Bouvard et Pécuchet : L’écriture, événement ou non-événement ?

Vraiment singulière rencontre qu’à travers leurs copistes celle de ces deux écrivains… L’un, Melville, qui s’enfonce de plus en plus dans l’insuccès, jusqu’au très long silence, seulement interrompu par l’ultime texte de Billy Budd, l’autre, Flaubert, qui, saisi par la même fièvre que ses personnages, se met à copier une infinité de textes, scientifiques, littéraires, journalistiques, et meurt à cette infinie tâche, s’aventurant lui aussi dans des parages inexplorés de la littérature…

Ezra Pound :« On peut regarder Bouvard et Pécuchet comme l’inauguration d’une forme nouvelle, une forme qui n’avait pas son précédent 1431  ». Le destin de cette œuvre est connue : vue d’abord comme ratée, avant que l’opinion de Pound ne devienne presque une idée reçue, celle de voir en elle une sorte d’extrême de la narration.

Tout a donc été dit sur Bouvard, jusqu’au soupçon qu’en écrivant encore sur ce roman l’essayiste risque de ne jamais que rajouter de la matière à la copie des deux "bonshommes" 1432 . Mathesis universalis enfermé dans un récit fictionnel ? Flaubert aurait donc tout prévu ?

En tout cas, ces questions posées au discours scientifique par Bouvard et Pécuchet font entrer directement dans la problématique de l’événement. Car ce mouvement de contestation du discours scientifique et de sa prétention à la vérité de ses descriptions s’étend à n’importe quelle forme de récit.

On a souvent dit que l’efflorescence des discours scientifiques ou pseudo-scientifiques, et même les instances d’énonciation chargées de les transcrire, tout aussi fluctuantes et indécises 1433 , dissolvent la forme romanesque dans Bouvard et Pécuchet, qui "finit" (d’où, précisément, son inachèvement) par se perdre dans la prolifération monstrueuse des citations et copiages, plus ou moins détournés, de textes de tous auteurs – la plupart du temps sans considération de la caution reçue des œuvres citées. Mise en forme du savoir en un vertige citationnel, écrits de toutes sortes convertis en parcours de l’aventure des deux bonshommes, et fournissant à l’œuvre son rythme, fait de juxtapositions, sa forme, éminemment paradigmatique…

Mais une lecture inverse est possible, tout aussi valide : celle qui verrait dans Bouvard et Pécuchet une remise en cause assez radicale du discours scientifique par la forme romanesque, dévoilant son caractère fréquemment illusoire et sa propension à ne séduire que les naïfs qui s’y laisseraient prendre. L’indistinction entre le "vrai" discours scientifique et celui, "bêtement" imitatif, des deux compères, rend éminemment problématique l’autorité conventionnellement accordée au premier.

Le discours scientifique de l’époque, et en premier lieu celui de Darwin (« celui qui dit que nous descendons du singe » selon le Dictionnaire des idées reçues), avait déjà fortement remis en cause la position de l’homme dans le monde. La découverte par les deux compères du courant d’idées suscitées par l’auteur de L’origine des espèces est significative du mouvement général de suspicion à l’égard de la science (ou du scientisme). Mais leur nouvel enthousiasme darwinien est de courte durée et, très vite le doute se réinstalle. Les discussions avec l’abbé Jeufroy ou le docteur Vaucorbeil n’arrangent rien : les scientifiques ne sont pas d’accord. Décidément, « la géologie est trop défectueuse ! ».

Ce qui conduit pour finir à cette contestation radicale du discours scientifique reçu qu’est la copie généralisée entreprise par les deux compères, et qui montre que l’élaboration d’une hiérarchie entre ce qui serait une vérité scientifique et ce qui n’en serait qu’une caricature est bien aléatoire. Ne subsiste que « la pratique gestuelle » de la copie 1434 , acte qui est, littéralement, vide de sens. Et la question se pose : ce mouvement de balayage des savoirs, qui aboutit à montrer le doute essentiel qu’il suscite,  ne serait-il que la conséquence d’un « défaut de méthode dans les sciences 1435  »ou d’un nominalisme généralisé, propre alors à l’homme Flaubert lui-même ? Où le savoir n’existerait plus que narrativisé, où la science ne serait plus qu’un récit, tout juste bon à être copié 1436 .

Du coup, cette remise en cause s’étend à n’importe quelle forme de récit. Que se passe-t-il dans Bouvard et Pécuchet ? Il est bien difficile de le dire… Flaubert s’attaque à tous les ingrédients du romanesque.

Et d’abord aux personnages, dont Claudine Gothot-Mersch, notamment, a montré comment, au fil des rédactions et corrections successives, ils deviennent de moins en moins les supports d’une « action » qui par ailleurs s’amenuise. Rapprochant symptomatiquement ces deux phrases de la Correspondance : « Mes bonshommes commencent à se dessiner dans mon esprit » (1872) ; « ceux qui lisent un livre pour savoir si la baronne épousera le vicomte seront dupés » (1879) (cette dernière phrase, à la fois, minimise les événements qui peuvent advenir aux héros et se moque des ressorts traditionnels du romanesque), elle commente : « Il saute aux yeux que Bouvard et Pécuchet ne sont pas des créations romanesques aussi profondément méditées qu’Emma Bovary 1437  ».

