Troisième période, à partir de « Comment c’est » : de l’événement pur, dans sa nomination pure

Le contemplateur… Celui qui, dans
les événements épars, lit la forme.
Botho STRAUSS 1920

Lorsqu’on en arrive à de tels « empêchements », lorsqu’on devient « prisonnier » de ses propres fictions, comment s’évader ? Comment échapper à cette parole qui ne peut que ressasser l’impossibilité qu’elle a à dire, aux frontières du silence où elle trouve sa source ?

Dans toutes les tentatives de Beckett pour conjoindre mouvement et immobilité, être et néant, langage et silence, subsistait un léger écart. A chaque fois, l’événement espéré de la fusion des contraires faisait surgir un événement inattendu qui, de manière infime, la diffère. Ce sont les mouvements des yeux de L’innommable, points de tangence du mouvement et de l’immobilité. C’est l’infime espace qui demeure avec la mort de Malone meurt, c’est l’identité de plus en plus incertaine de Molloy-Moran et des Textes pour rien. C’est enfin, et surtout, cette voix qui, tout en se résorbant de plus en plus, ne peut définitivement s’arrêter, découvrant qu’elle est essentiellement rythme, faite autant de silence(s) que de sons. Mouvement des yeux, proximité de la mort et identité floue, rythme de la langue, tels seraient donc les événements qui subsistent, tendus vers l’abolition des contraires, si proche, jamais tout à fait atteinte.

C’est sur ce champ de ruines, c’est de ces à peine événements, « tiers termes 1921  » minuscules, que la fiction de Beckett va renaître. Pour ne prendre, dans l’immédiat, que quelques exemples du premier thème, l’œuvre qui maintenant s’ouvre va se placer, à tout instant, à la quintessence du mouvement, à la lisière de l’immobilité, tantôt du côté de l’un, tantôt du côté de l’autre : « ils passeraient bien pour inanimés sans les yeux gauches qui à des intervalles incalculables brusquement s’écarquillent.[…] et dans l’instant même pour l’œil de proie l’infime tressaillement aussitôt réprimé », « l’œil a beau s’acharner de plus en plus proche il n’obtient que deux ovales sans regard.[…] Ruines silence et fixité de marbre petit corps prostré au garde-à-vous orbites béantes au fond bleu lavé 1922  ».

J’aurais pu analyser la façon dont Comment c’est, « roman » (c’est écrit sur la couverture) qui marque la rupture du cercle vicieux de la deuxième période, donne d’abord une place centrale au regard (« serrer les yeux je cite toujours pas les bleus les autres d’autres derrière 1923  ») et au désir de contact symbiotique avec autrui 1924 . Mais aussi et surtout montrer comment, dans son langage non ponctué et fait de courts paragraphes haletants, Comment c’est installe le langage lui-même comme événement du récit 1925 . Car malgré le souffle, « haché », inlassablement, la « parole » (« brefs mouvements du bas du visage », du « groin », qui signalent un murmure) revient, même pour un instant. « Quand ça cesse de haleter des bribes 1926  » se constituent en un court paragraphe à la syntaxe précaire, souvent désarticulée, fait de quelque mots juxtaposés. Chacun des paragraphes devient alors un événement, celui d’une victoire du langage qui parvient à dire, à se dire, malgré le silence, cette perpétuelle menace. Tout, toujours, passe son temps à commencer (il y a ce jeu de mots dans le titre) : l’événement, si l’on veut le saisir en son noyau, est d’abord et avant tout commençant. Et puis de toute façon, il faut d’une part en finir avec la narration, et il n’y a rien d’intéressant à raconter.

Mais puisque tout est affaire d’yeux, de regard, nous dirigerons plutôt le nôtre sur un « tableau » de Mal vu mal dit, texte plus tardif, justement centré sur la question :

‘Qu’est-ce qui la défend ? Même du sien. Fait baisser le regard dans l’acte d’appréhender. Incrimine l’acquis. Retient de deviner. Elle sans défense. C’est la vie qui finit. La sienne à elle. La sienne à l’autre. Mais si différemment. Elle n’a besoin de rien. De dicible. Mais l’autre. Comment avoir besoin à la fin ? Mais comment ? Comment avoir besoin à la fin ? 1927

Ce morceau illustre de façon exemplaire la façon dont Beckett cherche à isoler un événement singulier – ici « l’acte d’appréhender ». Voyons ce que la densité d’un tel texte montre et dissimule.

Il procède, et ce n’est pas pour nous surprendre, par éliminations successives : par soustractions. Dans la "scène" qui le précède, le regard montrait, presque, sa capacité à saisir le mouvement d’autant mieux qu’il était proche de l’immobilité : «« Mais vivement la saisir là où elle s’y prête le mieux.[…] Toujours plus nette au fur et à mesure. Vivement vu qu’elle sort de moins en moins ». Il s’agit de voir d’autant plus vite et plus intensément qu’on est au plus près de l’immobilité. La vivacité de la vision tente alors de s’accorder avec cette proximité : « Voilà qu’elle se fige encore. C’est le moment ou jamais » de saisir cette apparition disparaissante. Mais cela n’est qu’effleuré, une telle vision aveugle, comme le mouvement immobile, est intenable : « Mais quelque chose empêche. Juste le temps de croire entrevoir un début de voilette noire.[…] Juste le temps avant que l’œil se baisse. Pour ne plus voir au soleil rasant que la neige 1928  ».

