A maintes reprises, au cours de cette étude nous avons croisé la personne du médecin Louis-Victorin Mazon et même s’il n’a pas directement participé aux événements de Décembre 1851, il ne pouvait pas être absent de ce travail de recherche sur la résistance au coup d’Etat. La représentation que s’en font les autorités est sans équivoque :
‘« Principal chef de l’insurrection de 1851, condamné à la déportation. S’est réfugié à Genève après les événements d’où il trouve les moyens d’entretenir l’esprit de révolte dans l’arrondissement en correspondant avec les démagogues. Il les avait prévenus d’un grave événement qui devait avoir lieu en janvier 1858 » 2404 . ’La synthèse des observations faites par le sous-préfet en disait aussi long sur la crainte que le médecin pouvait inspirer aux autorités du département :
‘« Le chef du socialisme. On ne peut plus dangereux. Très influent. Ne doit jamais être gracié. Son retour pourrait avoir les conséquences les plus graves » 2405 . ’Son nom sert même de référence pour qualifier le degré de « nuisance » d’une personne dans une région et fait office de circonstances aggravantes. Ainsi Jean Jules César Boissin Laroche, considéré comme « le Mazon de Saint-André-de-Cruzières » 2406 est condamné et transporté en Algérie. Louis-Victorin Mazon est donc la bête noire des autorités, « le diable », lorsqu’il « souffle partout le feu du socialisme » 2407 .
Il n’en fut pas toujours ainsi comme on peut le lire le 22 mars 1848 dans un article paru dans le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche :
‘« Mazon, docteur en médecine, connu depuis longtemps par son patriotisme et son talent, a été nommé commissaire du gouvernement pour l’Ardèche. Il est arrivé le 18 mars à Privas escorté de nos pompiers en armes. Il a été harangué par le citoyen Nègre, lieutenant des pompiers ».’Qui donc était cet homme estimé en 1848 par beaucoup de simples citoyens, honni par les autorités en 1851 ? Pour cerner sa personnalité, il faut s’immerger dans son passé car « entrer dans la complexité d’une vie, c’est analyser l’ensemble des influences plus ou moins contradictoires auxquelles le sujet a été confronté au cours de son existence » 2408 . Le recours à la généalogie 2409 s’avère indispensable car la famille Mazon est intimement liée aux Gamon, d’Antraigues et aux Gleizal, de Genestelle.
Louis-Victorin Mazon est né à Thueyts, le 18 frimaire de l’an V (8 décembre 1796). Il est le fils du docteur Claude-Louis Mazon, receveur des finances à Largentière entre 1798 et 1811, et de Jeanne Victoire Gamon, sœur de François-Joseph Gamon député à la Convention mis hors-la-loi par la proscription des Girondins le 31 mai 1793. Ce n’est que par miracle qu’il échappa à l’échafaud et il se réfugia à Genève en attendant des jours plus cléments 2410 . La visualisation des deux arbres généalogiques permet d’établir aussi la relation de parenté existant entre Firmin Gamon 2411 et Louis-Victorin Mazon. Son grand père maternel, Joseph Gamon, avait été bailli du comte d’Antraigues et était royaliste, comme tous ceux qui avaient connu cette forme d’État séculaire dans toute l’Europe. Il avait éprouvé une grande douleur de la Révolution et surtout de l’exécution de Louis XVI. Il s’était retiré dans son domaine d’Oursières et se livrait à un rituel pour le moins étonnant. Il s’était fait construire une bière et il y passait chaque jour quelques heures couché, simplement pour s’habituer à l’idée de la mort 2412 .
L’arbre généalogique suivant présente la nombreuse descendance de Jean Pierre Gleizal, notaire royal à Genestelle. L’un de ses fils, Claude, exerce un grand ascendant sur le jeune Louis-Victorin.
Le deuxième oncle par alliance de Louis-Victorin est donc Claude Gleizal qui avait aussi siégé à la Convention sur les bancs les plus élevés de l’assemblée. Ce député montagnard s’était illustré en votant la peine de mort pour le roi « mais avec sursis à l’exécution » 2413 . Le père de Louis-Victorin, en revanche, s’était distingué en distribuant des pétitions à l’entrée de la Convention en faveur de Louis XVI et « les deux oncles » avaient dû utiliser leur influence pour le tirer d’affaire.
Claude-Louis Mazon a voulu donner à son fils aîné la meilleure des éducations en lui faisant suivre à Paris, dès 1804, les cours des différentes classes du collège Henri IV. Louis-Victorin passe donc une partie de son enfance et de son adolescence éloigné de sa famille, pensionnaire à l’institution Dabot, avec comme correspondant, conseiller et référent son oncle Claude Gleizal. Louis-Victorin a une grande affection pour cet oncle qu’il considère comme « son second père » et « qui l’a toujours chéri comme son propre fils » 2414 . C’est lui qui reçoit la primeur des rêves de carrière de Louis-Victorin dont l’enfance a été bercée par les souvenirs de la Révolution et des victoires de l’Empire. De plus, Claude Gleizal est une véritable légende en Ardèche, légende dont les échos retentissent jusque dans les années 1850, tels qu’on peut les lire dans l’Annuaire de l’Ardèche :
‘« Il fut l’honneur de la députation de l’Ardèche. Il marcha avec les hommes avancés de la Convention et ne s'en sépara jamais. Il attaqua les Jacobins avec toute la force de son courageux patriotisme, résista à leurs prescriptions sans pour cela faire un pas en arrière. Républicain éprouvé, coeur droit, ami sans faiblesse, adversaire sans peur et sans vengeance, il doit servir de modèle aux représentants du peuple, car il fit tout pour le peuple et rien pour lui-même. Lors de l’arrêt rendu contre son beau-frère Joseph Gamon 2415 , il ne craignit pas de l’assister, de le défendre, de le sauver. Le seul dans la Convention, il vint dans une mémorable séance jouer sa tête en demandant un décret d’accusation contre Marat 2416 . […] Quand l’étranger eut effacé en France jusqu’au mot impérissable de république pour nous donner un roi, Claude Gleizal se retira de la scène politique. […] Ne cherchez pas dans les parchemins du Vivarais un nom qui commande plus de vénération et de reconnaissance que le nom populaire de Claude Gleizal, député à la Convention » 2417 . ’Fasciné par le personnage, Louis-Victorin rêve d’une carrière militaire à l’instar de son troisième oncle, Florentin Gamon, capitaine de cavalerie dans l’Armée des Alpes et qui avait servi en tant qu’aide de camp du général de division Alexandre Louis de Fontbonne 2418 , originaire de la Drôme 2419 . Le 13 mai 1813, l’oncle Gleizal s’empresse d’informer le père de Louis-Victorin en donnant sa bénédiction à cette vocation :
‘« Je dois vous prévenir mon cher Mazon, que l’intention de votre fils est d’entrer à l’école d’artillerie de la Flèche. Il doit se présenter dans trois jours devant l’examinateur » 2420 . ’La prédiction faite par le jeune Mazon à son oncle se vérifie :
‘« Je crois que je ne risquerais rien de me présenter à cet examen d’autant plus que quatre de la pension s’y présentent. Je serai même sûr pour ainsi dire d’être reçu » 2421 . ’Le 1er septembre 1813, Louis-Victorin Mazon, qui n’a pas encore ses dix-sept ans, entre à l’école militaire de Saint-Cyr. Un mois plus tard, « la Bataille des nations » de Leipzig inflige à l’empereur Napoléon sa plus grande défaite militaire et l’impatience du lauréat d’en découdre avec « ces coquins de cosaques » est grande :
‘« Je travaille beaucoup parce que j’espère être de la levée qui se fera après la première que l’on attend à tout moment. J’entrerai au bataillon dans un mois à peu près et j’espère avoir les épaulettes dans un mois et demi. Ce ne sont pas les épaulettes d’or que je veux dire mais bien de laine 2422 . Tu dois savoir que quand on les a on est exempt de toutes ses manœuvres et qu’enfin on est assez instruit pour partir à la première levée » 2423 . ’La fougue de sa jeunesse se conjugue avec une ambition démesurée et, comme d’habitude, son oncle en est le premier informé :
‘« Je t’annonce qu’ayant obtenu les épaulettes, je suis en état d’être officier à la première levée. J’espère fort être officier mais encore j’espère être dans l’artillerie de marine ou dans la garde impériale 2424 ». ’Malheureusement les projets du futur officier pris dans la tourmente de l’histoire s’accommodent mal de la conjoncture. Le 30 mars 1814, les soldats des pays alliés contre l’empereur entrent dans Paris. Louis-Victorin Mazon assiste à l’événement en direct :
‘« Le 30 mars comme nous fesions l’exercice nous entendons une canonnade du diable du côté de Paris. Tous les élèves se mettent aussitôt à crier “aux Russes ! Aux Russes ! Vive l’empereur !” » 2425 . ’Mais, c’est la débâcle : le 3 avril 1814, le Sénat et le Corps législatif votent la « déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille ». Le 20 du même mois, le « grand empereur » fait ses adieux à la vieille garde à Fontainebleau avant d’être embarqué à destination de l’Ile d’Elbe. La déchéance de l’empereur renvoie dans ses foyers Louis-Victorin qui, « ennuyé de ce genre de vie », prit son « parti comme tant d’autres », jeta son fusil et sa giberne dans la rue et « nous voilà en route pour notre pays » 2426 . Sa décision oblitère sa future carrière car, n’ayant pas réintégré l’école en septembre, il est rayé des registres d’inscription mais en laissant au passage un reliquat impayé de 135,13 francs 2427 .
