Chapitre 2 : La question des représentations sociales

Généralités sur les représentations sociales

Une représentation sociale (RS) est une forme de connaissance courante, dite de sens commun. Celle-ci est caractérisée par les propriétés suivantes :

elle est socialement élaborée et partagée, elle se constitue à partir de nos expériences et des informations, savoirs, modèles de pensée reçus et transmis par la tradition, l'éducation et la communication sociale,

elle a une visée pratique d'organisation, de maîtrise de l'environnement et d'orientation des conduites et communications,

elle participe à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ou culturel donné.

Une représentation sociale peut être la représentation d'un objet réel ou irréel pour un groupe donné, par exemple la représentation sociale de l'insécurité, de l'hygiène ou du travail. La fonction de ces représentations est de permettre à l'individu de comprendre le monde par imputation et génération de signification. Elles organisent l'expérience et régulent les conduites.

Historique et évolution du concept : C’est une notion ancienne utilisée à l’origine par la philosophie. Pour E. KANT 185 Il a généralisé l’idée que pour S. MOSCOVICI 186 fait remonter à G. SIMMEL (1858-1918) et M. WEBER (1864-1920) la genèse de l’idée de représentation dans le champ de la sociologie.

‘Il attribue néanmoins à E. DURKHEIM (1858-1917) la paternité 187 réelle du concept de représentations. Il s’agit d’«une vaste classe de formes mentales (sciences, religions, mythes, espace, temps), d’opinions et de savoirs sans distinction. La notion est équivalente à celle d’idée ou de système, ses caractères cognitifs n’étant pas spécifiés». Il distingue représentations collectives et représentations individuellesDans la conclusion de son ouvrage, il pose les bases d'une réflexion sur le concept de représentation collective. Il considère d’ailleurs que la force des représentations collectives les rend dominantes. Il utilise ce concept pour analyser différents domaines sociaux, en émettant ’

C’est à J. PIAGET 188 que l’on doit un approfondissement de l’étude des mécanismes psychiques et sociologiques à l’origine des représentations et de leurs évolutions. Il introduit une rupture avec É. DURKHEIM, en montrant que si les représentations collectives pèsent sur les représentations individuelles (et donc le développement) de l’enfant, en grandissant, il acquiert une autonomie de ses propres représentations. Celles-ci évoluent en fonction des rapports successifs que l’individu entretient avec la société (de la soumission chez l’enfant à la coopération chez l’adulte).

Ainsi remet-il en cause le présupposé durkheimien de l’S. MOSCOVICI attribue à S. FREUD 189 l’analyse de la genèse des représentations individuelles (chez l’enfant), issue de la confrontation de l’action (recherches et découvertes de l’enfant), des représentations individuelles préalables et des représentations collectives (venues des parents) et de leur influence sur la conscience et l'inconscient. Il conclue de l’étude de S. FREUD qu’De l’étude comparée de ces auteurs, S. MOSCOVICI conclue « Ce qui l’a conduit en 1961 à renouveler l’étude des représentations en les abordant comme Dans son ouvrage « La psychanalyse, son image et son public » 190 , il s'attache à montrer L'aspect dynamique des représentations sociales est ainsi mis en valeur : par exemple, pour s'approprier une nouvelle connaissance, la psychanalyse, les individus construisent une représentation de celle-ci en retenant la majorité de ses notions de base (le conscient, l'inconscient, le refoulement), mais en occultant un concept essentiel, celui de la libido qui renvoie à l'idée de sexualité.

Les nouvelles notions sont intégrées aux schèmes de pensée préexistants et influencent ensuite les attitudes et les comportements des gens. Le langage courant a maintenant assimilé des termes tels que lapsus, complexe d'Œdipe, névrose.

Selon JAHODA, citée par R. FARR 191 , la psychanalyse est une représentation psychologique du corps. La diffusion de la psychanalyse dans la culture française induit, dans un mouvement dynamique, de nouvelles représentations sociales du corps.

A la suite de S. MOSCOVICI, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux représentations sociales : des psychosociologues comme D. JODELET 192 , des sociologues comme P. BOURDIEU 193 , des historiens – Ph. ARIÈS 194 et G. DUBY 195 . Le champ d'investigation de ces chercheurs est large. Citons pour exemple les représentations de la santé et de la maladie (C. HERZLICH 196 et F. LAPLANTINE 197 ), du corps humain et de la maladie mentale (D. JODELET).Des études sur le rapport entre les représentations sociales et l'action ont été menées par JC. ABRIC 198 qui s'est intéressé au changement dans les représentations.

Notes
185.

RUANO -BORBALAN, (J.-C.), « Une notion clef des sciences humaines », in Sciences Humaines n°27, avril 1993, p.16.

186.

MOSCOVICI, (S.) Des représentations collectives aux représentations sociales, p. 64, in JODELET D., Les représentations sociales, coll. Sociologie d’aujourd’hui, P.U.F. 1989.

187.

DURKHEIM, (E.), Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Le livre de poche, 1991.

188.

PIAGET, (J.), La représentation du monde chez l'enfant. Paris, PUF, 1926.

189.

FREUD, (S.), Psychologie collective et analyse du moi, 1921 en ligne sur http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.frs.psy1

190.

MOSCOVICI, (S.), La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF 1961 (2è éd. 1976).

191.

FARR, (R.), Les représentations sociales, in Psychologie sociale, sous la direction de S. MOSCOVICI, Paris, PUF, Le psychologue, 1997, p. 385.

192.

JODELET, (D.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1991.

193.

BOURDIEU, (P.), Ce que parler veut dire. L'éc*onomie des échanges linguistiques, Paris Fayard, 1982.

194.

ARIES, (P.), Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le 18e siècle , Points, 2001, 414 p.

195.

DUBY, (G.), Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme. Paris, Gallimard, 1978.

196.

HERZLICH, (C.), Santé et maladie, analyse d'une représentation sociale, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1996 (1ère éd.1969).

197.

LAPLANTINE, (F.), Anthropologie de la maladie, Etude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société contemporaine, Payot, 1993, 420 p.

198.

ABRIC, (J.-C.), Pratiques sociales et représentations, sous la direction de J-C ABRIC, PUF, 1994, 2ème édition 1997.