Les autorités prises dans le jeu de l’engrenage de la répression sont sans cesse obligées de frapper plus fort pour se faire respecter, générant en retour des réactions de plus en plus violentes de la part des populations concernées. La violence est directement dirigée contre les gendarmes et cela pose un problème d’interprétation. Lors de l’affaire de Laurac, des mandats d’amener ont été lancés contre les principaux représentants du courant montagnard. Ces hommes sont activement recherchés mais restent protégés par les populations qui les hébergent dans leur fuite. Lors d’une tentative d’arrestation manquée à Prunet 1488 (canton de Largentière), le lieutenant qui commande le détachement envoie un soldat chercher des vivres. Isolé de son unité, le planton est abordé par un homme à cheval puis encerclé par six individus sortant d’une cavité d’un rocher :
‘« Nous sommes de ces gens qu’on poursuit, la gendarmerie a bien fait de demander une escorte de fantassins car si elle n’avait pas été accompagnée, pas un gendarme ne serait rentré ce soir à la caserne. Nous n’en voulons pas aux soldats, nous nous réservons pour les gendarmes et les officiers, si nous les rencontrons en petit nombre, ils seront perdus » 1489 . ’Ces paroles ne sont pas que des paroles d’intimidation. Si, jusqu’en 1849 les gendarmes pouvaient faire l’objet de sifflets et de huées, à partir de l’automne 1850, les formes d’agression changent et ils peuvent devenir la cible de projectiles : jets de pierres dans les premiers temps, puis tirs avec des armes à feu. Ces comportements se renforcent au cours de l’année 1850 pour franchir un nouveau seuil au cours de l’été et l’automne 1851.
Après Labastide-de-Virac, Laurac, Vinezac, on s’est « habitué » à l’idée de pouvoir tirer sur les représentants de l’ordre, à vouloir leur « laver la tête avec du plomb » 1490 . Le 23 août 1851, François Roger Tournaire, gendarme de la brigade des Vans, est fusillé alors qu’il chevauchait sur la route des Vans à Lablachère. Trois coups de feu éclatent, le blessant à la cuisse, au genou et dans les reins 1491 . Ses agresseurs auraient fait feu sur lui avec des fusils de chasse, au regard des plombs retirés de ses blessures. Le 23 septembre 1851, quatre chasseurs de la commune de Saint-Sylvestre (canton de Saint-Péray) sont interpellés. L’un des chasseurs arrêté assène sur la tête d’un gendarme un coup de crosse pendant qu’un autre lui tire un coup de fusil 1492 . Le 5 octobre, à La Voulte, c’est le commissaire de police qui fait l’objet d’une tentative de meurtre alors qu’il revenait de sa tournée d’inspection. Il était 23h quand, au détour d’une rue, un individu dissimulé dans l’ombre lui décharge un coup de fusil. Le commissaire de police riposta par deux coups de pistolet 1493 . Le 19 octobre, vers 18h, une volée de plombs tirée par un coup de fusil de chasse brise une vitre de la caserne de gendarmerie de Privas située sur le Champ de Mars. Le 2 septembre 1851, c’est la façade de la gendarmerie de Largentière qui reçoit trois impacts de balles tirées par des hommes sortant du café Barruel.