On s’interroge alors sur cette presque réussite du regard, dont le presque dit aussi l’échec : « qu’est-ce qui la défend » du regard, « même du sien » ? Au plus proche de « l’acte d’appréhender », qui serait vraiment l’événement inouï, à l’instant d’y parvenir, qu’est-ce qui finalement « fait baisser le regard » ?

C’est que deux obstacles majeurs s’opposent à cet acte. Du côté de l’objet à « appréhender », de la chose elle-même, c’est l’opacité qui est définitivement inentamable. C’est là ce que Beckett appelle « l’empêchement-objet ». Du côté de l’artiste, cette fois c’est le regard qui toujours triche : c’est « l’empêchement-œil 1929  ». Comme le langage, le voir est traître : « la tête trahit les traîtres yeux et le traître mot leurs trahisons. Seule certitude la brume 1930  ». Ainsi, dans l’acte d’appréhender, la trahison est une fusée à trois étages : 1°) les yeux trahissent ce qu’ils regardent ; 2°) la tête (le crâne) trahit la vision en interprétant ce qui a été vu ; 3°) le langage trahit ces deux trahisons par son impuissance à dire, par son arbitraire radical.

Il semble que l’impasse soit encore plus totale. Pourtant, dès 1948, Beckett avait entrevu la solution : « poursuite moins de la chose que de sa choseté, moins de l’objet que de la condition d’être[…]. Que reste-t-il de représentable si l’essence de l’objet est de se dérober à la représentation ? Il reste à représenter les conditions de cette dérobade ». L’artiste doit préférer « l’expression qu’il n’y a rien à exprimer, rien avec quoi exprimer, rien à partir de quoi exprimer, aucun pouvoir d’exprimer, aucun désir d’exprimer et en même temps la nécessité d’exprimer 1931  ». Il faut avoir l’audace d’échouer, et faire de cet échec la forme même de l’écriture : « Ce qui complique tout, c’est le besoin de faire. Comme un enfant dans la boue mais sans boue. Et pas d’enfant. Seulement le besoin 1932  ».

Tout ceci éclaire la démarche, qui a presque valeur de méthode, du texte de Mal vu mal dit. Pour atteindre au cœur de l’« acte d’appréhender », il faut d’abord essayer de « mal voir » pour contrer la trahison du regard, puis de « mal dire » pour contrer celle du langage. Il faut procéder par soustraction, encore et toujours, tant du côté de « l’empêchement-objet » que de « l’empêchement-œil ».

C’est celui-ci qui commence. « Incrimine l’acquis » : toutes les connaissances, tout ce qu’on pense être assuré est à éliminer. « Retient de deviner » : à éliminer également, tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une tentative d’explication, à une interprétation, comme toute invention de ce qu’on a raté de voir (c’est cela, « imaginer l’imagination morte »). Une fois disparus ainsi ce qu’on sait comme ce qu’on pourrait inventer, le regard ainsi mis à nu et dépouillé de tout ce qui habituellement l’encombre, on a des chances d’être au plus près de la mauvaise « appréhension » – c’est-à-dire de la bonne.

Il faut ensuite passer à l’autre empêchement, celui de « l’objet », en l’occurrence de cette vieille que l’on cherche à voir ici. Mais elle est déjà « sans défense », nous dit-on, ce qui voudrait dire qu’elle est déjà dépouillée de tous ses masques et de tout ce qui encombrait son image. Déjà à nu, « elle n’a besoin de rien », pas même d’un regard, pas même d’un langage pour la dire (« rien de dicible »). Depuis le début du livre son dépouillement a été effectué pas à pas.

Ces deux dépouillements sont maintenant face à face, l’acte d’appréhender est quasiment là, l’événement de la rencontre du regard et de l’objet est tout proche. Mais cela échoue – et c’est cet échec que dit le texte. Car si le sujet a besoin de ce contact, l’objet « n’a besoin de rien ». Le « sans défense » de la vieille est justement ce qui la défend du regard, même du sien. Ainsi la vie des regards « finit », l’une dans l’absence de besoin, l’autre dans la question : « comment avoir besoin à la fin ? »

Rarement ont été si proches une rencontre pure, un événement pur, débarrassé de toute causalité et de toute justification, de toute intégration dans une vision du monde. Et pourtant cette rencontre n’est pas faite, et c’est l’admirable réussite de ce morceau que de parvenir à dire cette absence de réussite, au plus près de son contraire 1933 . Comment parvenir ainsi à « mal voir », puisque bien voir, c’est surcharger le regard de tous les présupposés philosophiques, métaphysiques, mythiques qui l’encombrent. Et comment mal dire (« Reprendre le – comment dire ? comment mal dire ? ») ce mal voir ? L’événement, cette apparition disparaissante, requiert un impossible langage, qui dit la contradiction du mouvement et de l’immobilité par exemple : « A nouveau là. Sans que le rideau s’ouvre. Se trouve soudain ouvert. Un éclair. La soudaineté de tout ! Elle figée sans s’arrêter. En marche sans démarrer. En allée sans s’en aller. Sans revenir revenue.[…] crac ! obturée. Rien n’a bougé », et pourtant tout a bougé : « soudain plus nulle part à voir.[…] Puis tout aussi soudain là de nouveau 1934  ».

