II -. « Intolérabilité » et résistance

En décembre 1993, lors du colloque de Toulouse axé sur la mémoire et l’histoire de la Résistance, François Bédarida proposait une analyse du concept de résistance  1388 en utilisant des calques notionnels empruntés à Max Weber. Dans la construction de l’idéaltype de la Résistance, il distinguait quatre éléments : une volonté, un combat clandestin librement choisi, une logique politico-éthique  1389 , une mémoire didactique  1390 . Pour Pierre Laborie, « la Résistance est indissociable de la conscience de résister»  1391 car non seulement « l’action ne suffit pas à dire ce qu’est la Résistance, mais elle n’est pas toujours l’expression d’un acte de Résistance. […]. Il y a Résistance quand acte et action se confondent et ne font qu’un »  1392 . A partir de ce postulat, il s’attache à en dégager les critères permettant de la définir :

‘« Elle devrait inclure :
- La volonté de nuire à un ennemi identifié, occupant ou au service de l’occupant, en se plaçant en situation de guerre, et en s’organisant pour empêcher par tous les moyens la réalisation de ses objectifs.
- La conscience de résister, c’est-à-dire de participer à l’expression collective et coordonnée d’un refus intransigeant, par un choix volontaire, par une adhésion responsable à des objectifs distinctement affirmés, par l’acceptation de fait ou de principe, de la nécessité de la lutte armée, avec une juste conscience du risque et du sens de la lutte.
- Un engagement dans l’action fondamentalement lié à des pratiques de transgression »  1393 . ’

Peut-on transposer ces notions pour une étude du phénomène « résistance au coup d’État » dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle ?

Tout d’abord la fondation du concept s’édifie sur la volonté de dire « non » engendrée par une réaction de refus face à une situation jugée intolérable. Nous pouvons transposer sans risque majeur d’anachronisme ce premier postulat dans les années 1850, mais à l’aune d’une taxonomie du vocable « résistance », comment se situerait l’insurrection de Décembre 1851 ?

Jusqu’en mars 1849, les cris « séditieux » inquiètent peu les autorités. Certaines nuits sont parfois un peu agités à l’approche des élections, et les cris de « vive Barbès, Raspail et autres » sont fréquents. Mais, comme le fait remarquer le juge de paix d’Aubenas, il ne faut pas attacher trop d’importance aux manifestations de quelques conscrits pleins de vie  1394 ». Lorsque le regard de l’autorité « politise » l’événement, il peut lui donner une interprétation qu’il n’aurait peut être pas eu à l’origine et, comme dans une réaction chimique, la transformation peut s’opérer et atteindre le point « d’intolérabilité » déclencheur de réactions en chaîne. Le 21 janvier 1849, Il y eut l’exemple des incidents de Banne survenus au moment de la conscription  1395 . Une autre affaire, l’affaire des bonnets rouges d’Annonay au mois de novembre 1849, peut permettre de comprendre ce mécanisme de la greffe politique d’un événement.

Notes
1388.

François BÉDARIDA, « Sur le concept de résistance » dans Jean Marie GUILLON et Pierre LABORIE [dir.], Mémoire et Histoire : la Résistance, Éditions Privat, 1995, pp. 45-50.

1389.

Logique qui permet de reconsidérer l’engagement et l’orientation du jeune maquisard Lacombe Lucien dans le film de Louis Malle (1974).

1390.

François BÉDARIDA, « Sur le concept de résistance », idem, p. 47.

1391.

Pierre LABORIE, « L’idée de Résistance, entre définition et sens, retour sur un questionnement », dans La Résistance et les Français. Nouvelles Approches – Les cahiers de l’IHTP, n°37, décembre 1997, pp. 22-24, « Un geste de compassion peut sauver la vie d’un clandestin ou d’un juif : s’il n’est pas fait avec l’intention de nuire à l’occupant, ou à ses complices, il reste un geste de compassion. Hors de toute considération morale, et tout jugement de valeur exclu, un acte de charité ou d’amitié, qui ne veut que charité ou amitié, n’est pas un acte de Résistance ».

1392.

Pierre LABORIE, ibidem.

1393.

Pierre LABORIE, idem, p. 26.

1394.

Arch. dép. 5M10. D’Aubenas, Gleizal au préfet en date du 14 mars 1849. Michel CARLAT, dans L’Ardèche, ouvrage paru sous sa direction (déjà cité), raconte la fête populaire de la conscription : « On se rendait pour le tirage, au chef-lieu du canton, en cortège avec bouquets et rubans, porte-drapeau en tête, avec tambour. Lo vinaïre suivait avec sa doublo, et un verre dans lequel buvaient tous ceux qui avaient soif –et ils étaient nombreux- mais l’on trouvait toujours quelqu’un pour aimablement le remplir : voisin, bourgeois ou cabaretier, “la soif ne coûtait pas cher”. Et l’on chantait, et l’on dansait, et l’on noyait dans le vin et la gaîté l’appréhension d’un long départ, de séparations parfois définitives ». « Les conscrits », page 365.

1395.

Voir chapitre IV, B) –III, 3°) « Les élections à l’Assemblée législative du 13 mai 1849 ».