L’événement dans la sensation, l’événement dans la langue :

Gilles Deleuze a analysé l’expression de la sensation dans la peinture (de Cézanne à Bacon). Ses réflexions peuvent éclairer le fonctionnement de la seconde "solution" proposée par Sarraute au problème de l’inadéquation du langage à la sensation. Comme ces peintres, elle a pour projet de « dépasser la figuration (c’est-à-dire à la fois l’illustratif et le narratif) 1732  ». Or, dit Deleuze, ce dépassement peut se faire de deux manières, « ou bien vers la forme abstraite, ou bien vers la Figure ». C’est cette deuxième voie que Cézanne nomme la sensation. La Figure est alors « la forme sensible rapportée à la sensation », qui est donc à l’opposé « du facile et du tout fait, du cliché, mais aussi du "sensationnel", du spontané…etc ». C’est là tout le dessein de Sarraute : refus du cliché et du sensationnel, refus des conventions narratives et illustratives, tentative de cerner au plus près la sensation, à sa naissance…

Deleuze explique ensuite que la sensation est une sorte d’interface entre le moi et le monde : « la sensation a une face tournée vers le sujet (le système nerveux, le mouvement vital […]), et une face tournée vers l’objet ("le fait", le lieu, l’événement). Ou plutôt elle n’a pas de face du tout, elle est les deux choses indissolublement, elle est être-au-monde[…] : à la fois je deviens dans la sensation et quelque chose arrive par la sensation, l’un par l’autre, l’un dans l’autre. Et à la limite, c’est le même corps qui la donne et qui la reçoit, qui est à la fois sujet et objet 1733  ». Tel est bien le fonctionnement des relations tant interpersonnelles qu’intra-personnelles (Tu ne t’aimes pas, Ouvrez, Ici) dans les récits de Sarraute. Tel est bien le projet, prométhéen : saisir au cœur même de leur indifférenciation sujet et objet, moi et autrui. La saisie de ce moment d’accouplement qu’est le tropisme, tel est l’événement.

Pour qu’il se produise, pour que le tropisme fasse surface, il faut remuer la "soupe". Il faut un très subtil bougé, de « légères secousses narratives », un « tremblement de l’écriture 1734  ». Des crises, les événements des romans de Sarraute? Si l’on y tient, à condition d’entendre par là cette tension qui naît du contact, si fragile et si périlleux, entre, d’un côté, la sensation et son instantanéité, de l’autre, le langage et son inscription obligatoire dans la durée.

Il est vrai que, d’une certaine manière, le tropisme préexiste au langage, en tant qu’élément du "for intérieur", toujours présent en sous-main. Mais le fait de langage par lequel il vient au jour n’est pas seulement la circonstance qui lui permet de se déployer, il est ce lieu où le tropisme naît immédiatement à la conscience 1735 . Il s’agit bien d’un commencement absolu : le tropisme ne rencontre pas là seulement son occasion, mais s’y trouve en position originaire 1736 . On dira que l’événement contient son occasion, intègre sa circonstance, comme celle-ci contient l’événement qu’elle déploie.

C’est donc dans ces faits de langage, dans ces précipités de la langue que Nathalie Sarraute réinvente, que se trouvent les véritables événements de ses "récits". Ce sont eux dont il nous reste à analyser le fonctionnement détaillé. Presque à chaque fois, le nœud en est une simple phrase, le plus souvent dite par autrui : « et puis nous entendons les paroles qu’il prononce… – Et ces paroles aussitôt réveillent en nous… ». Des exemples ? Ils abondent : « Je lui ai sorti ses quatre vérités », « vingt ans de bonheur… Eh oui… j’ai eu ça… 1737  ». De telles phrases, noyaux vibratoires, engendrent des ondes qui se propagent à l’infini. Comme pour la sensation-membrane de Deleuze, les mots, « se posant en nous un par un, s’implantent, s’imbibent lentement de notre plus obscure substance, nous emplissent tout entiers, se dilatent, s’épandent à notre mesure, hors de toute mesure 1738  ». Les textes de Nathalie Sarraute disent ce mode ondulatoire de propagation à partir d’un noyau initial, à partir de la déflagration d’une simple phrase, d’un lieu commun, si anodine en apparence 1739 . Et le disent dans le temps même où s’accomplit cette propagation, en "temps réel".

