L’événement originaire et le rythme

Nous entrons enfin dans un tel présent, toujours en train de se faire et de se créer, avec le sujet qui le porte à l’écriture, avec le sujet qui en prend connaissance par la lecture.

Henri Michaux observe des dessins d’enfants, leurs « larges cercles maladroits, emmêlés,/ incessamment repris/ encore, encore/ comme on joue à la toupie » : rythmes premiers (« Au commencement est la répétition »), où « le petit d’homme va faire s’accomplir des tours, de façon à en voir, à en retenir la trace. Mais plus que les traces, le geste compte, l’acte, le "faire" du cercle 2135  ». Tel serait la caractéristique essentielle d’un événement « originaire », saisi dans son « origine » : c’est par sa rythmicité qu’il crée de la forme à partir de l’informe.

Jean-Paul Goux, à partir du couple tension-détente (pulsation) qui définit l’essentiel de cette rythmicité, trouve dans le concept freudien de pulsion, un fondement pour l’analyse du continu de l’œuvre littéraire : cette « pression permanente qu’exerce la relance perpétuelle du désir impliquée par son éternelle frustration […] semble bien permettre d’appréhender les processus énergétiques et temporels dans l’œuvre littéraire 2136  ». C’est dans une telle dynamique, qui ne se réduit plus à l’attente d’une fin, que s’intègre l’événement romanesque chez ces écrivains qui ont renoncé à l’idée d’une progression narrative. Son lieu, c’est celui de la tension, du désir 2137 – à condition de ne pas voir dans la détente celle d’une fin plus ou moins attendue, mais plutôt d’une clausule, « terminaison non conclusive 2138  » qui est à chaque fois le point de départ d’une nouvelle attente. Le recours face au chaos du monde et de sa perception se trouve dans une rythmicité de l’écriture qui, d’une certaine façon, organise elle-aussi le chaos. Elle engendre un suspens qui sera la façon de "tenir en haleine" le lecteur. Celui-ci va dès lors se mettre à chercher ce battement, ce tempo, toujours en péril, toujours à rebâtir : «Cela nous submerge. Nous l’organisons. Cela tombe en morceaux. Nous l’organisons de nouveau et tombons nous-mêmes en morceaux 2139  ».

Le rythme, « l’ordonnance du mouvement » selon la fameuse définition platonicienne (Lois, 665a), a donc pour principe « la cadence dynamique d’une tension et d’une détente, l’arsis et la thesis, l’élan et le posé 2140  ». En ce sens il est une énergie, et une énergie productrice du réel. Nos écrivains ne nous fournissent pas une représentation d’un monde clos et achevé préexistant à l’œuvre, mais l’événement d’une forme en train de naître par cette dynamique du rythme, repérable 2141 aux multiples niveaux possibles de sa mise en œuvre : sonorités et accents, comme dans la poésie, mots qui reviennent et se répètent dans des contextes multiples et différents (Simon, Faulkner, Beckett, Nathalie Sarraute, le Broch de La mort de Virgile, la Virginia Woolf des Vagues), points de vue diversifiés et se répondant en échos (Simon, Joyce, Musil), thèmes qui font retour, à chaque fois dans un registre différent (de discours chez Simon, Joyce, Proust ; de moments dans une presque histoire chez Kafka et Sarraute 2142 ), au niveau syntaxique enfin, notamment par ces constructions de phrases en un balancement presque oratoire, ces longues cataphores de Proust, de Simon et de Faulkner, ou celles, très courtes, de Kafka ou de Beckett. L’événement qui s’intègre dans ce fonctionnement n’est plus l’événement narratif "classique", chargé de "relancer" l’intrigue : pour rester dans le schéma arsis-thesis, on dira avec Jean-Paul Goux qu’« il peut y avoir détente sans qu’un "événement" à caractère narratif ait créé la tension ». Un tel « effet de retardement », un tel suspens, est un des « motifs moteurs qui assurent l’allant du roman », à condition, donc, de ne plus limiter «la notion d’action, ou plus précisément d’événement, aux seules valeurs qu’elle possède dans le récit 2143  » "classique".

