On l’a vu déjà, seulement informer des dangers, jouer sur la peur, mettre en œuvre des actions ponctuelles et médiatiques sont des façons de faire encore fréquentes mais qui ne correspondant pas à nos valeurs. Certes, ces actions sont vite montées mais elles sont vite oubliées. Elles sont dans l’éphémère et tendant à positionner l’élève ou le grand public dans la position du consommateur de la prévention. L’évaluation qui en découle est facilement quantifiable et ravit les financeurs mais souvent tout cela débouche sur le schéma suivant : Vite montée, vite évaluée et surtout vite oubliée mais demeure le sentiment que l’on a fait quelque chose plutôt que rien ce qui renvoie à cette ineffable peur du vide de faire. L’action, l’agitation pour prouver que l’on existe. Où est le temps de la réflexion ?
Pourtant l’école doit avoir un tout autre rôle comme le souligne le préambule de la circulaire ministérielle 265 de décembre 2003.
‘ « L’école a la responsabilité particulière, en liaison étroite avec la famille, de veiller à la santé des jeunes qui lui sont confiés et de favoriser le développement harmonieux de leur personnalité. Elle participe également à la prévention et à la promotion de la santé en assurant aux élèves, tout au long de leur scolarité, une éducation à la santé, en articulation avec les enseignements, adaptée à la fois à leurs attentes et à leurs besoins ainsi qu’aux enjeux actuels de santé publique. L’objectif est de leur permettre d’acquérir des connaissances, de développer leur esprit critique et d’adopter par-là même des comportements favorables à leur santé en développant leur accès à l’autonomie et à la responsabilité. C’est pourquoi la prise en compte de la santé des élèves ne peut être l’affaire de quelques spécialistes mais concerne l’ensemble de la communauté éducative. Aussi, la promotion de la santé en faveur des élèves est-t-elle indissociable de la politique éducative globale. »’La promotion de la santé devient un processus continu où l’école a naturellement sa place. Ce « paradigme humaniste » tel que le décrit J. FORTIN 266 repose sur le développement de la personne et de ses potentialités où le maître joue un rôle de médiateur comme nous l’avons vu ci-dessus.
Il faut à la fois favoriser le développement de la personne et articuler les questions de santé avec les questions de société.
Comme l’écrit D. JOURDAN 267 Cela oblige à une pratique réflexive fondée sur l’analyse de son expérience d’enseignement « » 268 comme l’écrit H. HENSLER. Celle-ci doit être accompagnée d’une démarche de structuration et transformation de ses perceptions et de ses savoirs. P. PERRENOUD 269 rajoute qu’il ne s’agit pas que « Ainsi le retour réflexif contribue-t-il à la construction l’identité professionnelle mais il apporte également un enrichissement personnel au sujet.
Comme le souligne D. BERGER 270 :
La réflexion sur la pratique doit s’appuyer sur trois niveaux. Le premier est un plan technique (technical rationality) 271 qui oblige à choisir les bons outils. Le deuxième niveau (practical action) vise à la compréhension des actions et des expériences éducationnelles. D. SCHÖN a élaboré de nombreux concepts autour de la question de la réflexion en actes des enseignants qui fournissent des pistes pour questionner clarifier et approfondir. Le troisième niveau (critical reflexion) renvoie à l’attitude critique que peut avoir l’éducateur à la santé envers son environnement. Il décrit la pensée réflexive comme un processus continu, un retour de la pensée sur elle-même visant à faire émerger « la sagesse » de la pratique. D’abord la prise de conscience des déterminants et des éléments fondateurs de pratique amorce la réflexion sur l’action et conduit l’acteur d’éducation à la santé à prendre une posture métacognitive, à prendre une distance vis-à-vis sa pratique quotidienne et à s’interroger sur le contenu et les raisons qui justifient ces décisions, ses a priori pédagogiques et didactiques.
Le schéma suivant peut représenter la réflexivité en éducation pour la santé telle que l’a initialement proposé J-F. MORIN 272 .
D. BERGER insiste sur la nécessité de s’appuyer en formation initiale sur un sentiment d’auto efficacité et une estime de soi suffisante. En effet la modification des comportements en éducation pour la santé ne peut se faire sans avoir la conscience claire de ses capacités à le faire à une estime de soi suffisante.
L’approche réflexive connaît cependant des limites, stressée qu’elle peut être entre expertise et incertitude.
D’un côté, l’accumulation de tous les savoirs propres à chaque discipline mais également ce qui relève des concepts autorisant les savoirs en sciences de l’éducation mais également tout ce qui constitue le savoir d’expérience et le savoir d’action pédagogique 273 , tout ceci constituant l’identité professionnelle des acteurs : 274 De l’autre côté, paradigme de la certitude repose sur le savoir professionnel qui se construit dans l’action et considère que le savoir théorique ne peut rendre compte de toutes les situations.