C’est se placer là même où le langage se produit comme événement. Je voudrais montrer que la « phrase-événement » de Sarraute "revient" au moment "originaire" où sens propre et sens figuré sont encore confondus et déjà en train de se séparer 1740 .

Bien sûr, il ne s’agit pas de reprendre le mythe rousseauiste de la langue naturelle qui aurait "précédé" le langage utilitaire. L’auteur de L’Essai sur l’origine des langues a rêvé d’un temps où sensation et expression n’étaient pas encore disjointes. Ou plutôt il a rêvé ce premier langage des émotions, qui aurait fonctionné essentiellement par métaphores 1741 .

Sarraute ne place ce langage "originaire" ni dans une époque historiquement situable, ni dans des temps passés mythiques. Elle ne confond pas origine et commencement 1742 . Elle tente de rendre au langage de tous les jours ce caractère naissant où tropisme et parole se mélangent. L’origine chez Sarraute est continuée : l’écrit contemporain peut parvenir à la restituer, et l’événement qu’elle cherche à dire est "l’instant" de cette origine, là où l’émotion est à peine éclose : « … c’est quelque chose comme ce qu’on sent devant la première herbe qui pousse sa tige timidement… un crocus encore fermé…c’est ce parfum qu’ils dégagent, mais ce n’est pas un parfum, pas même encore une odeur, cela ne porte aucun nom, c’est une odeur d’avant les odeurs…[…] quelque chose d’intact, d’innocent… 1743  ». Ainsi l’origine se rejoue constamment dans la parole vive de l’auteur de L’usage de la parole.

Le concept de figural développé par Laurent Jenny 1744 va nous permettre de mieux appréhender cette idée d’un langage "originaire".

A un premier stade, dit Jenny, « tout discours se produit comme événement 1745 » : la parole a « qualité d’événement, si l’on entend par là qu’il s’y produit des effets irréductibles aux conditions qui l’expliquent ». On retrouve là le caractère inattendu de l’événement. A travers cette « réalisation de la langue en parole 1746  », il y a « émergence du singulier discursif à partir du collectif linguistique ». Apparaît ainsi « toute une vibration sensorielle aux franges de l’énoncé que sa plus grand univocité ne saurait exclure », vibration qui se manifeste par d’infinies nuances (rythmiques, tonales, plastiques) « qui lestent l’énoncé de son poids de réalité, suscitent peut-être en moi une imperceptible "réponse" posturale ». Cette énonciation « fait événement précisément en ce qu’elle est irréductible à une simple "expression" d’un sujet parlant.[…Cette] événementialité tient tout autant à ce qui dans cette production s’écarte du moi au moment où elle le signifie ». Il s’agit là d’une « béance énonciative » où se fait jour « tout le mystère d’une disposition où autre chose que moi (moi connu) s’annonce ». Enfin la parole, tout autant qu’elle épelle un monde tout constitué avant elle, « produit ce monde en le sommant de paraître 1747  ».

Cette analyse permet de rendre compte d’un premier niveau du récit de Nathalie Sarraute. Dans l’interlocution habituelle, dans le dialogue de tous les jours, cette « vibration sensorielle » qu’évoque Jenny, et qu’on peut assimiler à la sous-conversation de Sarraute, n’est jamais observée pour elle-même, ne se trouve jamais au cœur ou au centre de la conversation. Le premier travail de l’auteur de Disent les imbéciles consiste à la mettre en avant, puis à en déployer les ondes à peine ressenties, à déplier les multiples mouvements qu’elle suscite.