C’est donc dans sa rythmicité propre que l’écrivain construit son œuvre – et lui-même en tant qu’individu créateur. Lors de son discoursde réception du prix Nobel, la romancière américaine Toni Morrison a eu cette formule : « Le récit est radical en ce qu’il nous crée au moment où il est créé ». Le processus créatif est en même temps construction de son propre sujet, et de son temps et de son espace propres 2144 . C’est ce que nous ont fait comprendre les écrivains que nous avons étudiés : cherchant à dépasser la figure de l’après-coup qui habituellement définit le récit (un événement se produit, que le récit prend en charge pour en dégager les tenants : les causes, et les aboutissants : les conséquences), ils ont voulu toucher à cet insécable instant où l’événement surgit dans toute sa brutalité, c’est-à-dire dans son imprévisibilité comme son inconséquence. Répondant au désir de Melville, qui était de rétablir le contact perdu entre la langue et le monde, ils ont voulu "remonter" à l’origine du langage, à cette source hypothétique où les mots et les choses n’étaient pas encore disjoints 2145 . Ils ont voulu découvrir et faire découvrir ces « moments of being » où sensation présente et sensation passée se mettent à vibrer de concert, où même les mots ne sont pas encore séparés les uns des autres, comme dans l’épanorthose de Beckett, l’antanaclase et la paronomase de Sarraute, les oxymores de Broch. C’est là, proprement, ce qui fait leur style 2146 .

Celui de Joyce, par exemple : « Et alors le geste, non la musique ni les odeurs, serait la langue universelle, le don des langues rendant visible non pas le sens courant mais la première entéléchie, le rythme fondamental 2147  ». Voilà bien résumé l’essentiel du projet de l’écrivain irlandais, qui « travaille selon des lois phonétiques précises, celles qui règnent dans les langues et président à leur évolution […]. Ainsi la soumission aux phénomènes du langage doit lui garantir la vérité de sa connaissance et de sa représentation des événements. – La seule différence, déclare-t-il, c’est que, à l’imitation du rêve, j’opère en quelques minutes ce qu’il a fallu des siècles pour produire 2148  ».

Ou celui de Proust, qui cherche l’événement créateur du temps par le chemin de la mémoire, à la fois tributaire de l’incommensurable intervalle entre le passé et le présent, intervalle autour duquel ne cesse de tourner la phrase proustienne et ses incises, ses détours et retours, – et supprimant cet intervalle. C’est dans cette tension que se tient le sujet, ce narrateur-écrivain qui, dans Le Temps Retrouvé, en même temps qu’il perçoit avec acuité les ravages provoqués par le flux du temps sur tous les personnages du "dîner de têtes", décide de construire une nouvelle réalité, d’écrire sur le mode fictionnel ce monde qu’il a observé, qu’il observe. En transposant le monde dans l’ordre de la fiction en train de se constituer dans le temps même où elle s’écrit, il le rend intemporel, sans lui retirer son aspect passé. Les métaphores proustiennes réinventent un monde. Comme les grandes œuvres des camps, elles sont proprement visionnaires : elles disent le passé révolu et le réinventent dans le présent de l’œuvre entreprise par le narrateur 2149 : « le fait de peu est saisi dans son étrangeté et arraché à la banalité pour accéder à un événementiel tout à fait spécifique. Dès ce moment, le surprenant peut emprunter deux voies : soit il porte le contingent à l’incandescence du poétique, soit, et plus souvent, il le ramène à une nécessité sournoise, celle d’un sens caché, d’un inconscient 2150  ».

Style de Faulkner encore. Le poids incommensurable de l’événement originel (mythologique : la destinée biblique de tous les personnages ; mythologisé : la guerre de Sécession ; ontogénique : l’acte sexuel, toujours entaché d’une malédiction immémoriale) écrase ses personnages. Ces événements originaires, toujours différés d’être originaires, engendrent un temps plus cumulatif que successif, d’autant plus lourd qu’il est davantage cardinal qu’ordinal. L’interprétation de ces événements, elle aussi toujours différée, toujours à redresser, rajoute le poids de ses erreurs à une narration toute entière tendue dans la quête de cette impossible origine : « L’écriture faulknerienne procède de ces trois éléments : une vérité cachée (antérieure, primordiale, par exemple l’impossible de la fondation du comté) qui régit la description du réel ; cette description elle-même, qui ne peut être que visionnaire […] ; enfin, l’assurance inquiète de ce que le secret de cette vérité à aucun moment ne s’avouera », écrit encore Edouard Glissant 2151 .