Le « retour au pays » se passe mal. Sa carrière militaire compromise, Louis-Victorin qui rêvait d’une vie faite de « bruit et de fureur » rythmée par les charges de cavalerie et le cliquetis des armes sur les champs de bataille européens se retrouve chez l’oncle Florentin Gamon à la recette générale « où peut-être à l’aide d’un travail assidu, d’une bonne conduite et de lui, [il finira] par devenir quelque chose » 2428 . Pourtant, à peine arrivé, voilà qu’il a envie de repartir et un autre projet maintenant le fait avancer : il veut revenir à Paris pour suivre un cours de médecine 2429 , mais ce ne sera pas sans difficulté car il ne pourra guère compter sur son père qui « n’a pas d’argent ». Il peut pallier cette entrave en exerçant une activité salariée à côté (commis dans un bureau), ce qui lui permettrait d’économiser 4 000 francs « en ne dépensant pas un liard mal-à-propos » 2430 . En cette fin d’année 1814, l’ambiance familiale est tendue et les lettres que le jeune homme envoie à son oncle sont trempées dans l’encre de l’amertume. Il reproche à son père sa conduite extravagante cause de « chagrins continuels » 2431 pour lui comme pour sa mère qui est « au désespoir » 2432 . Ce père se plaignant d’être embarrassé financièrement « se livre au plus affreux excès, mangeant tout le peu qui lui reste » 2433 , mettant en péril l’intégrité du patrimoine familial qui n’est pas à l’abri d’un démembrement 2434 . Mais il y a plus grave. Sous la plume de Louis-Victorin, le docteur Claude-Louis Mazon apparaît comme un monstre de libertinage :
‘« Il fait venir à Bellevue 2435 , deux ou trois fois par semaine en présence de Maman, de ma sœur et de mes deux frères, cinq ou six filles à qui il donne à dîner, après le dîner il invente des jeux où l’on puisse bien s’embrasser, il fait avec elles les choses les plus indécentes et tout cela toujours devant Maman, ma sœur et mes frères » 2436 . ’A l’humiliation de l’épouse s’ajoute la violence des paroles :
‘« Il menace Maman de la chasser, il lui dit que c’est une gueuse et ces filles ont toujours les doits (sic) remplis de ses bagues ». ’Quel contraste avec les principes du docteur Mazon qui écrivait deux ans auparavant « à son fils bien aimé » au moment de son entrée à Saint-Cyr :
‘« Si je savais mon cher fils que tu professas d’autres sentiments que ceux de ton père et que tu n’entras dans la carrière de l’honneur que pour t’y déshonorer, j’aimerais mieux cent fois d’apprendre que tu n’es plus » 2437 . ’Cependant, Albin Mazon se fait aussi une autre image de son grand-père qu’il décrit dans ses Notes intimes :
‘« Mon grand-père Claude-Louis Mazon, médecin et receveur particulier à Joyeuse, puis à Largentière était, de l’avis unanime d’infiniment d’esprit. Il était plein d’humour et de saillies et faisait beaucoup rire tout en gardant lui-même un grand sérieux. Il racontait les choses les plus sérieuses avec une bonhomie parfaite. Il avait beaucoup étudié, beaucoup lu et était en état de parler de tout. Il était maigre, petit, laid, mais quand il parlait, l’esprit le transfigurait en quelque sorte. Il mangeait peu. Aussi était-il leste, alerte et montait-il admirablement à cheval. Son esprit, me dit-on était un peu léger et grivois mais figure fine, spirituelle, il ressemblait à Voltaire. Il était très désintéressé, n’ayant pas eu à gagner sa fortune, il n’en appréciait pas assez la valeur ». ’Ambition déçue, image paternelle dévalorisée, toutes ces blessures de l’âme ne sont pas sans conséquences sur les chemins de vie empruntés par Louis-Victorin. Au fond de lui, il pense qu’il ne sera jamais bon que pour le militaire 2438 et dès que la première occasion de reprendre du service se présente, il la saisit. Le 1er mars 1815, Napoléon escorté par une poignée de soldats débarque au golfe Juan. En vingt jours, « l’aigle avec les couleurs nationales volent de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame » 2439 forçant Louis XVIII à se réfugier en Belgique. Parti de Bordeaux, le duc d’Angoulême arrive à Nîmes le 14 mars, ayant pour mission de barrer la route à « l’usurpateur ». Il dirige les opérations militaires à la tête de 5 000 volontaires qui remontent la rive gauche du Rhône pour reprendre Lyon. Louis-Victorin, arborant une cocarde blanche, fait partie de ces 45 volontaires royaux qui, sous le commandant de Théodore d’Indy 2440 , le fils du préfet, doivent désarmer les artilleurs de Valence ralliés à l’empereur. Soixante-dix ans plus tard, en 1884, Albin Mazon rapporte le récit de cette expédition dans son « Voyage au Bourg-Saint-Andéol » :
‘« Un incident célèbre dans les annales modernes du Bourg est celui qu’on appelle l’expédition de St-Péray ou des Coucourdas, qui coïncida en mai 1816 (sic), avec celle du duc d’Angoulême à Livron et à la Coucourde, et avec celle des gens de Nimes. Les Bourdaisans d’alors, convoqués, je crois à Lyon, se mirent en route et arrivèrent clopin-clopant jusqu’à St-Péray, désarmant tout sur leur passage. Mais à cet endroit, la débâcle fut universelle » 2441 . ’Le retour de l’empereur redonne espoir à l’ancien élève officier de l’école militaire de Saint-Cyr et ses ambitions sont toujours intactes. Pour parvenir à ses fins, il sollicite par deux fois l’appui de son oncle Claude Gleizal :
‘« A présent que la carrière militaire va reprendre son ancien lustre, je viens te demander de me rendre un service. C’est de me demander un brevet d’officier dans la cavalerie. Je te prie donc de faire une pétition en mon nom au ministre pour cet effet de lui exposer plusieurs motifs qui je crois me serviront par me faire obtenir ce brevet. C’est que d’abord j’ai été à l’école militaire de St-Cyr et que lors de notre sortie de cette école j’étais en état d’être officier, faire entendre ensuite que je n’ai quitté l’école que parce que je ne pouvais plus servir son Napoléon-Le-grand » 2442 . ’Sans crainte, Louis-Victorin se voit aussi bien dans le corps des Hussards ou des dragons que dans celui des éclaireurs à cheval de la garde, ou dans les lanciers rouges. Il doit faire face à de nouvelles déceptions. Après avoir été, au mois de mai 1815, sergent fourrier au régiment des volontaires de la Seine, il se retrouve dans les corps francs de Noyon en juin 1815 et s’apprête le 10 à partir pour la Belgique. Tout s’arrête le dimanche 18 juin dans cette « morne plaine » de Waterloo, « ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants ! » 2443 .
Après la défaite, l’heure de la répression sonne. Son oncle Florentin Gamon est en passe de perdre sa place de percepteur. Louis-Victorin invente un stratagème afin de lui venir en aide et expose le plan à son oncle Gleizal : il suffirait de faire transférer sur sa tête la charge de percepteur « et alors elle ne risquerait rien, moi étant reconnu pour royaliste comme ayant servi dans les volontaires royaux » 2444 . La répression frappe aussi ses deux oncles, Joseph Gamon et Claude Gleizal qui, en 1816, sont exilés jusqu’en 1819. Après avoir végété quelque temps chez un avoué pour se « mettre dans le cas d’être quelque chose » 2445 , Louis-Victorin tente l’aventure de la médecine et part étudier à Montpellier. Après « avoir tiré le diable par la queue » pendant ses années d’étude, il s’installe comme jeune médecin à Largentière en dépit de l’opposition de son père qui, « grandement piqué » de ce que son fils soit resté « sourd à ses ordres », décide de ne plus l’aider en aucune manière pour la fin de ses études qui lui demandent encore 700 à 800 francs » 2446 .
Les débuts du jeune médecin sont brillants et, en peu de temps, il a acquis « le talent de la médecine au suprême degré » 2447 . Il brille dans les accouchements et on fait souvent appel à lui lors de cas désespérés, il ferait même des « miracles » en rendant la vue à des aveugles 2448 . Sa renommée est grande et de tous côtés « on lui offre des femmes de 50, de 60, de 80 mille francs » 2449 . Mais a-t-il été en mesure de donner son avis lorsqu’en novembre 1823, il apprend à son oncle qu’il a été « fiancé avec une fille de 40 000 francs » qu’il épousera dans une vingtaine de jours 2450 . Rosalie Virginie Clément, dite Rouvière, était une jeune fille d’à peine 16 ans que le notaire Jacques Alexandre Rouvière avait eue en 1807 avec Rose Clément, sa maîtresse depuis l’an onze. Veuf, il avait enfin pu convoler en secondes noces avec son amante et avait reconnu sa fille née en dehors des liens « sacrés » du mariage. Louis-Victorin était-il amoureux de Virginie ? Cinq ans auparavant, il avait souhaité demander la main de mademoiselle Gleizal, de Conchis, nièce de son cher oncle Claude, mais ce projet était resté un vœu pieux. En 1824, son père ayant l’idée de le marier ne lui avait certainement pas demandé son avis et le mariage arrangé était conclu devant le maire de Largentière, le 18 janvier 1824. Nouvelle déception, la fiancée de « 40 000 francs » s’avère être dotée de seulement 18 000 et le futur ne peut disposer comme il l’entend des biens de son épouse. Son notaire de père a exigé de prendre en main la fortune et, si elle venait à décéder, son affaire est arrangée de telle manière qu’il en serait possesseur 2451 . Louis-Victorin se retrouve ainsi dans la dépendance de sa belle-famille qui exerce un contrôle ostensible sur la gestion de son patrimoine.
Quinze mois après la célébration nuptiale, le couple donne naissance à un premier enfant, Louis Alexandre Philémon, qu’ils perdent l’année suivante. Un an après sa disparition, Alexandrine Aline voit le jour pour ne faire qu’une brève apparition dans leur existence : elle meurt moins d’un an après sa naissance. Comment Louis-Victorin a-t-il réagi à ces disparitions brutales, lui qui excelle dans l’art de mettre au monde les nouveaux-nés ? Deux mois après le décès du nourrisson, Louis-Victorin fait enregistrer la naissance de son fils devenu l’aîné par la force des événements : Charles-Albin Mazon, né le 20 octobre 1828. Sa naissance est suivie, onze mois plus tard, de celle de Victorine Emilie.
L’année 1830 est une année pleine de bouleversements pour la famille Mazon. Fin juillet 1830, la tourmente révolutionnaire emporte Charles X et Louis-Victorin quitte sa famille pour la première fois afin d’effectuer un voyage en Suisse à Genève, Ferney et Gex. Le 8 septembre 1830, un nouveau-né répondant aux prénoms de François Adrien Léon complète la famille, mais ce jour-là, Louis-Victorin étant toujours absent, c’est le maréchal-ferrant François André Clément, 55 ans, qui présente l’enfant pour procéder à son enregistrement dans l’état civil.
Lorsque Louis-Victorin retrouve son domicile, il n’a guère le temps de se réjouir de la naissance de son fils. Aux rires succèdent les larmes avec la mort de son père, le 15 septembre 1830, une semaine après la naissance de Léon. Ce père avec qui il avait entretenu des relations conflictuelles n’est plus et Claude-Louis, avant de disparaître, avait tenu à ce que son fils aîné soit distingué lors du partage successoral. En 1824, au moment où Louis-Victorin allait unir son existence à celle de Virginie Rouvière, il avait fait :
‘« […] donation entre vifs pure parfaite et irrévocable à Louis-Victorin Mazon son fils fiancé acceptant du quart par préciput et hors part de ses biens meubles et immeubles présents : un domaine sis dans l’impôt de Montréal et donnant un revenu pour le quart par le présent acte donné de 110 francs » 2452 . ’Deux ans ont passé et à l’automne de l’année 1832, c’est la petite Ursule Corinne qui disparaît à son tour. De plus le couple Mazon ne va pas bien. Ce malaise est resté dans les souvenirs d’Albin Mazon :
‘« Dans les premiers temps de leur mariage, mon père et ma mère étaient très liés avec les époux Delaygue 2453 . Madame Delaygue se plaignait de son mari qui était, paraît-il, un grand niais. Mon père se plaignait de sa femme » 2454 . ’Émilie André a épousé très jeune Pierre Bernard Delaigue, ce fils de notaire devenu avoué auprès du tribunal de Largentière. Émilie avait à peine dix-sept ans et il avait fallu peut-être caser très vite cette fille naturelle née des amours ancillaires de l’avocat Etienne Théodoric André et de sa servante Marie Thérèse Breysse 2455 . Entre Louis-Victorin et Virginie, l’amour qui avait pu exister au début de leur union était mort. Louis-Victorin en était arrivé à détester sa femme et s’en épanchait en 1837 dans des termes peu amènes auprès de son cousin Benjamin Gleizal :
‘« J’ai une femme qui ne sait que me dénigrer partout, qui chez moi n’habite que pour ruiner ma maison et pour la discréditer, qui au lieu de s’occuper de surveiller, d’être une épouse enfin ne sait que courir d’une commère à l’autre pour porter partout le venin de sa langue dangereuse et sa honteuse fainéantise, ces causes toujours agissantes me troublent la tête m’empêchant de faire mes affaires, et me font quelques fois être même apathique » 2456 . ’Ces circonstances rapprochant les deux maumariés, « une liaison qui n’a fini qu’à leur mort commença bientôt entre eux » 2457 . C’est dans ce contexte que la petite Octavie Mazon naît le 11 juin 1836, alors que son père mène depuis plusieurs mois une vie séparée de corps avec Virginie. Cet événement a marqué la mémoire familiale. De Louis-Victorin, il subsiste l’image d’un homme abandonnant ses enfants et c’est la représentation qu’un de ses petits-fils avait de son grand-père avant de s’intéresser de plus près à l’histoire de sa famille.
Louis-Victorin avait eu une enfance au cours de laquelle « l’icône » de la représentation paternelle avait perdu son aura. Qu’en serait-il avec ses propres enfants ? Il était très attaché à l’un de ses fils, le petit Léon, cet enfant « très doux et très tendre, aux grands yeux rêveurs » 2458 et qui, sans le savoir, allait bouleverser la vie de son père.
Léon avait sept ans et c’était un 13 mars, un mardi. Ce jour-là, il était dans la prairie de l’enclos et s’amusait avec un autre enfant qui lui lançait des pierres. Brusquement, les rires se sont effacés au moment où Léon reçut en plein front le projectile lancé par son camarade. C’est le drame. Le médecin Louis-Victorin Mazon est impuissant face à la mort qui vient saisir son fils. Il devra désormais apprendre à vivre avec cette douleur insupportable de la perte d’un être cher, l’être aimé que l’on ne pourra plus jamais approcher sinon en venant se recueillir auprès d’un monolithe sur lequel seuls quelques mots gravés résument le témoignage de cette souffrance : « Ici un père infortuné vient pleurer son fils » 2459 .
Tous les 13 mars, le souvenir de la mort de son petit garçon le hante d’une manière plus intense et cette torture ne pourra cesser qu’à sa propre mort 2460 .
