Un dernier point que nous souhaiterions mettre en avant dans le travail de P.PERETTI-WATEL est l’importance du rôle des pairs. Il note que Application à notre travail

H.S. BECKER demeure une influence dans notre façon d’aborder le sujet.

Traiter de la consommation de cannabis chez ceux qui sont censés faire de la prévention n’était pas gagné au départ et nombreux furent ceux qui tentèrent de me décourager en soulignant le peu d’intérêt du sujet et en posant la question essentielle à notre époque : « A quoi ça sert ? ». Néanmoins, nous avons poursuivi ce travail en essayant de rester fidèle à quelques grands principes rappelés par P.PERETTI-WATEL ci-dessus.

Même si nous avons pratiqué des analyses multivariées, nous n’avons pas prononcé de rapports définitifs de causalité. Il semble cependant que notre travail fasse écho à beaucoup d’enquêtes épidémiologiques.

En refusant de juger les gens et les pratiques, nous n’avons jamais employé le terme de maladie concernant les « usagers » de cannabis enquêtés. De même, nous sommes largement d’accord sur l’ambiguïté du terme d’addiction concernant l’usage de cannabis. Nous avons fait là aussi un large développement dans notre première partie. Cette ambiguïté n’est pas levée. Où est la frontière entre l’usage et la dépendance surtout si l’on est soi-même le juge de sa propre consommation. Comme nous l’avons énoncé, « le drogué, c’est toujours l’autre et jamais soi ». Cela se confirme dans notre travail dans toutes les analyses faites entre les expérimentateurs et les non-expérimentateurs, de même qu’entre les non-consommateurs et les consommateurs actuels par rapport à l’influence des parents, des pairs et de la représentation que l’on se fait du professionnel que l’on deviendra. L’expérimentation et la consommation actuelle modifient de façon très sensible les positions des étudiants et ceux qui consomment ont toujours une attitude très compréhensive de la consommation même s’ils semblent réprouver la consommation quotidienne de cannabis ainsi que celle de whisky, ils valident presque tous la consommation de cinq verres d’alcool en une seule occasion ce qui correspond à l’ivresse mais qui n’apparaît pas forcément dans leur esprit comme une situation à risque puisque « tout le monde fait comme ça ! ».

En fait, cette idée qui est énoncée par les consommateurs de produits psychotropes est très fréquente et peut se rapprocher de la surestimation du nombre de consommateurs du même âge. On vit de façon assez cloisonnée avec des amis avec qui on fume et on boit et l’on n’imagine que difficilement qu’une autre vie est possible. Pourtant, on abandonne ces pratiques peu à peu quand on quitte les lieux de formation car souvent on n’est plus dans cet environnement favorisant qui fait croire que fumer du cannabis est normal (dans le sens d’une norme qui s’appliquerait à cette consommation parmi les étudiants). Ceux qui persistent dans la consommation découvrent à leurs dépends que cette consommation n’est peut-être pas si anodine quand elle devient solitaire et persistante et que le nouvel entourage moins complaisant (une copine qui ne fume pas, issue d’un autre milieu, qui veut un enfant, etc.…les exemples ne manquent pas même si ceux cités semblent réducteurs, ils sont ceux rencontrés le plus fréquemment dans une consultation). On comprend alors que par rapport à l’époque de HS. BECKER et même par rapport à ce qu’écrit P. PERETTI-WATEL, la dépendance physique au cannabis existe et que l’on passe dans un autre registre que nous n’avons pu objectiver car cela ne correspondait pas à notre travail initial et que l’évaluation de l’aspect quantitatif d’une consommation chez des personnes a priori non-volontaires aurait entraîné à notre avis d’importantes sous-déclarations.

Enfin, dans les hypothèses où les étudiants pourraient être qualifiés de déviants, qui sont les « entrepreneurs de morale » ? A n’en pas douter, ils existent même si les croisades n’ont pas pris une ampleur de nature à « stigmatiser » les usagers. On peut citer les sénateurs (dont le sénateur de Paris B. PLASAIT), qui ont rédigé en son temps le rapport « La drogue, l’autre cancer » 238 et les parlementaires dont le député R. DELL’AGNOLA qui a déposé dans la foulée une proposition de loi relative à la lutte contre la toxicomanie, à la prévention et à la répression de l’usage illicite de plantes ou de produits classés comme stupéfiants enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23.06.2004 239 .

Ce dernier avait déjà œuvré en déposant une proposition de Loi 240 visant à sanctionner la conduite sous l'influence de stupéfiants qui fut adoptée en janvier 2003. Cette loi vise à sanctionner la conduite sous l’influence de produits ou de plantes classés comme stupéfiants. Cette loi crée un délit de conduite sous l’influence de stupéfiants sanctionné des mêmes peines que l’alcool au volant, instaure un contrôle aléatoire de l’usage de stupéfiants sur les routes et autorise un contrôle systématique sur les conducteurs impliqués dans des accidents corporels. On notera que le rapport SAM (Stupéfiants Accidents Mortels) 241 qui imputera la mort de 230 personnes à l’usage de cannabis (comparé aux 2270 imputables à l’alcool) ne paraîtra qu’en septembre 2005 soit après le vote d’une loi qu’il est censé justifier.

Ces « victoires » sont relayées par des sites à tendance comme www.drogues-danger-debat.org dont nous avons déjà parlé dans notre première partie.

Que penser dans ce contexte de la campagne « Le cannabis est une réalité » que nous avons évoquée dans notre première partie ? Que penser de cette prévention et de ces lois faites dans l’intérêt de la population ? Ne sont-elles pas sous couvert de « faire le bien » de nouveaux moyens de contrôle ? Que penser de la généralisation de tests urinaires destinés à dépister des drogues à l’embauche comme cela est déjà fait dans certaines professions (professionnels roulants de la SNCF) ? Et s’ils étaient pratiqués lors de visites médicales obligatoires avant d’entrer dans une formation ? Et s’ils étaient pratiqués à l’insu des gens mais que leur résultat influe sur la carrière ?

On le voit, si nous apparaissons protégés encore pour l’instant, la marge est ténue et le basculement possible de façon rapide. D’un côté, faire des lois pour la société, de l’autre, tenir compte de la singularité de l’individu dans son rapport au risque nécessaire dans sa construction personnelle. Il est toujours difficile de respecter l’équilibre entre les libertés individuelles et l’intérêt général.

Notes
238.

PLASAIT, (B.), Rapport de commission d'enquête, fait au nom de la commission d'enquête, sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites [n° 348 (2001-2002)] - Drogue : l'autre cancer [n° 321 tome 1 (2002-2003)] (3 juin 2003) sur www.senat.fr.

239.

Disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion1696.asp.

240.

LOI n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants JO du 4 février 2003 sur le site www.legifrance.gouv.fr.

241.

Disponible sur www.ofdt.fr/ofdtdev/live/publi/rapports/rap05/sam.html.