1°) Une question d’âges

A première vue, au regard de la moyenne d’âge, les personnes correspondantes aux profils prédéfinis sont des adultes dans la force de l’âge relativement bien alphabétisés. Ce sont les tranches d’âge comprises entre 21 et 35 ans qui ont été le plus concernées par cette résistance au coup d’État, avec une moyenne d’âge générale dépassant les 34 ans. La jeunesse dont l’horizon est avant tout communautaire n’est pas à la pointe de cette résistance fait remarquer Jean-Claude Farcy  2103 . En ce qui concerne l’instruction, il n’y a pas de réelle surprise, l’alphabétisation pouvant refléter généralement le degré de responsabilité et d’implication dans les événements de Décembre 1851, mais chaque profil a ses spécificités. Le monde des « notables » domine le profil des « initiateurs ». On pouvait s’y attendre : ce groupe détient un capital culturel et symbolique important.

Investis de responsabilités ou certainement plus motivés, le profil des « meneurs », avec une moyenne d’âge s’établissant autour de 34 ans, est plus âgé que celui des « suiveurs ». Les trentenaires sont particulièrement bien représentés parmi ce personnel d’encadrement des insurrections avec trois pics de population à 31 ans, 34 ans et 39 ans. Les « meneurs » ont mobilisé les « suiveurs ». Ce profil intéressant près de 45% de l’effectif concerne toutes les tranches d’âge avec une représentation proportionnelle au nombre d’individus représentés dans la tranche d’âge à peu près identique, mais avec toutefois une plus forte mobilisation en terme d’effectifs à 23 ans. Le profil des « suiveurs » est composé à 60% d’individus se rattachant au « monde agricole », essentiellement les cultivateurs  2104 . C’est le seul profil qui fait état de deux « ménagères » arrêtées dans la nuit du 7 au 8 décembre 1851 : Marie Chasson  2105 mariée à Jean Auzeas et Marianne Charrier  2106 , épouse de Jean Pierre Mounier.

Les « suspects » et « fugitifs » représentent un tiers du corpus dont la moyenne d’âge tourne autour de 35 ans pour les » « suspects » et 31 ans pour les « fugitifs ». Toute proportion gardée, la répartition des âges du profil des « suspects » et des « fugitifs » semble corrélée. La courbe de la répartition des âges amorce son ascension dès les premières années de l’âge adulte, connaît un pic de population à 28 ans, puis décline progressivement jusqu’aux dernières années de la trentaine en enregistrant toutefois un sursaut vers 35 ans. A l’orée de la quarantaine, la courbe se singularise par un nouveau pic de population puis décroît brusquement avec un dernier soubresaut à 47 ans.

Notes
2103.

FARCY Jean-Claude, « Jeunesse rurale et société nationale : le cas de la France au XIXe siècle » dans CARON Jean-Claude et CHAUVAUD Frédéric [dir.], Les campagnes dans les sociétés européennes, déjà cité, p ; 213. « Un des rôles majeurs de la jeunesse est celui d’organiser les loisirs, dans les rares moments de temps libre que s’accorde la paysannerie. Elle anime ainsi, pendant l’hiver, les veillées, agrémentant la soirée par ses chants, ses jeux ou la danse, alors que les adultes s’occupent à des travaux divers (façonnage et réparation d’outils, émondage des noix, etc.). De même les jeunes sont les acteurs principaux des fêtes cycliques et calendaires, à commencer par le Carnaval […]. Les jeunes sont (aussi) chargés de ce qu’on peut appeler une police des mœurs, ayant pour objectif de faire respecter les normes des campagnes en matière sexuelle : rejet des naissances illégitimes, des mariages mal assortis et de toute conduite estimée immorale et portant atteinte à la bonne réputation du village », pp. 210-211.

2104.

« Monde agricole », « monde artisanal »,  « monde industriel », les travaux de Gilbert Garrier, Ronald Hubscher, Jean-Luc Mayaud, entre autres, ont montré qu’il serait illusoire de différencier un monde rurale marqué par la pluriactivité. Voir : Gilbert GARRIER et Ronald HUBSCHER [dir.], Entre faucilles et marteaux. Pluri-activités et stratégies paysannes, Lyon/Paris, PUL, Editions de la MSH, 1988, 242 p. Yves RINAUDO : « Un travail en plus : les paysans d’un métier à l’autre (vers 1830-vers 1950), Annales ESC, mars-avril 1987, n° 2, pp. 283-302. « La pluriactivité paysanne est ouverture et contribue à l’introduction des paysans dans d’autres mondes sociaux, économiques, culturels : mondes de l’atelier, de l’usine, du voyage et du commerce, de l“étranger” et du lointain », Jean-Luc MAYAUD, La petite exploitation rurale triomphante, déjà cité, « Désenclavement par la pluriactivité », pp. 74-80 : « La pluriactivité n’est pas seulement observée à l’échelon individuel mais étendue à la totalité du groupe familial vivant sur l’exploitation », p. 75. Pierre JUDET, « La pluri-activité : archaïsme ou modernité ? L’exemple de l’arc alpin XIXe siècle et première moitié du XXe siècle », dans MAYAUD Jean-Luc et RAPHAEL Lutz [dir.], Histoire de l'Europe rurale contemporaine, déjà cité, pp. 21-38. Pierre Judet souligne qu’on « ne peut pas se contenter de constater la très grande variété des formes de la pluri-activité. Derrière la diversité des activités et des pratiques, se cachent des structures et des stratégies individuelles et collectives influencées par ce que les acteurs imaginent comme possible », p. 22. Christof Dipper étudiant la paysannerie allemande de l’Odenwald fait aussi la remarque suivante : « [Chaque famille] doit donc combiner l’agriculture avec une autre activité, de sorte qu’il est vain de chercher à distinguer “paysans” et “artisans” (situation typique de beaucoup de régions allemandes dès avant le XIXe siècle », Christof DIPPER, « La politisation des paysans allemands, de la Révolution de 1848 à l’avènement du nazisme. Le cas de l’Odenwald », dans MAYAUD Jean-Luc et RAPHAEL Lutz [dir.], Histoire de l'Europe rurale contemporaine. Du village à l'État, Paris, Armand Colin, 2006, p. 351.

2105.

Arch. dép. Ardèche. 5M19 Le lieutenant de gendarmerie de Chomérac en date du 8 décembre 1851 pour signaler les arrestations et Y 136 : registre d’écrou de la Maison d’arrêt de Privas. Entrée le 8 décembre 1851, inculpée de rébellion à main armée et libérée le 15 décembre 1851.

2106.

Idem. Entrée le 8 décembre 1851, inculpée de rébellion à main armée et libérée le 23 décembre 1851.