Albin Mazon restait le seul garçon de la famille et Louis-Victorin s’attacha à donner à ce fils « aîné » une éducation humaniste. Il l’inscrivit à l’automne 1839 au collège de Privas dirigé par des prêtres de l’ordre de Saint-Basile et pendant sept ans, Albin fit ses « humanités ». Il lisait les poètes grecs et latins ad perturam libri, l’italien très couramment et s’initia à la langue allemande. Il avait aussi une passion pour copier la musique et se jugeait assez fort dans la maîtrise de la flûte 2461 . Albin obtient son baccalauréat es lettres en 1846 et Louis-Victorin lui finança des études de médecine à Paris. Paris ville lumière, le jeune provincial naïf 2462 se brûle les ailes aux fastes et aux charmes de la vie nocturne :
‘« La vie de Paris me suffoquait. Les femmes me donnaient des éblouissements. La plus insipide grisette me semblait une divinité. […] Mon père m’avait donné quatre ou cinq cents francs ; cela devait me suffire pour tout l’hiver ; j’avais fait les plus beaux plans d’économie ; mais les feux de la jeunesse me les firent mille fois oublier. Comment ne pas aller au bal, et, une fois au bal, comment ne pas faire de sottises ? Le fait est que ce qui devait me durer quatre ou cinq mois était consommé au bout de deux » 2463 . ’Ce comportement ne laisse pas le père indifférent. Le sentiment d’amertume et de colère qu’il éprouve laisse la place à une tristesse profonde qui transparaît dans une lettre adressée à son cousin Gleizal :
‘« Mon cher Gleizal, je reçois à l’instant votre lettre et elle me plonge dans un désespoir absolu. Je comptais sur un fils pour me faire oublier des jours qui jusqu’ici ont été signés par le chagrin » 2464 . ’Il ne laisse rien paraître de cette mélancolie lorsque Albin rentre au domicile familial :
‘« Mon père ne me fit pas trop de reproches aux vacances. J’étais, d’ailleurs décidé à travailler sérieusement et à réparer le temps perdu » 2465 ’Promesse vaine, faute de travail suffisant, Albin Mazon échoue à son baccalauréat es sciences et abandonne ses études de médecine. Le fils prodigue retourne à Largentière à la fin de l’année 1848 alors que son père ne vit pratiquement plus avec sa mère. Des années plus tard, Albin Mazon analyse la situation et porte un jugement sur son père :
‘« Ma mère et mon père n’étaient pas faits l’un pour l’autre. N’ayant pas les mêmes idées, n’ayant pas reçu la même éducation, l’entente ne pouvait pas exister. Ma mère était la vertu et la bonté même, mais cela ne suffit pas pour dominer un homme qui n’a pas appris à dominer lui-même ses passions » 2466 .’Fougueux et passionné, Louis-Victorin l’est depuis son adolescence et ses convictions sont entières. Membre du conseil municipal de Largentière dans les années trente, il s’emporte contre le maire en 1832 au moment de sa prise de fonctions et se retrouve assigné devant le tribunal correctionnel de Largentière 2467 . Le 7 décembre de la même année, il refuse de voter l’adresse au roi suite à l’attentat du 19 novembre commis sur le Pont Royal alors que Louis–Philippe effectuait un trajet entre le château des Tuileries et le Palais Bourbon 2468 . Il récidive en persistant dans son refus de signer le 4 janvier 1837, après l’attentat de Meunier au palais des Tuileries, le 27 décembre 1836. La question de l’éclairage public de la ville est un autre exemple de sa détermination. Il propose au conseil municipal d’investir dans cet aménagement urbain qui devrait améliorer la qualité de la vie de ses concitoyens. Ayant reçu une fin de non-recevoir, il achète un réverbère, le plante et l’éclaire l’hiver à ses frais. Il lance une souscription pour permettre l’achat d’autres unités et la ville est finalement éclairée.
Les lectures de Louis-Victorin ont sans aucun doute influencé sa ligne de conduite. Il s’est abonné au Globe, journal de la religion saint-simonienne qui fait de « l’amélioration morale intellectuelle et physique de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse » sa déontologie. Abandonnant l’éducation morale et religieuse de ses enfants à leur mère 2469 , Louis-Victorin se passionnait pour la philosophie des Ruines et de la Loi naturelle ou Catéchisme du citoyen de Constantin François Chasseboeuf, comte de Volney, des Paroles d’un croyant de Lamennais. C’étaient ses livres favoris dont il lisait parfois quelques passages à ses enfants Charles-Albin et Émilie 2470 . De même que Volney s’attaquait à la misère populaire, Louis-Victorin s’engage pour soulager la souffrance de ses concitoyens. Le 6 août 1824, afin d’obtenir le grade de docteur en médecine, il présente et soutient publiquement sa thèse sur les panaris 2471 à la faculté de médecine de Montpellier. Il dédie son oeuvre à son père : « Tout ce que mon cœur et ma reconnaissance pourraient m’inspirer seraient-ils capables de m’acquitter envers toi ! » ; à ses oncles -Claude Gleizal ex député, Joseph Gamon, ex-député, Florentin Gamon, ex-receveur général département de l’Ardèche et Emmanuel Gamon propriétaire- et à ses tantes.
Dans les années 1830, installé comme jeune médecin à Largentière, il se dévoue à son sacerdoce dès le 1er janvier 1831. A partir de cette nouvelle année, il institue tous les lundis et jeudis, de midi à quatorze heures :
‘« des séances de consultations gratuites pour tous les malades qui lui apporteront de leur maire ou curé un certificat d’indigence, ou constatant une nombreuses famille. Les opérations seront aussi pratiquées gratis. Au vu du même certificat, il se transportera tous les jours de la semaine auprès des malades de la ville et de la campagne qui ne pourraient se rendre chez lui ». ’Abnégation ou sens du devoir porté à l’extrême ? Il est choqué par les conditions matérielles dans lesquelles les pauvres sont accueillis. Son fils, Albin Mazon 2472 , témoigne :
‘« Dans les premières années du XIXe siècle il n’y avait pas d’hôpital à Largentière mais on donnait ce nom à quelques pièces délabrées situées dans les anciens remparts de la ville entre l’église et le pont de Sigalière et abandonnées aux plus pauvres de l’endroit sans meuble, sans garde et sans aucun moyen d’existence que ceux de la charité privée. Ce que voyant, un médecin de l’endroit, le docteur Mazon, dont l’habitation se trouvait justement au dessous de cet hôpital et qui avait vu de plus près les misères auxquelles il servait d’abri, conçut le projet de doter sa ville d’un véritable hôpital ». ’Le samedi 29 août 1843, la première pierre est posée. Victorin Mazon exulte :
‘« À midi, l’hôpital de Largentière a montré à la surface de la terre sa première pierre. Une croix protégeait l’emplacement sacré : sa mission était accomplie ; elle allait porter au ciel la bonne nouvelle » 2473 . ’Sauf que « l’accomplissement de cette mission » dépendait aussi du bon vouloir des « personnes généreuses et désintéressées pour la souscription de l’établissement d’un hôpital dans la ville de Largentière ». Une commission municipale chargée d’étudier la viabilité du projet constate, dans son rapport publié en septembre 1843, que les offrandes déposées dans un tronc sur le terrain même du futur hôpital sont insuffisantes et de plus :
‘« Aucun plan, aucun devis exact n’ayant été fait afin d’évaluer les dépenses auxquelles le projet en question entraînerait la ville. Un hôpital devant coûter 50 000 francs ; la ville est déjà chargée de la construction du palais de justice et des prisons » 2474 . ’L’amertume du médecin est grande : où est la justice ? « Les malades pauvres meurent dans la rue » mais on trouve 150 000 francs pour édifier un palais de justice... En 1850, Louis-Victorin Mazon doit jeter l’éponge, son projet ne verra jamais le jour 2475 . Le 10 février 1850, il se rend à la délibération du conseil municipal de Largentière et expose qu’au regard des circonstances actuelles 2476 son hôpital inachevé
‘« […] court le risque de souffrir des dégradations si la toiture n’en est achevée et qu’en conséquence il propose à la commune la cession du fond et des bâtiments en question à la condition qu’il servira à fonder un établissement de bienfaisance ». ’Par ses prises de position et ses engagements, Louis-Victorin ne passe pas inaperçu. D’ailleurs, il ne cache pas ses idées républicaines qu’il expose à qui veut l’entendre au cours de banquets ou de cérémonies. C’est ainsi qu’il est remarqué par Demôle, l’avocat d’Aubenas 2477 , proche des démocrates et, lorsque la révolution de février emporte la monarchie de Louis-Philippe, il pense immédiatement à lui :
‘« Citoyen Mazon, j’ai eu l’honneur de vous voir à Aubenas et surtout d’y apprendre pendant mon séjour toute votre bonne volonté pour la chose publique. Vous comprenez que dans ce moment d’enfantement politique de la France, la France a besoin du concours de tous ses enfants de bonne volonté » 2478 . ’Le 12 mars un arrêté de Ledru-Rollin, ministre de l’Intérieur, révoque le baron Prosper Claude Ignace Constance de Barante 2479 , préfet en poste dans l’Ardèche depuis le 9 décembre 1845 et nomme « le citoyen Mazon commissaire du gouvernement dans ce département, l’investissant des pouvoirs de préfet et l’autorisant à prendre toutes les mesures d’ordre et de salut public qu’il jugera nécessaires ». Investi le 18 mars dans ses fonctions en compagnie de Giraud-Teulon, Louis-Victorin découvre immédiatement l’arène politique dans laquelle il va devoir faire preuve de maîtrise et de discernement. Dès le lendemain de sa prise de fonction, l’avocat de Chomérac, Pierre Alexandre Combier, le conseille :
‘« Gardez vous soigneusement de votre oncle et de votre cousin maternel. Le premier est un homme passé depuis longtemps à l’état de momie incapable d’apprécier les nécessités présentes. Le second n’est pas dans les mêmes conditions, mais il n’en est que plus dangereux. Vous avez à Privas deux hommes éminents par les lumières et le patriotisme : Laurent et Gleizal 2480 . Appuyez-vous sur eux, ils ne vous feront pas défaut. Au milieu de la foule de candidats qui se présentent, il vous sera facile de choisir les noms qui offrent aux patriotes le plus de garantie. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il faut soigneusement éliminer les Valladier, Champanhet et toute cette tourbe d’aristocrates que nous avons que trop longtemps supportée. Si ma candidature vous paraît acceptable appuyez-la de votre crédit. Deligan, maire de Mayres est un légitimiste encroûté. Il faudrait le destituer par un arrêté et nommer à son remplacement Constant. Je vous ai donné Béret pour commissaire près le tribunal. C’est un patriote d’élite, plein d’énergie et d’intelligence » 2481 . ’Mazon retrouve aussi à la tête de l’administration départementale l’un de ses parents par alliance, le conseiller de préfecture Jean Antoine Mallet 2482 assurant les fonctions de préfet par intérim 2483 , mais Mallet est suspendu par un arrêté des commissaires extraordinaires du gouvernement provisoire en date du 29 mars 1848 portant la signature de Martin-Bernard 2484 . En poste depuis 1836, le conseiller de préfecture Mallet aurait-il été jugé trop compromis avec la monarchie déchue ? Cela semble plutôt étonnant de la part de cet ancien carbonaro 2485 dont les « opinions politiques ont toujours été républicaines » 2486 et qui « a toujours agi en faveur du candidat d'opposition sans se préoccuper de sa position d’administrateur ». La subtilité des intrigues se jouant au niveau de l’exécutif échappe au commun des mortels. Dans les faits, Jean Antoine Mallet ferait les frais d’un règlement de compte antérieur à la révolution de février et la sanction aurait été prise sur des renseignements donnés par des ennemis personnels. Il s’agit des deux hommes recommandés par Combier à Mazon : Gleizal et Laurent qui « nourrissaient contre lui des sentiments d’inimitié ». Avocat, Mallet avait plaidé un procès contre Gleizal et en sa qualité de conseiller de préfecture, il avait présidé le comité d'arrondissement qui avait refusé d’admettre le beau-père de Laurent comme instituteur à Bourg-Saint-Andéol. Mazon n’a guère eu le temps non plus de se faire apprécier dans ses nouvelles fonctions. Le 28 mars, soit dix jours après sa nomination, il est remplacé par Paul-Mathieu Laurent, dit Laurent de l’Ardèche. Le commissaire général Martin-Bernard se justifie le lendemain dans un courrier expédié à Mazon :
‘« Il n’a fallu rien moins que la gravité des circonstances politiques dans lesquelles se trouve le département pour me faire considérer votre éloignement prolongé du chef-lieu comme une démission, je vous prie d’accepter l’assurance que cette mesure ne détruit en rien la bonne opinion que j’ai de votre patriotisme » 2487 . ’Louis-Victorin se fait une autre idée de cette démission. Le 2 avril 1848, au cours d’un banquet « fraternel » qui réunissait 400 citoyens dans la salle des pas perdus du palais de justice de Largentière, il avait tenu à expliquer quelles intrigues avaient amené sa destitution 2488 . Il ne se retire pas pour autant de la vie politique.