Toutefois, il ne saurait être question pour Nathalie Sarraute de se cantonner à ce stade "courant", bien que généralement inaperçu, du langage. Voilà pourquoi elle insiste sur la nécessité de se situer dans ces instants, dans ces espaces où la parole est « essentielle », selon le mot de Mallarmé, qu’elle cite 1748 . Comment parvenir à pénétrer en de tels lieux, dira-ton alors, puisque le récit sans cesse se heurte au caractère installé, définitif, péremptoire, du langage, est heurté par son ordre préétabli, par la loi qu’il impose ?

Mais c’est justement de ce heurt que naît le tropisme, en même temps que c’est dans ce combat que la sensation trouve son origine. Cherchant à se dire, elle est soumise à la "terreur" mise en place par le langage, toujours enclin au déjà-vu, au déjà-connu, au déjà-dit – à l’idée reçue sous toutes ses formes. La visée expressive personnelle est constamment en butte à cette autorité écrasante du langage, dont « l’action asséchante et pétrifiante 1749  » tend à étouffer cette vibration qu’il ne peut pourtant empêcher d’affleurer à travers lui. C’est à l’assaut de cette butte que s’attaque le récit de Sarraute, c’est cet assaut qu’il "raconte".

Tout est affaire de résistance. Comment parvenir malgré tout à dire ce que le langage menace toujours de recouvrir de sa « plaque de ciment 1750  » ?

En décortiquant comme une noix le mot majusculaire, le mot mis entre guillemets par la conversation (« la dure nécessité », « la triste réalité », « le bourru bienfaisant » du Portrait d’un inconnu, par exemple 1751 ) : « La voici, l’arme la plus facile à manier, la plus efficace de leur arsenal.[…] Un mot pourtant qui ne paie pas de mine, un mot d’apparence parfaitement anodine, ce "ja" qui s’ouvre avec franchise et ce "loux" qui s’arrondit avec douceur, "loux" comme "doux"…[…] Quel ordinateur dans des millions d’années pourra jamais fabriquer ce qui en vous et en moi dès que ce mot "jaloux" a été prononcé produit ce que vous savez… 1752  »

En disséquant les expressions toutes faites. Soit la phrase suivante : « Regardez comme elle est mignonne ». Creusons ce bout de phrase, où chaque mot est « une merveille » : « "Elle" d’abord, anonyme, elle qui peut désigner n’importe qui, elle, un mot qui la place à distance, un peu plus bas.[…] C’est au tour de "est" à présent. "Est" qui cimente, pétrifie…[…] Et maintenant la perle, maintenant le bouquet : "mignonne"… 1753  ». Faisant mouche sans le savoir, chaque occurrence de ces mots, de ces phrases, se transforme en événements, qu’il s’agit dès lors de déplier, de décomposer, de répéter pour, non leur ôter tout le poids de la terreur qu’ils exercent, ceci est impossible, mais en comprendre le fonctionnement.

Un tel "procédé" devient systématique dans les dernières œuvres. Dans L’usage de la parole, Sarraute nous explique sa "méthode" : « Il y a un jeu auquel il m’arrive parfois de songer…[…] Son point de départ serait, vous vous y attendez, une certaine phrase, des paroles que peut-être comme certains d’entre vous j’ai entendu prononcer 1754  ». Le "jeu" consiste alors à faire rendre gorge à cette phrase, à ces paroles, à leur faire régurgiter ce qu’elles dissimulent sous leur vernis de silence.

Que fait donc cette technique de dépliement des mots, des phrases, dont l’écrivain déploie les vibrations cachées qu’ils recèlent ? Reprenons la réflexion de Jenny. A un premier niveau, il indiquait que le langage réalisé dans la parole est événement. C’est au sein de ce premier événement que peut s’en produire un second, du figural, c’est-à-dire « ce bouleversement formel toujours virtuellement à l’œuvre dans le discours », nouveauté radicale dont on attend la manifestation, « actualité "autre" qui déjoue les motifs de la communication 1755  ».

