Une éducation aux valeurs

Cette éducation aux valeurs aura toujours deux composantes entre celles qui concernent la collectivité tout entière et les valeurs privées qui n’ont pas incidence directe sur la vie communautaire. La santé se situe à la fois dans ces deux champs et c’est ce qui semble poser problème.

La situation se complexifie également à différents niveaux de compréhension. Actuellement, il faut tenir compte du rôle de plus en plus prégnant de ceux que l’on dénomme experts. Utilisés les uns contre les autres, ils trouvent leur raison d’être dans ce que l’on appelle les « batailles d’experts ».

L’application des différents niveaux législatifs (France, Europe) entraîne également en apparence des difficultés alors que n’est que l’expression de la démocratie. Ces différents niveaux de justice peuvent être utilisés dans des comportements paradoxaux puisqu’un citoyen condamné dans son pays et politiquement opposé à l’Europe pourra en contradiction avec ses idées chercher à se faire « blanchir » par la cour européenne de justice.

Enfin, il faut tenir compte de la mobilisation citoyenne, fruit encore un peu vert de l’extension de la législation. Les élus locaux ne s’y sont pas trompés et ils savent que tout projet mettant en cause la santé et l’environnement pourra se voir opposer la mobilisation des citoyens. Même si cette partie tient le plus souvent de l’irrationnel et de l’affectif, elle peut faire basculer des majorités en légitimant ses choix mêmes mauvais par l’onction du suffrage universel.

Les notions de morale publique et de morale privée se sont également déplacées et sont extrêmement mouvantes. Dans ces conditions on peut se poser la question suivante avec F.GALICHET et J.C MANDERSCHEID 263  : Dans ce contexte, on va pouvoir opposer d’un côté, des campagnes ciblées qui visent à obtenir des résultats à courte échéance en termes de modification de comportements rapide facilement évaluables souvent basées sur des techniques de suggestion à, d’un autre côté, des campagnes faisant appel à la réflexion consciente.

D’une part, on découpe le champ de l’éducation pour la santé en objectifs quantifiés, d’autre part, on essaie de prendre en compte la dimension globale de l’éducation pour la santé c’est-à-dire de l’éducation tout simplement.

Différents modèles peuvent alors se faire jour.

  • Le modèle mimétique repose sur la transmission de l’enseignant à l’élève non seulement de connaissances mais aussi d’habileté et de valeurs
  • Le modèle analogique basé sur l’expérience personnelle où l’élève sera placé en situation de résoudre un problème et éprouvera directement les moyens à mettre en œuvre.

Néanmoins, il ne paraît pas évident que l’on ait envie de ressembler à son maître ni que l’école soit toujours la société en réduction.

  • On en vient à penser qu’un troisième modèle appelé modèle réaliste permettrait en ouvrant l’école sur le milieu et sur les réalités de la vie de mieux appréhender les vrais problèmes. Le maître va perdre peu à peu une partie de sa toute-puissance dans la classe en devenant un médiateur entre les élèves et la réalité du monde. Il va devoir aussi faire appel à des intervenants extérieurs qui vont apporter une autre vérité que la sienne et ceci est particulièrement vrai avec l’apport de personnels médicaux dans l’éducation pour la santé.

Ce qui semble oublié dans les trois précédents modèles c’est la pédagogie. Comme le notent F. GALICHET et JC. MANDERSCHEID : En effet, la notion de valeur suggère l’idée d’un ensemble de normes cohérentes alors que nous avons vue qu’à l’heure actuelle il s’agit plutôt de L’éducation pour la santé reviendrait donc à apprendre à gérer ces contradictions qui traversent les sociétés et des individus ce qui sous-entend qu’il n’y a pas d’éducation aux valeurs sans apprentissage de la gestion de la normativité.

‘« Le problème n’est pas d’inculquer telle valeur ou ensemble de valeurs plutôt que telle autre. Il est plutôt de permettre l’émergence d’un questionnement, d’une inquiétude qui arrache l’enfant ou l’adolescent au confort d’un plein et sur un accord avec soi-même et de l’acceptation passive de l’altérité d’autrui : « lui c’est lui, moi c’est moi ». (F. GALICHET, JC. MANDERSCHEID, p.15)’

Il faut montrer que l’identité personnelle est en perpétuelle construction et qu’il existe le plus souvent un conflit entre ce qu’il est possible de faire ce que l’on a envie de faire.

Mais cela ne doit pas déboucher pour autant sur : « toutes les opinions se valent » et entraîner alors sur un consensus mou après avoir vaguement discuté.

‘La confrontation à l’altérité entraîne nécessairement des discussions débouchant sur des aspects passionnels ; on passe ainsi de l’acceptation passive de normes préexistantes à une dynamique par lequel selon l’expression de G. CANGUILHEM 264 .’

Tout l’enjeu du travail à mener par les acteurs de l’éducation pour la santé est de favoriser cet apprentissage, cette auto-éducation. Or, le préalable à cette tâche est d’avoir été soi-même éduqué.

(F. GALICHET, JC. MANDERSCHEID, p.16)’

Le rôle de l’enseignant dans ce cas précis mais on devrait l’extrapoler à tous ceux qui font de l’éducation pour la santé est un rôle qui en recouvre plusieurs : s’impliquer et se distancier, être acteur au milieu des autres et organisateur.

Pour nous, il s’agit d’une véritable mise en danger qui parait bien anodine par rapport à la consommation de produits mais qui correspond à un réel engagement de l’acteur vers les autres en acceptant cette remise en cause alors que toutes les professions enquêtées renvoient à un prestige ou à une légitimité sociale qui n’aurait pas besoin de cela pour exister.

Notes
263.

GALICHET, (F.), MANDERSCHEID, (J.-C.), l’éducation à la santé et la construction d’une entité dans le contexte des sociétés occidentales contemporaines, Revue Française de Pédagogie, numéro 114, 1996, 7-17.

264.

CANGUILHEM, (G.), Le normal et le pathologique, Paris, P. U. F., 10ème éd., 2005, 224 p.