Quelles explications donner à ce crescendo dans la violence ? L’uniforme est haï et cette haine se traduit pas des passages à l’acte violent qui n’épargnent même pas « les enfants du pays ». Le gendarme François Roger Tournaire de la brigade des Vans, criblé de plombs le 23 août 1851, est né en 1807 à Grospierres dans le canton de Joyeuse. Domicilié aux Vans, il y a épousé, en août 1838, Marie Joséphine Alvery. En août 1841, toujours aux Vans, il est le témoin de mariage de Jean Gilles, gendarme de sa brigade. Serait-ce donc le seul motif du dépassement du seuil d’intolérabilité expliquant la tentative de meurtre contre le gendarme Tournaire, une vengeance privée sur quelqu’un portant l’uniforme et qui servirait de bouc émissaire à l’exaspération personnelle ? Deux jours avant l’attentat, la maison de la famille Pascal a été cernée par les militaires. Le capitaine Senet commandant le 14e léger avait fait prendre position à ses hommes à l’intérieur et à l’extérieur de la demeure. Louis Auguste Pascal, le jeune frère de Joseph Frédéric, assiste à la scène et ne supporte pas de voir la maison familiale ainsi investie par la troupe. Il invective le capitaine en le traitant de « brigand et de coquin » et ajoute que « l’année prochaine, son tour viendrait ». Sa fureur s’étend aux soldats placés en sentinelles autour de la maison qui en prennent aussi pour leur grade 1494 . Deux jours plus tard, en représailles, le premier représentant de l’autorité qui passe dans la ligne de mire des fusils fait les frais d’une interprétation personnelle de la loi du Talion : « œil pour œil, dent pour dent ». On pourrait se satisfaire de cette explication mais il y a peut-être un lien plus étroit entre Joseph Frédéric Pascal et le gendarme Tournaire qui exclurait l’effet du hasard de l’attentat. Les deux agresseurs connaissent certainement le gendarme car l’un, Joseph Frédéric Pascal, est né et domicilié à Lablachère et l’autre, Jacques Joseph Abbon Auriol, est originaire de Joyeuse. Ces hommes peuvent aussi être en relation par un ami commun : Jean Gilles, qui en 1851, n’exerce plus la profession de gendarme 1495 mais tient un café au Vans. Le ministre de l’Intérieur le connaît de nom : « On appelle mon attention sur le sieur Gilles des Vans qu’on signale comme un agent très actif de la propagande socialiste. Cet individu est en relations suivies avec « la propagande démocratique et sociale » organisée par Carpentier et se charge de transmettre les écrits de la propagande pour tout le canton des Vans jusqu’aux limites du Gard. Il passe aussi pour être un des adhérents du « Comité démocratique d’Aubenas » 1496 . Jean Gilles et Joseph Frédéric Pascal pratiquent des affiliations aux sociétés secrètes républicaines 1497 . Il reste maintenant à combler le vide qui permettrait d’établir une relation de cause à effet entre le gendarme Tournaire, son ancien collègue, et les sociétés secrètes.
L’ingérence des autorités dans le quotidien des populations a pu être très mal vécue. La surveillance accrue est vécue de plus en plus de manière aliénante et le nombre de délits de refus d’obtempérer jugé par les tribunaux correctionnels des trois arrondissements est en progression.
Les rapports à l’autorité diffèrent d’un arrondissement à l’autre. La spécificité de celui de Largentière apparaît nettement. Les infractions relevées montent de manière exponentielle pour atteindre leur pic au cours de l’année 1851 et redescendre de manière progressive. Cette impression de déferlante a affolé les bureaux de la sous-préfecture et mobilisé toute l’énergie de Nau de Beauregard, le nouveau sous-préfet nommé en octobre 1850. Dans l’arrondissement de Privas, on assiste à une brusque montée des délits à partir de l’année 1850 qui culmine en 1851. La situation est plus complexe dans l’arrondissement de Tournon. Après la crue de 1848 et l’étiage de 1849, les délits jugés contre l’autorité repartent à la hausse au cours de l’année 1850, puis décroissent légèrement en 1851. Cet aspect de houle a peut-être contribué à donner à cet arrondissement cette impression de relative tranquillité par rapport aux deux autres. En présentant les données sous une forme cumulée, la spécificité de l’année 1851 apparaît de manière plus contrastée.
Le graphique de la répartition des délits contre l’autorité fait apparaître nettement les deux catégories de représentants de l’ordre concernées par les actes d’insubordination : les gardes et les gendarmes.
Si l’on affine l’analyse par catégorie, l’arrondissement de Largentière se démarque nettement des deux autres par son opposition à la gendarmerie et confirme la vindicte populaire envers ces représentants de l’autorité.