Toutefois, ici comme ailleurs, il convient de nuancer le trait. Car si « les choses qui arrivent ont besoin de quelqu’un, à qui arriver », selon le mot de Beckett, si donc « le non-romanesque (l’encyclopédique) devenu roman évince peu à peu le romanesque traditionnel », ce « peu à peu » n’est pourtant encore qu’un « pas tout à fait » 1438 . Nos héros ne sont-ils pas en effet, eux aussi, caractérisés par leurs expériences comme autant d’événements définissants pour eux 1439  ? S’ils peuvent être définis comme des ratés, n’est-ce pas précisément en vertu de leur qualité d’expérimentateurs qui toujours échouent ? Bouvard et Pécuchet sont bien autant les produits de leurs expériences que le sont leurs échecs…

L’intrigue non plus n’est pas épargnée. Flaubert répète l’ennui qu’elle lui inspire :

‘« Il faut être maudit pour avoir l’idée de pareils bouquins ! J’ai enfin terminé le premier chapitre et préparé le second, qui comprendra la Chimie, la Médecine et la Géologie, tout cela devant tenir en 30 pages ! et avec des personnages secondaires, car il faut un semblant d’action, une espèce d’histoire continue pour que la chose n’ait pas l’air d’une dissertation philosophique. » 1440

Flaubert ne s’illusionne guère sur le caractère artificiel de ces « attaches » et autres « suspensions » qu’il lui faut malgré tout « multiplier » 1441 pour faire des jonctions d’un épisode à l’autre. Ainsi de l’apparition d’un chien au chapitre III : « Un chien entra, moitié dogue, moitié braque, le poil jaune, galeux, la langue pendante 1442  », chien qui va permettre des expériences « médicales » et « physiologiques ».

Et pourtant les catastrophes ne manquent pas, souvent provoquées par la bêtise ou la maladresse des deux "bonshommes", et sources à chaque fois d’une nouvelle désillusion : incendie des meules, explosion de la « bouvarine », de la vache « soignée » par Pécuchet, etc. Les événements historiques sont aussi présents (révolution de 1848 et coup d’état de 1851 au chapitre VI), aussi bien que certains événements personnels (l’achat de la ferme, au début, la maladie vénérienne de Pécuchet au chapitre VII).

Qu’est-ce qui fait alors qu’il n’y a pas d’effets de surprise, ni d’inattendu, et que l’événement y est complètement dévalué ?

C’est d’abord, au niveau premier de l’histoire, que l’échec des deux bonshommes est inéluctable : le lecteur sait immédiatement que leurs expériences ne peuvent qu’échouer. Dès le départ, leurs ridicules font des deux copistes des ratés.

Ensuite, le temps romanesque de Bouvard et Pécuchet est « miné par l’achronie 1443  » : pas, ou très peu, de sauts chronologiques (anticipation ou rétrospection) 1444 , dates qui ne sont là qu’en lien avec l’organisation de la quête des savoirs par les deux compères, et non en fonction du récit. Passant en revue les savoirs les uns à la suite des autres, l’ensemble du texte paraît ainsi beaucoup plus énumératoire que narratif.

Et quasiment classificatoire 1445 : la causalité également est presque suspendue, et Bouvard et Pécuchet se construit sur le modèle des tentatives géologiques et biologiques du chapitre III. La confusion de la causalité et de la successivité que faisait le romanesque traditionnel (le « post hoc ergo propter hoc ») est ici défaite, et le fil, ténu, presque arbitraire (la nécessité de l’ordre des chapitres ne saute pas aux yeux) qui retient l’histoire, n’est plus que la succession des expériences des deux héros – qui se reproduisent toujours selon le même schéma 1446 .

Tout le rythme du roman est ainsi basé sur l’alternance, pratiquement a-causale, des expériences, qui toujours échouent, de Bouvard et Pécuchet. Les liaisons causales entre les épisodes, qui normalement constituent la trame narrative du récit, sont bien souvent artificielles, « ça ne marche pas » 1447 – ce qui fut, parfois violemment, dénoncé par la plupart des critiques contemporains. « Bouvard doutait des causes. – De ce qu’un phénomène succède à un phénomène, on conclut qu’il en dérive. Prouvez-le 1448 » : cette réflexion philosophique de Bouvard s’applique au roman tout entier.

Toutefois là aussi la position de Flaubert n’est pas sans ambiguïté. D’une part, il reste tributaire des codes narratifs dominants : il construit son roman en le munissant de ces « attaches », même artificielles, qui lui semblent nécessaires à la structuration du récit. Lu sous cet angle, Flaubert demeure l’héritier d’une certaine tradition romanesque, qu’il perpétue quoiqu’il en ait, et bien qu’il marque fréquemment combien elle lui pèse.