Trop souvent, l’acteur de l’éducation à la santé en particulier en milieu scolaire est placé dans le paradigme de l’expertise ce qui rend difficile la reconnaissance de la possibilité d’aléas du réel. La professionnalisation des acteurs repose essentiellement sur des savoirs théoriques alors il serait important de s’interroger sur la possibilité de transmettre les savoir-faire. Il conviendrait alors en permettant aux acteurs de l’éducation pour la santé de réfléchir sur leurs pratiques pendant leur formation mais également après afin d’élaborer une meilleure connaissance de ces savoirs professionnels.
Cela semble commencer à fonctionner quelque peu dans l’école et il est nécessaire de généraliser ces dimensions autour de l’éducation pour la santé dans les autres métiers qui s’y rattachent.
Pour les infirmiers, M. JOUET LE PORS a bien montré dans son mémoire que l’identité professionnelle était passée par la reconnaissance d’un rôle propre qui permettrait peu à peu d’excéder à l’autonomie de cette pratique.
Les élèves éducateurs ont dans certaines écoles des groupes d’analyses de pratiques au moment des regroupements qui interviennent pendant les périodes de stage.
Enfin, les médecins en formation semblent peu réfléchir sur leurs pratiques en tout cas de façon non systématiquement institutionnalisée et les groupes BALINT qui ont connu certains succès dans les années 70 semblent alors s’essouffler.
Classiquement, dans ces professions, on acquiert un savoir théorique, on l’éprouve plus ou moins en stage et puis le temps doit faire le reste. Cependant, on voit comme la mise en place de l’apprentissage de cette réflexivité peut poser des problèmes car elle remet en cause les équilibres que certains ont cru trouver.
Quelle légitimité a le formateur pour analyser les pratiques alors qu’il n’a pas mis les pieds dans une institution ou dans un leu de soin depuis des années ?
A quoi servent les réunions de régulation d’équipe quand l’autorité du responsable n’est pas remise en cause par un intervenant extérieur ?
On le voit, c’est une mobilisation collective dont nous avons besoin dans ce domaine. C’est donc malgré tout encore l’école qui semble faire le mieux dans la formation des acteurs d’éducation pour la santé même si le professeur est rarement cité comme personne ressource pour les problèmes d’addiction à l’heure actuelle.
P.PERRENOUD décrit bien le cheminement quasi idéal 275 dans la séquence suivante :
On prend alors en compte le chemin qui reste à parcourir pour prendre en compte une dimension qui touche aux valeurs les plus essentielles, celles de la vie et du vivre ensemble.
Ministère de l’éducation nationale, encart spécial dans le bulletin officiel n° 46 du 11 décembre 2003, La santé des élèves : programme quinquennal de prévention et d’éducation, Circulaire n° 2003-210 du 1-12-2003
FORTIN, (J.) in LARUE, (R.), (Dir.), Ecole et Santé : le pari de l’éducation, Paris, éd. Hachette, 2000.
JOURDAN, (D.), Quels enjeux pour la formation des acteurs de l’éducation de la santé en milieu scolaire ? In La formation des acteurs d’éducation à la santé, dir. JOURDAN, (D.), Presse Universitaire du Sud, 2004, 401p.
HENSLER, (H.), La pratique réflexive, pour un cadre de référence partagé par les acteurs de la formation, Recherche et formation n° 36, 2001, INRP, Paris.
PERRENOUD, (P.), de la réflexion dans le feu de l’action à une pratique réflexive, Université de Genève, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation.
BERGER, (D.), Conclusion : Quelle(s) formation(s) pour les acteurs en éducation à la santé ?In La formation des acteurs d’éducation à la santé, dir. JOURDAN, (D.), Presse Universitaire du Sud, 2004, 401p.
SCHÖN, (D.), Le praticien réflexif, à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal, les éditions logiques, 1994.
MORIN (J.F.) La pratique réflexive en enseignement : un survol de quelques approches théoriques, FARC-NTIC, Université de Sherbrooke, conférence du 15 mars 2002, Canada.
PERRENOUD, (P.), Du travail sur les pratiques au travail sur l’habitus, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.
BARBIER, (J.-M.), Savoirs théoriques et savoirs d’action, Paris, PUF, 1996, 305 p.
PERRENOUD, (P.), Former les enseignants débutants qui deviendront des praticiens réflexifs, Forum Pédagogies, Bruxelles, janvier 1996,10 – 12.