La spécificité de l’année 1850 pendant la période de la Seconde République a été dégagée sur le plan politique, mais il se produit aussi un micro phénomène à l’échelle locale. Si l’on fait un sondage dans les cartons des archives des jugements de simple police rendus par la justice de paix, on s’aperçoit que le nombre de petits cahiers consignant les affaires est en augmentation significative au cours de cette période, et principalement au cours de l’année 1850. Les autorités ne ferment plus les yeux, elles surveillent mais s’attachent aussi à « policer » les comportements des habitants des bourgs. Dans le canton de Vallon, par exemple, Pinet-Seux, le commissaire de police de Vallon, verbalise ceux qui refusent de balayer le devant de leur porte et ceux qui laissent divaguer leurs porcs dans les rues. Il faut « urbaniser » et « policer » les comportements. Le 3 décembre 1850, Auguste Tindil, marchand tailleur reçoit une contravention pour avoir jeté d’une de ses croisées de sa maison d’habitation, « un vase plein d’immondices ou matières fécales dans le verger d’en face » 1498 . Convoqué devant le tribunal de simple police, il reconnaît les faits mais fait valoir que c’est le fait de son fils de six ans qui vidait son vase d’urine. Responsable des actes de son enfant, il est sanctionné par une amende d’un franc complété par l’acquittement des frais de justice. Le zèle particulièrement actif du commissaire de police explique peut-être l’hostilité grandissante des populations envers sa fonction 1499 . Les gendarmes verbalisent aussi de manière plus fréquente les infractions au code de la route. Ils sont particulièrement vigilants au respect de l’article 475 §3 du code pénal et bon nombre de conducteurs surpris en flagrante violation de cet article doivent s’acquitter d’une amende (deux francs en général) assortie des frais de justice (dans les quatre francs). En effet, d’après cet article du code, les routiers, charretiers, conducteurs de voitures sont obligés de se tenir constamment à portée de leurs chevaux ou bêtes de traction afin d’être en mesure de les guider. Autrement dit, il est interdit de circuler assis sur une charrette attelée ou sur le dos de l’animal. Il faut faire changer les comportements en intériorisant la « peur du gendarme » et la crainte de commettre une infraction du quotidien.
Il est peut-être possible de comprendre l’application de la loi pour améliorer le bien-être de tous ou prévenir un accident qui pourrait porter atteinte à autrui, mais comment mesurer le sentiment d’incompréhension et le ressentiment éprouvés par des gens qui voient débarquer au milieu de festivités un corps d’armée qui interdit les chants et s’oppose physiquement aux farandoles, oblige les hommes à quitter ceinture et cravate sous prétexte que leur port peut être interprété comme une manifestation politique de sympathie ou d’adhésion aux idées véhiculées par les démocrates-socialistes ? Un pic est atteint avec l’interdiction des vogues le 12 août 1851. C’est alors la consternation qui prévaut sur l’incompréhension avec parfois, peut-être, l’idée que les autorités cherchent l’affrontement par des provocations. Un rapport du sous-préfet de Largentière expédié trois jours après l’arrêté d’interdiction des vogues, en résume l’esprit :
‘« La fête votive de Prunet a été annulée. A Prades, la fête était dans tout son entrain au moment ou un détachement de 30 hommes est arrivé. Tout le monde s’est enfui, les danses se sont arrêtées. Je reste peiné de voir un maire intelligent comme M Bonnaud permettre la violation de l’arrêté du 12 août. J’avais été prévenu qu’il ne voulait à aucun prix des troupes et cela avait été une raison de plus pour moi de lui en envoyer » 1500 . ’Dans l’arrondissement de Tournon remarquable par son absence d’affaire à la gravité exceptionnelle, le sous-préfet souhaite stimuler l’ardeur de ses gendarmes et commissaires :
‘« J’ai prescrit à la gendarmerie de redoubler de surveillance et de sévérité. Dans mon arrondissement elle a besoin d’être stimulée. J’ai fait les mêmes prescriptions aux commissaires de police. Des procès verbaux seront dressés contre tous ceux qui chanteront des chansons anarchiques ou qui se pareront ostensiblement et avec intention de couleurs rouges » 1501 . ’Le 15 septembre 1851, le sommet est atteint lorsque paraît un arrêté préfectoral interdisant le port de la couleur rouge et de signes distinctifs de ralliement :
‘« Considérant que dans plusieurs communes, certains individus affectent de se montrer en public avec des ceintures rouges ou des pièces d’étoffe rouge posées autour du cou et déployées sur la poitrine ou placées à la boutonnière, que de pareils insignes sont des signes de ralliement et de provocation ; que les porter en public, c’est exciter au désordre : le port public de tous insignes de ralliement, non autorisés par la loi ou les règlements de police, tels que bonnets rouges, cravates, ceintures ou rubans rouges, est formellement interdit » 1502 . ’L’émoi des populations face à ce nouvel interdit est grand. A Privas, « les hommes, les femmes, les enfants tous accouraient lire cette affiche. Or ce jeu dura plus de deux heures rien que devant la buvette qui est près de l’esplanade » 1503 . Dans certaines communes, les placards sont lacérés ou maculés avec des ordures. A d’autres endroits, c’est la dérision qui prévaut. Ainsi, à Jaujac, le 28 septembre 1851, les habitants ont la « surprise » de lire au petit matin un nouvel « arrêté » limitant encore plus leurs droits : « il est défendu par ordre de M le Préfet de chier sous peine de manger la merde » 1504 .
