La remise en cause du modèle biomédical entraîne un renouveau de la prévention

Les progrès spectaculaires de la médecine curative ont relégué la prévention à un rôle très secondaire. Néanmoins, plusieurs facteurs ont contribué à lui redonner une place dans la stratégie thérapeutique.

On voit à l’évocation de ces quatre points que c’est la nécessité qui fait force de loi et non pas l’intervention d’un État éclairé soucieux de la santé de ces concitoyens a priori.

L’éducation pour la santé n’est pourtant pas née avec le sida. Une loi votée en 1865 rendait obligatoire l’enseignement de l’hygiène dans les écoles 144 . L’alcool, grand fléau social de la fin du XIXe siècle, amena la promulgation d’un décret en 1897 introduisant la prévention de l’alcoolisme dans l’enseignement primaire. Les moyens iconographiques employés à l’époque étaient délibérément choquants 145 .

Puis, la lutte contre l’alcoolisme laissa sa place à la lutte contre la tuberculose et la syphilis après la première guerre mondiale. Des traitements efficaces étant apparus, c’est vers la lutte contre le tabagisme 146 et la prévention des risques individuels que s’est déplacé le champ de l’éducation pour la santé. Le soutien des institutions politiques ne fût pas exagéré dans ces domaines jusqu’à un passé relativement récent.

Le fait humain nouveau est qu’il existe une profonde modification des mentalités quant à la représentation médicale. Le médecin perçu comme un sorcier, chaman ou charlatan au Moyen-âge puis respecté comme un homme de sciences aux XIXe et XXe siècle apparaît maintenant comme un prestataire de service. La récente loi du 4 mars 2002 inscrit dans le marbre (alors que cela aurait du aller de soi) son devoir d’information et la nécessité qu’il a de rendre des comptes envers ses patients. A cause de la grande fiabilité des techniques médicales, la survenue d’effets indésirables est de moins en moins acceptée par le public. De plus, le dispositif législatif sur l’alea thérapeutique outre l’amélioration apportée aux victimes d’un préjudice doit permettre la prise de conscience qu’il n’existe pas d’acte de soin sans risque qu’il soit préventif ou curatif.

Apparaît alors la notion nouvelle de principe de précaution. L’avènement de crises autour du sang contaminé, de l’hormone de croissance et de la vache folle fait voler en éclat les succès thérapeutiques pour mettre en avant la méfiance de la population envers ceux qui sont censés savoir, les élites, et qui n’ont rien fait pour empêcher cela.

Si la prévention qui concerne des risques avérés dont la connaissance permet par une action collective d’influer sur le cours des choses, la précaution concerne des risques potentiels qui se situeraient en avant de la connaissance.

Si dans le cas de la prévention les dangers sont établis, dans le cas du principe de précaution il s’agit de vérifier que l’hypothèse est exacte. On n’est alors plus dans le risque mais dans le risque du risque. Ce n’est plus la connaissance qui guide le choix mais les conséquences possibles d’un non-choix face à une hypothèse.

La précaution peut alors être vécue comme une attitude attentiste ou une règle d’inaction. Elle peut aussi être assimilée avec la recherche du risque zéro 147 . Ce dernier semble bien illusoire. L’exemple des entretiens préalables au don du sang en Grande-Bretagne en période de découverte du sida a certes fait diminuer le nombre potentiel de donneurs contaminés mais n’a pas réduit le risque à néant. Le risque résiduel devra donc être apprécié en tant qu’il sera acceptable ou pas. Dans le cas des donneurs de sang, la mesure efficace eut été l’arrêt de la transfusion sanguine mais cela aurait entraîné des milliers de morts.

Néanmoins, d’autres auteurs tels JL. SETBON 148 critiquent ouvertement ce principe : alors que la prévention, qui la précaution, En effet, selon cette analyse, l’objet de laprécaution ne serait pas L’émergence du principe de précaution doit s’entendre dans sa signification sociale. Elle semble liée non seulement à un désir de plus de sécurité mais également un souhait de participation accrue. Elle peut apparaître comme un refus de la dilution des responsabilités. Le principe de précaution peut apparaître comme capable de redonner une maîtrise en amont des événements en étant plus vigilants sur leurs causes potentielles.

Notes
144.

ROUSSILLE, (B.), Soixante ans d’éducation pour la santé, La Santé de l’homme, n°362, novembre décembre 2002.

145.

LEFEBVRE, (T.), Aspects négligés de l'iconographie antialcoolique : plaques de verre et films fixes, La Revue du praticien, 2002, vol. 52, no16, pp. 1749-1751.

146.

MURARD, (L.), ZYLBERMAN,(P.), Le tabagisme, fléau subi et non affronté (1950-1975), La Santé de l'homme, n° 362, novembre décembre 2002.

147.

BOURG, (D.), SCHLEGEL, (J.-L.), Parer aux risques de demain, le principe de précaution, Seuil, 2001,144 p.

148.

SETBON, (M.), Le principe de précaution en questions, Revue française des affaires sociales, n°3-4, déc. 1997.