Première partie. Écrire l’histoire d’une insurrection de la Seconde République

Chapitre I. Panorama des recherches antérieures

A.‑ La Seconde République entre les « éclairs de février »  95 et le « coup de Décembre 1851 »  96

Un numéro spécial de la Revue d’histoire du XIX siècle consacré à Cinquante ans de recherche sur 1848 atteste de la vitalité des recherches sur le sujet et recense près de 1 200 références bibliographiques  97 . De nombreux chercheurs ont fait le choix de conduire leurs réflexions dans le cadre d’entités régionales. Louis Chevalier  98 s’est intéressé à la région parisienne, Philippe Vigier  99 à la région alpine, Jean‑Claude Farcy  100 aux paysans de la Beauce, Alain Corbin  101 a étudié trois départements du Limousin (Haute-Vienne, Creuse, Corrèze), Pierre Lévêque  102 , deux départements de Bourgogne : la Côte-d’Or et la Saône et Loire, Marcel Vigreux  103 , le Morvan avec 96 communes des départements de l’Yonne, de la Côte-d’Or, de la Saône-et-Loire et de la Nièvre. Certains inscrivent leurs recherches dans le cadre départemental, ainsi Paul Bois  104 pour la Sarthe, Georges Dupeux  105 pour le Loir-et-Cher, Maurice Agulhon  106 pour le Var et Jean‑Luc Mayaud  107 pour le Doubs ; d’autres ont restreint leur champ de perception et ont adopté une grande échelle d’analyse comme André Armengaud  108 qui étudie les populations de l’Est aquitain.

La chronologie retenue oriente également les problématiques de recherche en insérant la période de la Seconde République dans des ensembles chronologiques vastes. L’expérience républicaine de 1848 est replacée dans le cadre de la longue durée, soit vers l’amont avec Maurice Agulhon qui centre son étude de la veille de la Révolution de 1789 à l’insurrection de décembre 1851 et Pierre Lévêque amorçant son travail sous la Restauration, soit vers l’aval jusqu’à l’installation de la Troisième République avec Raymond Huard  109 pour le Gard (1848-1881), André Armengaud (1845-1871), Alain Corbin (1845-1880). Certains vont au-delà. Si George Dupeux et Pierre Goujon  110 fixent la borne chronologique en 1914, Paul Bois et Peter M. Jones  111 replacent leur analyse dans la continuité de l’histoire contemporaine.

Les travaux d’histoire régionale consacrés aux seules années 1848-1852 sont relativement rares. Jean‑Luc Mayaud a conduit sa thèse consacrée aux paysans du Doubs dans le contexte chronologique de la Seconde République ainsi que Peter McPhee  112 qui la circonscrit dans le cadre des Pyrénées‑Orientales de 1846 à 1852. Aucun ne s’est toutefois risqué à entrer dans l’histoire par l’événement qui mit un terme à la Seconde République : le « coup de Décembre 1851 ».

A l’occasion du cent cinquantième anniversaire du 2 décembre 1851, la Revue d’histoire du XIX siècle publia un numéro spécial « autour de Décembre 1851 »  113 . Sylvie Aprile et Raymond Huard s’attelèrent à la rédaction d’une bibliographie qui « s’efforçait de cerner au plus près ce qui a été écrit sur le Coup d’État depuis l’événement jusqu’à nos jours »  114 . Le nombre d’ouvrages produit sur le sujet est conséquent, surtout si l’on se réfère à la partie bibliographique départementale. Il n’est donc pas question de faire une historiographie exhaustive de toute la littérature parue sur le coup d’État. sachant qu’il existe déjà des mises au point faites par Rémy Gossez  115 en 1951, Maurice Agulhon  116 en 1974, Raymond Huard  117 en 2001 et Peter McPhee  118 en 2002. Il s’agit de s’intéresser à des publications phares, témoins des préoccupations historiques d’une époque et qui mettent en scène les insurgés de Décembre 1851. Certaines œuvres majeures, de ce fait, seront absentes de cet inventaire  119 , notamment celles qui s’intéressent aux seules causes du coup d’État.

Notes
95.

