Les réponses psychiatriques à la consommation de cannabis

Les effets du cannabis peuvent mimer les effets de certaines maladies mentales et ainsi peuvent induire en erreur le clinicien. La plupart de ces effets sont dose-dépendants mais les effets indésirables peuvent être aggravés par des facteurs constitutionnels tels que l'immaturité et des traits de caractère ou de vulnérabilité à des maladies mentales.

Le cannabis et les changements d'humeur : La réponse aiguë à la consommation de cannabis inclut généralement une euphorie et un sentiment de détachement et de relaxation. Les effets indésirables ne sont pas rares. Ils sont brefs mais peuvent persister en cas d’usage continu du produit. Différentes études les mettent en avant. Néanmoins, les effets indésirables les plus communs sont les sentiments d'anxiété, la paranoïa ou la dépression (21 %) la fatigue ou une motivation émoussée (21 %).

Parmi les individus qui ont fait des tentatives de suicide sérieuses, 16,2 % avaient des critères de mésusage ou de dépendance au cannabis contre 1,9 % chez les sujets contrôles. L'étude de AL. BEAUTRAIS 24 suggère que le mésusage de cannabis peut être une contribution directe aux risques soit directement soit en aggravant d'autres troubles mentaux.

L'usage de cannabis peut conduire à une batterie de symptômes transitoires tels que dépersonnalisation, déréalisation, un sentiment de perte de contrôle, une peur de mourir, une panique irrationnelle ou des idées paranoïdes. L'usage habituel du terme psychose cannabique dans la pratique clinique psychiatrique et la littérature scientifique résulte grandement des imprécisions diagnostiques et de recherche sans validité scientifique réelle. En effet, de nombreuses études n'ont pas la rigueur méthodologique souhaitée. Les études ne séparent pas toujours psychose fonctionnelle et organique car la plupart du temps les signes cliniques sont identiques. W. HALL et collaborateurs 25 suggèrent que les questions fondamentales sont : y a-t-il une psychose cannabique ou le cannabis précipite-t-il une psychose sous-jacente ?

En théorie, l'usage du cannabis peut précipiter une psychose sous-jacente dans les cas suivants :

Les données réactualisées en 2004 de l’expertise collective de l’INSERM (déjà citée sur www.inserm.com ) apportent quelques nouvelles données sur ce sujet. En effet, fin 2002, trois études longitudinales prospectives sur différentes populations ont été publiées simultanément.

Tout d’abord, la cohorte de conscrits suédois 26 a été étendue (plus de 50 000 sujets) et ré-analysée 27 , prenant en compte certains facteurs confondants : traits de personnalité, abus d’alcool, qualité des relations interpersonnelles, comportement durant l’enfance, antécédents psychiatriques familiaux, niveau socioculturel, quotient intellectuel. Quels que soient le sous-groupe et l’analyse, dès une consommation de 5 à 10 fois, l’Odds ratio montre un excès significatif de schizophrénie (OR environ à 2, tous niveaux de consommation confondus).

L’étude prospective réalisée sur une cohorte néo-zélandaise de 759 sujets montre clairement l’augmentation du risque de schizophrénie en cas de consommation de cannabis 28 (L. ARSENEAULT et coll., 2002). Ainsi, comparés à des sujets n’ayant jamais consommé de cannabis plus d’une ou deux fois (n = 494), les sujets ayant consommé du cannabis (au moins trois fois) à l’âge de 15 ans (n = 29) ou 18 ans (n = 236) ont un risque 4 fois supérieur de présenter des symptômes schizophréniques à l’âge de 26 ans. Un excès de symptômes dépressifs a été retrouvé chez les personnes consommatrices de cannabis à 18 ans. La consommation d’autres drogues n’avait pas d’effet prédictif qui dépasse celui du cannabis. Le risque de schizophrénie était supérieur en cas de consommation précoce (10 %), comparé à 3 % pour les sujets débutant leur consommation à 18 ans (3 %). »

L’ensemble de ces études montre que le risque de présenter des symptômes psychotiques est supérieur lorsque l’on a consommé du cannabis au moment de l’adolescence.

Une étude prospective sur 15 ans en population générale (1 920 adultes) aux États-Unis 29 montre que le cannabis augmente le risque de dépression d’un facteur 4, en particulier des idéations suicidaires et de l’anhédonie. Ces résultats sont confirmés par une étude réalisée en Australie 30 sur une cohorte de lycéens adolescents (14-15 ans à l’entrée) montrant un effet dose entre l’usage de cannabis et l’anxiété ou la dépression en fonction du niveau de consommation. À l’encontre de l’idée d’une automédication, la dépression à l’entrée de l’étude ne prédit l’usage de cannabis ultérieur dans aucune de ces études.

Les liens entre consommation de substances et schizophrénie sont bien évidemment complexes ; il ne fait aucun doute que cette consommation de substances peut s’intégrer dans certains cas dans un contexte d’apparition des symptômes prodromiques d’un trouble schizophrénique débutant. Dans une population de premier épisode psychotique 31 , la date d’apparition du premier signe de schizophrénie coïncide de façon significative avec celle du mois où débute une consommation régulière de cannabis (plus d’une fois par semaine) (34,6 % des patients) ou lui est postérieure dans 62 % des cas.

