Les limites du modèle biomédical, vers une approche globale

Ce modèle centré sur l’individu et son comportement a été critiqué au début des années 1980 149 , 150 . Il présente un certain nombre de limites. Il ne suffit pas d’être informé d’un risque pour parvenir à l’éviter. Les comportements humains ne sont pas toujours rationnels. Ainsi, la recherche de satisfactions immédiates est souvent en contradiction avec les attitudes préventives (comme les addictions en sont une illustration). La notion de prise de risques entre dans le flirt avec les limites, expérience souvent nécessaire dans la construction identitaire. L’envie de suivre une mode ou d’imiter ses amis, ses pairs est souvent plus forte que les préoccupations individuelles. Il ne suffit pas de savoir, d’être informé pour modifier son comportement. Il est nécessaire d’y ajouter une décision individuelle, personnelle, intime.

La seconde limite est l’évolution constante des normes et connaissances scientifiques. Ce qui fut une vérité un jour peut être contredit par de nouvelles recherches. Le pain, il y a quelque temps, décrié pour des apports caloriques trop importants est devenu aujourd’hui source d’un apport nutritionnel intéressant. Des recherches futures le renverront peut-être au panier. La norme scientifique n’est pas forcément la « Vérité ! » Malheureusement, le bon sens populaire et les recommandations familiales sont souvent délaissées au profit d’un pseudo savoir scientifique qui entraîne une nouvelle dépendance aux professionnels de santé. Ce « savoir médical » a provoqué la médicalisation de certains actes naturels de la vie comme la grossesse et l’accouchement (augmentation du nombre des obstétriciens aux dépends des la gynécologie médicale par exemple) de même que le recours à certains spécialistes (pédiatre au détriment du généraliste).

La principale limite de ce modèle est sans doute de considérer que l’humain comme systématiquement responsable de ses actes et donc responsable de la maladie qui risque de l’atteindre s’il ne suit pas les préconisations et prescriptions. Considérer les facteurs de risques comme isolés les uns des autres, risque d’entraîner des attitudes contre productives en favorisant des actions ponctuelles.

L’approche globale, au contraire, va prendre en compte et en même temps les différents facteurs qu’ils soient sociaux et économiques influençant la santé. Les indicateurs de santé reflètent alors la cohésion sociale et ils sont corrélés avec la répartition de la richesse 151 . D’autres facteurs sociétaux existent comme a tenté de le montrer J. MANN 152 . Pour le sida, il a avancé la notion de « facteur social de risque » lié au respect accordé aux droits de l’Homme et à la dignité humaine, à la nature, à l’intensité, et à la portée de la discrimination pratiquée dans la société. Il estime par exemple que la vulnérabilité des femmes est directement liée à leur inégalité par rapport aux hommes, au manque de respect de leurs droits et à leur capacité à refuser des rapports sexuels non protégés.

D’autres études vont montrer le poids des facteurs sociétaux. Par exemple, celle de I. NIEDHAMMER & J. SIEGRIST 153 qui montrent pour les pathologies cardiovasculaires le poids de la différence entre l’investissement professionnel et les résultats attendus.

Notes
149.

GOLDBERG, (M.) Cet objet obscur de l'épidémiologie, Sciences sociales et santé, I, 1, 1982, pp. 55–110

150.

GOTTRAUX, (M.), La construction sociale du champ de la prévention, Sciences Sociales et Santé, I, 1, 1982, pp. 15-37.

151.

KERVASDOUÉ, (de), (J.), La santé n'est pas uniquement affaire de médecine, in MALET, (É. H.), Santé publique et libertés individuelles, 1993, Passages, Paris, 235 p.

152.

MANN, (J.), Ethique et droits de la personne, Revue française de santé publique, sept. 1998, n°3.

153.

NIEDHAMMER, (I.), SIEGRIST, (J.), Facteurs psychosociaux au travail et maladies cardiovasculaires : l'apport du modèle du déséquilibre efforts/récompenses, Revue d'épidémiologie de santé publique, n°46, 1998.