Mais d’autre part sa position ne va pas sans ironie, qui simultanément raille ces "nécessités" du romanesque. Flaubert, à tout le moins, interroge les procédés classiques, et son travail dans Bouvard et Pécuchet consiste moins sans doute à les subvertir qu’à montrer que ces codes n’ont rien de "naturel", qu’ils « sont construits, produits eux-mêmes par les livres et à partir d’une idée reçue du romanesque 1449  ».Et si la récurrence de l’échec des expériences des deux bonshommes constitue le moteur de l’avancée du roman, c’est bien le rôle combinatoire du hasard 1450 qui est ainsi mis en avant, hasard qui, à chaque fois, relance la fiction vers une nouvelle expérience, d’emblée vouée à l’échec.

Mais ce caractère arbitraire et secondaire, hasardeux, des événements chargés de faire les liaisons d’un texte qui en manque singulièrement, n’empêche pas la progression narrative, et l’avancée romanesque s’appuie sur l’alternance des tentatives et des échecs de Bouvard et Pécuchet. Il y a même, dans la diégèse, des éléments "objectifs", dont la contrainte restreint la liberté de manœuvre des deux héros : leurs difficultés financières croissantes les conduisent à réduire de plus en plus leurs recherches, qui les ruinent, et à limiter de plus en plus leurs ambitions, qui s’étiolent ; l’hostilité croissante des chavignollais à leur encontre (due pour une grande part aux remises en cause des idées reçues et des évidences de tout le voisinage qu’ils n’ont cessé de faire) les isole de plus en plus – jusqu’à l’enfermement final dans la copie généralisée.

La radicalité des questions posées par Flaubert ne va pas non plus jusqu’à supprimer la "consécution", ni certains éléments diégétiques qui apportent une certaine cohérence logique au récit. C’est à bon droit que Leclerc peut écrire qu’ « il y a de l’irréversible dans Bouvard », et que « le texte va vers sa fin 1451  ». Le tout est de savoir laquelle…

De fait, il n’y a pas de clôture narrative traditionnelle. Cette fin qui "s’inachève" dans la copie illimitée 1452 nous pousse jusqu’aux limites de la littérature, et c’est bien, en définitive, le geste même des copistes qui est au cœur de l’œuvre.

Car copistes, Bouvard et Pécuchet le sont dans l’âme, jusque dans leurs prétentions scientifiques. Persuadés que, contrairement à l’adage, l’habit fait le moine, ils adoptent le costume de ce qu’ils veulent être : maquignons (« habillés d’une blouse bleue, avec un chapeau à larges bords, des guêtres jusqu’aux genoux et un bâton de maquignon à la main… »; « ils avaient mis des blouses, comme font les carabins dans le amphithéâtres… » 1453 ), géologues, à partir du Guide du voyageur géologue de Boné :

‘« Il faut avoir, premièrement, un bon havresac de soldat, puis une chaîne d’arpenteur, une lime, des pinces, une boussole, et trois marteaux, passés dans une ceinture qui se dissimule sous la redingote, et « vous préserve ainsi de cette apparence originale, que l’on doit éviter en voyage ». Comme bâton, Pécuchet adopta franchement le bâton de touriste, haut de six pieds, à longue pointe de fer. Bouvard préférait une canne-parapluie, ou parapluie-polybranches, dont le pommeau se retire, pour agrafer la soie contenue, à part, dans un petit sac. Ils n’oublièrent pas de forts souliers, avec des guêtres, chacun « deux paires de bretelles, à cause de la transpiration »… » 1454

Suprême raffinement de l’imitation, où l’on dissimule la panoplie du modèle sous la redingote… Où l’on fait disparaître le modèle ?

Nouveaux adeptes du pari pascalien, les deux compères prennent aussi les poses du modèle, comme celles du jardinier : « Quelquefois Pécuchet tirait de sa poche son manuel ; et il en étudiait un paragraphe, debout, avec sa bêche près de lui, dans la pose du jardinier qui décorait le frontispice du livre. Cette ressemblance le flatta même beaucoup… » ; ou de l’homme politique: Pécuchet « avait pris l’escalier de service ; – et voulant faire comme Lamartine, il se mit à haranguer le peuple : "– Citoyens !" 1455  ».

Or ce geste (et cette geste) de l’imitation est, à la lettre, interminable. De même que Darwin inaugure la continuité de l’homme à l’animal, de même Flaubert inaugure la continuité de l’homme à la bêtise (à la bête ?), et la lecture de la Correspondance montre à quel point il est envahi par cette sensation d’infinitude. Il s’enfonce de plus en plus dans cet océan de documentation du second volume, « encyclopédie de la bêtise humaine », qui devait être constitué, on le sait, de citations et de textes recopiés. Il s’agit de la traquer, partout où elle se trouve, cette bêtise faite de toutes les « idées reçues ».

Les copier, ce serait les neutraliser, en les rendant à leur profond ridicule. Mais en même temps le propre d’une idée reçue n’est-il pas de se répéter indéfiniment – ce qui justement fait qu’une idée le devient? Le fait de la recopier n’en rajoute-t-il pas encore, et ne nous piège-t-elle pas ainsi ?

