Le discours sur les produits

P.PERETTI-WATEL dans un livre au titre imagé 242 montre à partir d’articles récents que les consommateurs vont adapter leur discours en fonction de leur interlocuteur. On ne s’adresse pas de la même façon à un ami qu’à un juge concernant sa consommation qu’on tente de la justifier ou de la revendiquer. Il suggère de confronter le discours des usagers à celui des entrepreneurs de morale pour voir si ces deux prises de paroles ne se renforcent pas. D’un côté, les usagers évoquent l’aspect privé de leurs pratiques tandis que leurs opposants en font un problème de société.

Pour lui, les discours sont assez similaires car ils mettent en avant les mêmes notions d’autonomie et de responsabilisation en rejetant la dépendance. Les uns en réduisant leur usage du produit à la sphère privée disent maîtriser leur consommation, les autres leur répondant que toute drogue est nocive leur promettent l’escalade vers des produits encore plus nocifs. Cette auto-alimentation des deux discours est sans fin et les rares débats télévisés sur la question en sont l’illustration.

En fait, parce qu’il s’agit d’un usage récréatif, les revendications des usagers apparaissent plus conventionnelles que révolutionnaires. Comme le notent F. DUBET 243 et S. AQUATIAS 244 , il s’agit le plus souvent d’usage récréatif de drogues. Cet usage est le fruit d’une élaboration complexe qui n’est pas si facile à définir.

Le fait que l’usage de cannabis ne soit plus associé à des minorités identifiées le renvoie plus à des attitudes conventionnelles. Il n’y a pas de la part des consommateurs de revendication identitaire contestant la société sinon dans les pratiques adolescentes. Une étude menée par A. FONTAINE 245 montre que les revendications des usagers sont assez loin de préoccupations contestataires et qu’ils se caractérisent plus par un rejet de la politique.

Les usages récréatifs renvoient plutôt à des pratiques de semaine (avec recherche d’un effet stimulant ou relaxant) et s’opposent à des usages utilitaristes plus axés sur la défonce maximum du week-end ou dans un but de recherche de performance même si, comme le note DUBET, les frontières peuvent s’estomper pour des sujets où le temps de loisir et le reste de la vie sont assez mêlés.

L’usage récréatif est sociable plutôt que solitaire. La convivialité associée au cannabis est souvent assimilée à celle associée à l’alcool.

Enfin, le quatrième critère relevé par P. PERETTI-WATEL 246 est l’aspect maîtrisé de la consommation. Il apparaît que l’usage récréatif est transitoire et que l’on peut y mettre fin « lorsque de nouvelles contraintes ou de nouveaux centres d’intérêt apparaissent, notamment dans les domaines affectif, familial ou professionnel. »

Ceci renvoie à la notion bien connue que la majorité des consommateurs de cannabis ne relèvent pas des soins ce que confirment à la fois les données des consultations dans les structures spécialisées mais également la fréquentation « spontanée » des consultations cannabis qui ne semblent avoir évité le ridicule que grâce à l’orientation pénale des injonctions de soins. La plupart d’entre elles et le bilan énoncé dans la première partie l’a bien montré s’arrêtent après le premier entretien et la prise en charge demeure avant tout éducative qu’elle soit familiale ou institutionnelle.

Notes
242.

PERETTI-WATEL, (P.), Cannabis, ecstasy : du stigmate au déni, les deux morales des usages récréatifs de drogues illicites, 2005, l’Harmattan, 294 p.

243.

DUBET, (F.), La galère, jeunes en survie, 1987, Paris, FAYARD, 503 p.

244.

AQUATIAS, (S.), Cannabis : du produit aux usages. Fumeurs de cannabis dans les cités de la banlieue parisienne, Sociétés contemporaines 1999, 36, 53-66.

245.

FONTAINE, (A.), FONTANA, (C.), VERCHERE, (C.), VISCHI, (R.), Pratiques et représentations émergentes dans le champ de l’usage de drogues en France, 2001, Paris, OFDT.

246.

Op. Cit. p.175