Selon l’expression de George DUVEAU, Histoire du Peuple français, de 1848 à nos jours direction L-H PARIAS, Nouvelle Librairie de France, Paris, 1953. « Les éclairs de février ont sillonné un ciel apparemment sans nuages : ils ont surpris la plupart des contemporains, ils nous surprennent encore ». p 35.

96.

Henri GUILLEMIN, Le coup du 2 décembre, Paris, Éditions Gallimard, 1951, 478 p.

97.

Bibliographie publiée dans le n°14 de la Revue d’histoire du XIX e siècle 1997/1.

98.

Louis CHEVALIER, Fondements économiques et sociaux de l’histoire politique de la région parisienne (1848‑1870, Paris-Sorbonne, 1951.

99.

Philippe VIGIER, La Seconde République dans la région alpine, PUF 2 tomes, 1963, 328 p et 534 p

100.

Jean-Claude FARCY, Les paysans beaucerons au XIX siècle, Chartres, Société archéologique d’Eure‑et‑Loire, 1989, deux tomes 1236 p.

101.

Alain CORBIN, Archaïsme et modernité en Limousin au XIX siècle 1845-1880, Paris Marcel Rivière, 1975, 1168 p, deux tomes.

102.

Pierre LÉVÊQUE, Une société en crise : la Bourgogne au milieu du XIX siècle, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1983, 592 p.

103.

Marcel VIGREUX, Paysans et notables du Morvan au XIX siècle jusqu’en 1914, Château-Chinon, Académie du Morvan, 1987, 756 p.

104.

Paul BOIS, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, Paris/La Haye, Mouton, 1960, 716 p.

105.

Georges DUPEUX, Aspects de l’histoire sociale et politique du Loir-et-Cher 1848-1914, Paris/La Haye, Mouton, 1962, 631 p.

106.

Maurice AGULHON, La République au village (Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République), Paris, Plon, 1970, 543 p.

107.

Jean-Luc MAYAUD, Les Secondes Républiques du Doubs, Paris, les Belles‑Lettres, 1986, 475 p.

108.

André ARMENGAUD, Les populations de l’Est aquitain au début de l’époque contemporaine. Recherche sur une région moins développée vers 1845-vers 1871, Paris/La Haye Mouton, 1961, 590 p.

109.

Raymond HUARD, La préhistoire des partis. Le mouvement républicain en Bas-Languedoc 1848-1881, Paris, FNSP, 1982, 520 p.

110.

Pierre GOUJON, Le vigneron citoyen. Mâconnais et Chalonnais 1848-1914, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1993, 325 p.

111.

Peter M. JONES, Politics and Rural Society in the Southern Massif Central, France, circa 1750-1880, Cambridge University Press, 1985, 374 p.

112.

Peter McPHEE, les semailles de la République dans les Pyrénées-orientales 1846-1852, Perpignan, Éditions de l’Olivier, 1995, 507 p. Il ne s’agit pas d’une simple traduction de sa thèse soutenue en 1977, mais d’une remise en question d’une partie de ses arguments.

113.

Autour de Décembre 1851, Revue d’Histoire du XIX siècle, n°22, 2001/1.

114.

Sylvie APRILE et Raymond HUARD, « Le coup d’État du 2 décembre 1851. Bibliographie », dans Autour de Décembre 1851, Revue d’Histoire du XIX siècle, pp 127-146.

115.

Rémi GOSSEZ, "Bibliographie critique de la littérature du coup d’État, 1848 et les Révolutions du XIXe, n°44, 1951, pp 153-158.

116.

Maurice AGULHON, « La résistance au coup d’État en province. Esquisse d’historiographie. Revue d’Histoire moderne et contemporaine, tome 21, janvier-mars 1974, pp 18-26.

117.

Raymond HUARD, « Présentation », Revue d’histoire du XIX e siècle, Autour de Décembre 1851, pp. 9-13.

118.

Peter McPHEE, « Autour du cent-cinquantenaire de la résistance au coup d’État de 1851. Les tendances historiographiques et le cas de Gabian (Hérault) » dans Michel CADÉ (dir.), L'Histoire à travers champs. Mélanges offerts à Jean Sagnes, Presses Universitaires de Perpignan, 2002, pp 37-55.

119.

Par exemple Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte.