L’étude des élections législatives du mois de mai 1849 présente un intérêt particulier. En effet, en instituant une assemblée législative unique composée de 750 membres élus pour trois ans au scrutin de liste, elles auraient marqué « l’inconscient politique » des départements en imprimant leurs traces dans le paysage politique. Élie Reynier, s’appuyant sur un article d’André Siegfried paru en juin 1946, soulignait « la persistance depuis cette élection du classement électoral en deux groupes de partis, gauche et droite, rouges et blancs qui s’équilibrent à peu près, déterminant suivant les circonstances, des sautes brusques dans le nombre des élus » 872 . De nombreux historiens attestent aussi de la polarité de ces élections du mois de mai 1849. André Siegfried dans son étude de géographie électorale de l’Ardèche notait : « la physionomie politique et la topographie électorale du département nous apparaissent à peu près entièrement formées, dès les élections de 1849 » 873 . Il affirmait même que la physionomie politique et la topographie électorale du département apparaissent à peu près entièrement formées dès les élections générales de 1849 : « il y a en somme, deux régions politiques, deux pentes et les versants en subsisteront, aussi nets que les deux versants d’une chaîne ou les deux plans inclinés d’un toit » 874 . Selon Siegfried, au-dessus de 800 mètres et surtout de 1 000 mètres, on vote à droite, en dessous de 300 mètres, on vote à gauche. Le succès de la gauche n’est possible dans « la montagne » que si le facteur protestant entre en jeu 875 . Très schématiquement, « la montagne » est conservatrice, le parti de l’Ordre règne dans les arrondissements de Tournon et Largentière alors que les républicains l’emportent dans les “parties basses” : dans l’arrondissement de Privas et dans la vallée du Rhône. 1849 déterminerait donc des constantes politiques géographiques, confirmées par la suite au cours des nombreuses consultations électorales. Ces permanences « géopolitiques » permettraient de construire des modèles : la France « blanche » des pays de « hiérarchie acceptée » 876 donnant leurs suffrages aux légitimistes s’opposant à la France « rouge » des partisans de la « république démocratique et sociale » pouvant se diviser, à l’exemple de l’Ardèche, entre républicains démocrates modérés et républicains démocrates « avancés ». La « troisième France » représente la majorité à l’Assemblée. C’est la France « bleue » composée d’un agrégat d’orléanistes et de bonapartistes mais aussi de « républicains bleus modérés ». Ces républicains modérés sont ces hommes du National, représentants de la République bourgeoise et modérée, démocrates et libéraux en même temps, discrédités par la répression ouvrière de juin 1848 et récemment réhabilités par Pierre Ardaillou dans une étude consacrée à la vie politique au Havre sous la Seconde République 877 . Des nuances dans les teintes de ce tableau d’une France partagée en deux grandes tendances : la « Gauche et la Droite », doivent donc être apportées pour ne pas enliser la réflexion dans une histoire politique déterministe ainsi que le soulignait Laurent Le Gall :
‘« […], les élections législatives de mai 1849 ont d’autant plus fait rapidement figure de radiographie des attitudes politiques qu’elles ont été utilisées à la fois comme un révélateur des configurations sociales qui trouvaient là un débouché idéologique national – ce qui permettait des comparaisons – et comme le point de départ de certaines traditions politiques que la réitération des élections au suffrage universel permettait d’objectiver. Ainsi, la carte politique de la France, telle qu’on a coutume de la tracer – en ne tenant pas compte des infinies nuances des rouges et des blancs – serait un peu à la sociologie électorale ce que la carte du serment civique imposé au clergé en 1791 est à la sociologie religieuse : un marqueur d’identités » 878 . ’Élie REYNIER, La Seconde République, déjà cité, p 98. Article publié dans Atomes en juin 1946.
André SIEGFRIED, Géographie électorale de l’Ardèche…déjà cité, p 75.
André SIEGFRIED, Géographie électorale, déjà cité p 75.
André SIEGFRIED, idem, p 113.
Selon la typologie de sociétés rurales élaborée par Pierre Barral dans : Les agrariens français de Méline à Pisani, Paris, Librairie Armand Colin, 1968.
Pierre ARDAILLOU, « Les républicains bleus du Havre sous la Seconde République », dans Revue d’histoire du XIXe siècle, 1998/1, pp. 31-45.
Laurent LE GALL, « Des processus de politisation dans les campagnes françaises (1830-1914) : esquisse pour un état des lieux », dans Jean-Claude CARON et Frédéric CHAUVAUD, [dir.], Les campagnes dans les sociétés européennes. France, Allemagne, Espagne, Italie (1830-1930), Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 133.