacanienne" (hommes politiques, artistes, savants, intellectuels, hommes d’affaire, ecclésiastiques, aristocrates…) à ce projet sensé mobiliser les foules. Et comme il n’a pas de réalité tangible, il n’en exhibe que mieux toutes ces classes sociales dans une phase d’incertitude, de doute – c'est-à-dire d’ouverture à tous les possibles.

La situation s’ouvre par une « grande séance » qui inaugure le travail de préparation de l’Action : « Qu’on leur eût demandé, à leur retour chez eux, s’ils savaient ce qu’étaient de grands événements, des événements historiques ou tout autre événement de cet ordre, ils auraient sans doute répondu oui ; mais devant la proposition instante qu’on leur avait faite d’en inventer un, ils se sentaient peu à peu ramollir 1242  ». L’inquiétude qui gagne tous les protagonistes 1243 engendre toutes les réactions, toutes les attitudes, tous les discours – dont le roman pourra alors tester la vérité.

Et c’est ainsi, en créant ce type de situations, que Musil va en particulier pénétrer dans les contrées du « non-ratioïde », ce domaine des rapports de l’intellect et du sentiment, ce domaine où « de nouvelles relations entre les êtres se font jour 1244  ». Ce "dialogisme" 1245 de Musil, nous l’avons vu se développer sous la forme de situations, d’essais, qui confrontent, qui concilient particulièrement la précision mathématique, la perspective statistique, et l’extase mystique.

Musil entend faire droit à cet exceptionnel qui reste une des possibilités de la réalité, par l’inclusion de l’essai, « comble de la rigueur accessible dans un domaine où le travail exact est impossible », dans la fiction littéraire. Seule l’écriture romanesque permet de combiner ces « deux sortes de comptes rendus, l’un sensible, l’autre conceptuel ». Voilà pourquoi le roman, « zone intermédiaire » entre pensée artistique et pensée scientifique, entre non-ratioïde et ratioïde, requiert le maximum d’exactitude.

Voilà bien ce que la littérature, d’une manière générale, n’a jusqu’à maintenant pas su faire : elle se contente, la plupart du temps, du sentiment sans intellect – c’est-à-dire de la « boursouflure », qui use du « passe-partout de l’intuition 1246  » comme principe d’explication, qui abuse de la béquille de l’analogie comme « moyen de comprendre les formes vivantes 1247  ».

Voilà bien maintenant ce que veut faire l’auteur de L’homme sans qualités

Notes
1222.

« Une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix » (Le temps retrouvé, Pléiade III, Op. Cit., p. 882).

1223.

Journal, 19 juin 1923, Op. Cit., p. 100. Le livre qu’elle évoque est Hours, qui deviendra Mrs. Dalloway.

1224.

HSQ I, pp. 305-306.

1225.

« A propos de l’essence et de la forme de l’essai », lettre à Leo Popper, in L’Âme et les formes, trad. de l’allemand par G. Haarscher, Gallimard, 1974, pp. 12-33 (les citations ci-dessous sont tirées de ces pages). Il est vrai que les réflexions de Lukacs s’appuient sur des exemples pris uniquement dans l’art dramatique, mais il me semble que cela s’applique aussi au roman – et à ce qu’il est appelé à devenir, après Jacobsen, avec Musil et Broch, avec Virginia Woolf.

1226.

« Le domaine ratioïde englobe tout ce qui peut être résumé dans des lois et des règles ». C’est le domaine « de la règle avec exceptions », tandis que le « non-ratioïde » est « celui où les exceptions l’emportent sur la règle », celui des « faits singuliers » (Essais, pp. 81-82).

1227.

La deuxième formule est employée par Henri MICHAUX ("Lettre de Belgique"[1924], Œuvres Complètes I, Pléiade Gallimard, 1998, p. 53).

Peut-être objectera-t-on que certains des grands romans du XIXe siècle (Moby Dick, Les Misérables…) contiennent des chapitres qui sont des sortes d’essais, et alternent ainsi moments narratifs et moments "essayistes"… Mais la différence est de taille : les deux ne se mêlent pas et restent distincts. A tel point qu’une lecture séparée y est possible – comme dans ces versions pour littérature enfantine qui réduisent ces romans-fleuves à quelques dizaines de pages… ce qui est irréalisable avec L’homme sans qualités, ou Les vagues, ou La mort de Virgile…

1228.

A la différence de celui-ci, l’essai ne présente pas de thèse. Ce qui lui permet d’échapper à l’esprit de système, de garder sa liberté et sa malléabilité. A titre d’illustration, Lukacs compare les trois essais sur Goethe de Grimm, Schlegel et Dilthey, très « différents les uns des autres », mais qui ne s’opposent pas du tout, parce que chacun y a apporté sa spécificité et son expérience, et qu’il n’y a pas de « mesure objective et extérieure », ni de « la vérité de Goethe », ni plus généralement « de la vie et de la vérité » (Op. Cit., pp. 16-17, p. 25).