C’est ainsi que le texte de Beckett, surtout dans les œuvres dernières, ne cesse de tourner autour de l’événement, particulièrement de la rencontre, de s’en approcher au plus près, sans toutefois atteindre à son « inextinguible noyau ». Subsiste toujours un « imminimisable minime minimum 1935  ». Après les romans et nouvelles de la deuxième période, qui s’attelaient à un inlassable travail de sape, voici que, sur des terres maintenant nettoyées, apurées, ceux de la dernière période se concentrent sur de rares événements, s’en approchent au plus près, les répètent et les reprennent sous tous les angles, disent l’échec de la saisie.

C’est sans doute avec Cap au pire que Beckett pousse au plus loin l’élimination, mettant du même coup d’autant plus en avant les rares événements qui subsistent. Dans sa tension vers le pire, la logique de ce texte consiste, encore plus, dans un « parti pris de péjoration généralisée 1936  ». Et cependant cette logique du pire ne peut faire moins que de conserver cinq éléments, comme autant d’événements du « récit ». Trois figures d’abord : une vieille femme voûtée, vue de dos, d’abord dite debout, puis sa position est « minimisée » en « agenouillée » ; le couple formé par un vieil homme et un enfant, main dans la main, qui « s’en vont et jamais ne s’éloignent », ne formant qu’une seule ombre ; la tête enfin, « siège de tout, germe de tout », y compris d’elle-même, faite du crâne et des yeux, « clos écarquillés ». Ces « événements », quoique « minimisés » au « pire 1937  », ne disparaîtront jamais complètement. Du crâne, impossible à annihiler, sous peine d’effacement du texte lui-même, « suintera » toujours, « tant mal que pis encore », leurs figures : « Rien et pourtant une femme. Vieille et pourtant vieille », « Rien qui prouve un enfant et pourtant un enfant. Un homme et pourtant un homme. Vieux et pourtant vieux. Rien si ce n’est que suinte comment rien et pourtant », « crâne donc ne disparaît pas. Ce qu’il reste du crâne ne disparaît pas 1938  ».

Puis ces trois – faut-il dire objets ?, à la limite du narratif, se détachent sur une espèce de fond, presque indistinct, fait de pénombre et de vide. Mais là aussi, ce décor ne peut être complètement éliminé : le vide jamais ne rejoint le néant, « disparition du vide ne se peut », la pénombre n’est pas l’obscurité totale, « disparition de la pénombre ne se peut 1939  ».

Ces cinq éléments vont alors s’"avancer" jusqu’à « l’inaugmentable imminimisable inempirable », jusqu’à l’échec à dire le pire, point extrême auquel peut atteindre le « cap au pire ». Voilà bien l’irréconciliable paradoxe : cela, qui de la destruction subsiste, n’en prend que plus d’importance.

Limitons-nous encore à l’unique exemple des yeux, qui concentrent les deux empêchements : à la fois objet et sujet, à la fois « empêchement-œil » et « empêchement-objet ». Dans Cap au pire,Beckett procède à de successifs et systématiques amenuisements. D’abord clos, les yeux, perdant leurs paupières, sont ensuite écarquillés, puis « clos écarquillés », puis, se vidant de contempler le vide, la « position » se redouble en « yeux clos collés aux yeux clos écarquillés 1940  ». L’étape suivante est celle des orbites vides, des trous noirs : « Les yeux. Temps d’essayer d’empirer. Tant mal que pis essayer d’empirer. Plus clos. Dire écarquillés ouverts. Tout blanc et pupille. Blanc obscur. Blanc ? Non. Tout pupille. Trous noir obscur. […]Mieux que rien à ce point amélioré au pire ». Pourtant, même là, le regard des écarquillés subsiste, d’autant plus intense. N’en gardons plus qu’un alors, et le regardant se fait cyclope : « Deux trous noirs. Noir obscur.[…] Essayer mieux plus mal enchâssés dans crâne. Deux trous noirs dans l’avant crâne. Ou un. Essayer mieux plus mal encore un. Un trou noir obscur au centre avant crâne ». Mais toujours, même seul, l’écarquillé demeure (« Ainsi à défaut de pire dire l’écarquillé désormais »). Pour finir, envers et contre tous ces amenuisements, émergent encore les « trois épingles » du un (la vieille), du deux (la paire du vieil homme et de l’enfant), du trois (le crâne), et à l’intérieur de ce trois, l’œil, « trou d’épingle. Dans l’obscurissime pénombre. A des vastitudes de distance 1941  ». C’est sur ce « plus mèche encore » que s’achève le livre.