Kafka se tient, lui aussi, dans l’instant inaugural de l’événement, là où il est encore sans pourquoi, dans son posse, à la façon de Bartleby. Vers ce commencement à la position intenable, sorte de nowhere entendu à la fois comme hic et nunc (now-here)et comme nulle part (no-where), à l’incompréhensibilité majeure dès lors qu’on ne sait pas ce que ce commencement inaugure, il conduit ses héros et ses lecteurs. Tout au long de ses écrits intimes (Journal, Lettres) il ressasse cette vocation qui ne saurait avoir de fin, tout comme celle de Musil, et qui le tue (tout comme elle le fait, littéralement, pour Virginia Woolf) : «L’effort de Kafka est sans fin, comme sa passion est sans espoir – avec cette réserve que l’absence d’espoir devient parfois l’espoir le plus tenace, mais l’impossibilité de jamais finir n’est que l’impossibilité de continuer 2152  ».

S’écrivant constamment à partir de cette impossibilité, l’œuvre de Kafka a su, de la manière la plus forte, rendre compte de la condition catastrophique de l’homme moderne – tout comme, chacun à leur manière, les écrivains que nous avons croisés. Loin de conduire la littérature à un supposé appauvrissement, ils se sont penchés sur ce qui constitue le cœur de l’expérience de l’individu du XXe siècle : le constat qu’aucune culture ne saurait mettre à l’abri de la barbarie (Musil), et qu’il convenait en conséquence de tout reprendre, à la lettre, à zéro : là où commencent véritablement les choses, les événements, le langage lui-même.

Une telle quête de ces rythmes "premiers" donne à l’œuvre de tous ces écrivains toute sa qualité d’incertitude. Car cette pulsation originaire, cette scansion débutante dont ils sont les inventeurs, effacée aussitôt qu’atteinte, si fragile et évanescente, ne peut "exister" que dans la plus extrême tension. Claude Romano, cherchant à dire ce trait de l’événement, saisi dans le chancellement de son apparition disparaissante où se conjuguent ses dimensions passée, présente et à venir, où il (n’)est (que) rythme, parle de lui comme d’un « avoir-eu-lieu-comme-avenir-se-présentant ». Comme « commencement absolu dans son absolue nouveauté », il est alors à la racine du temps et de la constitution du sujet en tant qu’«advenant qui répond à l’épreuve de ce qui lui advient 2153  ». C’est cette réponse qui est si difficile, on le comprend, dans l’épreuve des camps, mais c’est pourtant celle que parviennent à donner les grands écrivains de celle-ci.

« Jusqu’alors, la littérature n’avait jamais mis en doute le sens des choses. Cela veut dire, dans ce cas, la totalité de ce qui nous entoure, un événement aussi bien qu’un objet », dit Roland Barthes dan un entretien 2154 . C’est la grandeur de nos écrivains que de se risquer à cette mise en doute, et de commencer à écrire à partir d’elle. Rejoignant les recherches de la poésie qui lui est contemporaine 2155 , l’écriture de la fiction devient ainsi une activité génétique : il s’agit de créer un monde, un sujet, le temps lui-même 2156 . Selon une formulation de Deleuze, «l’événement n’est [plus] ce qui arrive (accident), il est dans ce qui arrive le pur exprimé qui nous fait signe et nous attend 2157  ». Ainsi l’attente romanesque n’est plus « attente de la conclusion ou de la fin de l’événement, des faits, […]elle n’est donc pas a priori narrative, mais expérience fondamentale du temps, expérience du temps en action 2158  ».

***

A la fin de son essai sur les Théories du symbole, qui étudiait en particulier le passage de la position classique (croyant à « l’essence éternelle et immuable des choses et des concepts, et alors le système domine l’histoire ») à la position romantique (postulant que « les changements sont irréversibles, les différences irréductibles : l’histoire domine le système, et on renonce au cadre conceptuel unique »), Tzvetan Todorov s’interrogeait sur son propre travail : avait-il écrit un « traité » (classique) ou une « histoire » (romantique) ? Il concluait que la possibilité même de pouvoir décrire la position romantique faisait qu’on était peut-être sorti de l’alternative, qu’« une position tierce » était probablement en train de naître 2159 .

