Application à notre recherche

Les étudiants que nous avons enquêtés semblent s’inscrire dans les différentes caractéristiques que nous venons de mettre en avant d’autant plus que trois des professions concernées ont fait l’objet d’études (professeurs des écoles, éducateurs spécialisés, infirmiers).

La constante que nous retrouvons est l’importance des acquis antérieurs ce qui pourrait être assimilé à l’identité personnelle des individus. Elle semble primordiale dans l’engagement dans une profession donnée. La professionnalisation apparaît au moment où les acteurs sont confrontés à la réalité du métier : deuxième année de formation pour les infirmiers, les éducateurs spécialisés et les professeurs des écoles alors que cela intervient effectivement plus tardivement chez les étudiants en médecine.

C’est curieusement et paradoxalement à ce moment-là que la consommation de cannabis augmente dans la plupart des formations. On a déjà évoqué les effets du stress dans le chapitre précédent mais on pourrait postuler une autre idée à savoir que la meilleure connaissance des uns et des autres permet de nouer des rapports amicaux basés sur les représentations sociales antérieures plutôt que des rapports professionnels puisque malgré des stages et la confrontation au métier, ils demeurent encore étudiants. On fume donc du cannabis avec des amis et pas avec des collègues de travail dans un cadre professionnel. Il y a donc une distance avec l’objet cannabis et une faible implication car il n’est pas encore l’objet de représentation professionnelle et socioprofessionnelle.

Par contre, l’année d’après dans les formations telles que les infirmiers et les éducateurs spécialisés, on voit apparaître à la fois un meilleur score pour les connaissances concernant les addictions et également une diminution sensible de la consommation. Ceci apparaît toutefois difficile à analyser pour les professeurs des écoles compte tenu de la brièveté relative de leur formation professionnelle. De même, il aurait été intéressant de pouvoir enquêter les étudiants en médecine après leur thèse pour observer s’il y avait à ce moment-là le même changement que nous avons constaté chez les infirmiers des éducateurs.

Il aurait été intéressant également de poser des questions sur la façon dont ils conçoivent et se représentent le traitement des usagers de cannabis qu’ils soient éducateurs, infirmiers, professeurs des écoles ou étudiants en médecine. L’évolution de leurs opinions aurait peut-être permis de confirmer le passage d’une représentation sociale antérieure sur le cannabis à une représentation socioprofessionnelle. Comment gérer le paradoxe de consommer du cannabis et faire en même temps de la prévention de sa consommation ?

On peut alors penser que pour ne pas être débordé par ce paradoxe, nos acteurs de prévention sont obligés de mettre en œuvre des dispositifs qui leur permettent de séparer l’aspect privé de leur consommation et leur comportement professionnel. On peut cependant de se poser la question s’ils ont cette maturité pendant leur formation ou au début de leur activité professionnelle tant l’opinion qu’ils ont sur les professionnels accomplis paraît ressembler plus à une projection de leurs désirs qu’à une réalité souhaitable.

Ce clivage ne peut s’imaginer que parce qu’ils ont cloisonné différentes parties de leur identité. On peut alors imaginer qu’ils ne sont pas dans une position réflexive vis-à-vis de leur pratique. Ils semblent être « dans ce qu’ils font au moment où ils le font » mais rarement dans la réflexion et ce, autant dans la sphère privée que dans leurs pratiques professionnelles naissantes. La confrontation aux premières difficultés professionnelles tel l’éducateur stagiaire cité dans notre avant-propos qui se voit questionné sur sa propre consommation entraîne des remises en cause qui peuvent faire avancer l’individu en formation mais elle peut aussi le rigidifier sur des positions théoriques et lui faire mettre à distance tout la dimension humaine de sa pratique.

Alors, il faut imaginer que dans cette formation et tout ce qui va toucher à l’éducation pour la santé, la dimension de réflexion sur sa pratique devient une partie incontournable.