Du côté de l’empêchement-objet ont été réduites au maximum (c’est-à-dire au minimum) toutes les caractéristiques et déterminations de l’œil. Du côté de l’empêchement-œil, le regard (y compris celui de l’artiste-écrivain) a été réduit à sa plus simple expression. Mais celle-ci est alors aussi sa plus concentrée. Dans cette péjoration généralisée, le regard, bien (mal…) loin d’être diminué, prend une « imminimisable » intensité. Détaché de tout ce qui l’entravait, de tout élément narratif ou causal, l’événement de la vision est là, presque à nu, forcément « mal vu », puisqu’il s’excepte « des lois ordinaires de la visibilité 1942  ».

Le texte de Beckett parvient ainsi à une concentration extrême sur l’événement impossible qui consisterait à dire ce qui est impossible à dire : le vide, la pénombre, la tête, les yeux, et les quelques personnages fantomatiques qui errent encore dans cette absence de paysage. Paysage avec figures absentes…

Sont supprimées toutes les questions morales et psychologiques que le lecteur a, par habitude, toujours tendance à réinvestir dans le texte. Ce qui explique qu’une lecture purement "formaliste" de l’œuvre de Beckett soit possible, comme celle de Pascale Casanova, qui y voit un processus d’« abstractivation 1943  », avec cette limite inhérente au matériau qu’est le mot de sa dépendance, jamais entièrement effaçable, au référent. C’est bien « cap au pire », mais sans qu’on n’y atteigne jamais.

C’est cette tension et ce mouvement qui constituent l’événement central des "récits" de Beckett. Voilà notamment pourquoi ce « grand rythmicien », éprouve un étrange « attrait-répulsion pour la boue », fond informe, mais surtout réserve de forme 1944 dont l’écriture doit inlassablement s’arracher « pour se maintenir dans l’élémentarité du rythme », dans « l’ordre de l’émergence-résurgence, ou de l’événement-avènement 1945  ».Voilà aussi pourquoi une histoire des rythmes propres à son écriture 1946 ne saurait omettre, pour la seconde période par exemple, le travail de raréfaction qui la caractérise. L’omniprésence de la virgule est le signe le plus tangible de ce halètement qui hache le souffle de la voix narrative, en particulier dans L’innommable.

Mais « les mots » sont si « lents, lents, le sujet meurt avant d’atteindre le verbe, les mots s’arrêtent aussi 1947  ». Alors il arrivera qu’une énumération soit interrompue par un « ainsi de suite » qui la termine sans l’achever. Locution fétiche de Beckett (elle se répète à toutes les époques de son œuvre), elle sert également à indiquer que le rythme que l’énumération a déclenché n’est pas destiné à s’interrompre, se prolonge au-delà du texte écrit et lu, « comme si je marchais sur le temps, et en me disant, et ainsi de suite 1948  ». Ou bien, comme dans le texte de Mal vu mal dit, plein de revirements, de reprises, de contradictions, elle marque l’avancée propre au « mal vu mal dit » : « et si encore trop tôt repartir encore. Changer encore. Revenir encore. Sauf empêchement. Ah. ainsi de suite 1949  ». Ce "droit de suite", c’est celui de l’abstraction progressive et de l’avancée narrative qui procède par élimination et apurement, tentant d’atteindre l’« absence meilleur des biens ». Ainsi vont les séries beckettiennes, suivant une pulsation analogue au rythme cardiaque, « systole diastole au ralenti 1950  ».

Le "dire" de ces événements ne peut donc pas être considéré indépendamment des nouveaux rythmes dont il use, minimalistes et syncopés, et c’est encore plus vrai dans la dernière période, celle de la concentration et du resserrement autour des quelques événements qui, du désastre, subsistent. Les phrases se démembrent et se désyntaxisent, s’affranchissent du verbe et des articles : « Cœur battant seule debout petit corps face grise traits envahis deux bleu pâle »; ou du sujet : « Pieds centre corps rayon tombe d’un bloc comme la statue tombe de plus en plus vite l’espace d’un quadrant 1951  ». L’usage presque systématique de l’asyndète et la disparition de la ponctuation (Comment c’est) se conjuguent avec la répétition des « thèmes » et le retour incessant des mêmes mots 1952 , qui fonctionnent comme autant de points d’appui prosodiques. Ce rythme, qui a réduit au maximum ses points d’appui, « piétinement sourd » devenu murmure obsédant, voilà « ce qui permet au chaos de prendre forme 1953  » : « Puis un tel silence. Puis tout comme avant. Les coups, les cris comme avant et lui comme avant tantôt là tantôt parti tantôt là à nouveau tantôt à nouveau parti. Puis l’accalmie à nouveau 1954  ».