Ce qui, traduit dans notre problématique, donne : Montrer qu’un "événement" est, en fait, une idée reçue, mais pour ce faire, être soumis à l’obligation de le dire, c’est-à-dire de le répéter, n’est-ce pas l’annuler en tant qu’événement précisément ? Est-ce encore le raconter  que de le faire ainsi entrer dans la rubrique des clichés ?

C’est peut-être la contradiction dans laquelle, avec ses deux copistes, s’est perdu leur créateur. L’achèvement devenait impossible, comme le dit la Correspondance, si souvent citée sur ce thème : « La Bêtise me suffoque de plus en plus, ce qui est imbécile, car autant s’indigner contre la pluie… La Bêtise de mes deux bonshommes m’envahit… leur bêtise est mienne, j’en crève 1456 ". Lutter contre elle en l’écrivant, en la recopiant, c’est encore la conforter.

Telle serait peut-être la grande et impossible quête de Flaubert, nouveau Don Quichotte : il s’agissait d’éliminer au préalable toute cette somme d’absurdités débitées depuis des siècles pour redevenir véritablement auteur, pour recréer un événement qui soit véritablement fondateur et novateur, et non plus seulement répétition d’une « idée reçue ». Et même si Flaubert a usé de stratagèmes pour les déjouer, et ainsi tenter de disparaître en tant qu’auteur de ces « bêtises », déléguant à ses deux « cloportes » la tâche de faire une encyclopédie de la bêtise humaine 1457 , ni lui, ni ses deux créatures n’ont pu en venir à bout. Désespérément, le fait de copier, c’est, toujours, en rajouter.

Geneviève Bollème écrit : « L’histoire s’achève, elle ne peut avoir de fin ; la bêtise est infinie, la copie le sera aussi 1458  ». Flaubert meurt doublement à la tâche – en tant qu’auteur : « il faudrait que dans tout le cours du livre il n’y eût pas un mot de mon cru », – et pour de bon, en nous laissant un livre inachevé – inachevable : « la bêtise consiste à vouloir conclure 1459  ». Ce poids qui écrase Flaubert, c’est celui de toute l’immensité de l’avant du texte, qu’il faut d’abord répéter pour pouvoir s’en débarrasser. Pour éliminer toute cette fausse réalité antécédente, il faut la traverser, au risque de s’y perdre. Et on s’y perd…

Peut-être Flaubert est-il fondamentalement un moraliste, à la poursuite d’une sorte de pureté de la narration, d’une manière d’événement véritablement inaugural. Ce qui nécessite le passage par ce qui semble être son absolu contraire, le copiage, la répétition de ce qui précisément n’a pas ce caractère de nouveauté : les idées reçues 1460 .

Copier, c’est, comme pour le jardinage ou la géologie, user des mêmes outils, revêtir les oripeaux d’une profession – ici celle de l’écrivain. Mais ce pari pascalien, ce "faites semblant d’écrire et bientôt vous écrirez", cette bêtise des deux "bonshommes", peuvent aussi bien se retourner en une remarquable clairvoyance. En entreprenant de copier, peut-être découvrent-ils une profonde vérité, qui serait celle de l’inutilité de l’écrivain : pourquoi, à ceux déjà écrits, ajouter d’autre livres, qui n’ajouteront rien qui de toute façon n’existe déjà ? Ainsi l’inattendu et la nouveauté de l’événement semblent-elles définitivement battues en brèche, et Bouvard et Pécuchet sont bien cette métaphore parfaite de l’écrivain qui, muni de ses lectures, écrit – ne fait en fait que répéter, même s’il combine.

Par sa causalité événementielle, le roman cherchait à neutraliser la force de nouveauté de l’événement – tout en usant de toutes les ficelles du récit pour renforcer cet effet de nouveauté. C’est cet artifice qu’avec la copie généralisée Flaubert dénonce. La répétition, cette « forme continue du discontinu 1461  », neutralise l’inattendu de l’événement, dit le ridicule de toute prétention à l’originalité, rend dérisoire ce qui est au cœur de la fiction "classique". S’il est donc vrai que tout a déjà été dit, tout n’est plus alors que copie, et écrire, c’est tomber dans cette illusion, ce réel dégradé objet, déjà, de tous les mépris platoniciens 1462 .

Or nos deux copistes, c’est leur travers, imitent mal : ils en font trop ou trop peu, selon les cas (ce qui n’est pas sans conséquence sur le modèle imité : la copie est aussi là pour montrer les travers et les ridicules des grands modèles). Alors ? La ressemblance de l’action de nos deux héros avec la figure de l’écrivain est-elle copie ou simulacre 1463 ? En d’autres termes, sont-ils homoousiens ou homoiousiens, selon l’antique querelle conciliaire reprise ironiquement par Gaddis ?