C’est bien cette « actualité "autre" » qui est en définitive l’objet de la quête de Nathalie Sarraute. Passant derrière les pièges de la communication facile, de ces idées toutes faites et de ces lieux-communs, elle s’empare de ces éléments de la langue eux-mêmes pour, en les faisant bouger, leur redonner toute leur actualité. C’est ce qui explique que ces personnages sont des « hypersensibles-nourris-de-clichés », qui trouvent si bon « de tourner ainsi autour du pot… A l’abri de ces solides vieilles expressions… 1756 ». Sont en jeu dans le figural selon Jenny des mouvements (processus) à la fois stylistiques (volet esthétique) et sémantiques (les sens bougent, perdent leur « figé »), dans une tension due à la résistance du langage aux distorsions que le poète lui impose. Et c’est dans des « phrases-événements » que le figural se manifeste : « une métaphore, un "mot juste", une plaisanterie, un beau vers, un poème, une trouvaille conceptuelle, un proverbe, un lapsus » sont « autant d’agencements où se laissent repérer des tensions esthétiques, des modes d’évocation de sens, qui "configurent" (pour employer le mot de Ricœur) l’événement  ». La "figure" qui se fait jour dans toutes ces formes de discours suscite tout un « jeu d’inférences, d’évocations », mais elle ne se limite pas à cela, des « processus tensionnels » insistent à travers elle 1757 .

Il peut arriver à Sarraute de se saisir ainsi d’une forme exceptionnelle, donc rare et inattendue, pour déployer les « processus tensionnels » qu’elle dissimule :

‘« Comme ces grosses fleurs disséminées avec art qui dressent leurs pétales rigides et épais sur un gazon impeccablement tondu, soyeux et dru, un long et lourd imparfait du subjonctif déploie avec une assurance royale, au milieu de cette page lue au hasard, de cette phrase lissée et serrée, la gaucherie de sa désinence énorme. Mais il est plutôt, ce subjonctif aux finales raides et surchargé que le mouvement vif et souple de la phrase soulève sans effort, pareil à la traîne chamarrée d’une pesante robe de brocart […]. Dans cet imparfait du subjonctif, appendice caudal un peu ridicule et encombrant, les plus fines ramifications de notre esprit viennent aboutir,[…] une virtualité à peine discernable, une imperceptible intention 1758  » ’

L’imparfait du subjonctif est ici, très exactement, un événement figural, moment singulier du discours où la sensation, sous sa forme tropismique, se cache et se dévoile à la fois.

Mais Sarraute, me semble-t-il, va plus loin. Elle nous montre que de tels processus tensionnels peuvent exister dans n’importe quelle phrase, dans n’importe quelle construction grammaticale "consacrée". Le moindre mot peut « faire l’affaire ». Le figural n’est plus cantonné à l’image inattendue, à l’usage grammatical insolite, à la trouvaille expressive. Il est blotti même dans ce que le discours peut avoir de plus convenu et de plus ordinaire. Il suffit de l’y voir, comme Flaubert, en son temps, a su le faire dans les meilleures pages de Madame Bovary 1759 . Sous « les efforts laborieux d’un langage démuni », il suffit de savoir entendre « le fracas des mots heurtés les uns contre les autres [qui] couvre leur sens… quand frottés les uns contre les autres, ils le recouvrent de gerbes étincelantes… quand dans chaque mot son sens réduit à un petit noyau est entouré de vastes étendues brumeuses… 1760  ».

Il faut savoir se saisir d’un mot qui d’abord fige (« Timidité », « Avarice », « Amour », « cancres » 1761 ...) pour lui redonner toute sa force irruptive, pour lui restituer toute sa qualité d’événement.