A mon tour et à ma place, je m’interroge. Décrivant le passage d’une fiction "classique" à une fiction "moderne", ai-je écrit un "traité", auquel cas j’aurais construit un récit centré sur l’événement majeur de ce changement de paradigme où continu et discontinu changent de nature, repérant les causes et les conséquences de ce bouleversement – de cette catastrophe au sens cuviériste ? N’aurais-je pas à mon tour construit la fiction d’un roman "classique" pour mieux montrer que c’est celui-ci qui a été remis en cause ? Car ce roman "classique", qu’est-il donc : "réaliste", "balzacien", "feuilleton", "naturaliste" (malgré ses pudeurs et ses scrupules), "d’aventures" ?

Oui sans doute, tout cela – donc rien de tout cela. Chacun en contient une part – il n’est jamais tout entier dans aucune de ces catégories et genres. Le roman "classique" "idéal", qui vérifierait et contiendrait tous les caractères que je lui ai trouvés, est sans doute précisément introuvable. Il n’est qu’une « tradition inventée », construite pour mieux s’y opposer. Je rappelle ce qu’ont écrit Ilya Prigogyne et Isabelle Stengers : « On parle beaucoup de science classique. Le qualificatif revêt quelquefois un sens précis. Le plus souvent, il sert les fins d’une stratégie d’opposition. Classique, craignons-le, évoque pour les dévots l’idée d’un "avant". Avant la rupture 2160  ». J’ai essayé d’être autre chose qu’un de ces dévots.

Mais alors, ne croyant pas à une essence éternelle du récit et du roman, aurais-je au contraire écrit une "histoire"? Pour répondre à cette attaque de flanc, je reviens à la proposition initiale de la narratologie contemporaine, « qu’il est possible d’analyser un récit comme une (grande) phrase ». Or Jacques Bres, qui, on l’a vu, souscrit à cette proposition, fait ce constat :« Remarquons que la littérature moderne, peut-être depuis Joyce et Proust (mais peut-être aussi depuis Flaubert qui voulait faire un récit sur rien) s’attache à faire reculer les frontières de l’"intéressant". Chez Beckett, les actes des actants deviennent de roman en roman de plus en plus ténus, jusqu’à se réduire à l’acte de parole : le seul faire qui soit encore possible au héros est celui de parler 2161  ». Que font en effet les trois écrivains cités, mais aussi Nathalie Sarraute, et Virginia Woolf, et Claude Simon, etc., sinon s’attaquer à cette structure traditionnelle du récit à partir des éléments phrastiques eux-mêmes, les décortiquant, les disloquant, les subvertissant jusqu’à l’extrême limite de la lisibilité parfois, rendant même celle-ci intéressante, en faisant l’événement de leur "récit" ?

Ainsi ont-ils sans doute inventé une autre forme de "récit", auquel la définition "classique", que beaucoup continuent à croire immuable, ne convient plus. Et le fait qu’on commence à pouvoir analyser cette autre forme, comme j’ai tenté de le faire, suggère qu’on est peut-être entré dans une troisième ère, pluraliste, où les moyens de la fiction "classique" peuvent se conjuguer à ceux proposés par les romanciers que nous avons étudiés – où serait dépassée l’alternative entre un traité ou une histoire de ces questions.

Mais ceci est peut-être, sans doute, une autre "histoire".

Notes
2135.

Les Commencements, Montpellier, Fata Morgana, 1983, pp. 8-9.

2136.

La fabrique du continu, Op. cit., pp. 78-80.

2137.

« C’est le désir, l’éros, qui fait le poème : désir fait parole, donc accompli, mais seulement en désir », écrit Roger MUNIER à propos de René Char (« Du Commencement », René Char, Cahiers de l’Herne, 1971, p. 56).

2138.

Ricœur, Temps et Récit, II, Op. Cit., p. 44.

2139.

Rainer-Maria RILKE, cité par Claude Simon (Histoire, Op. Cit., p. 7).