En avril 1848, il fonde à Largentière une société républicaine, prémices d’une société secrète dite « la Montagne » organisée par Alphonse Gent 2489 et se présente aux élections législatives de la constituante. Son nom apparaît même en première position dans la liste des neuf candidats de l’administration transmise par le préfet au lieutenant de gendarmerie d’Aubenas : « Mazon médecin à Largentière commissaire du département; Combier procureur général, Gleizal aîné avocat à Privas, Laurent juge à Privas, Chabert, ingénieur professeur, Teyssier vice-président, Fournery commissaire à Valence, Giraud-Teulon commissaire à Privas, Saint-Prix » 2490 . Le verdict des urnes le fait redescendre brutalement de son piédestal : avec 10 169 voix, le médecin Louis-Victorin Mazon, ancien commissaire de la République, se retrouve en vingt-cinquième position. Sa profession de foi républicaine parue dans le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche n’a pas convaincu les électeurs :
‘« La République exhalée du sang fumant d’un peuple généreux et magnanime, a proclamé ses droits méconnus. Inutile de vous dire que depuis 20 ans, c’était mon idole et mon culte, mes droits et ma profession. Je ne demandais rien, mes appétits étaient satisfaits. Je voyais une république qui, le lendemain de sa victoire, brûlait l’échafaud 2491 , qui proclamait le désintéressement, la probité, le courage, la conciliation, qui ne frappait que l’escroc, qui tendait au malheur une main généreuse, aux peuple un bras protecteur, qui frappait le communisme pratique d’impossibilité, qui respectait la religion du Christ, qui honorait ses ministres, qui ne voulait sur la terre que des hommes frères, égaux devant la loi ».’Son cousin par alliance, l’ex sous-commissaire Firmin Gamon, est trentième avec 5 109 voix. Louis-Victorin prend la décision de monter à Paris et retrouve au mois de mai son fils, plus passionné par les événements de la révolution que par ses études de médecine.
En ce 15 mai 1848, l’ambiance parisienne est électrique. Les divers clubs d’extrême-gauche ont appelé à une grande manifestation de soutien en faveur de la Pologne opprimée. L’appel a été entendu et le rassemblement est considérable. On ne sait pas exactement pourquoi Louis-Victorin est venu à Paris dans la foulée des élections législatives d’avril et l’énigme du 15 mai 2492 se pose aussi pour lui. On en sait plus sur son fils Albin qui, noyé dans la masse des manifestants, pénètre dans l’Assemblée nationale agrippé au bras d’un porte-drapeau du club des Montagnards. Posté dans une des tribunes du fond, il aperçoit Louis Blanc promené en triomphe bien malgré lui apparemment car « il se débattait comme un petit diable sur les épaules de ses admirateurs » 2493 . La confusion est à son comble et le coup d’État consommé lorsqu’il vit Aloysius Huber qui « s’élançait comme un énergumène à la tribune » en hurlant par trois fois : « Au nom du peuple ! L’assemblée est dissoute ». Plusieurs représentants sont alors « flanqués à la porte à coup de pieds au cul » 2494 . « Comme beaucoup d’autres », Albin rédige une liste de noms pouvant composer le futur gouvernement provisoire et se précipite pour essayer de la proclamer en montant sur un tabouret situé au dessous de la tribune 2495 . Il quitte la salle sans avoir été inquiété par les forces de l’ordre et se retrouve à suivre le torrent en direction de l’hôtel de ville. Puis, il disparaît. Louis-Victorin, inquiet de l’absence de son fils, apprend qu’il est retenu au poste de l’hôtel de ville depuis plusieurs jours. Les gardes nationaux l’ont interpellé alors qu’il déambulait dans les rues de la capitale en tenant à la main un fleuret dérobé pendant le pillage d’une armurerie. L’affaire n’ayant pas un caractère de gravité exceptionnelle, Louis-Victorin renonce à faire usage de son éventuelle influence auprès du ministre de l’Intérieur pour venir en aide à son fils. Il quitte Paris alors qu’Albin attend toujours le bon vouloir des autorités pour être libéré. Il ne doit sa levée d’écrou, une semaine après, qu’à l’action de Firmin Gamon et de l’avocat Émile Lemaire 2496 , venus à Paris pour assister à la fête de la République en tant que délégués de l’Ardèche.
La défaite électorale de Louis-Victorin aux élections législatives ne le décourage pas pour autant mais renforce sa détermination d’agir pour sensibiliser les populations. La campagne pour les élections présidentielles du mois de décembre lui en fournit l’occasion. Le 7 novembre 1848, il fait l’objet d’un premier signalement par le sous-préfet de Largentière :
« Le docteur Mazon, ex commissaire du département s’est mis depuis quelques jours à la tête d’une réunion politique non publique dont le but parait être électoral et dont le siège est à Largentière. Cette manifestation a causé dans le pays une agitation sourde et motivé la formation d’une réunion politique plus importante. La ville se trouve par suite divisée en deux partis inégaux mais qui se dessineront nettement dans la prochaine lutte électorale. Aucun désordre matériel ne s’est produit ».
Les souvenirs d’Albin Mazon confirment ce rapport du préfet :
‘« Mon père avait organisé une société républicaine 2497 à Largentière dès la fin de 1848. La première fois qu’elle sortit avec son drapeau pour aller boire deux tonneaux de vin offert par Vincent, son vice-président, la bourgeoisie du pays en fut alarmée. Le maire Perbost interdit alors ces promenades. La société ne se composait guère, je crois, de plus de 80 ou 100 membres. Elle renfermait dans son sein des types incroyables. Plus tard elle cessa d’exister pour faire place à la société secrète dite la Montagne, organisée, je crois, par Alphonse Gent, à Lyon » 2498 . ’La société s‘est dotée d’une « constitution » intitulée « Programme des démocrates de l’Ardèche auquel doit se soumettre tout candidat à la représentation nationale » 2499 . Ce manifeste oriente son action politique et définit sa philosophie républicaine. Le préambule commence par rappeler les principes généraux d’une bonne République inspirée par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :
‘« Les principes du gouvernement républicain sont : l’Unité de pouvoir, la Liberté pour chacun, l’Égalité pour tous, la Fraternité de chacun pour tous et de tous pour chacun ». ’Chacun de ces principes est ensuite développé de manière très précise sous la forme « De l’Unité résulte », « De l’Égalité découle »… La préférence est donnée à un régime d’assemblée élue au suffrage universel, « fondement nécessaire de toutes les institutions sociales ». Certains accents ne sont pas sans rappeler la pensée théorisée par Karl Marx pour définir son socialisme scientifique : « l’affranchissement des prolétaires », la fin de « l’exploitation de l’homme par l’homme », mais les moyens pour transformer la société divergent. « Les deux derniers tyrans du peuple qu’il faut d’abord combattre et abattre » sont :
‘« L’ignorance et la misère : l’ignorance par un mode d’enseignement qui donne gratuitement à chacun l’instruction générale et professionnelle ; la misère, par la réforme complète de l’impôt 2500 , par le crédit et l’association ». ’Ce programme est en avance sur son temps : l’école doit être gratuite et assurée par l’État mais l’obligation scolaire n’apparaît pas. Le principe de laïcité n’est pas à l’ordre du jour ; si chacun a « le droit d’exercer son culte », l’enseignement général et professionnel apprendra entre autres au futur citoyen « ses devoirs envers Dieu ». Une véritable éducation populaire doit « mettre à la portée de tous les lettres et les arts, le patrimoine de la pensée, les trésors de l’esprit, toutes ces jouissances intellectuelles qui élèvent et fortifient l’âme, et dont le peuple, si bien fait pour les comprendre, a été jusqu’ici déshérité ». Pour sensibiliser les populations et développer leur conscience républicaine, il va jusqu’à financer la promotion d’un journal dont il est le rédacteur en chef. Le 8 avril 1849, le deuxième numéro du journal Le démocrate de l’Ardèche est envoyé à titre d’essai à un certain nombre de correspondants. Ce « journal des intérêts du département » vendu par abonnement au prix de trois francs s’accompagne d’une devise : « Liberté, Égalité Fraternité, la révolution fera le tour du monde » 2501 . Cette référence à la révolution et à ses idéaux n’est pas sans rappeler cette gravure en couleur qui circulait en 1793 et sur laquelle on pouvait voir un sans-culotte tenant fermement dans sa main gauche la constitution républicaine pendant que de la droite, il actionnait « la dynamo » de la Déclaration des Droits de l’Homme provoquant une « électricité républicaine donnant aux despotes une commotion républicaine qui renverse leur trône » 2502 .
Louis-Victorin Mazon s’implique de plus en plus dans l’action politique publique de contestation du régime en place. Il fait campagne pour les élections législatives du mois de mai 1849 2503 . Le 24 février 1849, le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche dévoile la liste des candidats démocrates en lice pour l’investiture : Laurent juge, Gleizal aîné avocat du barreau à Privas, Volsi avocat ex-commissaire, Mazon médecin, Combier ex-procureur général à Nîmes. Il n’y a aucune surprise et l’on retrouve les principaux acteurs en place aux lendemains de la révolution de février. Mais tout n’allait pas de soi. A la suite d’un « congrès électoral » tenu à Privas, une liste de candidats démocrates est arrêtée et Mazon est évincé. Blessé, il fait imprimer une série d’affiches 2504 pour exprimer sa protestation d’une « liste imposée par une minorité » qui a choisi comme porte-drapeaux de la République démocratique et sociale : un prince, [Pierre-Napoléon Bonaparte] ; cinq avocats, [Laurent élu en avril 1848, Auguste Gleizal, Volsi Arnaud-Coste, l’ancien procureur général de Nîmes Pierre Alexandre Combier, le secrétaire de légation en Suisse Louis Vasseur] ; un « ingénieur dont le génie incompris ne s’est pas encore révélé » [Grégoire Eugène Chabert] , un médecin inconnu [Jean Jacques Vacheresse, de Lamastre]. Malgré tout, Louis-Victorin décide de maintenir sa candidature. Le 13 mai 1849, la sanction est sévère et sans appel, son nom réunit à peine 2 080 suffrages. Un autre que lui se serait retiré, mais on connaît son obstination et sa détermination. Il poursuit dans sa vocation d’éveiller les consciences et il prend de plus en plus d’initiatives.
Depuis le mois de septembre 1849, il est catalogué par le sous-préfet comme appartenant « à l’opinion exagérée » 2505 mais il n’est pas encore bien connu des services de police. Un rapport du lieutenant de la gendarmerie d’Aubenas en date du 17 octobre 1849 signale « qu’un nommé Mazon, ancien commissaire actuellement médecin à Largentière » a participé à la cérémonie d’accueil organisée en l’honneur de la libération de l’avocat Demôle. Son « Cercle du peuple » ne donne plus de signe de vie et le sous-préfet le considère comme « dissout, sinon en droit du moins en fait » 2506 . L’expression « en apparence » serait plus appropriée car Louis-Victorin se met en marge de la loi par nécessité. En effet, lorsque les différentes mesures prises par l’assemblée sur la restriction de la liberté de la presse et du droit de réunion ne laissèrent pour exister d’autre alternative que de passer dans la clandestinité, sa société devint « secrète » et renforça la fidélité de ses membres par la prestation d’un serment. Louis-Victorin est affilié par celui qui l’avait accueilli, le 18 mars 1848 à Privas, en lui rendant les honneurs dus à sa nouvelle fonction de commissaire du gouvernement : le lieutenant des pompiers Jean Antoine Émile Nègre 2507 . Louis-Victorin a prêté tout naturellement le serment de défendre la République, il implique son fils en le recevant lui-même membre au cours d’une cérémonie. L’effet boule de neige fait grossir les effectifs de la société dans la région de Largentière et la plupart des affiliations se pratique dans la cave de la maison familiale située au bout du jardin. La fièvre du recrutement dispense parfois le protocole d’affiliation de son caractère hiératique. En février 1850, les Mazon père et fils « invitent » une quarantaine de républicains de la région de Vallon à un grand pique-nique sur les bords de l’Ardèche et leur « donnent la lumière » sans se formaliser en s’affranchissant du « grand secret » et du « grand cérémonial » 2508 .