C’est là se tenir aux franges du silence – d’où l’extrême difficulté de l’entreprise, et son suprême paradoxe. Ce fracas du mot redevenu événement est fait de silence(s). Jenny explique encore qu’il y a dans tout discours « une latence, qui double le discours et s’accroît avec lui », « tout ce qu’on a repoussé pour faire place à une bonne forme du discours et qui devait bien subsister quelque part comme sa réserve 1762  ». Il y a donc dans toute prise de parole une réserve de silence qui, bien qu’implicite, pèse de tout son poids sur l’explicite. Comment parvenir, sinon à l’atteindre entièrement (Sarraute dit sans cesse elle-même combien "cela" s’échappe aussitôt que saisi), du moins à l’approcher et à le faire percevoir ? C’est bien à ce « silence grand ouvert 1763  » que Sarraute porte attention, car il constitue le fond commun (on le retrouve ici) de toute conversation : c’est l’élément même de la "sous-conversation". Le silence traverse le langage comme il est déchiré par lui.

Alors, parvenir au cœur de cet événement, ce serait toucher à cet hypothétique "lieu" originaire, qui est aussi bien un non-lieu, où conversation et silence n’ont pas encore disjoint leur univers, où parole et mutisme, de quelque façon, sont encore ensemble : « Un silence…[…] une forme qui se dessine vaguement… c’est sous ce nom qu’elle se présente : Silence…[…] Quel autre nom pouvait être donné à cette absence de toute parole échangée entre deux personnes seules en présence 1764  ». Martereau illustre ce « système pénitentiaire bien organisé » du silence comme fond de la conversation, qui se transforme en un véritable combat de silences : « Lui, formé par un long entraînement, d’ordinaire se résigne : il s’installe dans ce silence tel un vieux récidiviste qui retrouve aussitôt, chaque fois qu’on l’y ramène, ses habitudes de prison ». Puis le système de vases communicants qui régit les relations du père et de la fille (« quand dans l’un le niveau descend, aussitôt dans l’autre on le voit qui monte ») fait que le silence glisse chez elle : « elle emploie les grands moyens, fait fonctionner ce que j’appelle son système de pompe : son silence devient plus dense, plus lourd, il nous tire à soi plus fort, nos mots sont aspirés par lui,[…]et, ne parvenant pas à atteindre leur but, vont s’écraser quelque part en elle – une petite giclure informe – happés par son silence ». Cette sous-conversation, tissée de silences, nous fait entrer dans le dialogue de l’à peine perceptible (à peine : locution très fréquente chez Sarraute) et du primordial : « N’importe quelle parcelle, quand elle vient s’y déposer, la plus minuscule, la plus humble, insignifiante…[…] s’impose autant, davantage que la plus vaste, la plus importante part du monde 1765  ».

Conversation et sous-conversation restent inséparables, indissolublement attachées l’une à l’autre dans une tension où la seconde sans cesse ébranle les certitudes de la première, où la première sans cesse tente d’étouffer la voix de la seconde. Cette tension, c’est l’événement même du langage lorsqu’il parvient à s’y maintenir.

Notes
1732.

Sarraute associe elle-même cette distinction au travail pictural. Ainsi, à propos des « types balzaciens » : «Toute cette société, tous ces personnages, qui étaient alors nécessaires, comme ont été nécessaires dans la peinture les objets reconnaissables… » (Entretien Rykner, Op. Cit., p. 183).  La référence à Cézanne est explicite dans Tu ne t’aimes pas : « – N’est-ce pas Cézanne qui a dit à propos d’autre chose… – Mais était-ce vraiment quelque chose d’autre dont il a dit que "ça s’enchevêtre aux racines mêmes de l’être… A la source impalpable du sentiment…" » (p. 123).

1733.

Gilles DELEUZE, Francis Bacon. Logique de la sensation, La Différence, 1981, p. 27.

1734.