L’ambiance en cet automne 1851 est pesante. Une lettre du commissaire de police d’Aubenas en date du 10 octobre 1851 informe le préfet de l’état d’esprit des populations :
‘« La ville d’Aubenas jouit d’une parfaite tranquillité, à tel point que le soir, dans les endroits les plus fréquentés de la ville choisis autrefois par les démagogues pour leur réunion de désordre et de scandale, on y entendrait voler une mouche. L’état de siège les a rendu comme imbéciles, ils n’osent pas même pas vous regarder en face » 1505 . ’Les commissaires de police chargés de faire respecter l’ordre dans les municipalités occupent une place de plus en plus inconfortable et certains demandent avec insistance leur déplacement. Régis Gleizal, originaire d’Antraigues, écrit au ministre de l’Intérieur en date du 14 mars 1849 pour lui signifier que le décret du 30 octobre 1848 qui l’a nommé au commissariat de police de la ville d’Aubenas le met dans une trop pénible position en le plaçant « au centre de sa famille et de toutes ses connaissances » 1506 :
‘« Il est impossible de se figurer M le ministre toutes les tracasseries et les difficultés qu'on rencontre dans l'accomplissement de son devoir lorsqu’on se trouve dans ma position. Le zèle et la fermeté ne mettant pas toujours à l’abri des entraves qu’une telle position suscite de toute part, surtout dans notre localité. Aussi je viens instamment et avec confiance, M le Ministre, vous supplier de vouloir bien me placer hors du département de l'Ardèche ». ’Louis François Elisabeth Meulder en poste à Bourg-Saint-Andéol demande sa mutation depuis le mois de septembre 1849 car sa position dans la commune « n’est plus tenable » 1507 et son découragement est grand :
‘« Pour dire la vérité notre position est très critique, nous sommes là comme des abandonnés, car nous n’avons personne pour nous secourir » 1508 . ’En septembre 1851, c’est le commissaire de police de la ville de Largentière, Pierre Maigne, qui réclame à son tour son déplacement 1509 . L’administration préfectorale ne peut qu’approuver la décision de ce fonctionnaire qu’elle juge « aussi nul dans ses fonctions que suspect en politique » 1510 .
Il faut toutefois apporter un bémol permettant de nuancer ce constat. Tous les commissaires de police ne sont pas forcément haïs par leurs administrés. Ainsi, Jean-Baptiste Bédrines en poste à Privas ne semble pas connaître les affres de ses collègues. On a l’habitude de le rencontrer dans les cafés républicains de la ville, habillé en noir portant une canne et coiffé à la belle saison d’un vaste chapeau de paille 1511 . De temps à autre, il ne refuse pas de compléter une table pour un jeu de cartes et défie l’avocat républicain Bosviel proche des démocrates-socialistes au cours de parties de billards qui peuvent se prolonger tard dans la soirée 1512 . Représentant de l’ordre, il peut rire des réflexions de cabarets faites par les consommateurs qui, même en sa présence, ne craignent pas de critiquer le gouvernement. Ainsi le 24 septembre 1851, dans la matinée, un « étranger » est apparu et les discussions ont dévié vers la politique. Tous s’accordaient pour dire que « le parti Cavaignac était mort, qu’il fallait mettre des hommes nouveaux et que le socialisme sortait grandi par les persécutions » 1513 . Puis, en guise de conclusion, le refrain « Oh France! Prends ton bonnet rouge, et quitte ton bonnet de Caton » a été repris en chœur. La discussion s’est ensuite orientée sur la loterie des lingots d’or 1514 . L’individu, dont la venue avait provoqué le débat, accusa le gouvernement d’avoir « placé des fripons pour la diriger et surveiller et a ajouté que si les dix francs étaient perdus, il tordrait le cou aux ministres ». Cette dernière remarque eut le mérite de faire rire le commissaire. Cette bonhomie apparente ne l’empêche pas d’agir avec fermeté faisant appliquer à la lettre les arrêtés préfectoraux, parfois même jusqu’à l’excès comme ce jour où il raccompagna au domicile de ses parents un petit garçon pour lui faire changer sa cravate rouge non conforme avec la nouvelle législation préfectorale 1515 . Il sait sévir lorsqu’il