« 1850, l’année de tous les dangers » 2509 , Louis-Victorin est présent lors de toutes les manifestations qui mobilisent les foules. La fête votive est l’occasion rêvée de mobiliser du monde et bénéficier d’une tribune pour diffuser les principes et les valeurs de la République. Le 15 septembre 1850, la fête votive de Saint-André-de-Cruzières donne l’opportunité de rencontrer les démocrates du Gard venus participer aux festivités. Mazon a prévu l’organisation d’un banquet en plein air, initiative que le maire de la commune n’apprécie guère. Le sous-préfet de Largentière s’occupe « des réservations » :
‘« J’espère que les visites domiciliaires auxquelles va procéder M le Procureur de la République en imposeront à des hommes égarés et surtout aux chefs si fanfarons en l’absence de danger, mais si timides devant l’uniforme d’un gendarme » 2510 . ’Ses espérances sont exaucées le 15 et le maire respire :
‘« L’ordre le plus parfait règne. Ce n’est qu’à la belle contenance de la force armée que nous devons cet heureux résultat. Le banquet projeté n’a pas eu lieu » 2511 . ’Le dimanche 3 novembre 1850, c’est la fête au village de Laurac et Mazon s’y fait voir accompagné d’une vingtaine de connaissances en portant avec lui de manière très ostensible des paquets de papiers 2512 . A Laurac, Louis-Victorin est un peu l’enfant du pays et sans s’émouvoir de la présence des forces de l’ordre chargées de l’encadrement de la vogue, il prend part à un banquet réunissant près de 150 convives. L’ambiance étant restée bonne enfant et en l’absence de motifs valables pour intervenir, le maire Jean-Louis Perbost ne « s’est pas cru autorisé à pénétrer dans la salle du banquet ». A la lecture de ces lignes consignées dans le rapport du commissaire de police, le sous-préfet de Largentière s’emporte dans une explosion de colère d’autant plus forte que le conseiller général, Isidore Maigron, lui affirme avoir vu Mazon parcourir les quartiers de Joyeuse « habités par des gens mal famés » en colportant une liste qu’il faisait signer à ses affiliés 2513 .
Louis-Victorin adopte une nouvelle stratégie pour sensibiliser les citoyens en les impliquant dans une action politique d’envergure : la campagne de pétitions dont les milliers de signatures recueillies serviront de « barricades de papier » 2514 . En paraphant le document, les signataires sortent de l’anonymat, s’opposent aux mesures prises par l’assemblée et « se positionnent résolument du côté du droit et de la légalité contre un pouvoir repoussé dans le champ de l’illégalité » 2515 et, comme le fait remarquer François Jarrige, « la signature d’une pétition n’est pas un acte anodin », surtout dans le contexte de tensions et de crise de cet automne 1850 2516 . Mais dans quelle campagne de signatures Mazon s’est-il engagé ? Prolonge-t-il l’action de mobilisation organisée à la suite du vote de la loi de mai 1850 et pour laquelle l’Ardèche ne s’était pas particulièrement distinguée avec moins de 2 500 signatures recueillies ? 2517 .
Le sous-préfet s’est fait un point d’honneur de parvenir à l’arrestation de Mazon, il espère simplement le premier faux pas. Une dizaine de jours plus tard, l’occasion rêvée se présente avec les confidences d’un habitant de Saint-André-de-Cruzières 2518 au maire de la commune. Mazon lui aurait confié qu’il « viendrait dans quinze jours assiéger Saint-Ambroix et si le maire de Saint-André faisait prendre les armes aux Blancs, il provoquerait la confiscation des biens de M Graffand et les distribuerait aux pauvres gens du parti rouge ». Le sous-préfet estime qu’il est de son devoir d’agir préventivement car « ces faits sont de nature à provoquer l’arrestation de Mazon » 2519 . Il fait d’abord interroger Émilie André, la veuve de l’avoué Bernard Delaigue, « qui vit publiquement » avec le suspect. Mais Mazon, informé indirectement par les indiscrétions de comptoir du lieutenant de gendarmerie 2520 , devance les manœuvres qui se trament pour le faire incarcérer et trouve refuge dans une grange des environs de Largentière. Le suspect finit par être repéré. À l’aube du 28 novembre 1850, le sous-préfet déclenche une vaste opération de police. Muni d’un mandat d’amener, escorté par 30 fantassins de la garnison d’Aubenas et une trentaine de gendarmes, secondé par le procureur de la République Brun de Villeret et le juge d’instruction Ladreyt de la Charrière, il fait cerner la maison de Mazon et celle de sa maîtresse. Les autorités investissent les lieux et se livrent à une perquisition domiciliaire assez « rigoureuse » 2521 . La fouille ne donne aucun résultat 2522 , en revanche Louis-Victorin est arrêté, mais il est bien décidé à dramatiser la mise en scène de l’événement devant la foule qui a commencé à se rassembler devant le domicile familial. Il demande à ce qu’on lui passe la chaîne au cou sinon les forces de l’ordre devraient se résoudre à le traîner jusqu’à la prison 2523 . Le sous-préfet, dans un souci d’apaisement, obtempère et accepte la requête du prévenu. Louis-Victorin devient dès lors un martyr de la cause républicaine. C’est alors que la foule compacte se rapproche des autorités en scandant les « zou zou », prémices d’une action immédiate. Elle enveloppe ostensiblement la colonne de militaires et de gendarmes jusqu’à ce que le lieutenant de la gendarmerie dégaine son épée. La « translation » du prisonnier s’opère dans une ambiance électrique jusqu’à l’esplanade des prisons. Arrivés sur place, les partisans de Mazon échangèrent avec le prisonnier de longues poignées de main. Impassibles, les autorités attendent en silence la fin des adieux tout en supportant les cris qui fusent de part et d’autre de la foule : « Vive la république ! A bas les chevreaux 2524 ! A bas la tyrannie ! ». Les manifestants se dispersent mais ce n’est que partie remise car ils veulent s’organiser pour empêcher le transfert de Louis-Victorin à la Maison d’arrêt de Privas 2525 . La rumeur circule et « les bruits de la délivrance des prisonniers s’accréditaient d’une manière si sérieuse » que Nau de Beauregard, le sous-préfet, prend « toutes les précautions nécessaires pour parer à des éventualités d’une réalisation sinon probable au moins possible » 2526 . Mais il est inquiet de la solidité du juge d’instruction et de la fermeté du procureur de la République :
‘« M Ladreyt est un homme bon, dévoué à l’ordre mais craintif, qui a peur de se créer des inimitiés violentes en frappant les gens qui habitent le pays de sa famille, […], sa réserve trop fréquente est alimentée par une dose considérable d’apathie, de paresse. Si j’avais un procureur de la République énergique, il pèserait comme moi sur les déterminations du juge d’instruction. […] Mais vous connaissez M Brun de Villeret, il avance de trois pas mais recule de deux » 2527 . ’A l’extérieur tout semble calme, pourtant le feu couve sous la cendre. Des hommes presque tous armés de fusils de gardes nationaux circulent jusqu’à des heures avancées de la nuit faisant la navette dans les environs de Largentière, de Chassiers au nord à Uzer au sud, en passant par Montréal 2528 . Les sentinelles ont l’ordre d’ouvrir le feu à la moindre tentative d’approche de la prison.
C’est dans ce contexte de troubles insurrectionnels que le juge d’instruction exprimant « ses regrets d’avoir obtempéré avec une si réelle précipitation » et en l’absence de preuves formelles, ordonne la mise en liberté sous caution de Mazon au grand dam du sous-préfet de Largentière qui espérait prolonger la détention de « l’homme qui partout souffle le feu du socialisme » 2529 en rattachant la procédure d’instruction à celle du complot de Lyon 2530 . Nau de Beauregard est abattu et ne trouve pas de mots assez durs pour qualifier la décision de Ladreyt de la Charrière :
‘« Aujourd’hui où l’émeute nous menace, que malgré le déploiement de force militaire considérable les factieux circulent armés dans les rues, l’élargissement de Mazon est une lâcheté dont on m’imputera peut-être ma part dans l’opinion. C’est un acte honteux, plus qu’une faiblesse » 2531 . ’La nouvelle de la libération de Mazon provoque une explosion de joie parmi ses partisans qui allèrent fêter la victoire à son domicile. Les cris de « Vive la République ! » ponctués par les explosions des pétards tirés pour l’occasion se prolongèrent tard dans la nuit. Le sous-préfet humilié, désavoué par l’autorité judiciaire, rumine sa défaite, bien décidé si l’occasion se présente à prendre sa revanche 2532 . Par son attitude, Mazon a mis les autorités en échec, mais il n’a plus droit à la faute car le ministère de l’Intérieur a maintenant un œil sur lui 2533 . Le manque d’entente et de coordination entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire n’a pas échappé à la population locale et le fait d’avoir cédé alimente toutes sortes de rumeurs mettant en cause l’impuissance des autorités :
‘« Les autorités locales ont été effrayées du mouvement considérable d’hommes armés qui circulaient sur les montagnes et elles ont cédé Mazon dans le but d’éviter que Largentière fut mis à feu et à sang » 2534 .’Pour Louis-Victorin, « l’heure de la moisson a sonné et il est honteux de subir plus longtemps le joug de l’administration ordurière de l’Ardèche » 2535 . Allant de banquets aux enterrements républicains, il construit son image d’opposant politique. Les autorités redoutent sa présence sur « un site sensible » car elle est susceptible d’engendrer des réactions en chaîne d’autant plus fortes que certains notables sont maintenant prêts à s’affranchir du cadre de la loi pour s’opposer aux visites de Mazon. Le 18 avril 1851, le légitimiste Charles de Baumefort, membre de l’Association pour la propagande antisocialiste, n’en fait pas mystère dans une lettre adressée au sous-préfet de Largentière, lui signalant la présence de Mazon et de 120 « rouges » lors des funérailles d’un jeune homme « affilié par faiblesse à la société secrète des rouges » :
‘« Il me semble, comme je l’ai dit à notre maire, que l’autorité approuve toujours les mesures sages prises même en dehors des lois et règlements quand elles ont pour but le maintien de l’ordre et la discipline » 2536 . ’Selon le récit de Charles de Baumefort :
‘« M Mazon n’a pas pu parvenir à prononcer l’excentrique oraison qu’il venait de crayonner sur le papier. Il a été bien sagement inspiré de céder sans discussion à l’invitation des autorités de se retirer. Une résistance un peu vive eût provoqué, m’a-t-on dit, l’exécution d’un plan bien arrêté des habitants de St-Alban de tomber sur lui et sur les siens. […] On ne pense pas que M Mazon se représente dans la commune pour pareille cérémonie. Le fiasco qu’il vient de faire ne l’encourage pas et s’il savait qu’il a été si près d’être lapidé, il se serait encore bien plus éloigné ». ’Dans la chaleur des vogues de l’été 1851, les réactions sont épidermiques et le sous-préfet attend son heure. Mazon sera bien poussé à la faute, un jour…
Le samedi 10 août 1851, la vie de Louis-Victorin bascule à Laurac 2537 . Comme au mois de novembre 1850, Louis-Victorin devait présider le banquet. L’intervention de la gendarmerie dans la salle du restaurant, sous prétexte que des chants démagogiques ont été entonnés, provoque de très vives réactions 2538 . Des cris de « mort aux gendarmes ! » sont proférés. Confrontées à cet acte de rébellion, les forces de l’ordre réagissent en se saisissant d’un convive, mais submergées par le nombre, elles doivent renoncer à poursuivre l’arrestation. Selon le rapport du sous-préfet de Largentière en date du 11 août 1851,
‘« Le prisonnier fut enlevé de force par 500 ou 600 jeunes gens furieux. Les gendarmes qui n’avaient que leurs sabres rentrèrent à la mairie et s’armèrent de leur carabine » 2539 . ’C’est alors que Laurac connaît sa « journée des Tuiles ». Au moment où la brigade rejoint la place, elle est assaillie de jets de pierres et de bouteilles balancées par les fenêtres des maisons bordant la rue qui mène à l’auberge. Selon le rapport :
‘« Plusieurs gendarmes tombèrent assez grièvement commotionnés. Ceux qui restèrent debout, sur l’ordre de leur chef, le maréchal des Logis de Largentière, firent feu. Ils blessèrent plusieurs personnes mais n’en tuèrent aucune ». ’Obligés de recharger les armes, le combat se poursuit à l’arme blanche, mais assaillis de toute part, les gendarmes se retranchent à l’intérieur de la mairie. L’intervention du sous-préfet de Largentière, escorté d’une cinquantaine d’hommes de troupe, permet de rétablir l’ordre aux premières lueurs de l’aube. La reconstitution des événements, à partir des dépositions des gendarmes résumées dans le rapport du sous-préfet, a singulièrement condensé la chronologie des événements. Les archives privées de la famille Mazon ont conservé la trace d’une lettre non datée, mais semble-t-il écrite vers le 14 août 1851 sur la foi d’un renseignement parlant d’un incident survenu « mardi soir » 2540 . Dans cette lettre Louis-Victorin, parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, souhaite s’expliquer sur la responsabilité éventuelle qu’on pourrait lui attribuer dans cette nouvelle affaire :
