Discussion

Les limites de cette étude existent et sont facilement perceptibles. La représentativité de l’échantillon peut être contestée en raison de la limitation géographique de l’étude et du nombre de personnes interrogées. Cependant, la structure de notre échantillon est comparable de celles des professionnels concernés en formation. La faiblesse relative de la proportion masculine a cependant laissé une empreinte importante dans les résultats mais constitue une constante de ces professions.

Au delà de ces limites, les réponses apportées par les personnes en formation interrogées qui ont rempli notre questionnaire suscitent un certain nombre de réflexions. Tout d'abord, elles montrent une importance plus forte de la consommation par rapport à une classe d'âge identique de la population générale (classe 18-34 ans sur EROPP). Enfin, chez toutes les personnes interrogées, il y a une surestimation en miroir de la consommation de cannabis au niveau de la population générale.

Ensuite, elle confirme l’information que les hommes sont plus consommateurs que les femmes et ce de façon significative (Odds ratio=3,43 et risque relatif=1,44 et sur les 12 derniers mois p=0,0046). Le fait d'avoir consommé et le fait de consommer encore constitue ce que nous appellerons la proximité de la consommation modifie de façon nette et sensible les opinions concernant le cannabis. La dangerosité est moins perçue, les opinions sur la théorie de l'escalade ou encore sur la dépénalisation et la vente libre de ce produit sont prégnantes. Par ailleurs, le constat de consommation supérieure chez les hommes, ne se démontre pas dans le constat de différences significatives au niveau d'un groupe entre les hommes et femmes mais dans la sommation des différents groupes. Ceci donne une différenciation significative au niveau de l’ensemble de la population enquêtée.

Au sein de la population étudiée, les groupes d’éducateurs en formation ou de moniteurs éducateurs expriment des positions extrêmes concernant la consommation, les opinions et les représentations favorables du cannabis. À l'opposé, les professeurs des écoles en formation ont une attitude beaucoup plus "raisonnable" voire plus timorée qui semble peu basée sur des expériences personnelles mais sur des opinions plus proches de la population générale. Ils se situent beaucoup plus sur des positions « normatives ». Enfin, les infirmiers en formation présentent une position intermédiaire et ont conscience d'une dangerosité effective de la consommation de cannabis qui semble liée non seulement à leur formation spécifique mais également au fait de fréquenter ce type d'usagers dans les différents services où ils ont eu à faire des stages pratiques.

Néanmoins, il ne faudrait pas tirer des conclusions hâtives et jeter l’opprobre sur une population. Des travaux ultérieurs 121 , 122 ont montré que ces différences entre lieux de formation disparaissaient en analyse multivariée au profit d’autres variables notamment de l’âge et du genre.

Nous avons donc procédé à un travail d’analyse de régression logistique sur deux questions : Tout d’abord, la question 77 : Au cours de votre vie, avez-vous déjà consommé du cannabis ou du haschisch ? (Une régression logistique, dont les variables explicatives sont les items retenus lors des tests du χ2, items ayant une relation statistiquement significative avec l’item Q77,effectuée à l’aide du logiciel SAS, la méthode de sélection étant ascendante) puis la Q78 : Pour ceux (celles) qui ont déjà fumé (du cannabis ou du haschisch), l’avez-vous fait au cours des 12 derniers mois ? (De même, une régression logistique, dont les variables explicatives sont les items retenus lors des tests du χ2 , items ayant une relation statistiquement significative avec l’item Q78, est effectuée à l’aide du logiciel SAS, la méthode de sélection étant ascendante).

Les résultats montrent que pour la question concernant l’expérimentation (Au cours de votre vie, avez-vous déjà consommé du cannabis ou du haschisch ?)

Les personnes n’ayant pas peur de prendre du haschisch, ne serait-ce qu’une seule fois,

Les personnes estimant que l’information à l’école sur le tabac est inutile,

Les personnes qui ne sont pas d’accord avec le fait que fumer du haschisch ou du cannabis conduit à consommer, par la suite, des produits plus dangereux,

Les personnes donnant un pourcentage assez élevé d’individus ayant déjà fumé au moins une fois dans leur vie du cannabis, 

Ont plus de chance d’avoir déjà consommé, au cours de leur vie, du cannabis ou du haschisch.

Par contre, les personnes qui ne fument pas de tabac, ne serait-ce que de temps en temps, les personnes qui ne connaissent pas le livret d’information de la MILDT, ou qui en ont seulement entendu parler, ont plus de chance de ne pas avoir déjà consommé, au cours de leur vie, du cannabis ou du haschisch.