Prenons quelques exemples. Dans « Immobile », très court texte de 1975 où le regard, là encore, est en position centrale, Beckett fait tourner dans tous les sens une structure phrastique et sémantique basée sur quelques notions-mots : « immobile », « face à la fenêtre », « yeux fixent », « poing sur l’accoudoir », « tête sur le poing ». Toutes les possibilités combinatoires de ces cinq éléments sont explorées et épuisées. Sans qu’on "avance"? Pas tout à fait, car peu après le début, où l’attaque se concentre sur le spectacle du « personnage » et de sa pose, un véritable événement survient : « lorsque soudain en apparence tout au moins le mouvement que voici impossible à suivre plus forte raison décrire ». A partir de ce nœud, le texte s’infléchit vers la tête regardeuse. De « l’empêchement-objet » il a glissé à « l’empêchement-œil 1955  ».

Ce fonctionnement de la machine beckettienne parvient donc, au bout de son cheminement destructeur, à isoler quelques éléments, ultimes "soubresauts", normalement parfaitement insignes, anodins, rarement considérés, pour les métamorphoser en événements qui deviennent le centre même du texte. Pour finir encore[1975] démarrait déjà sur les trois éléments qui, dans Cap au pire, demeuraient, inannulables : le crâne, le vide et l’obscur. D’entrée, nous y sommes – presque : « Pour finir encore crâne seul dans le noir lieu clos front posé sur une planche pour commencer ». Ne reste qu’à effacer le lieu et la planche (« Longtemps ainsi pour commencer le temps que s’efface le lieu suivi de la planche bien après ») pour retrouver les trois éléments, enfin seuls : « Crâne donc pour finir seul dans le noir le vide sans cou ni traits seule la boîte lieu dernier dans le noir le vide 1956  ».

Pour finir ? On n’en a jamais fini. Dernier avatar rencontré sur ce chemin où Beckett nous guide, le noir se révèle ne pouvoir être que gris, pénombre couleur de cendre 1957 . Et de même que dans Mal vu mal dit la perspective s’inverse pour voir le soir comme l’aurore de la nuit, de même ici la pénombre est ce vers quoi tendent le noir et le blanc. L’entre deux, l’indistincte pénombre, acquérant une forme de positivité, tel est en définitive l’événement que le discours poursuit 1958 . S’assombrir alors, ce n’est plus aller vers le noir comme pôle négatif de la lumière, c’est au contraire se rapprocher du sombre – vers lequel le noir lui-même aspirerait de son côté : « Ou ailleurs n’importe quelle ouverture à fixer rien de dicible rien que le jour mourant jusqu’au noir total quoique en réalité bien sûr jamais rien de tel rien qu’encore moins de jour là où moins semblait impossible 1959  ».

Comme l’immobilité était asymptotique au mouvement, comme la tête était asymptotique au vide, ainsi est le sombre, asymptotique à la fois au noir et au blanc. Alors ce noir sur blanc si souvent répété, l’inscription de l’écriture sur la page blanche qui petit à petit s’amenuise et se concentre, n’est-elle pas aussi à saisir comme une tension vers le gris généralisé de l’absence de toute écriture ? C’est ainsi que la brume envahit progressivement le paysage de Mal vu mal dit, dont la noirceur initiale est lentement contrebalancée par le blanc du sol, des moutons, des murs, et même de la vieille qui, littéralement, s’éclaircit.

Enfin, après la dernière seconde, « le temps d’aspirer ce vide » terminal où il n’y a « plus miette de charogne nulle part », il est enfin permis de « connaître le bonheur 1960  » d’en avoir terminé, le bonheur de la tranquillité, le bonheur de la voix aphone, de l’écriture blanche, de la page vierge, immaculée 1961 – grise ?

Que faire, après ?La littérature s’épuiserait-elle dans cet effacement progressif ? On a souvent déploré le supposé dessèchement, l’appauvrissement romanesque auxquels aurait conduit la conjonction du « Nouveau Roman » (mais qu’est-il donc, à part des noms d’écrivains qui posent sur une photo devant leur maison d’édition ?) et du "terrorisme" structuraliste. J’ai essayé de montrer que les apurements conduits de manière exemplaire par Nathalie Sarraute et Samuel Beckett ont sans doute permis de porter une attention, jusque là inégalée dans la fiction romanesque, à l’événement. Désincarnées, ces œuvres ? Il me semble au contraire que peu se sont autant attachées à dire la condition catastrophique de l’homme du XXe siècle, peu se sont autant approchées du noyau destructeur de l’homme moderne…

Notes
1920.

Les erreurs du copiste[1997], trad. de l’allemand par C. Kowalski, Gallimard, 2001, p. 186.

1921.

L’expression est de Badiou : « En finir avec l’alternance de l’être neutre et de la réflexion vaine était nécessaire à Beckett pour sortir de la crise.[…]Il fallait pour cela trouver quelques tiers termes, ni réductibles au lieu de l’être, ni identiques au ressassement de la voix.[…] D’où, à partir de Comment c’est[1961], l’importance grandissante de l’événement (qui s’ajoute à la pénombre de l’être) et de la voix de l’autre (qui interrompt le solipsisme) » (Beckett, l’increvable désir, Op. Cit., pp. 38-39).