‘« Homoiousian ou homoousian, telle était la question. Elle avait été réglée mille ans auparavant, à Nicée, quand le sort de l’Eglise avait dépendu d’une diphtongue : homoousian voulant dire d’une seule substance. Les frères [du Real Monasterio de Nuestra Señora de la Otra Vez], dans la lointaine Estrémadure, avaient laissé passer la profession de foi de Nicée […]. Ils choisirent homoiousian, de même substance, comme plus heureux que son alternative (personne ne leur offrit une chance avec hétéroousian) et furent mis sur le champ dans de paisibles cachots » 1464

Bouvard et Pécuchet sont-ils copistes ou "simulacristes", jusque dans l’unité improbable de leurs propres personnes : « Ils deviennent dans la joie de la Copie et dans la Communauté de la passion le même homme… et à se ressembler physiquement un seul être en partie double 1465  » ?

Tel est l’événement central de l’ultime œuvre de Flaubert : cette réponse impossible à la question, cette improbable et inachevable dialectique de la quête, du côté de la Mimésis II de Ricœur, d’une création pure, contrebalancée et écrasée, du côté de la Mimésis I, du poids incommensurable de tout ce qui a déjà été écrit. L’effort de Flaubert se fait et ouvre sur deux horizons contradictoires, en apparence : il dit la vanité de tout savoir, en même temps que l’inaltérable croyance dans les infinis pouvoirs de la littérature et des livres 1466

La copie finale n’est pas du tout la même que celle qui initialement relevait de la profession des deux compères. Non plus soumise aux ordres et injonctions d’un obscur chef de bureau, celle du second volume (du « monument 1467  ») est créatrice parce que critique. Copier n’importe quoi, comme Bouvard et Pécuchet vont le faire 1468 , c’est aussi pour Flaubert dire que tout ce qui est écrit, c’est du n’importe quoi, et que l’« axiome » : « l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit 1469  » – est vrai :

‘« Allons ! pas de réflexions copions tout de même. Il faut que la page s’emplisse. Egalité de tout, du bien et du mal, du Beau et du Laid – du farce et du sublime, de l’insignifiant et du caractéristique. Il n’y a que le phénomène. » 1470

Par delà les péripéties, pour nous devenues secondaires, qui jalonnent les recherches à chaque fois dérisoires et ridicules des deux "bonshommes", l’événement inouï de Bouvard et Pécuchet, c’est cette question queFlaubert nous (et se) pose : l’idée même d’auteur existe-t-elle, puisque écriture et copie deviennent pour finir équivalentes ? – C’est cette interpellation de leur inventeur par Bouvard et Pécuchet : es-tu réellement un créateur, et le romancier est-il encore capable d’inventer des personnages, nouveaux, à qui il adviendrait des événements, nouveaux 1471 ? Il s’agit d’un événementiel en forme de mise en abîme, au sens propre de la sensation de vertige suscitée par ces questions que pose la diégèse au récit, récit semblant lui-même en voie de disparition… Car la disparition de tous les personnages et de toutes les « attaches » dans la copie généralisée du second volume aurait conduit à ce qu’il paraît bien hypothétique d’appeler encore un récit, objet achronique, déréalisé, suspendu…

Mais il faut redire que cette démarche copiste, qui à chaque instant menace de faire disparaître l’événement dans le ridicule de sa dérisoire répétition, le transformant en idée reçue et en poncif, est ambivalente, puisqu’elle contribue en même temps à la constitution de l’aura de l’événement. En guise d’illustration de ce fameux concept d’aura, Benjamin prend l’exemple de la Joconde : l’histoire « doit tenir compte aussi de la façon dont on l’a copiée au XVIIe, au XVIIIe et au XIXe siècles, et de la quantité même de ces copies 1472  ». De la même façon que la Joconde grimée et sous-titrée L.H.O.O.Q. par Marcel Duchamp ne fait peut-être, tour de vis supplémentaire, qu’ajouter à sa célébrité, est-il si sûr que la gloire de Lamartine sorte vraiment « amoindrie de ce que Pécuchet ait agi à son exemple 1473  » ?

« Ils s’y mettent », dans l’interminable coulée de la répétition copieuse. « Un livre sur la bêtise ne peut se conclure, d’autant que, comme on doit le savoir, l’ineptie et la bêtise consiste à vouloir conclure ». Leclerc 1474 encore, que j’ai peut-être beaucoup (trop) copié... Ai-je en définitive été contaminé par les idées, reçues depuis maintenant de nombreuses années, à propos de Bouvard et Pécuchet et de Bartleby ? Ai-je, en somme, échappé à la force d’attraction de ces deux œuvres ? Ce n’est pas moi qui saurais le dire…

De même que Darwin brouille les frontières (de l’homme à l’animal) et instaure une continuité généralisée, tant diachronique que synchronique, de même les copistes de Melville et de Flaubert brouillent les frontières de la création littéraire : les seconds en montrant que l’original, le "digne" d’être copié, n’est bien souvent qu’une idée reçue, que l’écrivain ne fait que répéter sans le savoir, le premier en se plaçant encore plus avant, dans le pouvoir et le « pouvoir-de-ne-pas ».

