S’entourer de références théoriques permet de sortir de l’implicite afin de faciliter la compréhension des actions entreprises en matière d’éducation à la santé. Cela permet aussi une meilleure communication sur l’extérieur et probablement un meilleur décryptage des actions réalisées par les autres ?
Les modèles permettent de décrire la réalité et par la même peuvent aider à la comprendre. Il s’agit d’une élaboration théorique progressive avec des avancées et des reculs 157 . Les modèles renvoient à une vision du monde, celle de leurs auteurs comme le rappelle K. TONES 158 «le sujet est en partie technique et en partie idéologique » à propos du modèle transthéorique 159 de J. PROSCHASKA et C. DI CLEMENTE.
Alors que classiquement, il existe deux façons de classer les modèles en éducation pour la santé (ES) : les modèles idéologiques et les modèles techniques 160 , D. JOURDAN et D. BERGER pensent qu’une autre dichotomie existe. Certains sont fondés sur une approche visant à donner du sens aux pratiques alors que d’autres sont fondés sur des théories. Les premiers modèles de prévention sont exposés par JP. DOZON 161 et relèvent de quatre genres : le modèle magico-religieux, le modèle de la contrainte profane, le modèle pastorien et le modèle du consensus.
Les seconds modèles bâtis sur un cadre rationnel empruntent aux théories notamment psychologiques. Si l’on garde en mémoire que l’éducation n’est pas la prévention, on concevra aisément que le but n’est pas d’abord de faire baisser un comportement mais de permettre à un sujet de s’épanouir, le sujet étant la référence. Une partie des modèles psychologiques utilisés en ES, qu'il s'agisse par exemple du modèle des "croyances relatives à la santé" de I.M. ROSENSTOCK 162 ou de la "théorie de l'action raisonnée" de I. AJZEN 163 sont centrés sur les changements de comportement. Ils ne concernent alors qu’un des aspects de l’éducation (celle concernant l’apprentissage d’éléments relatifs à la santé) même s’ils nous permettent de mieux comprendre les différentes étapes du changement. Ils risquent alors de ne pas prendre en compte la dimension de l’autonomie chez la personne à tel point que le modèle de la « soumission librement consentie » de J.L. BEAUVOIS et R.V. JOULE 164 pourrait avoir sa place dans une approche préventive. Ce type d’approche basé sur la manipulation ne peut être considéré à notre sens comme un moyen de stratégie éducative. En effet, basée sur « l’action qui consiste à amener autrui à se comporter en toute liberté différemment de la façon dont ils se seraient comporté spontanément à l’aide de techniques », elle est la négation de toute liberté individuelle même si elles demeurent employées dans différentes actions de prévention en utilisant l’argument habituel : « et si c’est pour leur bien ! ».
On peut être tentés de les utiliser tant les rapports sociaux dans leur caricature ne semblent être que des rapports de pouvoir. Néanmoins, l’éducateur à la santé devra faire appel à d’autres modèles pour atteindre les buts qu’il s’est fixés : le développement des compétences sociales, la capacité à résister à la pression des pairs, les dynamiques communautaires par exemple.
‘Dans la perspective de l'éducation du sujet, le pédagogue devra faire appel à d'autres modèles théoriques que ceux exclusivement centrés sur les changements de comportement. Le pédagogue, tel que le définit P. MEIRIEU 165 est un éducateur Cette définition est basée sur le parti pris de l’éducabilité de toutes les personnes. comme le rappellent JOURDAN et BERGER (déjà cités).’Les modèles à utiliser doivent alors être divers et doivent concerner : la santé, l'éducation et la promotion de la santé, le développement des individus (y compris à l'âge adulte) et l'apprentissage, les dynamiques collectives et l'évaluation. Il faut garder à l’esprit que c’est la capacité de l’homme à maîtriser son existence et à exercer un contrôle sur son environnement qui est mise en question ce qui sera dénommé « empowerment » faute de traduction française satisfaisante.
Attachons nous maintenant à décrire certains des modèles psychologiques sur lesquels sont fondées les interventions éducatives en santé.
JOURDAN, (D.), BERGER, (D.), De l'utilité de clarifier les référents théoriques de l'éducation pour la santé, La Santé de l’Homme, n° 370, mar.-avr. 2004
Health Education Research" vol. 20 - n°2 - 2005
PROCHASKA, (J.), DI CLEMENTE, (C.), Transtheoretical therapy: Toward a more integrative model of change. Psychotherapy: Theory, Research, and Practice, 1982, 19, 276-288
TONES, (K.), TILFORD, (S.), Health promotion: effectiveness, efficiency and equity. 3rd ed. Cheltenham: Nelson THORNES, 2001
DOZON, (J.-P.), FASSIN, (D.), Critique de la santé publique. Approches anthropologiques. Paris, Balland (Voix et regards), 2001
ROSENSTOCK, (I. M.), The Health Belief Model and Preventive Health Behavior,Health Education Monographs. 1974, 2, 35-86.
AJZEN, ( I.), From intention to actions: a theory of planned behaviour, in Action Control: From Cognition to behaviour, Eds J. KHUL and J. BECLMAN, New Jersey: Prentice-Hall, 1985
JOULE, (R.V.), BEAUVOIS, (J.L.), Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2002
MEIRIEU, (Ph.) Le choix d’éduquer, Ethique et pédagogie, Paris, ESF, 7e édition, 1999.