2°) Approche de la formation d’un réseau de sociétés secrètes

a) «  Genèse  »

Quatre cent soixante-quinze personnes identifiées en Ardèche ont été signalées comme ayant des liaisons plus ou moins intimes avec ces sociétés. Parmi elles, 128 sont fichées comme chefs ou responsables de groupes. Le recrutement initial a pu s’effectuer parmi les membres des clubs ou des comités qui se sont formés dans le département en 1848. Le 28 juillet 1848, un premier décret avait placé les clubs et comités sous la surveillance éventuelle d’un fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire. Ainsi, la liberté de parole et de communication progressivement entravée aboutit à la loi du 19 juin 1849 interdisant les clubs et autres réunions publiques « qui seraient de nature à compromettre la sécurité publique ». Le 22 février 1850, le préfet constate dans un rapport destiné au ministère de l’Intérieur que les cercles de Privas, d’Aubenas, Bourg-Saint-Andéol, Tournon, Largentière, Annonay, ont cessé d’exister et sont complètement dissous mais que « les anarchistes n’en continuent pas moins de se réunir dans certains lieux déterminés »  1577 . C’est bien cette interdiction de réunion qui est à l’origine de la création des sociétés secrètes. Il fallait donc se résoudre à ne plus se rencontrer, ou bien prendre le risque de se faire repérer par les autorités comme ces personnes mentionnées dans un rapport de la lieutenance d'Aubenas en date du 19 juin 1850  1578  : « Les socialistes de Villeneuve-de-Berg se réunissent clandestinement deux fois par semaine dans la cave d'un cordonnier nommé Terrasse, de dix heures du soir à deux heures du matin. Je crois qu’un piémontais nommé Audibert domicilié depuis quelques temps à Villeneuve-de-Berg préside ce club. Il est signalé pour être très avancé et même à craindre ». Comment donc échapper à la surveillance des forces de l’ordre ou aux dénonciations d’un voisinage mal intentionné ?

Les fêtes populaires offraient l’opportunité de lieux de rencontre et de rendez-vous car, noyés dans la masse, les agents recruteurs pouvaient facilement passer inaperçus. Une autre solution résidait dans l’adaptation des statuts de la société avec la nouvelle législation. Le 19 avril 1850, le commissaire de police de la ville de Bourg-Saint-Andéol informe le préfet qu’une société du nom d’« Assistance mutuelle » vient de s’organiser. Le projet aurait été élaboré dans le cabaret tenu par Mandin dont le nom figurait déjà sur une liste de lieux de rendez-vous des « anarchistes »  1579 du département. Une première réunion doit avoir lieu dans une salle du café Jaume, cousin germain du maire. Mais, sous le couvert de l’entraide et de la solidarité, cette association cacherait en réalité une société secrète, filiale d’une société montagnarde. « Pour y être admis, il faut jurer par le Christ de défendre la République et la Constitution jusqu’à la mort. Le premier chef du canton est Bonnaud  1580 , notre garde champêtre Hours  1581 et un Maurice Mouret »  1582 .

Notes
1577.

Arch. dép. Ardèche 5M10. Brouillon d’un rapport du préfet en date du 22 février 1850.

1578.

Arch. dép. Ardèche 5M10.

1579.

Arch. dép. Ardèche. 5M10. Lettre non signée en date du 22 février 1850, déjà cité.

1580.

Félix François Bonnaud, né le 16 novembre 1823 à Bourg-Saint-Andéol.

1581.

Révoqué en date du 13 avril 1850 en raison de ses opinions exaltées. Information donnée par le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche en date du 2 mai 1850. Tué par le commissaire de police de Bourg-Saint-Andéol, lors des événements du 18 novembre 1850.

1582.

Arch. dép. Ardèche 5M10. Le commissaire de police de Bourg-Saint-Andéol au préfet en date du 19 avril 1850.