La normalisation possible de la prévention

La prévention suppose une intériorisation de la norme par les individus. Ph. LECORPS 179 a pu écrire que « La santé publique s’inscrit dans une logique d’ordre social. (….) Légitimée par le savoir épidémiologique, elle est appel à la conformité ».

La prévention quelle qu’elle soit est toujours porteuse d’une idéologie même si c’est celle du progrès et de valeurs qui ne sont pas forcément celles de tout un chacun. La santé n’est pas une valeur pour tous même si certains ont tendance à associer santé et bonheur. Ainsi, ceux qui s’écarteraient de la norme que serait la santé devraient avoir honte de ne pas avoir tout fait pour préserver ce capital. Le droit à la santé, valeur fondamentale de la santé publique, serait associé à un devoir individuel et non collectif de le maximiser 180 .

Qu’adviendrait-il si certains individus refusent de conformer à la norme telle que les experts la définissent ? Comment la société va-t- elle traiter ces nouveaux déviants qui ne veulent pas être heureux ?

On rappellera que l’étymologie du mot « prévenir », issu du latin judiciaire « praevenire », citer en justice : le prévenu, aujourd’hui figuré par l’individu qui ne se conformerait pas à la bonne conduite en matière de santé, est donc à la fois jugé responsable et peut-être coupable. Le double sens du mot « prévention », qui suggère à la fois l’existence d’un danger possible et l’idée de suspicion, doit nous alerter face aux dérives possibles en matière de stigmatisation.

La stigmatisation de certains groupes apparaîtrait d’autant plus « facile » que l’on connaîtrait les facteurs de risques provoquant l’apparition des maladies : tabac et cancer du poumon par exemple. L’ostracisme envers les fumeurs aux USA illustre ce propos. Il apparaît donc que face aux progrès de la science et à certains discours de prévention, prendre un risque tend à devenir anormal, inadmissible et source potentielle de culpabilité.

Une vie sans risque est-elle possible ?

La stigmatisation des comportements à risques liés à une responsabilité individuelle est irrationnelle quand on sait que les principaux déterminants de santé sont sociaux, culturels, fonction du niveau de formation, de conditions de travail et de rémunération, etc.

Les comportements à risque doivent souvent s’interpréter comme étant des stratégies d’adaptation à des conditions de vie difficiles. Plutôt que de stigmatiser ces comportements, il conviendrait de voir ce qui pourrait se faire en amont pour éviter ces comportements.

Faut-il alors cibler les interventions ?

JF. GIRARD 181 , ancien directeur général de la santé, a souligné que la prévention soulève un « problème idéologique », au sens où elle est liée à la notion de cible et de définition de cibles : G. CANGUILHEM 182 rappelait que La communication sur le sida a bien montré par exemple qu’après avoir dit que la maladie concernait tout le monde, une deuxième époque est advenue ciblant les populations homosexuelles masculines à la demande des associations. Le non affichage dans un premier temps des populations exposées était censé les protéger d’éventuelles stigmatisations.

Notes
179.

LECORPS, (P.), PATURET, (J-B.), Santé publique, du biopouvoir à la démocratie, ENSP, 2000, 186 p.

180.

LAST, (J.M.), Public Health and human ecology, Ed. McGraw-Hill Professional Publishing, 1997, 464 p.

181.

GIRARD, (J.-F.), Quand la santé devient publique, Hachette littérature, 1998, 258 p.

182.

CANGUILHEM, (G.) Etude d'histoire et de philosophie des sciences, J. VRIN, 1990, 7ème édition augmentée, 430 P.