2140.

Goux, La fabrique du continu, Op. Cit., p. 90.

2141.

Ce n’est pas le rythme qu’on peut "toucher", c’est la dynamique qui de lui naît : « Ce n’est pas le rythme qui est visible dans la forme, c’est tout au contraire le rythme qui rend la forme visible. Le rythme ne se voit pas, il est l’énergie qui rend la forme perceptible dans le temps : si on ne voit pas un rythme, on en perçoit l’énergie » (Goux, Ibid., p. 101). De plus, le rythme ne se limite pas à la prosodie, à un simple décompte syllabique, mais il est partout dans le discours, et au fondement même de la « signifiance ». C’est la thèse centrale de Meschonnic : « Je définis le rythme dans le langage comme l’organisation des marques par lesquelles les signifiants[…] produisent une sémantique spécifique, distincte du sens lexical, et que j’appelle la signifiance.[…]. Ces marques peuvent se situer à tous les « niveaux » du langage : accentuelles, prosodiques, lexicales, syntaxiques » (Critique du rythme, Op. Cit., pp. 216-217).

2142.

« Le plaisir enfantin d’écouter des histoires tient aussi à l’attente de ce qui se répète : situations, énoncés, formules. De même que les rimes scandent le rythme des poèmes et des chansons, de même existent dans les récits en prose des événements qui riment entre eux », écrit Italo CALVINO (Leçons Américaines[1988], trad. de l’italien par Y. Hersant, Gallimard, 1989, p. 67). Ces remarques, assez générales (elles rappellent ceci, déjà cité, de Stevenson : « Tel événement doit se dérouler dans tel endroit, tel autre événement doit suivre nécessairement, et non seulement les personnages doivent parler à propos, penser avec naturel, mais tous les événements qui composent le récit doivent s’y répondre comme des notes de musique », Essais sur l’art de la fiction, Op. Cit., p. 205), s’appliquent aussi bien à la fiction "classique" qu’à celles de Kafka ou même de Sarraute. Le rythme est bien une notion essentielle du récit.

2143.

Goux, La fabrique du continu, Op. Cit., p. 111.

2144.

La définition est beaucoup plus large que celle qu’on peut tirer du geste autobiographique, au moins depuis Montaigne. Philosophes, anthropologues, poéticiens, nombreux sont ceux qui ont cherché à caractériser ce qui, dans une telle écriture, se produit. Parlant du rythme poétique, Max LOREAU écrit qu’il est « d’un trait genèse de soi, du verbe et de tout ce qui vient au jour » (En quête d’un autre commencement, Bruxelles, Lebeer Hossmann, 1985, p. 110). Autre formule, de Meschonnic : « Pour la poétique le rythme est l’activité d’un texte par laquelle un mode de signifier découvre un mode du sujet » (Critique du rythme, Op. Cit., p. 674). Leroi-Gourhan enfin, le grand préhistorien, analysant les marques répétitives qu’on trouve dans certaines grottes, voit dans ces signes les premières « écritures », dont « Les rythmes sont créateurs de l’espace et du temps, du moins pour le sujet ; espace et temps n’existent comme vécus que dans la mesure où ils sont matérialisés dans une enveloppe rythmique » (La mémoire et les rythmes, Op. Cit., p. 135).

2145.

J’ai, par nécessité, limité l’étude à quelques écrivains. Jacques ANCET dresse cette liste : « De Flaubert à Duras, Sarraute à Simon, en passant par Dostoïevski, Proust, Kafka, Joyce, V. Woolf, Faulkner, Lowry, Beckett, Onetti, Rulfo, Marquez et bien d’autres, qu’a fait le roman sinon explorer les voies qui lui permettaient, tout en racontant et donc en faisant durer le plaisir, de traverser la narration vers "cette source du temps" où ne brille plus que la lumière du présent ? » (Jacques ANCET, « La Voix et le Passage », Le Nouveau Recueil, n° 35, juin-août 1995, Champ Vallon, p. 126. Cité par Goux, Op. Cit., p. 47). Et bien d’autres, ajoute-t-il, comme, pour moi ici, Musil, Pynchon, Broch et Sarraute. J’aurais pu encore poursuivre, avec Gombrowicz, Mann, Grass, Gadda, Calvino, Calasso, Butor, Cortazar, Des Forêts, Perec, Queneau, Lins, Durrell, Lowry, Noteboom, Novarina... la liste ne sera, je l’espère, évidemment jamais close.