‘« Je ne connais pas encore d’une manière précise les intentions de l’autorité sur moi ; mais je connais la puissance illimitée de la prévention. Je connais le pouvoir aveugle de la calomnie et du mensonge, je connais aussi l’abus monstrueux que les hommes, d’ailleurs justes et impartiaux au fond de leur cœur, peuvent accorder à des insinuations habilement hypocrites et perverses, recouvertes d’un vernis de probabilité » 2541 . ’Louis-Victorin est arrivé à deux heures de l’après-midi à Laurac après s’être résigné à faire un tour à la fête votive sur l’invitation pressante de deux personnes. Ses pas le mènent à l’auberge Hilaire dont la salle de restaurant est pleine à craquer, « il y avait des hommes de toute couleur et même des gendarmes » 2542 . Lorsque le maire se présenta, Louis-Victorin toujours sur le qui-vive et la défensive car il redoutait une provocation, s’approcha du magistrat et lui demanda s’il était permis de chanter. Le maire ayant donné son aval, des chants repris à l’unisson agrémentèrent la fin du repas. Vers 17 heures, le docteur Mazon se retire et se trouvait en contrebas du village lorsqu’il entendit des coups de feu. Quel choix avait-il alors :
‘« Retourner et aller me mettre entre les combattants, non, ce n’était pas mon rôle ; toute la journée quand je trouvais des amis, je recommandais au nom de Dieu et de la République, le calme, la prudence. Je prévoyais trop bien le rôle qu’on me ferait jouer pour ne pas continuer mon chemin » 2543 . ’En 1853, Louis-Victorin, exilé, rédige une « déclaration » à l’attention du préfet de l’Ardèche dans laquelle il complète sa version des événements :
‘« Jusqu’à cinq heures du soir, la fête avait été paisible et brillante et les phalanges républicaines avaient formé leur ligne et partaient en colonne. A cette heure quelques jeunes gens s’en allaient d’un autre côté en chantant la marseillaise que l’on croyait permise en république. Sur leur route malheureusement, ils rencontrèrent quatre ou cinq gendarmes qui leur signifièrent de se taire. Ils persistèrent et une arrestation eut lieu. […] Si une lutte s’est engagée par provocation de police, les plus coupables ne l’étaient que de ne répondre à la brutalité des fusils, des balles et des sabres que par des pierres et des gestes d’indignation » 2544 .. ’La raison pour laquelle le sous-préfet a condensé les événements de Laurac est évidente, il espère que Louis-Victorin Mazon sera cette fois-ci suffisamment compromis pour pouvoir être compris dans ce « complot ». Son vœu est exaucé trois jours plus tard avec les révélations d’un « repenti », ancien affilié à une société secrète par Mazon :
‘« J’ai vu recevoir chez Mazon ou chez Lemaire 2545 les plus grandes parties des jeunes gens de Largentière. Il y a des affiliés dans une quantité considérable de communes. Mazon reçoit de nombreuses lettres de Lyon et de Paris qu’il brûle à l’instant même. Il dit à tous qu’on se tienne prêt que le moment approche et qu’au premier signal on courre aux armes. Il faut assassiner le procureur de la République, le lieutenant de gendarmerie et surtout le sous-préfet, s’emparer de la mairie et de la poudrière, assassiner les gendarmes et commencer le pillage des hommes d’affaire » 2546 . ’Selon ses déclarations, il y a eu à Largentière, dans la maison familiale des Mazon, une réunion de dix chefs républicains qui auraient planifié ces sinistres projets pour le 15 août prochain. Dès lors Victorin Mazon est traqué par les autorités et mène une vie errante de fugitif. Des agents secrets soldés par le Ministère de l’Intérieur sont dépêchés en Ardèche avec la mission d’infiltrer les milieux républicains pour repérer la trace de Mazon et de ses compagnons. On le dit réfugié en Suisse, on l’a aperçu dans la forêt de Bauzon en compagnie d’autres fugitifs 2547 . Mazon est devenu une légende. On le vit à la tête de l’insurrection qui marcha sur Largentière au lendemain du coup d’État 2548 , pour preuve, on raconte qu’il avait couché, la veille, à Payzac au moulin du Régent chez le meunier Roustang 2549 ; pour Charousset, le maire de Lablachère :
‘« Il est établi que Mazon seul a tout organisé dans Lablachère dans la vue d’un plan d’ensemble de la démocratie de l’arrondissement soit pour l'attaquer soit pour la défendre selon les événements » 2550 . ’Arsène Meynier, le médecin maire de la ville de Joyeuse qui, au nom de l’atelier maçonnique de la commune, lui avait exprimé ses plus vives félicitations au moment de sa nomination 2551 , ne lui vient pas en aide :
‘« Sans Mazon, les événements qui se sont passés dans le pays n'auraient pas eu lieu ou du moins auraient eu une importance moindre. Lorsque Mazon arrivait à Joyeuse, il était entouré par tous les socialistes de la localité » 2552 . ’Mazon est un symbole, le porte-drapeau de la résistance républicaine et :
‘« Plusieurs personnes pensant que Mazon se trouverait dans ce moment décisif, à leur tête sont accourus dans l’espoir de voir réaliser les promesses dont il les avait bercés si longtemps » 2553 . ’Mais Mazon était déjà parti, « parti un matin de Lyon dans la malle poste comme un grand seigneur et passa ainsi la frontière de Suisse ou de Savoie » 2554 pour se réfugier à Genève. Une ordonnance du deuxième conseil de Guerre de Montpellier rédigée le 6 décembre 1851 lui avait donné un délai de dix jours pour se constituer prisonnier, faute de quoi « il sera suspendu de ses droits de citoyen, ses biens seront séquestrés pendant l’instruction de la contumace et toute action en justice lui sera interdite » 2555 .
Depuis Genève, l’exilé prend la plume. Il saisit l’occasion de la mort de son confrère et ami, le médecin Amédée Teyssier 2556 disparu le 30 octobre 1852, pour exprimer son opposition au parjure dans une adresse à la ville d’Aubenas rédigée dans un style lyrique de tragédie grecque :
‘« De la part du citoyen Mazon à remettre à la ville d’Aubenas. Les Proscrits ! ! !. Au citoyen Teyssier. Les crimes de Tibère moderne ont effrayé ta belle âme. Elle est montée au ciel. Elle a été demandée au Dieu des Justes, au Dieu de l’Amour et de la Liberté, la punition du Sardanapale corse ; elle a été implorée le secours de la vérité, de la lumière et du génie des mondes. […] Demande à Dieu de jeter un coup d’œil sur cet être immonde qui depuis dix mois, nageant dans le sang humain qu’il a fait répandre, se débat dans l’orgie, dans le remord, en cherchant de nouvelles victimes, suce la terre de France qui se refuse à produire tant elle est souillée ! ! !. Demande au Ciel avec nous, crie avec nous au Dieu des Justes : Vengeance ! Justice ! Justice ! » 2557 . ’« Justice », Louis-Victorin la réclame aussi pour « sa condamnation imméritée » à 20 ans de travaux forcés comme principal organisateur du « complot de Laurac ». En 1853, il donne sa propre interprétation de l’événement et clame son innocence et celle de ses compagnons :
« Devant Dieu et devant les hommes, la main sur l’évangile du Christ qui est le Symbole des républicains, sur l’honneur d’ancien officier français,
moi Louis-Victorin Mazon, Docteur en médecine, jadis habitant à Largentière, dept d’Ardèche, aujourd’hui en exil pour fuir une condamnation imméritée
je fais la déclaration suivante au nom du Droit, de la justice et de la vérité.
a la fête votive de Laurac en août 1851, les républicains n’avaient absolument aucune intention aggressive, l’ordre était donné sur toute la ligne démocrative de conserver le calme et l’ordre le plus absolu, d’éviter avec Religion toute provocation a (sic) l’émeute que nous savions être dans l’intention policière pour avoir le droit de saisir les chefs républicains.
[…] Depuis quinze jours ; il était question de cette fête et il
2558
avait fait savoir et donné le conseil de prendre bien garde et de ne pas tomber dans le filet qui depuis longtemps était tendu partout ; d’éviter tout prétexte de collision dont il prévoyait les résultats et avait deviné les motifs. A une heure de l’après midi il s’y rendit avec deux amis dans l’intention bien arrêtée de réitérer ses avis. A cinq heures, les gendarmes avaient réussi. Il demande à tout homme de sens et qui n’est pas un étourneau s’il devait se mêler à une émeute dont il ne prévoyait que trop les conséquences. Il se retira le désespoir dans l’âme et le cœur navré.
Quelques fous ont prétendu qu’il devait rester dans cette stupide lutte. Il répond : Non, son devoir, son intelligence, l’avenir lui disait que ce n’était pas un jour sérieux, que ce n’était pas un jour de lutte utile, qu’il ne devait accepter le combat que le jour décisif »
2559
.
Le « jour décisif », Mazon n’est plus en Ardèche et lorsque les colonnes armées convergent en direction des centres du pouvoir, il regrette de ne pas avoir été à leur tête car sa présence aurait donné du « sens » à l’insurrection :
‘« Sans ce jour néfaste 2560 , le docteur Mazon aurait été chez lui au 2 décembre et sans vanité peut-être l’arbitraire et la violence auraient joué un jeu plus sérieux. Mais point de chef pour conduire les 4 000 défenseurs de la loi qui arrivaient sur l’Argentière. Sans discipline, sans ordre et sans précaution, sans stratégie, ces hommes qu’on retrouvera plus tard sur la brèche se dispersèrent sans combat. […] On devine sans peine que j’étais le chef des légions républicaines de mon arrondissement. Sans forfanterie, comme sans crainte, je l’avoue, mais le peuple, mais la société démocratique m’avaient nommé et je jure sur ma tête que j’aurais répondu à la confiance » 2561 . ’En exil, à Genève, le docteur Louis-Victorin Mazon est devenu M. Louis Moulin. Il reçoit des nouvelles de sa famille restée à Largentière par l’intermédiaire de sa fille Emilie. Mais le 22 août 1852, les autorités de la ville « l’invitent » à quitter la ville et le canton. Il obtempère et se rend à Nyon et Thonon en compagnie de Firmin Gamon qui a aussi choisi le chemin de l’exil genevois. Le 30 septembre, muni d’un passeport de la Confédération, il rejoint Chambéry. En Avril 1853, on retrouve sa trace lorsqu’il sollicite de l’intendance d’Annecy un permis de séjour à faire enregistrer à Bonneville. Il demande l’autorisation d’exercer la médecine. Son fils Albin, devenu rédacteur à la Gazette de Savoie depuis le 31 mai 1853 peut, grâce à ses quelques relations, l’aider dans ses démarches 2562 . Courant avril/mai 1854, La Gazette de Savoie publie des petits encarts publicitaires vantant les mérites d’un établissement hydrothérapique situé à Plein-Palais, Genève, 291, chemin des Petits-Philosophes : « Cet établissement, dirigé par M. Parant, qui s’est adjoint des docteurs en médecine expérimentés, est aujourd’hui complet » 2563 . L’un de ces spécialistes réputés n’est autre que Louis-Victorin. Le concept de l’établissement de bains pour « rendre aux malades le bien si précieux de la santé » semble avoir de l’avenir. L’esprit d’entreprise du docteur Mazon alias M. Louis le pousse à tenter l’aventure. Entre le mois d’août et le mois d’octobre 1854, un nouvel encart publicitaire fleurit dans les colonnes de la Gazette de Savoie :
‘« Établissement hydrothérapique à Fossard (campagne Juliard), près de Chêne, aux pieds du Mont-Salève, canton de Genève. M. Louis, docteur de la Faculté de Médecine de Montpellier et correspondant de plusieurs sociétés savantes, dirige cet établissement et s’occupe surtout de la cure des maladies chroniques, dont il a fait une étude spéciale. Il applique avec succès et selon les indications le traitement hydrothérapique, méthode si puissante et qui opère tant de prodiges ». ’En novembre 1854, des problèmes de gestion et de fiscalité mettent fin à cette expérience thermale. L’exilé qui porte « moralement au col la chaîne du condamné et le ruban du proscrit » 2564 a maintenant près de 58 ans. L’ancien officier qui au début du siècle assistait à la défaite de l’empereur sur le champ de bataille de Waterloo doit-il rendre les armes et se soumettre ? Louis-Victorin va effectivement faire ses adieux, mais pas ceux auxquels on aurait pu s’attendre.