1922.

Imagination morte imaginez, in Têtes-mortes, pp. 56-57. Pour finir encore, pp. 14-15.

1923.

Comment c’est, p. 162.

1924.

Ce désir de contact est certainement, cette fois comme chez Nathalie Sarraute, une autre clé de l’œuvre de Beckett, dont Compagnie[1980] (« peu à peu dans son cœur d’écroulé le besoin de compagnie renaît », p. 76) fournit une autre vision particulièrement frappante. Désir qui n’est pas nouveau : il est déjà présent dans Murphy, davantage encore dans Watt (qui est le "verlan" de Toi… Beckett, rappeur avant l’heure ? L’écriture des derniers textes ne rend pas l’idée si ridicule…).

1925.

Du théâtre de Beckett, Clément écrit que, contrairement à la scène classique où le « coup de théâtre est précisément cet événement inattendu qui fait rebondir l’action ou lui donne son sens définitif […], ce qui compte dans l’événement beckettien, ce n’est pas sa nature, c’est qu’il ait lieu, c’est que, dans une chaîne longue et privée de direction, il en suive et en précède un autre, qui n’importera ni plus ni moins que lui .[…] c’est peu de dire que dans le théâtre de Samuel Beckett c’est la parole qui fait événement » (pp. 332 et 336).

1926.

Comment c’est, passim. Les expressions sont particulièrement répétitives dans Comment c’est, où l’épanorthose est à son comble.

1927.

Mal vu mal dit, Minuit, 1981, p. 19.

1928.

Ibid., p. 18.

1929.

« Peintres de l’empêchement »[1948], in Le monde et le pantalon, Op. Cit., p. 57.

1930.

Mal vu mal dit, p. 63.

1931.

« Les peintres de l’empêchement », pp. 56-57. Trois dialogues[1949], trad. de l’anglais par E. Fournier, Minuit, 2002, p. 14.

1932.

Rapporté par L. Harvey, Op. Cit., p. 248, cité et traduit par Casanova, Beckett l’abstracteur, Op. Cit., p. 134.

1933.

Badiou commente un autre passage de Mal vu mal dit (p. 70) : « Pendant l’inspection, soudain un bruit. Faisant sans que celle-là s’interrompe que l’esprit se réveille. Comment l’expliquer ? Et sans aller jusque-là comment le dire ? Loin en arrière de l’œil la quête s’engage. Pendant que l’événement pâlit. Quel qu’il fût. Mais voilà qu’à la rescousse soudain il se renouvelle. Du coup le nom peu commun de croulement. Renforcé peu après sinon affaibli par l’inusuel languide. Un croulement languide. Deux. Loin de l’œil tout à sa torture toujours une lueur d’espoir. Par la grâce de ces modestes débuts ». Badiou note les étapes du « mouvement du "mal vu mal dit" » dans ce passage : 1°) situation de départ : l’inspection, le "bien voir" « qui s’épuise à considérer ce qu’il y a, le séjour neutre de l’être ». 2°) l’événement (le bruit). 3°) « L’esprit se réveille »: « Confirmation de ce que la pensée n’est diurne et vigilante que sous l’effet d’un événement ». 4°) La question du sens (« comment l’expliquer ? »), aussitôt effacée et remplacée par celle du nom : « Comment le dire ? ». 5°) Double invention du nom, sous forme d’une « composition poétique (un mal dit), une surprise dans la langue », par l’association contradictoire « croulement languide ». 6°) L’accord alors produit « une lueur d’espoir », qui s’oppose « à la torture de l’inspection », espoir d’une vérité qui « commence par l’accord ordonné entre un événement séparable, "brillant de clarté formelle", et l’invention dans la langue d’un nom qui désormais le détient même si, comme c’est inévitable, l’événement "pâlit" et finalement disparaît. Le nom en assurera, dans la langue, la garde » (Beckett, l’increvable désir, Op. Cit., pp. 44-45). Mais si "réussite" il y a dans ce passage, elle est unique dans Mal vu mal dit. Le "mal dit" ne peut qu’être très généralement échec… Voir ce conseil de Beckett à Robert Pinget : « Accrochez-vous à votre désespoir et chantez-nous ça », (« Notre ami Sam », Critique n° 519-520, Op. Cit., p. 640)

1934.

Mal vu mal dit, pp. 20 et 23.

1935.

Cap au pire[1982], trad. de l’anglais par E. Fournier, Minuit, 1991, p. 10.

1936.

Casanova, Op. Cit., p. 18.Cet « empirement » commence ici par remplacer les mots « bien », bon », « mieux », « beau » des expressions toutes faites par leur contraire (« tant bien que mal » devient « tant mal que mal », « faire bien l’affaire » devient « faire mal l’affaire », etc.).

1937.

Ils seront rapidement remplacés par un simple numéro : « désormais un pour l’agenouillé. Comme désormais deux pour la paire.[…] Comme désormais trois pour la tête » (Cap au pire, p. 24).

