Université Lumière Lyon 2
École doctorale EPIC
Institut des Sciences et Pratiques d’Éducation et Formation
UMR Education et politiques
Volutes et Novices
Usages et représentations du cannabis chez les futurs acteurs de l’éducation pour la santé.
Tome 1
Thèse présentée et soutenue publiquement le 11 décembre 2007
pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Lyon
Dirigée par M. le Professeur Charles GARDOU
Jury
M. le Professeur Michel BATAILLE, Sciences de l’Education, Université de Toulouse-Le Mirail
M. le Docteur Dominique BERGER, Maître de Conférences en Sciences de l’Education, Université de Lyon 1
M. le Professeur Aimé CHARLES-NICOLAS, Psychiatrie, Addictologie, Université des Antilles et de la Guyane
M. le Professeur Laurent GERBAUD, Epidémiologie et Santé Publique, Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand 1

Contrat de diffusion

Ce document est diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification  » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales.

Remerciements

A notre jury de thèse,

Le Pr. Charles GARDOU pour son accueil chaleureux,

Le Pr. Michel BATAILLE pour avoir eu la gentillesse de nous honorer de sa présence,

Le Dr. Dominique BERGER pour ses conseils constants et sa totale disponibilité,

Le Pr. Aimé CHARLES-NICOLAS pour son humanité,

Et le Pr. Laurent GERBAUD pour son soutien indéfectible.

Je tiens à remercier également Arnaud SIMEONE, Maître de conférences, qui a assisté le début de ce travail ainsi que les Professeurs Isabelle JALENQUES et Pierre‑Michel LLORCA, le Doyen Patrice DETEIX de la Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand, François ROCHE, Régis PIERRET et Pierre COUPIAT de l’ITSRA, Didier DUPEUX et Alain FROBERT de l’IDFSI de Vichy qui ont rendu possible ce travail et bien entendu tous les étudiants qui ont accepté de remplir les questionnaires permettant de réaliser notre recherche.

Je remercie mes collègues de l’équipe de recherche « Processus d’Action des Enseignants ; Déterminants et Impacts » et en particulier les Professeurs Roland GOIGOUX et Didier JOURDAN et ceux de l’équipe hospitalière de SATIS, Catherine LE BLANC, Philippe VIGUIÉ et Sandrine DOMINGO.

Rien n’aurait été possible sans l’engagement personnel et l’implication professionnelle de Candy AUCLAIR, statisticienne, qui a apporté sa pierre précieuse à la construction de cet édifice.

Enfin, à ceux qui partagent de près ou de loin mon quotidien qu’ils sachent ici que leur Amour a été ma force.

Aujourd’hui je suis ce que je suis, nous sommes qui nous sommes et tout ça c’est la somme du pollen dont on s’est nourri… Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir ou perdre en un seul coup le gain de cent parties sans un geste et sans un soupir,… trompettes de la renommée, vous êtes bien mal embouchées… Manhattan… Volutes partent en fumées… Au moment d’être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux…Si les anges m’abandonnent, je devrai attendre… Il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adulte…Muss es sein, es muss sein… Je t’ai rencontrée par hasard… Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare… Si je suis novice, pourras tu m’enseigner…Il se peut que tu t’en souviennes…Qui veut faire l’ange fait souvent la bête… Si tu peux supporter d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles sans mentir toi-même d’un mot… au village sans prétention, j’ai mauvaise réputation… de défaites en défaites jusqu’à la victoire finale…la lutte continue… l’Amour est plus fort que la mort… l’insoutenable légèreté de l’être…Bravo, Docteur Béru… La contrevie… Ma nuit chez Maud… la ville est tranquille…Dieu vomit les tièdes… Que la fête commence… L 627… accroche-toi au pinceau, j’enlève l’échelle... le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient… l’inquiétante étrangeté… étrange été… la mécanique des femmes… de l’inconvénient d’être né… cours dire aux hommes faibles… comme moi… Si tu peux rencontrer triomphe après défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front… Si tu peux conserver ton courage et ta tête quand tous les autres les perdront… Je rendrai à leurs enfants le savoir reçu de leurs pères…l’amour a tous les droits… et nous tous les devoirs…le livre du Grand Tout… il faut s’imaginer Sisyphe heureux… l’espérance est une joie au loin… Venez voir la mouche, Mlle Hortense… Discipline… Beat Crazy… Beyond belief… Hasta siempre… Diving for pearls… If it is your will… Dinah Moe Hum… As years go by… Casablanca… I’ve heard this song before… Stardust.. Mon oncle Benjamin... Harmonie..Rully… Saint-Amour… Quincy… Mennetou-Salon… Sancerre… My name is Bond… My name is Tony Soprano… I’m not a number, I’m a free man… Blek le Roc… Akim… Pif le chien… Moderato cantabile… les fleurs de Tarbes… l’ASM… J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité… Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable… L’homme qui pleurait des larmes de verre… on ira tous au paradis… un éléphant, ça trompe énormément… Si j’aurai su, j’aurais pas venu… un tablier de sapeur… des os à moelle… Un Os à moelle… Il voyage en solitaire… l’atelier du crabe… Dix heures du soir en été… il est cinq heures, Paris s’éveille…………………………et j’en oublie