2146.

Voir l’important article de David MARIE, « Pour une rythmesthétique » (Les écrivains et la musique, N.R.F. n° 462-463, juillet-août 1991, pp. 188-198). Marie, qui étudie en particulier l’imbrication de l’ « écart » et du « retour » dans le rythme, écrit notamment que celui-ci « est la fréquence de l’instant étale. Lui seul permet de transformer une sensation esthétique instantanée en une sensation esthétique durable : il constitue l’essence du style.[…] l’art moderne donne un rythme à la pure sensation instantanée. En la rythmant, il lui donne une substance ; comme retour, il lui permet de se nier comme instant, de s’épaissir – comme écart, il lui permet de créer du nouveau » (pp. 190-192).

2147.

Ulysse, Op. Cit., p. 488. C’est Stephen qui parle.

2148.

J. Mercanton, Les Heures de James Joyce, op. cit., p. 43.

2149.

Le narrateur est ce «visionnaire qui assure la constitution de cette nouvelle réalité », de cette «fiction en train de se réaliser » (Anne PETITIER, «Le Roman Guermantes », in La Scène Primitive et Quelques Autres, Nouvelle Revue de Psychanalyse n° 46, Gallimard, Automne 1992, p. 218).

2150.

Dubois, Pour Albertine, Op. Cit., p. 78.

2151.

Faulkner, Mississipi, Op. Cit., p. 190.

2152.

Blanchot, La Part du Feu, Op. Cit., p. 31.

2153.

L’événement et le temps, P.U.F., coll. « Epiméthée », 1999, p. 184.

2154.

« Les choses signifient-elles quelque chose ? », entretien, 13 octobre 1962, Le grain de la voix, Op. Cit., p. 16.

2155.

Mallarmé l’avait écrit : « aux convergences des autres arts située, issue d’eux et les gouvernant, la Fiction ou Poésie » (Crayonné au théâtre, Pléiade Gallimard, p. 335). Voir cette réflexion de J.-M. Rabaté à propos de Joyce : « sa méthode semble […] plus proche de la création poétique que de l’écriture réaliste du roman.[…] C’est un art poétique nouveau qui se déploie là, art total qui ruine les distinctions usuelles entre poésie et prose… » (James Joyce, Op. Cit., pp. 122-123).

2156.

L’Ursprung, l’origine selon Benjamin, rend assez bien compte, me semble-t-il, de la situation singulière de l’événement dans la fiction moderne. J.-M. Gagnebin écrit que « la dynamique de l’origine ne s’épuise pas dans la restauration d’un stade premier, que celui-ci ait véritablement existé ou qu’il soit une projection mythique vers le passé ; parce qu’il est aussi inachèvement et ouverture sur l’histoire, surgissement historique privilégié, l’Ursprung n’est pas simplement restauration de l’identique oublié mais aussi et inséparablement émergence du différent. Cette structure paradoxale est celle de l’instant décisif, du Kairos … L’Ursprung n’existe pas avant l’histoire, dans une atemporalité paradisiaque, mais, par son jaillissement, inscrit dans l’historique et par l’historique le rappel et la promesse d’un temps privilégié. C’est dans la densité de l’historique que surgit l’originel, intensité destructrice des continuités et des ordres soi-disant naturels, et salvatrice, réunissant les éléments temporels disparates en une autre figure possible, celle de leur vérité. Cette confrontation essentielle de l’origine avec l’histoire est le thème-clef de la philosophie de Benjamin » (Histoire et narration chez Walter Benjamin, Op. Cit., p. 31).

2157.

Logique du Sens, Op. Cit., p. 175.

2158.

Goux, La fabrique du continu, Op. Cit., p. 46.

2159.

Voir Théories du symbole, Op. Cit., pp. 356-359.

2160.

« La dynamique, de Leibniz à Lucrèce », Op. Cit., p. 35.

2161.

La narrativité, Op. Cit., p. 174.