Christian DOUMET, « Le stéréoscope de Nathalie Sarraute », in Nathalie Sarraute ou l’usage de l’écriture, Critique n° 656-657, Minuit, janvier-février 2002, pp. 81-93 (p. 88). Je rappelle le beau titre d’A. J. Clayton : Nathalie Sarraute ou le tremblement de l’écriture.

1735.

« Il se passe quelque chose à l’intérieur de la vie psychique qui ne peut être rendu que par de l’écriture, du langage » (Entretiens Benmussa, p. 160).

1736.

Ce qui, me semble-t-il, n’est pas contradictoire avec cette remarque de N. Dazord : « Le texte ne crée pas le tropisme dans sa nature, il le crée dans l’esprit du lecteur » (« La phrase en devenir de Nathalie Sarraute », Op. Cit., pp. 113-138. P. 138), dans la mesure où la « nature » du tropisme est précisément dans sa rencontre avec la phrase qui le dit, « différente de ce qu’il est, mais semblable en ce qui seul importe » de lui (p. 121).

1737.

Tu ne t’aimes pas, pp. 21, 40, 47.

1738.

L’usage de la parole, p. 142.

1739.

« …des ondes que nous seuls pouvons capter, sans que rien ne paraisse au-dehors, nous sont transmises directement… » (Vous les entendez ?, p. 115). « Au centre de cela il y a quelque chose d’indestructible. Un noyau qu’il n’est pas possible de désintégrer, vers lequel toutes les particules convergent[…]. Autour de cela des ondes se répandent, tout oscille, tout vibre autour, si on s’en approche on se met à vibrer » (Entre la vie et la mort, p. 95).  

1740.

Il s’agirait d’une sorte de point de fuite, qui peut faire penser au sens « obtus », à la « signifiance » de Barthes, c’est-à-dire à ce « travail de la langue par lequel les significations germent du dedans de la langue, dans sa matérialité même » (L’obvie et l’obtus, Op. Cit., pp. 44-45). 

1741.

C’est F. Asso qui fait le rapprochement : « il s’agit donc de retrouver dans la métaphore quelque chose qui bouge encore, analogue sans doute à cette langue naturelle qui, selon Rousseau, précède l’apparition du langage instrumental ». Elle ajoute : « Pour Rousseau, le premier langage est évidemment figuré (c’est le langage de l’émotion) et, comme tous ceux qui mettent la métaphore à l’origine de la langue, il doit s’arranger du paradoxe selon lequel le "naturel" devient le "figuré" » (Op. Cit., p. 209. Jacques DERRIDA analyse ce paradoxe rousseauiste dans De la grammatologie[1967], en particulier pp. 381-397, Minuit, 1974). Beckett fait remonter ce paradigme à Vico : « Les Barbares, incapables d’analyse et d’abstraction, sont contraints d’utiliser leur fantaisie pour expliquer ce que leur raison ne peut comprendre. Avant le langage vient le chant : avant les termes abstraits, les métaphores » (« Dante… Bruno… Vico… Joyce », trad. Fernande SAINT-MARTIN in Samuel Beckett et l’univers de la fiction, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1976, p. 17).

1742.

Foucault nous met en garde à ce sujet : « C’est toujours sur un fond de déjà commencé que l’homme peut penser ce qui vaut pour lui comme origine. Celle-ci n’est donc pas du tout pour lui le commencement, – une sorte de premier matin de l’histoire à partir duquel se seraient entassées les acquisitions ultérieures » (Les mots et les choses, Op. Cit., p. 341).

1743.

Les fruits d’or, pp. 151-152.

1744.

Voir La parole singulière, Belin, 1990, coll. « L’extrême contemporain ». Le terme (et la notion) de figural est emprunté notamment à Jean-François LYOTARD (Discours, figure, Klincksieck, 1971).

1745.

La formule est de Paul RICOEUR, in La métaphore vive, Seuil, 1975, p. 92.

1746.