Une nuit, comme Abraham dans le désert, il eut une « révélation ». Alors qu’il se
‘« […] promenait sur les monts alpins, il vit du côté de l’Occident une étoile qui brillait et la nuit suivante un génie bienfaisant lui montrant encore en songe cette étoile lumineuse, lui dit : Quitte l’Europe et pars. Cette étoile est la tienne ; elle est sur un nouveau monde appelé le Texas ; pars, le bonheur t’y attend » 2565 . ’Ce « génie bienfaisant » s’incarna sous la forme de Victor Considérant, un autre exilé proscrit à la suite de la manifestation du 16 juin 1849 contre l’expédition française à Rome. Victor Considérant avait été séduit par les idées phalanstériennes de Charles Fourier et cette orientation de pensée lui fit rencontrer un autre phalanstérien d’esprit originaire des États-Unis : Albert Brisbane. Dans les années 1852-1853, les deux hommes partent à la découverte des États-Unis. Le Far West avait émerveillé Considérant et, en 1854, il avait tenu à faire partager son enthousiasme dans un livre intitulé Au Texas 2566 . Pour Mazon, c’est la révélation :
‘« Victor Considérant, ancien représentant du peuple, a passé ici trois jours. Il arrive d’Amérique où il avait été cherché pour nous une nouvelle patrie. Il a trouvé dans le nord de cette grande république américaine un pays superbe appelé le Texas ». ’Alors, Louis-Victorin se prend à rêver et ses rêves le portent vers une terre promise sur laquelle l’aube d’une nouvelle humanité s’est levée, un jardin d’Eden ou un pays de cocagne 2567 , une terre d’espérances et de promesses de félicité, la « terre promise » d’un nouveau « pays de Canaan » sur laquelle les exilés persécutés vivront selon les valeurs portées par les évangiles 2568 . Rêves révolutionnaires « où enfin avec l’agrément de Dieu et de l’Amérique, nous boirons souvent le soir à l’indépendance du monde et à la félicité humaine ». Et Louis-Victorin Mazon comprend alors « le sens de sa vie », c’était donc cela le dessein de la providence divine, toutes ces souffrances endurées pour obtenir enfin « la récompense providentielle de ses intentions humanitaires » en trouvant le chemin du Paradis. Alors « l’élu de Dieu » maintenant propriétaire d’une terre au Texas « d’une demie lieue sur un tiers de lieue » lance un appel pour que ceux qui ont la « vocation » l’entendent et aussi pour pardonner à ceux qui ne « savent pas ce qu’ils font » :
‘« Dans vos fêtes, vos plaisirs et vos jeux, vos festins, pensez quelques fois à ceux qui ont faim, qui ont froid et surtout retenez ces mots : vous ne m’aviez pas compris. Je vous plains, mais ne peux vous haïr, ce n’est pas dans ma nature, je vous pardonne ! ». ’Rêves révolutionnaires mais rêves révolus…. « Messieurs Cantagrel et Roger préparaient déjà depuis le 1er novembre 1854 avec des travailleurs américains et autres les champs et les abris » permettant d’accueillir l’arrivée des futurs colons 2569 . François Cantagrel 2570 avait donc fait l’acquisition de 2 500 acres de terrain sur les berges de la Trinity River à proximité de Dallas pour fonder la colonie de La Réunion. Au printemps de 1855, deux cents pionniers originaires de France débarquent sur le continent américain et gagnent « la terre promise » déjà peuplée de 400 « élus ». Premier désenchantement, les rapports entre les « natifs » et les « immigrés » ne sont pas vraiment régis par les règles de la fraternité des évangiles 2571 ; second désappointement : les terres calcaires de la Réunion ne produisent pas à la hauteur des espérances de la colonie ; troisième aléa : dans ces années-là, le climat se singularise par une grande sécheresse. La « terre promise » s’est dérobée sous les pas de Louis-Victorin, le « battant » est fatigué et d’autant plus démoralisé que les nouvelles reçues de Largentière par l’intermédiaire de son fils ne sont pas bonnes. L’un de ses lointains parents par alliance, le magistrat Emmanuel Mallet 2572 a informé Albin du tragique de la situation familiale :
‘« Le plus triste effet de sa condamnation c’est le séquestre de ses biens qui privent votre famille de la plus grande partie de ses moyens d’existence. Madame votre mère ne pourrait sortir de cet état qu’en provoquant à son profit un jugement de séparation de biens dont les frais seraient considérables ou en poursuivant contre son mari une instance en expropriation qui la forcerait également à certaines dépenses qui viendraient diminuer d’autant les reprises dotales » 2573 . ’La situation financière de Louis-Victorin avait pourtant connu une embellie avec la disparition de son oncle Florentin Gamon le 22 décembre 1856 qui, en décédant, lui avait légué 25 à 30 000 francs de rente sous le couvert de son fils Albin car la succession ne pouvait pas être directe étant donné les risques de saisie dues au séquestre. La seule possibilité pour Louis-Victorin de sortir de ce bourbier serait de se résigner à saisir la perche de la justice militaire et accepter de se présenter devant le Conseil de guerre qui l’avait condamné à 20 ans de travaux forcés. Le risque d’embarquer à destination de Cayenne est grand, d’autant plus que les autorités ne sont pas enclines à oublier, si l’on se fie au résumé de l’histoire de sa vie présenté par le préfet de l’Ardèche au ministre de l’Intérieur le 22 octobre 1857 :
‘« Quelle a été la part prise par Mazon à ces actes répréhensibles ? Ce qu’il y a de certain, c’est que les charges parurent assez graves pour motiver une condamnation à 20 ans. Si son action ne s’est pas manifestée ouvertement, elle s’est certainement produite d’une manière indirecte. C’est un simple détail dans la longue énumération des actes coupables commis par le chef de la démagogie. Il était l’âme de la démocratie, à lui seul doit être imputé tout le mal qui a été fait. Organisateur de sociétés secrètes, il ne cessait d’être l’instigateur de nombreux désordres. Les autres socialistes étaient les instruments aveugles de sa passion et de sa mauvaise foi. Par son audace, son originalité, son charlatanisme comme médecin, son intelligence et sa manière d’être et de vivre, la pauvreté dont il se paraît, ses œuvres d’une charité apparente, il exerçait une grande influence sur l’esprit des masses et plus particulièrement sur les populations des campagnes. Les hommes de la classe élevée le méprisaient et le considéraient comme un fou dangereux. Sa présence à Largentière réveillerait de coupables espérances et ferait naître de sérieuses inquiétudes. La vie privée de Mazon est un scandale public. Ayant depuis de nombreuses années chassé de chez lui sa malheureuse femme, il vit en concubinage avec une veuve nommée Delaygue. Son fils habite Nice où il est attaché à la rédaction d’un journal 2574 . Les deux filles, jeunes personnes dignes d’intérêt, sont avec leur mère. Mazon n’a plus aucune fortune, le peu de biens qu’il possédait est plus qu’absorbé par l’hypothèque légale de sa femme » 2575 . ’En dépit de ces risques, le 16 septembre 1857, Louis-Victorin se résigne à prendre la plume et rédige sa soumission sous couvert du consul de Genève :
‘« Âgé de 60 ans passés, toutes les illusions sur les hommes et les choses tombées, ne voyant plus sur la terre que mes enfants et le repos, je renonce complètement à la politique et je promets de ne rien faire et dire de contraire aux institutions françaises. Je le promets devant Dieu et devant les hommes, mais de grâce, accordez-moi la faculté de me rendre chez moi à Largentière (Ardèche) pour régler des affaires urgentes et consoler ma famille au désespoir et à une complète misère » 2576 . ’Sa demande n’aura pas de suite au regard de ses antécédents et « son retour pourrait avoir les conséquences les plus graves » 2577 . Jamais il ne doit être gracié, estime le sous-préfet de Largentière 2578 .
Au soir de sa vie, Victorin Mazon se fixe définitivement à Bonneville à la fin de l’année 1857 après avoir fait l’acquisition de deux lopins de terre. Le médecin s’improvise architecte et maçon pour bâtir de ses mains sa demeure entourée d’un jardin. Très vite,
‘« Il ne tarde pas à s’attirer les sympathies de tout le monde par son naturel enjoué, par les agréments de son esprit et surtout par son dévouement et son désintéressement dans l’exercice de sa profession. On pouvait à toute heure aller frapper à sa porte, on le trouvait toujours prêt à porter les secours de son art ; riche ou pauvre, peu lui importait ; ni la nuit, ni la distance, ni le mauvais temps ne pouvaient l’arrêter […] » 2579 . ’« Le médecin exilé », tel qu’on le surnommait dans la région, donne l’image d’un personnage « toujours gai, souriant sous son chapeau de paille » 2580 occupé à soigner avec passion son jardin qu’il ne quittait que pour aller visiter des malades dont certains ne pouvaient guère « le payer qu’en reconnaissance » 2581 . Il gardait le silence sur les souffrances de l’exil qui avaient brûlé son âme. L’amour de sa vie, Émilie André, est décédée au mois d’août 1859, plusieurs centaines de kilomètres le séparent de ses enfants 2582 . Louis-Victorin vieillit seul mais ses convictions républicaines restent intactes. Adoptant comme ligne de conduite l’axiome de Sophocle posant que «Quiconque va trouver un tyran devient son esclave, même s’il est venu libre » 2583 , il choisit de demeurer en exil malgré son amnistie obtenue au mois de mai 1859. Il n’a peut-être plus vraiment rien à perdre, alors qu’importe de braver la neige qui recouvre les montagnes en ce mois de mars 1861 pour aller visiter un malade. Les conditions de circulation sont difficiles et le médecin progresse difficilement à travers les 40 cm de neige sur les chemins. Il rentre le soir, épuisé, après avoir marché quatre heures dans le froid et l’humidité. Le lendemain, il recommence, en dépit du mal qui a déjà envahi son corps. Le 16 mars, il s’alite. L’aube du 17 mars 1861 paraît, mais le docteur Louis-Victorin Mazon, « l’initiateur » n’est plus. Sa dernière marche lui a été fatale. La nouvelle se répand en Ardèche bientôt relayée par L’Écho de Largentière qui publie dans ses colonnes un véritable panégyrique de sa vie : Le docteur Louis-Victorin Mazon dont l’existence entière aura été guidée par « son ardent amour du bien public » est mort victime de son « zèle infatigable pour le service des pauvres et des malades » 2584 . « Ici et maintenant », Louis-Victorin Mazon avait la conviction qu’il pouvait faire changer les choses. Il incarne une figure de républicains de son temps, celle d’un romantique révolutionnaire inspiré par la philosophie des Lumières et animé par un messianisme religieux républicain.
Arch. dép. Ardèche. 5M31. Renseignements sur les condamnés politiques ou ennemis du gouvernement de l’arrondissement de Tournon en 1858.
Arch. dép. Ardèche 5M31. État des condamnés politiques de l’arrondissement en date du 17 mars 1858 adressé par le sous-préfet au préfet.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Le sous préfet de Largentière en date du 28 février 1851.
Cité par Élie REYNIER, La Seconde République en Ardèche, ouv. cité, p. 49. Expression relevée dans un rapport du sous-préfet en date du 28 novembre 1850.
Vincent de GAULEJAC, « La vie, le roman, l’histoire » dans Récits de vie et histoire sociale, déjà cité, p. 142.
La lecture de ces tableaux généalogiques étant difficile, voir en annexes leur représentation agrandie.
Arch. dép. Ardèche 52J 253. Papiers de François Joseph Gamon « le Conventionnel ».
Emmanuel Henri Louis Alexandre Gamon, le père de Firmin, juge de paix à Aubenas, était le filleul du comte d’Antraigues Louis Alexandre Emmanuel de Launay.