1938.

Ibid., pp. 60, 59, 61.

1939.

Ibid., pp. 22 et 33. « Le moindre jamais ne peut être néant. Jamais au néant ne peut être ramené. Jamais par le néant annulé. Inannulable moindre. Dire ce meilleur pire. A défaut du bien pis que pire. L’imminimisable moindre meilleur pire ». Puis : « Peste soit du vide. Inaugmentable imminimisable inempirable sempiternel presque vide » (Ibid., pp. 41 et 56). « Pénombre inobscurcie. Ou obscurcie à plus obscur encore. A l’obscurissime pénombre. Le moindrissime dans l’obscurissime pénombre. L’ultime pénombre. Le moindrissime dans l’obscurissime pénombre. L’ultime pénombre. Le moindrissime dans l’ultime pénombre. Pire inempirable » (Ibid., p. 43).

1940.

Voir Compagnie : « Il y a bien sûr l’œil. Remplissant tout le champ. Le voile qui lentement se baisse. Ou se relève si baissé au départ. Le globe. Rien que prunelle. Ecarquillée à la verticale. Voilée. Dénudée. Voilée à nouveau. Dénudée à nouveau » (p. 26).

1941.

Cap au pire, pp. 12, 21-22, 27-28, 34-35, 58, 62.

1942.

Badiou, Beckett, l’increvable désir, Op. Cit., p. 43 : « la brillance formelle de l’incident, du "ce qui arrive", par la surprise qu’elle impose, déjoue le voir et le bien voir ».

1943.

Il s’agit d’« un travail vers la forme autonome, autoengendrée par la matrice mathématique et atteignant à une sorte de pureté abstractive.[…] l’image littéraire abstraite[…] n’existe que dans le mouvement de sa dissolution même, dans le retrait progressif du sens des mots. La péjoration n’est pas une intention ou une posture philosophique ou métaphysique, c’est un moyen, propre au langage, pour atteindre à l’abstraction » (Casanova, Beckett l’abstracteur, Op. Cit., pp. 166-167).

1944.

Plusieurs déclarations de Beckett concernant la forme sont significatives : « Il y aura une forme nouvelle[…]. C’est pourquoi la forme elle-même devient une préoccupation ; parce qu’elle existe en tant que problème indépendant de la matière qu’elle accommode. Trouver une forme qui accommode le désordre, telle est aujourd’hui la tâche de l’artiste » (à Tom F. Driver, « Beckett by the Madeleine », Columbia University Forum, 1961, p. 23. Cité par Casanova, Beckett l’abstracteur, Op. Cit., p. 137). « Je n’ai lu Kafka qu’en allemand excepté pour quelques œuvres en français et en anglais… Il semble être tout le temps menacé, mais l’épouvante est dans la forme. Dans mon œuvre, il y a épouvante derrière la forme, non dans la forme ». (à I. Shenker, cité par F. Saint-Martin, Samuel Beckett et l’univers de la fiction, Op. Cit., p. 215).

1945.

Lucien DÄLLENBACH, Claude Simon, Seuil, « Les Contemporains », 1988, pp. 98. Voilà aussi pourquoi Beckett insiste sur la « géométrie musicale » (la formules est de Roger BLIN, in Samuel Beckett, Hors Série de la Revue d’esthétique, Toulouse, Privat, 1986, p. 164) et le rythme dans la représentation théâtrale. Quand il dirige une mise en scène, dit Delphine Seyrig, « il est comme un chef d’orchestre, il bat la mesure.[…] Quand on travaille avec Beckett on se prend à regretter de ne pas avoir cette éducation presque musicale. C’est un travail concret qui ne relève pas de l’interprétation » (interrogée par Pierre Chabert, Ibid., pp. 344-345). Concret ? L’actrice précise : « Ce qui est musical est abstrait peut-être pour les auditeurs, mais pour les musiciens, la musique est un travail concret, physique. Lorsqu’on nous dit : voilà il faut que ça fasse Pam Pam Pam Pam, c’est concret, la psychologie, les états d’âme, les émotions, pour moi, c’est la partie abstraite de la musique et du théâtre de Beckett. Sam n’essaie pas d’expliquer ce que la pièce veut dire, la partie invisible de la pièce, il dit qu’il faut faire cela et cela, il faut le faire avec son corps, sa voix, ses lèvres ».

1946.

La relation à la musique serait un point d’appui pour une telle histoire. Dès le Proust, Beckett marque son attrait pour cet art, « pur de toute hypothèse téléologique » (p. 105), détaché donc de toute tentative d’interprétation, car l’objet y « est pur de toute causalité » (p. 103). Et on sait que le dernier Beckett a collaboré avec de nombreux compositeurs (Marcel Mihalovici, Philip Glass, John Beckett).

1947.

Textes pour rien, p. 139.

1948.

Ibid., p. 178. Autre exemple, dans Watt, c’est la liste des anciens serviteurs de Monsieur Knott qui s’achève ainsi : « … et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute trace soit perdue, en raison de la brièveté de la mémoire humaine » (p. 61).