1229.

Ibid., pp. 20-21. Je souligne.

1230.

Cité par Albrecht SCHÖNE, « L’emploi du subjonctif chez Robert Musil », L’Arc, n° 74, 1978, pp. 41-62 (p. 56).

1231.

Jean-Louis POITEVIN, La cuisson de l’homme. Essai sur Robert Musil, José Corti, 1996, p. 219.

1232.

« La connaissance chez l’écrivain »[1918], Essais, Op. Cit., p. 83. HSQ I, pp. 300 et 305.

1233.

Et Musil lui-même : celui qui est doué du « sens du possible » « ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre.[…]Ces hommes du possible vivent, comme on dit ici, dans une trame plus fine, trame de fumée, d’imaginations, de rêveries et de subjonctifs » (HSQ I, pp. 17-18). Voir Schöne, qui écrit notamment (Op. Cit., p. 45) : « L’emploi du subjonctif rend les prémisses hypothétiques et expérimentales ("admettons le cas où Agathe aurait…") ». Le subjonctif dit l’absence de causalité certaine, « c’est un si…alors… » (HSQ II, p. 486). Voir également Magris, qui parle de « principe d’indétermination » (L’Anneau de Clarisse, Op. Cit., pp. 317-379). Le traducteur de Schöne précise que « le subjonctif allemand est un mode qui exprime des possibilités. Il peut se rendre en français par 1) l’indicatif (il dit qu’il est malade) ; 2) le conditionnel (s’il faisait beau…) ; 3) le subjonctif (imaginons qu’il soit malade). Il peut exprimer le désir, le souhait ou le regret » (Y. Hoffmann, revue L’Arc, Op. Cit., p. 41).

1234.

Clarisse s’adresse ainsi à Ulrich : « N’as-tu pas dit toi-même, un jour, que l’état dans lequel nous vivons offre des fissures par lesquelles apparaît un autre état, un état en quelque sorte impossible ? » (HSQ I, p. 786).

1235.

Schöne, Op. Cit., p. 46.

1236.

HSQ I, p. 18 : “Un événement et une vérité possibles ne sont pas égaux à un événement et une vérité réels moins la valeur "réalité", mais contiennent […] une utopie consciente qui, loin de redouter la réalité, la traite simplement comme une tâche et une invention perpétuelles ».

1237.

HSQ I, p. 685.

1238.

Dans le domaine non-ratioïde, « les faits ne sont pas dociles, les lois sont des cribles, les événements ne se répètent pas, mais sont infiniment variables et individuels » (« La connaissance chez l’écrivain », Essais, Op. Cit., p. 82).

1239.

HSQ II, pp. 686 et 810.

1240.

HSQ I, p. 21. Schöne, Op. Cit., p. 56.

1241.

Entretien avec Oskar Maurus Fontana (30 avril 1926), Cahiers de l’Herne, 1982, p. 269.

1242.

HSQ I, p. 206.

1243.

Qui voudraient que les événements se closent de manière claire et évidente, sans quoi « le monde ne serait pas rassurant, où les événements tout bonnement s’esquiveraient, sans avoir dûment certifié d’abord qu’ils sont réellement advenus » (HSQ I, p. 217). Mais il n’y a pas d’événements de ce genre dans L’homme sans qualités, seulement des situations, comme autant de laboratoires…

1244.

« De l’essai »[1914 ?], Essais, Op. Cit., p. 337. Autre exemple de situation, elle aussi longuement explorée, celle qui met en scène le couple incestueux/non incestueux d’Agathe et d’Ulrich, riche d’expériences nouvelles et poétiques d’être au monde.

1245.

F. Vatan (Op. Cit., pp. 5-7) fait un rapprochement éclairant entre la situation chez Musil et le principe "dialogique" de Bakhtine, qui exprime la capacité de l’univers romanesque à intégrer et à mettre en scène les styles discursifs et les idéologies propres à un milieu donné. Rompant avec la linéarité du récit traditionnel, Musil revendique pour la forme romanesque une visée cognitive explicite. D’où la suspension de "l’intrigue", les longs développements spéculatifs, l’essai dans le roman ou le roman dans l’essai. C’est la pensée en train de se faire, « saisie dans sa dynamique mouvante ».

Il est peu probable que Musil ait eu connaissance des théories de Bakhtine – ce qui ne rend pas moins intéressant le rapprochement proposé par F. Vatan…

1246.

« De l’essai », « Notes sur une métapsychique »[1914], « Littérateur et littérature »[1931], « L’homme mathématique »[1913], Essais, Op. Cit., pp. 334, 73, 239, 59.

1247.

L’expression est d’Oswald Spengler (cité par Jacques BOUVERESSE, « Robert Musil ou l’anti-Spengler », Musil, Cahiers de l’Herne, 1982, pp. 167-178, p. 171). Aux yeux de Musil, l’essai de Spengler, Le déclin de l’Occident, n’est qu’un bien mauvais roman…