estime que les bornes sont dépassées. L’agent secret Arnaud qui en fait un peu trop pour se faire remarquer et accepter par les démocrates-socialistes de la ville, se voit contraint de quitter le département dans un délai de 24 heures pour cause de propagande injurieuse envers le président de la République 1516 . Ses fonctions ont pu le conduire parfois à abuser de son pouvoir comme dans cette nuit du 23 au 24 septembre 1851, où, sous le prétexte de contrôler les passeports dans un hôtel, il avait contraint une mère de famille qui conduisait sa fille en pension à Valence à ouvrir la porte de sa chambre. La mère apparue en chemise de nuit fut obligée de répondre à plusieurs questions et dut repousser avec force de conviction les avances du commissaire qui lui proposait de partager sa chambre 1517 . Hormis cet écart de conduite, le séjour du commissaire semble avoir été apprécié par les Privadois. Bénéficiant d’un avancement, il est muté à Montargis à la fin du mois de septembre 1851. Loin de se réjouir de son départ, les républicains du café Meyssat le plaisantent, « nous irons vous raccompagner à la voiture, mais seulement pour voir si vous partez » 1518 . Son successeur saura aussi faire preuve de diplomatie. Se trouvant dans le café Meyssat, il aperçoit l’agent Arnaud qui lit ostensiblement la feuille du Village, journal proscrit depuis le 1er octobre 1851 par l’arrêté du général Faivre. Sans faire de remarque au principal intéressé, il alla prévenir amicalement le patron d’avoir à retirer de son café ce genre de presse interdite 1519
La personnalité des autorités et leur rapport à la population a donc une incidence sur les réactions face aux forces de l’ordre. Encadrement des comportements et surveillance étroite des festivités, le mépris des autorités pour les « rouges » a aussi pu contribuer à sa façon à faire dépasser le seuil de « l’intolérabilité » ? Ce mépris peut s’exprimer sous la forme verbale. Le sous-préfet de Tournon adresse au préfet un rapport après une perquisition chez Mathieu Dutal, dit « Arago », un coiffeur de Serrières, président du comité démocratique, qualifié de chef de bande socialiste et dont le nom aurait été cité au cours de l’instruction du complot de Lyon.
‘« Ce Dutal est un avorton de corps et d’esprit, petit, boiteux, sans esprit et sans énergie. Il faut qu’un parti soit bien dépourvu d’honneur pour prendre un pareil crétin pour président de comité » 1520 . ’Mais ce mépris peut aussi prendre les apparences d’une violence qui peut être perçue comme gratuite, renforçant ainsi le sentiment d’hostilité vis-à-vis de l’uniforme. Au lendemain des fêtes républicaines du 24 février 1851, le sous-préfet de Tournon exulte :
‘« A Annonay, la présence de cette belle troupe a fait un excellent effet. Elle a prouvé que l’autorité n’était pas sans force. Les anarchistes n’ont fait aucune résistance » 1521 . ’Sa démonstration de force a d’ailleurs visiblement impressionné les familles venues pique-niquer pour l’occasion dans le parc du Tivoli :
‘« Pour empêcher toute apparence de banquet, j’avais fait briser toutes les tables qui avaient été conscrites, […].Quelques uns ont chanté La Marseillaise, on les a fait taire. On leur a ordonné de se retirer vers 5 heures » 1522 . ’Les banquets sous étroite surveillance, l’opposition peut encore faire entendre sa voix lors des enterrements et donner à ces cérémonies « toute l’importance d’un acte politique » 1523 . Le 24 février, Louis Bérard, décédé à l’âge de 68 ans, est porté en terre à Berrias. Trois cents personnes sont réunies autour de la fosse pour entendre Louis-Victorin Mazon prononcer un discours clôturé par la sentence finale :
‘« L’heure de la moisson a sonné, il est honteux de subir plus longtemps le joug de l’administration ordurière de l’Ardèche » 1524 ’Il fallait « imprimer à la population des campagnes une crainte salutaire » 1525 soulignait le sous-préfet de Tournon en octobre 1851. Certes, mais comme le faisait remarquer des républicains à un agent secret de l’administration : « exaspérer les populations, c’est participer davantage à la démocratisation de l’Ardèche 1526 ».