1949.

Mal vu mal dit, p. 65. Ou, p. 74 : « Absence meilleure des biens[…] Et si par malheur encore repartir pour toujours encore. Ainsi de suite ».

1950.

Ibid., p. 39. Voir sur ce thème Danièle de RUYTER-TOGNOTTI, « Mise en image, mise en texte dans Mal vu mal dit », in Samuel Beckett Today/Aujourd’hui 1, Op. Cit., pp. 58-68.

1951.

Sans[1969], in Têtes-mortes, p. 75. Pour finir encore, p. 14. Ce n’est plus la virgule qui marque la mesure, ce sont les points.

1952.

 L’article de Didier ANZIEU, « Le théâtre d’Echo dans les récits de Beckett » (in Samuel Beckett, Revue d’esthétique, Op. Cit., pp. 39-43), qui oppose le tragique théâtral de la figure d’Œdipe à celle d’Echo, propose des perspectives intéressantes sur le thème de la répétition chez Beckett.

1953.

Gavard-Perret, L’imaginaire paradoxal, Op. Cit., p. 226.

1954.

Soubresauts, Minuit, 1989, p. 15. Gavard-Perret écrit: « Par des séries répétitives, des cassures successives, en des textes où l’absence de verbe entraîne une sorte de mouvement d’inertie, Beckett suggère la précarité de la vie et de l’être à travers un murmure qui suggère, lui-même, la précarité du son dans une sorte de piétinement sourd. » (L’imaginaire paradoxal, Op. Cit., p. 227). Pour Beckett, la musique « donne un tempo à l’ultime exténuation. Elle est ce qui surgit des mots et des images lorsque les mots ne peuvent plus parler, lorsque les images ne peuvent plus montrer » (p. 228). « Dans les derniers textes de Beckett, comme dans les pièces visuelles, la question du rythme prend d’ailleurs de plus en plus d’importance. Elle devient le point de référence de son imaginaire » (p. 229).

1955.

Pour finir encore et autres foirades, pp. 19-24. Le texte se termine sur l’espoir d’un nouvel événement qui pourrait surgir, celui d’un son (p. 24). Après un mouvement (vers le regard), on attend un son… Compagnie pourrait également être analysé de la même façon, en montrant que ce « récit » est centré sur la question du son de cette voix qui « parvient à quelqu’un sur le dos dans le noir » (p. 7).

1956.

Pour finir encore, pp. 9 et 16.

1957.

Plutôt que de tonalité, il faudrait parler là de valeur, pour employer le langage de la peinture. La première définit les modulations de la couleur (les rapports basés sur les relations et oppositions des couleurs lorsqu’on les rapproche). La seconde définit les contrastes de luminosité, sur une gamme allant du noir au blanc (voir par exemple Deleuze, Logique de la sensation, Op. Cit., pp. 84-85).

1958.

Dès Watt, cette quête de la pénombre était déjà entamée : « A vrai dire ciel et désert étaient de la même couleur sombre, ce qui n’a rien d’étonnant. Watt lui aussi, comme de juste, était de la même couleur sombre. Cette couleur sombre était si sombre que sa couleur ne se laissait pas identifier avec certitude. Par moments on aurait dit une sombre absence de couleurs, ou un sombre mélange de toutes les couleurs, un blanc sombre » (p. 262).

1959.

« Immobile », Pour finir encore, p. 22. Selon Jean-Pol MADOU, « Nulle part dans l’univers beckettien le noir ne s’oppose au blanc. Dans le vide de la nuit beckettienne la noirceur lumineuse d’une voix affamée de silence (Compagnie) ne diffère peut-être en rien de cette hémorragie de blancheur qui, se répandant sur la caillasse, envahit le regard aveugle en mal d’images (Mal vu mal dit), comme si le blanc où l’image s’efface répondait au noir où la voix s’éteint. Chez Beckett tout s’articule comme dans un oxymore. Le noir de la lumière ne se distingue en rien du blanc sombre, et les yeux fermés n’en demeurent pas moins écarquillés dans la nuit » (« La voix et la lumière », in Samuel Beckett Today/Aujourd’hui 1, Op. Cit., pp. 50-57. P. 51).

1960.

Mal vu mal dit, p. 76.

1961.

« Lorsque j’ai rencontré Beckett pour la première fois, il y a vingt-cinq ans, il me dit, moitié par plaisanterie, qu’il s’efforçait de devenir de plus en plus concis, de plus en plus précis dans sa façon d’écrire : en sorte que peut-être ne produirait-il enfin qu’une page blanche » (Témoignage de Martin ESSLIN, « Une poétique d’images mouvantes », in Revue d’Esthétique, Op. Cit., p. 403). Voir Robert PINGET (L’apocryphe, Minuit, 1980, pp. 174-175) : « plus rien dans le livre, pages blanches, comme si l’enfance à peine évoquée avait fait table rase, ignorante des artifices du discours ».