« Une sorte de gros scarabée, avec des fleurs de lys peintes sur ses élytres, la tête enfermée dans une boite de fer » 245 avait impressionné l’enfant qui allait devenir l’historien Georges Duby. D’aussi loin que je puisse me souvenir de mon enfance et de mes années collège ou lycée, je ne vois rien qui puisse évoquer une quelconque image de l’insurrection de 1851. Aucune barricade, aucun bateau ancré dans la rade de Toulon pour transporter de l’autre côté de la Méditerranée des hommes enchaînés. Je feuillette un manuel d’histoire de la classe de troisième 246 « historiquement » daté de l’époque pendant laquelle je fréquentais les bancs du collège. A l’époque, je ne connaissais pas encore le nom des universitaires qui dirigeaient cette collection : Pierre Milza et Jean-Louis Monneron, tous deux maîtres-assistants à l’IEP de Paris et Serge Berstein, assistant à la Faculté des Lettres de Nanterre. Je ne sais pas non plus si mon professeur en ce temps-là avait abordé le sujet de « l’intermède républicain 1848-1851 » 247 m’expliquant :
‘« Entre cette assemblée à qui la Constitution de 1848 a confié le pouvoir législatif et qui prend une série de mesures réactionnaires (contrôle de l’enseignement confié à l’église (sic), loi électorale restreignant la portée du suffrage universel etc.), et le “Prince-Président” élu seulement pour quatre ans et non rééligible, le conflit est inévitable. Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon qui a su concilier l’armée et l’opinion publique, dissout la Chambre et fait arrêter les chefs de l’opposition » 248 . ’Et point final… La présentation des événements est bien conforme au « cahier des charges » défini dans l’avant-propos par les auteurs : « exposé fondamental allégé au maximum et présenté de façon claire, concrète, structurée, de façon à aider les élèves à retenir les grandes lignes du récit » 249 . Il serait peut être intéressant de savoir comment cette histoire du coup d’État est abordée aujourd’hui dans les manuels scolaires. Comment la connaissance élaborée dans les centres de recherche universitaires est finalement transposée dans les salles de classe ?
Selon le découpage historique des programmes scolaires, l’événement « coup d’État » peut être étudié en classe de quatrième des collèges englobé dans la partie « La France de 1815 à 1914 » et en classe de première des lycées dans le thème « La France d’une République à l’autre ». Il n’est pas question d’étudier l’évolution de l’idéologie des manuels d’histoire à travers les âges mais simplement de jeter un bref coup de projecteur sur l’interprétation de l’événement au début des années 2000 en prenant l’exemple de quatre manuels d’histoire de collège.
La surprise vient du manuel de quatrième paru en 2002 sous la direction de Francis Démier, professeur à l’Université Paris X-Nanterre et à l’IEP de Paris. La leçon n°2 s’intitule « la conquête de la démocratie (1848‑1880) ». Le coup d’État y est présenté comme une simple formalité administrative :
‘« Légalement, le président ne peut pas se présenter une seconde fois. Devant la poussée des républicains rouges, il renverse la République par un coup d’État le 2 décembre 1851 » 250 .’Quant à l’insurrection qui suivit la prise du pouvoir par la force, elle est tout bonnement tombée dans les oubliettes de l’histoire. La résistance est aussi inexistante dans le Belin et on se sait pourquoi un 2 décembre, il vint l’idée au président de la République « d’organiser un coup d’État » comme on organiserait une garden-party : « Élu président de la République en 1848, Louis Napoléon Bonaparte organise un coup d’État le 2 décembre 1851 » 251 . « La résistance au coup d’État est faible et rapidement brisée » dans Hatier 252 mais on n’en sait pas plus sur les causes de la chose. C’est le Magnard qui, en quelques lignes, essaie de se démarquer des interprétations précédentes. Voulant aller au-delà de la simple information, il tente de donner une dimension explicative simple même si certains faits restent obscurs lorsque « les relations entre le président et l’assemblée conservatrice se dégradent » 253 . Les espaces géographiques de la résistance sont nommés et la répression évoquée : « s’ils ne sont pas arrêtés et emprisonnés, les opposants, comme Victor Hugo, partent en exil ».
Georges DUBY, Trente journées qui ont fait la France. 27 juillet 1214. Le dimanche de Bouvines, Gallimard, 1973, 303 p, p. 8.
Histoire. Classe de Troisième. De la Révolution au monde d’aujourd’hui, direction : Pierre Milza, Serge Berstein, Jean-Louis Monneron, Édition Fernand Nathan, 1977.
Histoire. Classe de Troisième, idem, p. 104.
Histoire. Classe de Troisième, ibidem.
Histoire. Classe de Troisième, idem, « Avant-propos », p. 3.
Histoire et Géographie 4 ème , direction : Francis Démier, Hachette, 2002, p. 178.
Histoire et Géographie 4 ème , direction : Éric Chaudron et Rémy Knaffou, Belin, 2002, p. 164.
Histoire et Géographie 4 ème , direction : Martin Ivernel, Hatier, 2002, p. 186.
Histoire et Géographie 4 ème , coordination Michel Casta et Philippe Guizard, 2002, p. 163.