Comme le plus court chemin pour aller vers soi est de passer par les autres, je suis passé par Barouh, Kipling, Bashung, Woody Allen, Blaise Pascal, Jacques Brel, Georges Brassens, Charles Baudelaire, Milan Kundera, Philip Roth, Frédéric Dard, Alain Robbe-Grillet, Robert Guédiguian, Eric Rohmer, Marcel Gottlib, Bertrand Tavernier, Sigmund Freud, Louis Calaferte, Cioran, Jean Louis Bergheaud dit Murat, Ismaël Lo, Nikita Mandryka, Albert Camus, Gabriel Yacoub, les Nuls, King Crimson, Joe Jackson, Robert Wyatt, FZ, Elvis Costello, Léonard Cohen, Alcofribaste Nasier, Ange, Jean-Pierre Romeu, MD, Jean Paulhan, Robert Desnos, Michel Polnareff, Hubert-Félix Thiéfaine, Yves Robert, Pierre Dac, Gérard Manset, Françoise Hardy, Jacques Dutronc entre autres et ………………VOUS

Avant-propos

Lorsque vous vous adressez à un groupe d’étudiants en formation qu’ils soient éducateurs, infirmiers, professeurs des écoles bien encore internes en médecine vous pouvez leur conter l’histoire suivante : « Vous ne le savez pas encore mais en fin de semaine, vous devez subir une intervention chirurgicale. Or, le chirurgien qui va vous opérer consomme « normalement » de l’alcool. C’est-à-dire qu’en tant que sujet de sexe masculin, il peut boire trois doses d’alcool par jour en s’abstenant une fois par semaine et en ne dépassant pas cinq doses d’alcool en une fois. Justement, le jour où il va vous opérer il a décidé de boire trois verres d’alcool. Préférez-vous qu’il les prenne avant l’intervention ou après l’intervention ? »

La réponse à cette question qui paraît bien naïve de prime abord indique souvent à quel corps de métier vous vous destinez. En effet, les professeurs des écoles, les éducateurs et éducatrices spécialisés vont indiquer qu’ils préfèrent que le chirurgien s’abreuve après l’intervention pour fêter sa réussite alors que les infirmiers et infirmières ainsi que les internes en médecine préféreront majoritairement et avec un sourire en coin que le chirurgien consomme ces trois verres d’alcool avant l’intervention afin que si par le plus grand des hasards, il était dépendant de cette substance, il serait plus sur d’intervenir dans de bonnes conditions. Certains des professeurs des écoles et des éducateurs en formation trouveront que la question est tout de même assez bizarre car ils ne peuvent s’imaginer que le chirurgien dans l’exercice de son métier peut également être un consommateur d’alcool. Par contre, ceux qui se sont déjà confrontés lors de leurs stages professionnels à la réalité quotidienne, ne mettent pas de côté l’hypothèse d’une consommation qui rejaillirait sur l’activité de la personne.

On peut proposer un deuxième exemple. Les éducateurs spécialisés ont à accomplir au cours de leurs études un stage dit « stage long » d’une durée environ neuf mois. Dans le cadre de nos activités de responsable médical au sein d’un centre de soins spécialisés pour toxicomanes, nous avons eu à accueillir ce type de stagiaires. La proximité d’âges et de préoccupations avec les usagers de drogues accueillis dans la structure est un élément dont il faut tenir compte. En effet, il est relativement fréquent que les stagiaires aient des consommations proches de celles des usagers et que ces consommations rejaillissent, par exemple sur leur capacité à arriver à l’heure le matin. Il était même surprenant de constater que les excuses mises en avant pour justifier le retard des stagiaires étaient à peu près les mêmes que celles utilisées par les usagers quand ils étaient eux-mêmes en retard. Le premier travail du stagiaire était d’accueillir les usagers et de débroussailler le dossier en particulier en ce qui concernait la consommation de cannabis.