Moins improbable que la rencontre de Melville et Darwin aux Galápagos, celle par delà l’Atlantique de ces êtres de fiction, infiniment libres, que sont les deux copistes normands et le copiste new-yorkais, nous a en tout cas conduit jusqu’aux frontières ontologiques de l’écriture de l’événement, de son origine, de la puissance de l’être et du non-être… 

« Ceci n’est pas un écrivain », c’était mon titre de chapitre, copiant celui de René Magritte. Telle est bien la question essentielle que nous posent ces copistes : celle de la représentation de l’écrivain. Le copiste n’est pas un écrivain ? La question reste ouverte, avec son corollaire : l’écrivain n’est pas un copiste 1475  ? Ecrire un événement romanesque, en son absolue nouveauté,  est-ce encore possible ?

Notes
1431.

« James Joyce et Pécuchet »[1922], in Lettres à James Joyce, trad. de l’anglais par P. Lavergne, Mercure de France, 1970, p. 224.

1432.

Revenant sur une introduction antérieure à Bouvard et Pécuchet, dans laquelle il usait de cette pirouette, Raymond QUENEAU ajoute (suprême habileté, flauberto-borgésienne) : « Eh bien cette astuce n’est pas neuve. On l’a déjà perpétrée ». Et de citer Thibaudet : « On ne peut pas parler de Bouvard sans dire quelque chose qui doive figurer dans le Dictionnaire ou le Sottisier. Résignons-nous à cette condition, ou plutôt acceptons-la comme une nécessité glorieuse, comme une preuve de la plasticité et de la vitalité de ce livre » (Bâtons, chiffres et lettres[1950], Idées Gallimard, 1965, pp. 99-100). 

1433.

Passage du discours direct au discours indirect, ou à l’indirect libre, par exemple. Voir à ce sujet l’article de Jean-Pierre MOUSSARON, « Une étrange greffe », in Flaubert et le comble de l’art. Nouvelles recherches sur « Bouvard et Pécuchet », éditions SEDES, 1981, pp. 89-109.

1434.

Roland BARTHES, « La crise de la vérité », entretien sur Bouvard et Pécuchet, Magazine Littéraire, n° 108, janvier 1976 (repris dans Le grain de la voix, Entretiens 1962-1980, Seuil, 1981, pp. 233-237 (p. 234)). Barthes ajoute : « C’est un moment historique de la crise de la vérité, qui se manifeste également, par exemple chez Nietzsche […] C’est le moment où on s’aperçoit que le langage ne présente aucune garantie. Il n’y a aucune instance, aucun garant du langage : c’est la crise de la modernité qui s’ouvre ».

1435.

C’est un des sous-titres qui furent envisagés (Correspondance, 16 décembre 1879). Borges avance que Flaubert, en « fervent lecteur de Spencer », a pu faire sienne la théorie du maître sur l’inconnaissabilité du monde. Pour l’auteur des Premiers principes, le processus d’explication du monde fonctionne comme une regressio ad infinitum, chaque raison renvoyant à une autre, sans fin : « Si nous regardons la science comme une sphère qui s’agrandit graduellement, nous pouvons dire que son accroissement ne fait qu’accroître ses points de contact avec l’inconnu qui l’environne. […] Au bout de la découverte la plus avancée, une question se dresse et se dressera toujours : Qu’y a-t-il après ? Nous ne pouvons concevoir une explication assez radicale pour exclure la question : Qu’est-ce qui explique l’explication ? » (Herbert SPENCER, Premiers principes[1871], cité par Colin, Tranches de vie, Op. Cit., p. 198. Voir Jorge Luis BORGES, « Défense de Bouvard et Pécuchet », in Discussion[1957], trad. de l’espagnol par C. Staub, Gallimard, 1979, pp. 115-123)

1436.

La position de Flaubert par rapport à la science reste ambivalente. Voir par exemple ce qu’en disent Queneau (« Flaubert est pour la science dans la mesure justement où celle-ci est sceptique, réservée, méthodique, prudente, humaine… Il y a dans Bouvard et Pécuchet l’annonce d’un pragmatisme », Bâtons, chiffres et lettres, Op. Cit., p. 123) et Bourdieu (« Flaubert emprunte aux sciences naturelles et historiques non seulement des savoirs érudits mais aussi le mode de pensée qui les caractérise et la philosophie qui s’en dégage, déterminisme, relativisme, historicisme », Les règles de l’art, Op. Cit., p. 169).

1437.

« Bouvard et Pécuchet : sur la genèse des personnages », in Flaubert à l’œuvre, sous la dir. de R. Rebray-Genette, Flammarion, 1980, pp. 135-167 (p. 155).

1438.

Gothot-Mersch, Ibid., p. 167. La citation de Beckett vient de L’innommable.

1439.

« Nous avons vu que les expériences doivent servir, aussi, à définir les caractères. Et si ces caractères, comme d’ailleurs les physiques, peuvent paraître assez schématiques, faut-il nécessairement en conclure que c’est seulement pour laisser la première place au conte philosophique ? » (Ibid., p. 167).

1440.

A Mme Roger des Genettes, avril 1875. Je souligne.

1441.