Urbain Gravier, clerc de notaire, étudiant en droit.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 21 août 1851.
Selon l’expression de Théodore Ferdinand Roche âgé de 30 ans lors de son arrestation par la brigade de Saint-Agrève. D’après le rapport du capitaine de gendarmerie de l’Ardèche en date du 6 octobre 1851. Arch. dép. Ardèche 5M11, Théodore Roche passa devant la porte de la caserne de la gendarmerie en chantant une chanson : “vive les rouges à bas les blancs”. Il aurait insulté le brigadier en le traitant de “mauvais gendarme”. Pendant le trajet de la caserne à la prison, il aurait dit “si votre brigadier a la tête lavée avec du plomb qu’on n’accuse personne autre que moi, je me charge de son affaire”.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 21 août 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous-préfet de Tournon en date du 23 septembre 1851.
Arch. dép. 5M11. Rapport spécial du capitaine de gendarmerie de l’Ardèche en date du 6 octobre 1851 et faits divers relaté dans le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche en date 14 octobre 1851. Le 27 novembre 1851, l’agresseur arrêté est condamné par un conseil de guerre à dix ans de travaux forcés pour tentative d’assassinat contre un agent de police.
Arch. nat. F15 4117. Extrait des minutes du greffe. Arch. dép. Ardèche Y158. Registre d’écrou de la maison de correction de Largentière. Louis Pascal condamné par le tribunal correctionnel de Largentière à quinze jours de prison, seize francs d’amende pour outrages en date du 30 août 1851. Entré le 15 septembre 1851, libéré le 30 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 4E 334 14. Etat civil des Vans. Le jour de son mariage en 1841, l’état civil a enregistré sa profession de gendarme.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le Ministre de l’Intérieur au préfet en date du 25 août 1851. Dans une précédente lettre, il écrivait : « La propagande démocratique et sociale dont le siège est à Paris, rue des Bons Enfants, s’est récemment constituée sous la direction de Eugène Carpentier, ancien gérant de La Tribune des Peuples. On assure que cette entreprise compte dans votre département au nombre des affidés qui lui servent de correspondant ou tout au moins qui favorisent ses opérations… (Suit une liste de noms) […] ». Arch. dép. Ardèche. 5M10.
Arch. dép. Ardèche 5M16. Selon le témoignage de Joseph Domergue, cordonnier, au hameau de la Jaujon, commune de Lablachère, le 13 mars 1852 devant Théodore Plagnol, premier suppléant du juge de Paix du canton de Joyeuse : « Ce fut aux pressantes sollicitations de Pascal, de Drôme, que je me fis recevoir dans la société dite des Montagnards, il y a environ 15 mois, car je ne voulais jamais m'y affilier. Je prêtai serment entre les mains dudit PascaL, Amédée André, le fils Mazon, de Largentière et Gilles fils alors cafetier. On me fit promettre de descendre dans la rue les armes à la main s’il fallait ».
Arch. dép. Ardèche.4U37. Justice de paix du canton de Vallon. Verdict du tribunal de simple police. Cahier n°19.
Antoine Pinet-Seux obtient sa mutation à la fin du mois de juillet 1851 et est remplacé par le commissaire Cachon. Entre le 31 juillet 1851 et le 4 décembre 1851, il n’y a plus d’affaire appelée devant l’audience du tribunal de simple police. Pour plus de renseignements sur la vie ordinaire des commissaires de police voir John MERRIMAN, Police Stories. Bulding the French State, 1815-1851, Oxford, Oxford University Press, 2006, 254 p.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 15 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous-préfet de Tournon au préfet en date du 20 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 3K 85. Recueil des actes administratifs, n°164.
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent secret Arnaud au préfet en date du jeudi 17 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le capitaine commandant la gendarmerie du département en date du 28 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Lettre du commissaire de police d’Aubenas sur l’état d’esprit des populations en date du 10 octobre 1851.
Arch. dép. Ardèche 4M21. Régis Gleizal au Ministre de l’Intérieur en date du 14 mars 1849.
Arch. dép. Ardèche 4M21. Meulder, commissaire de police de Bourg-Saint-Andéol au préfet en date du 17 septembre 1849. Dans une précédente lettre écrite le 13 septembre 1851, il motivait sa demande au préfet par le fait qu’il désirait se rapprocher de son fils à qui il venait d’acheter une charge d'huissier dans le canton de Saint-Génis-Laval. Le 23 août 1851, il obtient son changement et obtient le bénéfice de la gérance d’un débit de tabac à Marseille d’une valeur de 2 600f. Arch. dép. Ardèche 4M21.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Meulder, commissaire de police de Bourg-Saint-Andéol au préfet en date du 11 juillet 1851.