Cette première rencontre donnait lieu à des commentaires très intéressants après l’orientation du patient. En effet, la demande exprimée par la personne devait être analysée par le (ou la) jeune professionnel(le) en formation et elle lui semblait quelquefois assez disproportionnée par rapport à ce qu’il imaginait lui-même de la normalité d’une consommation. En retour, les usagers de cannabis accueillis par les stagiaires avaient coutume de « calculer » leur interlocuteur et ne manquaient pas de poser la question assez déstabilisante : « et vous, vous ne consommez pas du cannabis de temps en temps ? ». Au fur et à mesure que se déroulait le stage, la plupart des jeunes professionnels arrivaient peu à peu à l’heure puis en avance. Au fur et à mesure, ils se sentaient investis de leur rôle d’éducateur et anticipaient leur journée de travail en préparant les locaux à l’accueil. Surtout ils élaboraient peu à peu des réponses à cette question posée. En plus, l’assurance qu’ils avaient acquise au fil du temps ajoutée à un recadrage de leur propre attitude faisaient que les usagers accueillis posaient de moins en moins cette question initiale concernant l’éventuelle consommation des soignants.

Finissons par un troisième exemple encore tiré de notre pratique d’enseignement. Les étudiants en médecine après leur sixième année deviennent internes à la suite d’un examen classant. Certains d’entre eux se destinent plutôt à la médecine générale et bénéficient de cours pratiques axés sur des réalités qu’ils vont rencontrer dans les mois qui viennent. Ces enseignements sont assurés dans ma faculté par des équipes mixtes réunissant un spécialiste et un médecin généraliste en exercice. J’interviens dans les heures qui sont consacrées au traitement des dépendances aux substances illicites. Les étudiants ne sont pas très assidus à ces cours et une fois la feuille d’accueil signée, juste après la pause qui marque l’intercours, ils ont tendance à avoir des obligations pressantes et désertent la salle. C’est la loi du genre. Néanmoins avant ces départs précipités, nous avons coutume de faire un pré-test sur les connaissances avant le cours (afin bien sûr de faire un post-test pour évaluer notre intervention et initier un éventuel débat mais, on l’aura compris ce dernier est plus rare). Pour près la moitié de ces jeunes adultes, c’est quasiment un refus de répondre sous prétexte qu’ils ont déjà fait leurs preuves et que : « les examens et les évaluations, ça suffit ! ». Quand les questions concernant le cannabis arrivent, ils disent que ça ne peut être le motif d’une consultation en médecine générale et que si (par le plus grand des hasards !), ça dépassait la mise en œuvre du bon sens nécessaire, on adresserait alors ces personnes à des spécialistes. Dans le questionnaire d’évaluation proposé, il y a toujours une question concernant la dépendance éventuelle au cannabis et dans la très écrasante majorité des cas, la réponse est qu’il n’y a pas de dépendance au cannabis pour ces étudiants. Quand on leur demande de citer des arguments pour étayer ce fait, ils répondent qu’ils le savent, que c’est une évidence, etc. En fait, certains d’entre eux mettent en avant qu’ils ont déjà fumé ou qu’ils fument encore et qu’ils ne sont pas pour autant dépendants.

Ces trois exemples nous semblent représentatifs de la position sociale ambiguë vis-à-vis de l’usage des substances psychoactives et en particulier du cannabis. Dans le premier exemple, le rôle social attribué au chirurgien fait que la personne est placée au second rang par rapport à sa représentation par les gens qui ne fréquentent pas habituellement le monde médical. Par contre, ceux qui le fréquentent savent que les intervenants sont humains au-delà de leurs compétences professionnelles et que si ces dernières sont nécessaires, c’est avant tout l’humanité du professionnel qui fait la différence. Dans le deuxième exemple, la modification de comportement se fait au fil du temps par la confrontation à une réalité mêlant la proximité d’âge et de préoccupations à la réalité professionnelle en devenir. La prise en compte de la réalité au fil du temps positionne le stagiaire dans une position de professionnel et le fait réfléchir à son image personnelle. Cette dialectique permet sa construction identitaire. Enfin, dans le troisième exemple qui semble être un mélange des deux précédents, la coexistence d’une image professionnelle encore forte socialement (le médecin) et de l’âge jeune (où l’on a tendance à consommer) fait que la professionnalité sert souvent de justification à l’usage. On a tendance à entendre dans la bouche de ces derniers : « Puisque nous sommes médecins et que nous sommes par conséquent bien au courant des éventuels dangers, on peut et on sait consommer !

Ces trois exemples pour le moins anecdotiques sont la base des interrogations du travail qui va suivre. Psychiatre depuis bientôt vingt ans et engagé dans la prévention et le traitement des conduites addictives depuis une quinzaine d’années, j’ai été et je suis encore extrêmement frappé par les ambiguïtés concernant le cannabis qu’elles soient du côté médical, social ou politique. Les connaissances du médecin ou de l’infirmier les protègent-elles de la dépendance ? Les acquis de la formation servent-ils uniquement au travail ou ont-ils une incidence sur les comportements futurs ? Comment peut-on concilier des pratiques personnelles et un vécu professionnel en apparente contradiction ? Parce qu’elles nous interrogent à la fois dans notre quotidien de praticien et de citoyen, le travail qui suit a pour ambition de répondre à certaines de ces questions.