En revanche, la chronologie de consommation montre clairement que la consommation de cannabis et d’alcool s’inscrit assez peu fréquemment dans une automédication après l’apparition des symptômes. Par ailleurs, le risque relatif de développer une schizophrénie reste significatif, même lorsque seules les psychoses débutant plus de 5 ans après cette consommation sont considérées (OR : 2,5) permettant d’éviter les schizophrénies en phase prodromique.

Deux éléments apparaissent dans la discussion : d’une part, un facteur dose-dépendant (plus on consomme plus on augmente le risque d’apparition) et, d’autre part, un facteur âge-dépendant (plus on consomme tôt, plus on augmente le risque).

Il apparaît ainsi dans l‘étude de ZAMMIT et coll. (déjà citée) que le risque, bien que significatif, dès une consommation de 10 fois à l’âge de 18 ans (bien loin d’une consommation importante et abusive) double lorsque la consommation est plus importante : Odd Ratio 2,6 (pour une consommation de 5 à 10 fois) à 4,7 (plus de 50 fois). D’autre part, le risque apparaît plus important lorsque la consommation débute dès l’âge de 15 ans par rapport à une consommation à 18 ans (10 % chez ceux consommant à 15 ans versus 3 % à 18 ans dans l’étude d’ARSENEAULT et coll. (2002)).

Il pourrait donc y avoir un effet âge-dépendant, au moment de l’adolescence. Enfin, une étude sur les premiers épisodes 32 montre que l’âge de début est plus précoce chez les consommateurs de cannabis.

Au total, reprenant ces études, la revue de littérature L. ARSENEAULT et coll. (2004) estime que le risque relatif global lié au cannabis est d’environ un facteur 2, prenant en compte les consommations limitées. Bien que ce risque relatif soit modéré, il est loin d’être marginal compte tenu de la large exposition des adolescents à cette consommation. Ces éléments permettent aujourd’hui de conclure que, bien que n’étant ni nécessaire ni suffisant pour développer une schizophrénie, le cannabis est un facteur causal de schizophrénie.

Les recherches ultérieures doivent bien sûr permettre d’affiner les informations issues des études prospectives, notamment en améliorant les critères de définition des troubles, ainsi que le recueil des modalités précises de consommation, en particulier l’âge et l’étendue de l’exposition au cannabis.

Il conviendra également d’apporter des éléments au débat pour mieux comprendre sur quoi reposent d’une part, la vulnérabilité individuelle (des facteurs génétiques ?) et d’autre part, quels sont les mécanismes biologiques en cause entre le système dopaminergique et endocannabinoïde.

Notes
24.

BEAUTRAIS, (A.L.), JOYCE, (P.R.), MULDER, (R.T.), Cannabis abuse and serious suicide attempts, Addiction (1999), 94, 1155-1164.

25.

HALL, (W.), SOLOWIJ, (N.), LEMON, (J.), The Health and Social Consequences of Cannabis Use, Monograph series n° 25, Canberra : Australian Government Publishing Service.

26.

ANDREASSON, (S.), ALLEBECK, (P.), ENGSTROM, (A.), RYDBERG, (U.), Cannabis and schizophrenia, A longitudinal study of Swedish conscripts, Lancet, 1987, 2 : 1483-1486.

27.

ZAMMIT, (S.), ALLEBECK, (P.), ANDREASSON, ( S.), LUNDBERG, (I.), LEWIS, (G.), Self reported cannabis use as a risk factor for schizophrenia in Swedish conscripts of 1969: historical cohort study, BMJ, 2002, 325 : 1199-1201.

28.

ARSENEAULT, (L.), CANNON, (M.), POULTON, (R.), MURRAY, (R.), CASPI, (A.), MOFFIT, (T.E.), Cannabis use in adolescence and risk for adult psychosis: longitudinal prospective study, BMJ, 2002, 325 : 1212-1213.

29.

BOVASSO, (G.B.), Cannabis abuse as a risk factor for depressive symptoms, Am J Psychiatry, 2001, 158 : 2033-2037.

30.

PATTON, (G.C.), COFFEY, (C.), CARLIN, (J.B.), DEGENHART, (L.), LYNSKEY, (M.), HALL, (W.), Cannabis use and mental health in young people: cohort study, BMJ ,2002, 325 : 1195-1198.

31.

BÜLHER, (B.), HAMBRECHT, (M.), LOFFLER, (W.), AN DER HEIDEN, (W.), HAFNER, (H.),Precipitation and determination of the onset and course of schizophrenia by substance abuse--a retrospective and prospective study of 232 population-based first illness episodes. Schizophr Res 2002, 54 : 243-251.

32.

VEEN, (N.D.), SELTEN, (J.P.), VAN DER TWEEL, (I.), FELLER, (W.G.), HOEK, (H.W.), KAHN, (R.S.), Cannabis use and age at onset of schizophrenia, Am J Psychiatry, 2004, 161: 501-506.