Arch. dép. Ardèche 4M21. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 21 septembre 1851.
Ibidem.
Ibidem.
Ibidem.
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent Arnaud en date du 24 septembre 1851.
Karl MARX explique le principe de cette loterie dans son 18 brumaire de Louis Bonaparte, ouv. cité, p. 111-112 : « Le 20 décembre, Pascal Duprat interpella le ministre de l’Intérieur sur la loterie des lingots d’or. Cette loterie était une “fille de l’Elysée”. Elle devait le jour à Bonaparte et à ses fidèles, et le préfet de police Carlier l’avait prise sous sa protection officielle, bien que la loi française interdise toutes les loteries, à l’exception de celles poursuivant des buts de bienfaisance. Sept millions de billets à un franc, dont le bénéfice était prétendument destiné à payer le transport en Californie des vagabonds de Paris. On voulait tout d’abord remplacer par des rêves dorés les songes socialistes du prolétariat parisien et par le mirage du gros lot le droit doctrinal au travail. Les ouvriers parisiens ne reconnurent naturellement pas, sous l’éclat des lingots d’or californiens, les francs ternis qu’on leur soutirait de la poche. I1 s’agissait, en somme, d’une escroquerie pure et simple. Les vagabonds qui voulaient exploiter les mines d’or de Californie sans quitter Paris, c’étaient Bonaparte lui-même et ses chevaliers de la Table ronde criblés de dettes. Les trois millions accordés par l’Assemblée nationale avaient été joyeusement dépensés, et il fallait, par un moyen ou un autre, remplir de nouveau la caisse. En vain, Bonaparte avait-il ouvert une souscription nationale pour la construction de prétendues cités ouvrières en tête de laquelle il figurait pour une somme considérable. Les bourgeois au cœur dur attendirent avec méfiance le versement du montant de sa souscription, et comme celui-ci se faisait par trop attendre, la spéculation sur les châteaux en Espagne socialistes tomba à plat. Les lingots d’or eurent plus de succès. Bonaparte et consorts ne se contentèrent pas d’empocher une partie de la différence entre les sept millions et la valeur des lingots d'or mis en loterie, ils fabriquèrent de faux billets, ils émirent sous le même numéro dix, quinze à vingt billets, opération financière tout à fait dans l’esprit de la société du Dix-Décembre ! ».
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent Arnaud en date du 21 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent Arnaud en date du 24 septembre 1851.
Ibidem.
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent Arnaud en date du 25 septembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent Arnaud en date du 28 octobre 1851
Arch. dép. Ardèche 5M13. Le sous-préfet de Tournon au préfet en date du 22 janvier 1851. Rapport de la perquisition faite par le procureur de la République le 20 janvier 1851.
Arch. dép. Ardèche 4M18. Le sous-préfet de Tournon en date du 24 février 1851.
Ibidem.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous-préfet de Largentière en date du 26 février 1851.
Ibidem.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous-préfet de Tournon au préfet en date du 4 octobre 1851. Rapport sur l’affaire des chasseurs de la commune de Saint-Sylvestre qui avaient agressé un gendarme lors d’un contrôle, le 23 septembre 1851. « Je vous ai exprimé le désir de voir porter devant le conseil de guerre l’affaire de Saint-Sylvestre. Ce n’est pas que je croie qu’elle se rattache à la politique, mais c’est que je regarde comme très nécessaire de faire respecter la gendarmerie et aussi de convaincre les gendarmes qu’ils sont fortement protégés par l’autorité. Les quatre chasseurs de Saint-Sylvestre sont arrêtés, l’instruction se poursuit. On ne sait pas encore quel est celui qui a tiré le coup de fusil sur le gendarme. La politique n’est pour rien, à ce qu’il parait dans cette attaque, ce n’est qu’une affaire de chasse, mais elle prend de l’importance dans la situation actuelle. Il faut imprimer à la population des campagnes une crainte salutaire ».
Arch. dép. Ardèche 5M10. Rapport de l’agent secret Arnaud au préfet en date du mercredi 16 septembre 1851.