Pour la question de la consommation récente (Pour ceux (celles) qui ont déjà fumé (du cannabis ou du haschisch), l’avez-vous fait au cours des 12 derniers mois ?); les personnes qui sont plus âgées, les personnes de sexe féminin,les personnes qui ne sont pas d’accord avec le fait qu’il faudrait permettre aux consommateurs d’héroïne très dépendants et marginalisés de recevoir de l’héroïne sous contrôle médical, les personnes qui ne sont pas du tout d’accord avec le fait qu’on peut arriver à ce que personne ne se drogue, ont plus de chance de ne pas avoir fumé du cannabis ou du haschisch au cours des 12 derniers mois.

Au contraire, les personnes qui sont sans religion ou d’une religion différente de catholique, les personnes n’ayant pas peur du tout de prendre du haschisch, ne serait-ce qu’une seule fois, les personnes qui pensent qu’il devient dangereux pour la santé de prendre de la cocaïne à partir du moment où on en prend tous les jours ou que ce n’est jamais dangereux, les personnes qui pensent que le fait que la loi prévoit une obligation de soins pour tous les consommateurs de drogues interdites, lorsqu’ils sont interpellés par la police, est une mauvaise chose, ont plus de chance d’avoir fumé du cannabis ou haschisch au cours des 12 derniers mois.

On voit que ce qui est statistiquement lié à la prise ou non de cannabis sont :

l’âge, le sexe (facteurs sociodémographiques « indépendants » du milieu,

la religion (que l’on peut qualifier de facteur sociodémographique lié au milieu) qui fait partie de la construction identitaire,

la peur et le danger (ce que l’on peut dénommer la prise de risque) qui fait aussi partie de la construction identitaire mais avec un versant de connaissance qui peut se rapprocher de la construction professionnelle.

Le fait de consommer et d'avoir des idées particulièrement extrêmes sur la consommation de cannabis et ses effets risque d'influencer de façon radicale les messages de prévention susceptibles d'être véhiculés par les différentes professions dans le cadre de leurs différentes missions.

Quand on sait que les représentations sociales renvoient aux champs et aux pratiques des intervenants, on peut se poser la question de savoir quelle est l'influence de ces représentations et opinions sur le travail quotidien. Néanmoins, le substrat scientifique n'a que peu de poids face à l'imaginaire social et que les représentations sont des concepts qui évoluent très lentement au niveau social.

Dans ce domaine la variabilité et la disparité des opinions sont la règle. Les articles sur le sujet sont essentiellement anglo-saxons 123 , 124 , 125 , 126 , 127 .

Tout d'abord, l'étude de MILES 128 a porté sur des jumeaux et a tenté d'étudier les paramètres suivants : la recherche de sensation, les conduites à risque et l'usage de marijuana. Il n’existe pas, pour eux, de différence significative entre les facteurs innés et acquis en ce qui concerne la prise de risque et usage de marijuana. Il souligne qu'il aurait fallu faire une analyse plus fine entre ceux qui ont consommé une fois et ceux qui sont des consommateurs réguliers.

D'un autre côté, GORMAN 129 a proposé une méta-analyse d'études longitudinales concernant les traits de caractère et la consommation de marijuana. En général, les traits de caractère renvoient à une attitude particulière en termes de comportement. Ils peuvent être mis en perspective avec le non usage, l'expérimentation ou l'usage régulier de cannabis.

Les personnalités qu'il dénomme « non conventionnelles » que l'on pourrait qualifier de pré psychopathique (ou tout simplement d'adolescents rebelles) ont plus tendance à consommer de la marijuana. Par contre, il n'y a pas de facteurs favorisants pour celles qui ont une opinion négative du produit ou celles qui sont émotionnellement fragiles.

Le fait d'avoir consommé de la drogue (le cannabis) une fois, ce que nous nommons chez nous les expérimentateurs, n'est pas un facteur prédictif de la consommation ou d'une attitude particulière ultérieure.

MILICH et al 130 dans leur article, reprenant la proposition assez provocante de SHEDLER & BLOCK 131 qui énonçait que ceux qui expérimentaient la drogue étaient en meilleure santé que ceux qui étaient complètement abstinents, nous proposent une analyse sur trois groupes : premièrement, ceux qui sont totalement abstinents ; deuxièmement, ceux qui sont expérimentateurs ; troisièmement, les abuseurs ou consommateurs réguliers. Son étude montre que les abstinents complets sont quelquefois en meilleure santé mais pas toujours. Par contre, les abuseurs présentent plus fréquemment des troubles psychologiques. Enfin, cette classification semble plus prédictive ou plus parlante que celle concernant la consommation d'alcool.

