Souvent le déni est une arme utilisée pour survivre à ses propres contradictions. En effet, d’un côté nous avons des individus qui consomment, certes de façon récréative, des substances illicites et d’un autre côté, ils sont associés à des pratiques qui visent à réduire les conséquences de ces consommations. Ils se trouvent en situation de dissonance cognitive telle que proposée par L. FESTINGER 250 qui la définit commePour rendre acceptable le fait de fumer du cannabis alors que les fumeurs de cannabis sont montrés du doigt par la société, il faut que le fumeur diminue l’écart qui existe entre le stéréotype dépréciateur attaché à la consommation et sa propre attitude. Comme l’écrit encore P. PERETTI-WATEL (op. cit. p 185) : Cette neutralisation de la dissonance permet à l’individu de ne pas se blâmer lui-même mais également d’échapper au blâme des autres. Ce déni du risque doit reposer sur une rationalité cognitive.
‘Une première façon de nier le risque est par exemple la confiance en soi. L’argument qui consiste à dire : « je sais ce que je fais, je suis raisonnable, je ne me fais jamais prendre » signifie peu à peu que je me distingue du groupe puisqu’il ne m’arrive rien à moi et ce sont les autres qui ont des problèmes. Quand on sait qu’un fumeur sur deux mourra des conséquences de son tabagisme dans les vingt ans qui viennent, il vaut mieux pour certains ne pas être seuls dans la pièce. Les gens qui nient le risque de cette façon peuvent largement l’agrémenter de justifications professionnelles et dans ce cas précis, médecins et infirmiers peuvent rivaliser. La rationalité du propos devient alors évidente pour l’entourage. On retrouve cela pour justifier a posteriori des conduites concernant le cannabis et qui induisent des difficultés pour faire de la prévention. En effet, prétendent ces « spécialistes » : « » tel l’ancien président B. CLINTON pour plaire à son électorat.’ ‘Une autre façon de nier le risque est de le comparer à un autre risque ; Tout le monde s’y risque si j’ose dire. Il faut comme d’habitude que cela soit rationnel pour être accepté mais les spécialistes du grand écart sont ici légion. La phrase de L. JOSPIN candidat à la présidentielle en 2002 énoncée en catastrophe quelques jours avant le 1er tour et reprise par le quotidien Le MONDE « » en est un exemple. On voit bien que l’on ne compare pas la même chose mais dans l’esprit des gens cela peut apparaître crédible. Une idée répandue dans la population générale est que l’on peut tout faire dire aux chiffres et aux statistiques. On peut toujours prouver que « manger des cacahuètes est plus dangereux que faire un saut à l’élastique » pourtant la majorité des gens préféreront choisir de manger des cacahuètes même si on peut prouver qu’il y a eu plus de morts par « fausse route » et asphyxie avec des cacahuètes, la prise de danger attachée au saut à l’élastique impressionnera toujours plus. ’Une dernière façon de dénier le risque est la désignation d’un « bouc émissaire ». L’usager de cannabis va créer les conditions d’appartenance à un groupe (ce qui le rendra plus fort parce que plus nombreux), par exemple, les usagers raisonnables maîtrisant leur consommation de cannabis et ils vont désigner un bouc émissaire qui lui, représentera la déchéance, l’absence de maîtrise. Longtemps, ce bouc émissaire a été l’alcoolique. Son rôle n’est plus en vogue. En effet, comme nos enquêtes le confirment, la consommation de cannabis est de plus en plus associée avec les ivresses. C’est donc l’héroïnomane qui vient jouer ce rôle de bouc émissaire avec sa dépendance, sa déchéance physique due aux infections virales. L’amélioration des soins grâce aux thérapeutiques de substitution et la meilleure prise en charge des infections virales devrait amener rapidement nos consommateurs de cannabis à changer de bouc émissaire. Les usagers d’héroïne ont bénéficié dans les quinze dernières années de progrès majeurs et de la mise en place d’une vraie politique de prévention basée sur la réduction des risques 251 . On a vu dans nos enquêtes que ce qui apparaissait répréhensible était la consommation quotidienne d’alcool et de cannabis, le bouc émissaire ne semble-t-il pas tout désigné à moins qu’il ne représente la crainte ultime.
Ces trois mécanismes peuvent apparaître indépendamment ou simultanément, l’important est qu’ils apparaissent crédibles pour la personne et permettent de justifier la conduite. En se les appropriant comme de nouvelles vérités, ils permettent de diminuer la dissonance cognitive.
FESTINGER, (L.), A theory of cognitive dissonance, Stanford, Evanston, Row & Peterson, 1957.
COURTY, (P.), « La prévention et la prédiction appliquées aux usagers de drogue » - V.S.T. juin 2007 – N° 94, pp .40-46.