La théorie du noyau central

Dans les années 1990, la recherche fondamentale dans le domaine des représentations sociales a été marquée par deux tendances conceptuelles : la prise en compte de l’aspect normatif ou évaluatif d’une représentation sociale et l’identification de ses différentes dimensions. D’un côté, W. DOISE 208 insiste sur l’aspect normatif des représentations sociales tandis que C. FLAMENT 209 , 210 insiste sur la normativité. À l’opposé, d’autres chercheurs insistent sur l’existence de plusieurs dimensions (essentiellement descriptive, évaluative et fonctionnelle) dans une représentation sociale tels J.C. ABRIC & E. TAFANI 211 , P. MOLINER 212 , PHF. CAMPOS et ML. ROUQUETTE 213 (qui y ajoutent la dimension affective).

Néanmoins c’est la notion de noyau central qui demeure l’axe structurant d’une RS. Comme le dit JC. ABRIC « toute représentation est organisée autour du noyau central ». Il est constitué d’éléments objectivés, agencés en un schéma simplifié de l’objet. Le noyau figuratif constitue une base stable autour de laquelle se construit la représentation. L’idée fondamentale de la théorie du noyau est que dans l’ensemble des cognitions se rapportant à un objet de représentation, certains éléments jouent un rôle différent des autres. Ces éléments appelés éléments centraux se regroupent en une structure nomme «noyau central» ou «noyau structurant». Le noyau central ou noyau structurant d’une représentation assure deux fonctions essentielles :

Une fonction génératrice de sens: Il est l’élément par lequel se crée ou se transforme, la signification des autres éléments constitutifs de la représentation. Il donne un sens aux éléments.

Une fonction organisatrice : Autour du noyau central, s’organisent les autres cognitions de la représentation. C’est le noyau central qui détermine la nature des liens qui unissent entre eux les éléments de la représentation. Il unifie et stabilise la représentation.

Le noyau structure à son tour les cognitions se rapportant à l’objet de la représentation. Ces cognitions placées sous la dépendance du noyau sont appelées les éléments périphériques. Si le noyau structurant peut se comprendre comme la partie abstraite de la représentation, le système périphérique doit être entendu comme la partie concrète et opérationnelle. Le noyau central et les éléments périphériques fonctionnent comme une entité où chaque partie a un rôle spécifique mais complémentaire de l’autre.

Leur organisation et leur fonctionnement sont régis par un double système :

Le système centralstructurant les cognitions relatives à l’objet, fruit des déterminismes historiques et sociaux auxquels est soumis le groupe social. Le système central, constitué par le noyau central de la représentation est directement lié et déterminé par les conditions historiques, sociologiques, et idéologiques. Il est marqué par la mémoire collective du groupe et aussi par le système de normes auquel il se réfère. Le système central constitue la base commune collectivement partagée des représentations sociales. Sa fonction est consensuelle c’est par lui que se réalise et se définit l’homogénéité d’un groupe social. Le système central est stable, cohérent, il résiste au changement assurant ainsi une deuxième fonction celle de la continuité et de la permanence de la représentation. Ce système est relativement indépendant du contexte social et matériel dans lequel la représentation est mise en évidence.

Le système périphériqueen prise avec les contingences quotidiennes permet dans certaines mesures l’adaptation de la représentation à des contextes sociaux variés. Ce système est fonctionnel, c’est grâce à lui que la représentation peut s’inscrire dans la réalité du moment. Contrairement au système central, il est plus sensible et déterminé par les caractéristiques du contexte immédiat. Il constitue l’interface entre la réalité concrète et le système central. Il permet la régulation et l’adaptation du système central aux contraintes et aux caractéristiques de la situation concrète à laquelle le groupe est confronté. Il permet une certaine modulation individuelle de la représentation.

Ainsi constituée d’un système stable et d’un système flexible, la représentation sociale peut répondre à l’une de ses fonctions essentielles : l’adaptation sociocognitive. A partir de ces notions, les RS peuvent évoluer sous trois formes sous l’influence des pratiques sociales :

Une transformation brutale: on peut observer ce type de transformation, lorsque les nouvelles pratiques mettent en cause directement la signification centrale de la représentation, sans recours possible aux mécanismes défensifs mis en œuvre dans le système périphérique. Le changement est alors massif et immédiat.

Une transformation résistante: Elle se produit quand les pratiques sont en contradiction avec la représentation. Cette contradiction peut être gérée dans la périphérie. Lors de la transformation résistante la représentation est caractérisée dans le système périphérique par l’apparition de « schèmes étranges » découverts et définis par C. FLAMENT 214 . Ces schèmes sont composés de la manière suivante : le rappel du normal, la désignation de l’élément étranger, l’affirmation d’une contradiction entre les deux termes, la proposition d’une rationalisation permettant de supporter la contradiction.

Une transformation progressive : lorsqu’il existe des pratiques anciennes mais rares qui ne se sont jamais trouvées en contradiction avec la représentation, la transformation va s’effectuer sans rupture, c est à dire sans éclatement du noyau central. Les schèmes activés par les pratiques nouvelles vont progressivement s’intégrer à ceux du noyau central, et fusionner pour constituer, un nouveau noyau et donc une nouvelle représentation.

Notes
208.

DOISE, (W.), Droits de l’homme et force des idées, 2001, P.U.F.,

209.

FLAMENT, (C.), La représentation sociale comme système normatif, Psychologie et Société, 1999, 1, 29-53.

210.

FLAMENT, (C.), Représentations sociales et normativité : quelques pistes in BUSCHINI (F.), KALAMPALIKIS, (N.), Penser la vie, le social, la nature. Mélanges en l’honneur de Serge Moscovici, 2001, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, pp 257-261.

211.

ABRIC, (J.-C.), TAFANI, (E.), Nature et fonctionnement du système central d’une représentation sociale : la représentation de l’entreprise, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 1995, 28, 28-31.

212.

MOLINER, (P.), Les deux dimensions des représentations sociales, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 1994, 20, 5-13.

213.

CAMPOS, (P.H.F.), ROUQUETTE, (M.-L.), La dimension affective des représentations sociales: deux recherches exploratoires. Bulletin de psychologie, 2000, 53(4), 435-441.

214.

FLAMENT, (C.), Pratiques et représentations sociales, In BEAUVOIS, (J.-L.), JOULE, (R.-V.), MONTEIL, (J.-M.), (dir.), Perspectives cognitives et conduites sociales, COUSSET: DEVAL, 1987, 143-150.