BORAWSKI 132 s'intéresse plus particulièrement aux attitudes parentales en ce qui concerne la négociation des sorties à l'extérieur, la surveillance du temps libre et la consommation de produits chez les adolescents. On peut rapprocher ce travail de l'étude qui avait été faite dans l'état du Montana que nous avons déjà citée (Not my Little Angel !). Les résultats sont assez difficiles à interpréter. Cependant, se détache un facteur particulier : la confiance établie entre les filles et leurs parents est un facteur de dissuasion important des conduites à risque alors qu'il est absolument sans effet sur les attitudes des garçons.

Enfin, l'étude de SIMONS & CAREY (déjà citée) prouve que la perception que les gens ont de la non-dangerosité supposée du produit entraîne une consommation plus importante de marijuana. Ceux qui perçoivent la drogue sous un jour favorable consomment généralement plus mais ce n'est pas toujours le cas. Certaines personnes, minoritaires certes, sont capable de faire la part des choses et n'associent pas la non dangerosité supposée et la consommation. Par contre, le fait que les personnes craignent la prise de drogue est un facteur de protection important.

Ces études confirment les éléments que nous avons déjà rencontrés : les garçons sont moins sensibles aux informations que les filles concernant les produits et ont plus tendance à prendre des risques. Cependant, il est extrêmement intéressant de noter que les non-consommateurs se recrutent à la fois chez ceux qui ont une peur absolue de prendre des produits mais également chez ceux qui sont particulièrement informés. Cette dernière information nous semble être une note positive dans des actions à entreprendre ultérieurement.

Le temps de la formation initiale des différents acteurs apparaît donc comme un moment important pour la mise en place d'un corpus de connaissances concernant les drogues et notamment le cannabis mais également sur les réalités concernant la consommation de haschich dans notre pays. Nous avons vu précédemment que ça n’était pas toujours le cas. Néanmoins, l’information peut arriver par d’autres « canaux » que sont la famille où les pairs dont les opinions et attitudes jouent un rôle également structurant dans la construction identitaire de l’individu.

Notes
121.

COURTY, (P.), SIMEONE, (A.), GARDOU, (C.), GERBAUD, (L.), Opinions, perceptions and representations of cannabis amongst potential health educators in training in France, Abstracts for the Sixty-seventh annual scientific Meeting College on Problems of Drug Dependence (CPDD), 2005, Orlando, FL. (U.S.A.), en ligne sur www.cpdd.org

122.

COURTY, (P.), Opinions, perceptions et représentations du cannabis chez les acteurs de prévention en formation, VIIème Colloque International Toxicomanies –Hépatites- SIDA- 11/15 octobre 2005- Arles, France.

123.

MILES, (D.R.), Van den BREE, (M.B.M.), GUPMAN, (A.E.) et al., A twin study on sensation seeking, risk taking behavior and marijuana use, Drug And Alcohol Dependence, 62 (2001) 57-68.

124.

GORMAN, (D.M.), DERZON, (J.H.), Behavioral traits and marijuana use and abuse: A meta-analysis of longitudinal studies, Addictive behaviors 27 (2002) 193-206.

125.

MILICH, (R.) LYNAM, (D.), ZIMMERMAN, (R.) et al., Differences in young adult psychopathology among drug abstainers, experimenters and frequent users, Journal of substance abuse, Volume 11, number 1, pages 69-88.

126.

BORAWSKI, (E.A.), IEVERS-LANDIS, (C.E.), LOVEGREEN, (L.D.), TRAPI, (E.S.), Parental monitoring, Negotiated Unsupervised Time and Parental trust: The role of Perceived Parenting Practices in Adolescent Health Risk Behaviors, Journal of adolescent health , 2003; 33: 60-70.

127.

SIMONS, (J.), CAREY, (K.B.), Attitudes toward marijuana use and drug-free experience: relationships with behavior, Addictive behaviors, Vol.25, N° 3, pp 323-331, 2000.

128.

MILES, (D.R.), VAN DEN BREE, (M.B.M.), GUPMAN, (A.E.) et al., op.cit.

129.

GORMAN, (D.M.), DERZON, (J.H.), op. cit.

130.

MILICH, (R.) LYNAM, (D.), ZIMMERMAN, (R.) et al, op.cit.

131.

SHEDLER, (J.), BLOCK, (J.), Adolescent drug use and psychosocial health, American Psychology 1990, 45 : 612-630

132.

BORAWSKI, (E.A.), IEVERS-LANDIS, (C.E.), LOVEGREEN, (L.D.), TRAPI, (E.S.), op. cit.