Voir la note des plans de travail : « Méthode. NB : Avoir soin que chaque chapitre ne fasse pas un ensemble isolé, un tout en soi, il doit se trouver au milieu de deux autres idées […] Multiplier les attaches et les suspensions » (cité par Yvan LECLERC, La spirale et le monument, essai sur « Bouvard et Pécuchet » de Gustave Flaubert, SEDES, 1988, p. 70. Je suis certaines de ses analyses). A rapprocher de ceci : dans ce roman, il n’y a « pas de drame, pas d’intrigue, pas de milieu intéressant ! » (A Mme Roger des Genettes, 18 avril 1880). Leclerc commente : « Il y a une volonté de supprimer l’intrigue, le mystère, tout ce qui anticipe le sens, joue sur l’attente du lecteur et l’oriente vers une résolution finale » (p. 73). 

1442.

Bouvard et Pécuchet, Op. Cit., p. 125.

1443.

Leclerc, Op. Cit., p. 77.

1444.

Leclerc relève toutefois deux « analepses externes » et une « analepse interne complétive » (Ibid., p. 74). Signalons que, dans une analyse qui va jusqu’au niveau phrastique, Ilarie SPICA en dénombre 320 ! (Le statut romanesque de « Bouvard et Pécuchet » de Flaubert, thèse, Quezon City, University of the Philippines Diliman, 1982, p. 213).

1445.

Des remarques importantes à ce sujet sont faites par Todorov : « La littérature du XXe siècle a apporté des correctifs sérieux aux anciennes images de la causalité. Très souvent, elle a cherché à sortir entièrement de sa domination ; mais, même lorsqu’elle s’y soumet, elle l’a considérablement transformée. D’une part, dès la fin du siècle précédent, les écrivains ont fortement diminué l’importance absolue des événements décrits : alors qu’auparavant les exploits, l’amour et la mort constituaient le terrain de prédilection de la littérature, celle-ci se tourne avec Flaubert, Tchékhov et Joyce vers l’insignifiant, le quotidien ; et sa causalité ressemble à un pastiche de causalité » (Poétique, Op. Cit., pp. 73-74).

1446.

I. Spica en a détaillé le mécanisme, qui se répéterait 30 fois : « Les étapes suivantes jalonnent toute la structure de ces micro-récits : 1°) un événement provoque l’idée de l’expérience ; 2°) l’idée suscite la recherche documentaire ; 3°) documentés, Bouvard et Pécuchet se livrent à l’expérience ; 4°) Rencontres d’obstacles ; 5°) résultat négatif accompagné ou non de découragements ; 6°) « joint » relançant l’enthousiasme pour une nouvelle recherche. Les points 6°) et 2°) se superposent, se confondent  » (Op. Cit., p. 28).

1447.

Grand problème pour Flaubert : « Chaque paragraphe est bon en soi, et il y a des pages, j’en suis sûr, parfaites. Mais précisément à cause de cela, ça ne marche pas. C’est une suite de paragraphes tournés, arrêtés, et qui ne chevauchent pas les uns sur les autres » (Correspondance, III, p. 92, cité par Jean-Pierre RICHARD, Littérature et sensation, Stendhal, Flaubert[1954], Points Seuil, 1970, p. 249). Richard fait remarquer que ce défaut de logique dans les liaisons est aussi caractéristique de la "construction" générale de l’œuvre de Flaubert : « que penser en effet de sa destinée littéraire, et du chemin zigzaguant qui le fait débuter par un roman réaliste, continuer par une œuvre violemment exotique, puis se rejeter vers la description la plus prosaïque de son époque, repartir vers le lyrisme fantastique et aboutir à une œuvre mystérieuse, qui reste inachevée… ? » (p. 178).

1448.

Bouvard et Pécuchet, Op. Cit., p. 301.

1449.

Leclerc, Op. Cit., p. 99.

1450.

Remarquons que la répartition des liaisons logiques ou au contraire dictées par le hasard est elle-même tout à fait arbitraire : I. Spica (Op. Cit., pp. 36-37) en a dressé la liste, où il est bien difficile de déceler une quelconque logique organisationnelle…

1451.

Leclerc, Op. Cit., p. 77.

1452.

Le récit « se perd dans les sables de la copie » (Leclerc, Ibid., p. 133).

1453.

Bouvard et Pécuchet, Op. Cit., pp. 82 et 119.

1454.

Ibid., p. 148.

1455.

Ibid., pp. 97 et 237.

1456.

Extraits de lettres de Flaubert, citées par Geneviève BOLLEME, Introduction au Second Volume de Bouvard et Pécuchet, Op. Cit., pp. 21, 30-31.

1457.

Et peut-être deviennent-ils presque intelligents, dans ce projet, déjouant même la bêtise, échouant même dans l’expérience de la bêtise.

1458.

Ibid., p. 29.

1459.

Respectivement : cités par Bollème, Ibid., p. 23, et par Gothot-Mersch, Op. Cit., p. 42.

1460.

Leclerc : « Dans la copie, initiale et finale, se résorbe la question de l’origine, puisqu’il n’y a pas de copie originaire, mais copie d’un original toujours perdu, dédoublement de l’origine unaire, selon la logique désirante et délirante de la chaîne des substitutions qui lance la quête et la voue à l’insatisfaction : manque le premier terme… » (Op. Cit., p. 130).