Selon la distinction canonique de Saussure, qui distingue la langue en tant que code, structure, et la parole, qui est matière, langage dans sa mise en œuvre par des sujets parlants.

1747.

La parole singulière, Op. Cit., pp. 16-19.

1748.

A la prose du roman « s’applique la distinction que fait Mallarmé, pour la poésie, entre langage brut et langage essentiel. Le langage du roman est, doit s’efforcer d’être, un langage essentiel » (« Le langage dans l’art du roman », Op. Cit., p. 197).

1749.

« Ce que je cherche à faire », Op. Cit., p. 32.

1750.

Sans cesse le tropisme est menacé : « A peine cette chose informe, toute tremblante et flageolante, cherche-t-elle à se montrer au jour qu’aussitôt ce langage si puissant et si bien armé, qui se tient toujours prêt à intervenir pour rétablir l’ordre – son ordre – saute sur elle et l’écrase[…] ; sur ces mouvements innombrables, innommables, subtils et complexes, le langage pose aussitôt la plaque de ciment de ses définitions » (Œuvres complètes, Op. Cit., p. 1704). Voir Vous les entendez ? : « D’où viennent ces mots ? Ils sont sur moi. Ils sont plaqués sur moi… les mots me recouvrent… » (p. 150), ou Portrait d’un inconnu : « leurs mots lourds comme du plomb qui coulent au fond d’elle et la lestent » (p. 60).

1751.

Pp. 106-107.

1752.

« Disent les imbéciles », pp. 15-16.

1753.

Ibid., pp. 18-19, où "cela" continue pendant plusieurs pages, en particulier avec le glissement qui de « n’est-elle pas à croquer ? » fait surgir « craquer », etc…

1754.

P. 121. L’exemple qu’elle prend ici est « Ne me parlez pas de ça ».

1755.

La parole singulière, Op. Cit., p. 13. Le figural est un « processus esthético-sémantique qui conditionne la reconduction du discours à la puissance de l’actualité » (p. 14). Il est ce "lieu" d’un texte dans lequel « une "circonstance" de discours » se constitue comme un « champ événementiel ». Entrent dans cette "circonstance" « les effets du dire qui lui répond », et « ainsi, l’événement ouvert par la "circonstance" ne se referme pas avec la parole qui la dit.[…]La parole propage l’événement dans son élément propre qui est celui de la forme du dire » (pp. 75-76).

1756.

Portrait d’un inconnu, p. 46 ; Tu ne t’aimes pas, p. 138.

1757.

La parole singulière, Op. Cit., pp. 14-15.

1758.

Les fruits d’or, pp. 31-32.

1759.

« Aussi voit-on, dans ce roman, des sentiments authentiques prendre leur départ des clichés les plus niais » (Flaubert le précurseur, p. 82).

1760.

L’usage de la parole, p. 142.

1761.

« Des cancres ?[…]C’est grave d'enfermer dans des catégories rigides, d'étiqueter ce qui est encore fluctuant, changeant… » (Vous les entendez ?, p. 45).

1762.

La parole singulière, Op. Cit., p. 36.

1763.

« pour qu’un silence grand ouvert aspire, fasse monter, jaillir de l’autre, s’élever toujours plus haut… » (Disent les imbéciles, p. 82).

1764.

Ici, p. 151.

1765.

Martereau, pp. 122-124 ; Ici, p. 153 ; Entre la vie et la mort, p. 138 : « On dirait que quelque chose… c’est très vague… à peine perceptible… ». Pour Marie-Christine LALA, le silence chez Sarraute est aussi constitué de « ce qui arrive comme événement au creux du mot et entre les mots.[…] A partir du mot, le mouvement du tropisme à la phrase se poursuit de l’en-deçà de la phrase vers un au-delà de la phrase qui ouvre sur la dimension du texte » (« Les torsions du silence au creux des mots », Du tropisme à la phrase, Op. Cit., pp. 189-195. P. 189).