Quatrième acte : De l’engrais

Nous vous donnerons de la fumure, monsieur Fleury 1585

Ce qu’on pourrait traduire par : ce qui est à écrire efface perpétuellement ce qui est déjà écrit. Un "déchet" pousse l’autre et rien n’est jamais fini. Mais bien sûr tout ce "reste" va être réemployé, et un des rêves de Bloom n’est-il pas l’utilisation des excréments de toute la population irlandaise 1586  ? Rien n’est perdu, tout se récupère.

Et d’abord dans l’ordre de l’imaginaire : c’est à partir de sa propre défécation que l’esprit s’évade. Le raccourci est saisissant, qui prend une dimension cosmique : en passant par les « jeunes filles en gaze grise », Bloom atteint très vite « le jour, ensuite la nuit 1587  ».

Dans l’ordre de l’écriture cette récupération est réutilisation directe : tout ce qui a été écrit va former tout ce qui va être écrit. On connaît l’usage que Joyce a pu faire, d’une part de la multitude de ses lectures, d’autre part de ses propres œuvres antérieures. Le plagiat (et l’auto-plagiat), la citation (et l’auto-citation) sont constantes dans Ulysse : « De telle sorte que l’appropriation et la fragmentation continuelles, ce vol qui définit l’écriture de Joyce, transforme à la fin le pastiche en plagiat 1588  ».

Tous les matériaux sont bons pour "fumer" l’œuvre : « Les livres dont je me sers pour le fragment actuel, qui comportent entre autres Marie Corelli, Swedenborg, Saint Thomas, la guerre soudanaise, les Indiens proscrits, la Femme sous la Loi anglaise, une description de Ste Hélène, la Fin du Monde de Flammarion, des dizaines de comptines allemandes, françaises, anglaises, italiennes, etc. 1589  » Là encore, Flaubert et ses deux compilateurs sont à proximité, avec bien sûr tous les détournements et distorsions que Joyce fait subir à son matériau.

Notes
1585.

Ulysse, Op. Cit., p. 596.

1586.

« tout individu normal, d’activité et d’appétit moyens, produisant par an, sans tenir compte des sous-produits liquides, un poids total de 36 kilos 320 grammes (régime mixte carné-végétarien) à multiplier par 4 386 035, population totale de l’Irlande au recensement de 1901 » (Ulysse, p. 779).

1587.

« Heures du soir, jeunes filles en gaze grise. Heures nocturnes en noir avec des poignards et des loups. Idée poétique, d’abord rose, puis dorée, puis grise, puis noire. Et véridique aussi, pourtant. Le jour. Ensuite la nuit ».

1588.

Heath, « Ambiviolences », Op. Cit., p. 33.

1589.

A H. S. Weaver, Lettres, Op. Cit., p. 374.