1461.

L’expression est de Catherine BACKES, qui distingue la répétition, « forme continue du discontinu », et le changement, « forme discontinue du continu » (« Continu et discontinu », Encyclopedia Universalis, 1980).

1462.

Dès le Sophiste, la copie est dénigrée (« Qu’est l’image, sinon un second objet pareil, copié sur le véritable ? », 240, trad. Chambry). Mais c’est dans le Livre X de La République que la condamnation est la plus nette. Platon y décompose la Mimésis en une double imitation : « Tu appelles donc imitateur l’auteur d’une production éloignée de la nature de trois degrés ». En première place il y a l’Idée de la chose (eidos), créée par Dieu, puis vient l’objet d’usage (eidolon) que l’artisan produit et qui est copie de la première. Et ce n’est qu’en troisième position qu’advient « l’image obtenue par le peintre ou le poète », et qui imite l’objet de l’artisan, qui est donc copie de copie (phantasma) (République, 597, trad. Baccou). Il est remarquable que Roland BARTHES voit dans la description réaliste le même éloignement vis à vis du réel : « Toute description littéraire est une vue. On dirait que l’énonciateur, avant de décrire, se poste à la fenêtre, non tellement pour bien voir, mais pour fonder ce qu’il voit par son cadre même : l’embrasure fait le spectacle.[…] Il faut que l’écrivain, par un rite initial, transforme d’abord le « réel » en objet peint (encadré) […]. Ainsi le réalisme consiste, non à copier le réel, mais à copier une copie (peinte) du réel […]. Par une mimésis seconde, il copie ce qui est déjà copie » (S/Z[1970], Points Seuil, 1976, p. 61).

1463.

Selon Deleuze, Platon distinguerait en fait les copies, « possesseurs en second, prétendants bien fondés, garantis par la ressemblance » avec le modèle, et les simulacres, « copies de copies, icônes infiniment dégradées », à la « ressemblance infiniment relâchée ». Celle-ci, pour être légitime, et légitimée, doit être, comme pour les copies magiques de l’étudiant Anselme, intérieure (« l’effet de ressemblance » du simulacre étant « seulement extérieur et improductif », tandis que « la ressemblance ne doit pas s’entendre comme un rapport extérieur : elle va moins d’une chose à une autre que d’une chose à une Idée. […] Intérieure et spirituelle, la ressemblance est la mesure d’une prétention : la copie ne ressemble vraiment à quelque chose que dans la mesure où elle ressemble à l’Idée de la chose »). (Logique du sens, Op. Cit., pp. 292-307).

1464.

Les reconnaissances, Op. Cit., p. 17.

1465.

Note des Scénarios, cité par Leclerc, Op. Cit., p. 141.

1466.

Il est remarquable que le premier texte publié par Flaubert, Bibliomanie[1837], se rapproche singulièrement sur ce point de sa dernière œuvre. On trouve dans Le bibliomane[1831] de Charles NODIER, qui a sans doute inspiré le jeune Flaubert (voir Didier BARRIERE, Nodier, l'homme du livre, Bassac, éd. Plein Chant, 1989, pp. 14-15), des formulations très "borgésiennes" que n’aurait sans doute pas reniées l’auteur de Bouvard et Pécuchet : «  Il passait sa vie au milieu des livres, et ne s’occupait que de livres, ce qui avait donné lieu à quelques-uns de penser qu’il composait un livre qui rendrait tous les livres inutiles » (Bordeaux, Passage, 1985, non paginé).

1467.

« Ils appellent la copie "leur monument" » (cité par Leclerc, Op. Cit., note 10, p. 158).

1468.

« Ils copièrent … tout ce qui leur tomba sous la main,… longue énumération… les notes des auteurs précédemment lus. – "vieux" papiers achetés au poids à la manufacture de papier voisine » (XI. – Leur copie, F° 67, in Le second volume de Bouvard et Pécuchet, Op. Cit., pp. 54 et56).

1469.

« Si le livre que j’écris (il s’agit ici de Madame Bovary] avec tant de mal arrive à bien, j’aurais établi par le fait seul de son exécution ces deux vérités, qui sont pour moi des axiomes, à savoir : d’abord que la poésie est purement subjective, qu’il n’y a pas en littérature de beaux sujets d’art, et qu’Yvetot donc vaut Constantinople ; et qu’en conséquence l’on peut écrire n’importe quoi aussi bien que quoi que ce soit” (A Louise Colet, 25-26 juin 1853. Cité par Rousset, Op. Cit., p. 111).

1470.

F° 32, Ibid., p. 54-55.

1471.

Leclerc : « Si tous les écrivains sont des copistes, seul celui qui se veut et se fait copiste est véritablement écrivain » (Op. Cit., p. 146).

1472.

« L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Op. Cit., p. 174.

1473.

Leclerc, Op. Cit., p. 114.

1474.

Ibid., p. 138.

1475.

Hobby, court roman du tchèque Jiri FRIED, paru en 1969, tourne autour de cette même problématique (trad. de L. Gaspard, Lettres Nouvelles, 1972).