Arch. dép. Ardèche 52J 253. Papiers de François Joseph Gamon « le Conventionnel ».
Arch. dép. Ardèche. 14J7 Fonds Gleizal. En l’an VI il est élu à l’unanimité par l’assemblée électorale de l’Ardèche pour siéger au conseil des 500.
Arch. dép. Ardèche. Papiers de famille, lettre d’Antraigues en date du 17 octobre 1815 adressée par Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal à Paris.
Le conventionnel girondin.
Il réclame aussi la mise en jugement des assassins du 2 septembre 1792.
Annuaire de l’Ardèche, 1850, p. 37.
Arch. dép. Ardèche, Fonds, Mazon, Encyclopédie de l’Ardèche, tome G1, folio 177 et 179.
Né à Étoile en 1750. Officier de l’armée royale qui a combattu aux Etats-Unis pendant la guerre d’Indépendance (1776-1783). Voir Gilbert BODINIER, Dictionnaire des Officiers de l’armée royale qui ont combattu aux Etats-Unis pendant la guerre d’Indépendance (1776-1783), SHAT.
Lettre de Claude Gleizal à Claude-Louis Mazon en date du 13 mai 1813.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 6 mai 1813.
Les officiers portent des épaulettes d’or ou d’argent, les soldats des épaulettes de laine. Ces épaulettes servent à distinguer les différents grades et parfois les régiments.
Lettre de Saint-Cyr en date du 25 novembre 1813 de Louis-Victorin Mazon à son oncle.
La garde impériale est composée de 90 000 hommes en réserve qui ne sont engagés dans la bataille qu’au dernier moment mais bien souvent « la garde ne donne pas ». Elle est composée des soldats les plus anciens, les vétérans, sélectionnés en fonction de leur comportement irréprochable au combat et de leur taille : 1m83 pour les grenadiers et 1m73 pour les chasseurs. Ces soldats d’exception ont des avantages : ils sont mieux payés, mieux nourris et mieux logés.
Lettre de Privas en date du 20 décembre 1814 de Louis-Victorin Mazon à son oncle Gleizal.
Ibidem.
Lettre de l’école royale militaire de Saint-Cyr en date du 23 septembre 1814 du maréchal de camp commandant l’école à M Mazon, docteur en médecine à Largentière.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date de novembre 1814 pour lui expliquer les raisons qui l’ont déterminé à quitter l’état militaire.
Ibidem.
Ibidem.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 3 septembre 1814.
Ibidem.
Ibidem.
Ibidem. « […] le voir toujours occupé à tacher de vendre les deux seuls domaines qui nous restent, encore sans maman, il aurait déjà vendu le Bouchet, domaine que nous avons à Antraigues ».
Il a acheté la propriété de Bellevue située sur la commune de Montréal en l’an X et vit retiré depuis, consacrant son temps à soigner les malades.
Ibidem.
Lettre de Claude-Louis Mazon à son fils Louis-Victorin en date du 24 septembre 1813.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 28 mars 1815.
Napoléon, proclamation à l’armée dans Correspondance de Napoléon, tome XXVIII, cité dans Révolution Empire, première moitié du XIXe siècle, Cours d’histoire Malet-Isaac à l’usage de l’enseignement secondaire, classe de première, Hachette, 1924, p. 393.
Théodore d’Indy (1793-1853) est le grand-père du compositeur Paul Marie Victor Vincent d’Indy (1851-1931).
Dr FRANCUS, alias Albin MAZON, Voyage au Bourg-Saint-Andéol, ouv. cité, p. 188. Le récit de cette expédition reconstitué d’après le journal d’un des « membres de cette marche mémorable » n’aurait pas été communiqué par Louis-Victorin mais par quelqu’un de Bourg-Saint-Andéol.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 28 mars 1815, déjà cité.
Victor HUGO, les Châtiments, Livre 5, « l’autorité est sacrée », Partie XIII, « l’expiation », tableau 1 et 2 : « La retraite de Russie et Waterloo ».
Lettre de Privas de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 29 février 1820.
Lettre de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 17 octobre 1815.
Lettre de Largentière de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 27 novembre 1823.
Lettre de Victoire Mazon, mère de Louis-Victorin, à son beau frère Claude Gleizal, en date du 14 septembre 1823.
Ibidem.
Ibidem.
Lettre de Largentière de Louis-Victorin Mazon à son oncle Claude Gleizal en date du 7 novembre 1823.
Arch. dép. Ardèche. Lettre de Claude-Louis Mazon à Gleizal en date du 7 mars 1824. Au décès de son beau-père, Louis-Victorin « trouve » un projet d’hypothèque légale sur ses biens au profit de sa femme.
Papiers de famille, livre 2, pièce n°174. Contrat de mariage en date du 6 janvier 1824.
Émilie André née en le 28 juillet 1802 à Largentière a épousé l’avoué Pierre Bernard Delaigue en 1819.
Albin MAZON, Notes intimes.
Le père a reconnu l’enfant lors de l’enregistrement dans l’état civil.
Papiers de famille 3. Lettre à Benjamin Gleizal en date du 28 novembre 1837.
Ibidem.
Albin MAZON, Notes intimes, p. 3.
Papiers de famille 3. Selon Albin Mazon, Louis-Victorin fit placer la stèle dans son pré au dessous de l’endroit du cimetière où avait été enterré Léon.
Adresse de Louis-Victorin Mazon « à ses amis » en date du 1er janvier 1855. Quatorze ans après l’accident, la douleur est toujours aussi vive, lorsque exilé à Genève, il décide d’écrire au petit disparu depuis les berges du lac une lettre déchirante : « 13 mars 1852. Samedi sur les bords du lac de Genève. C’est aujourd’hui le fatal anniversaire de la mort de mon fils chéri. Que je l’aimais, ce fils cet enfant, ce cœur si bon et si tendre. Je croyais que Dieu dans sa miséricorde infinie dans ses prévisions paternelles me l’avait donné pour être la joie de mes jours, la félicité de ma vie, la consolation de ma vieillesse […], je croyais qu’il me l’avait offert en compensation des calomnies dont m’abreuve l’humanité injuste et cruelle. Je le voyais déjà grand en âge et en vertu venir tous les matins me souhaiter un bonjour, me suivre pas à pas, écouter mes conseils et le soir avant l’heure de son repas, venir dans mes bras, me donner une nuit tranquille. […] J’ai tout perdu car j’ai perdu mon Léon, mon espoir, mon bonheur, ma félicité suprême […]. Mais Dieu ne veut pas pour un homme ici bas trop de joie, trop de vrai plaisir, il présente un instant à vos yeux l’aurore de la félicité, c’est ce bel arc-en-ciel qui vous amène le beau jour, c’est cette tendre et limpide pure rosée du matin qui nous promet une délicieuse journée et puis tout à coup l’homme s’éveille et l’aurore, l’arc-en-ciel, la rose ont regagné le ciel. Ainsi l’âme de mon Léon a fui la terre et s’est élevée doucement vers la demeure des bons et des justes et pendant que l’Eternel savoure les délices que lui procure une âme pure et parfaite, son père ici bas plaint, pleure, gémit tous les jours, il adresse au ciel presque des reproches, il lui demande son fils, viens Léon, reviens mon Léon […] ». Louis-Victorin a certainement conservé cette lettre jusqu’à sa mort puisqu’elle est archivée dans le tome 4 des Papiers de famille.
Albin MAZON, Notes intimes, p. 6. Il est reçu bachelier es lettres à Nîmes le 12 août 1846 puis part dans les premiers jours de novembre 1846 pour aller commencer des études de médecine à Paris. L’étudiant loge à l’Hôtel du Nord, au n°5 rue des Deux-Portes Saint-André et retrouve des connaissances de l’Ardèche : Henri Lafont, de Saint-Agrève, Urbain Gravier étudiant en droit. En 1851, Urbain Gravier est obligé de s’exiler car il a été compromis dans l’affaire de Laurac.
Albin MAZON, Notes intimes.
Idem.
Papiers de famille 3. Lettre de Largentière adressée à Gleizal en date du 9 août 1847.
Albin MAZON, Notes intimes.
Albin MAZON, Notes intimes.
Archives communales de Largentière. Registre des actes administratifs. 4K37, n°349 en date du 2 mai 1832.
RÉGNÉ, La pénétration des idées… ouv. cité, p. 8.
Albin MAZON, Notes intimes.
Albin MAZON, Notes intimes, page 1.
. En 1842, Louis-Victorin publie un petit livre La médecine simplifiée mise à la portée de tous les Français qui traite des maladies et infections les plus courantes au XIXe siècle. Un article est consacré aux panaris : « Les causes de ce mal sont : la piqûre d’une épine ou d’une aiguille, la compression des mains par des corps durs continuées quelques temps, etc. Ce mal est facile à connaître. Il y a d’abord démangeaison légère, augmentant petit à petit, et devenant douleur rapidement cruelle et intolérable. Il y a rougeur, chaleur vive, gonflement ; mais quelquefois peu considérable par la nature épaisse et dure des parties. Bientôt la douleur se propage au poignet, le long du bras, à l’aisselle, et les glandes de cette partie se tuméfient, s’engorgent ; le malade ne dort plus, il souffre horriblement ; le mal poursuit ses progrès destructeurs, la main s’empâte, le pus est déjà formé, il fuse le long des intervalles musculaires et les carie des os est souvent la punition de la négligence des malades à réclamer les secours de l’art. Cette maladie est si douloureuse, qu’on a vu des personnes se faire sauter le doigt malade d’un coup de hache ». (p. 111).
Albin MAZON, Histoire de Largentière, Paris 1902, réédition Res Universis, 1990. Texte également disponible dans La Revue du Vivarais, 1901.
Arch. dép. Ardèche. Affichette imprimerie Cheynet en date du 1er septembre 1843.
Archives communales de Largentière.
Selon Albin Mazon, il est enfoui sous la terrasse qui porta la gare du chemin de fer.
La ville a fondé depuis un hospice déjà en activité dans les dépendances du château.
Sur Demôle voir « 10 mars 1850, les enjeux d’une deuxième élection partielle » dans chapitre IV, partie B, III.
Papiers de famille 3. Lettredu ministère de l’Intérieur signée Demôle en date du 2 mars 1848.
Né le 27 août 1816 à Paris, ancien sous-préfet d’Autun.
Il s’agit de l’avocat de Privas, Auguste Gleizal né le 17 novembre 1804, fils de Pierre (1775-1840) et de Catherine Victoire Juge.
Papiers de famille 3. Lettre en date du 19 mars 1848de Pierre Alexandre Combier à Louis-Victorin Mazon, commissaire du département de l’Ardèche.
Jean Antoine Mallet né le 31 mai 1795 à Rochemaure, décédé à Privas le 22 mars 1867. Il a épousé le 1er janvier 1833 Marie Thérèse Olympe Gamon, la sœur de Firmin Gamon, avec qui il a une fille, Marie Pauline Elise née le 17 février 1842. Elise Mallet épouse Albin Mazon, le 2 octobre 1869 à Privas.
Son adresse aux maires en date du 28 février 1848 est publié dans le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche en date du 9 mars 1848 : « Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer au nouveau gouvernement le concours de la population et la tranquillité publique ». L’une de ses premières mesures fixe la date de la clôture de la chasse au 10 mars.
Arch. dép. Ardèche 3K 141. Recueil des actes administratifs.
Bernard Aristide-Martin, dit Martin-Bernard (1808-1883). Ancien membre des sociétés secrètes républicaines sous la Monarchie de Juillet, commissaire général pour les départements du Rhône, Haute-Loire et Ardèche après la révolution de février 1848. Elu à la constituante et à la législative, compromis le 13 juin 1849, il se réfugia à l’étranger.
Papiers de famille 3.
Ibidem. En 1822, il aurait assisté à Lyon à une réunion de carbonari qui avait pour but de proclamer la République.
Papiers de famille 3. Lettre du commissaire général Martin-Bernard à Mazon en date du 29 mars 1848.
Courrier de la Drôme et de l’Ardèche en date du 30 avril 1848.
Jacqueline MAZON, MATP, N°27, p 9.
Arch. dép. Ardèche 1Z250.
Le gouvernement provisoire abolit la peine de mort pour raisons politiques.
Selon l’expression de Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage… ouv. cité, p°62.
Albin MAZON, Notes Intimes, p. 8.
Ibidem. D’après le témoignage d’Albin Mazon, ils ne seraient pas expulsés par les forces de l’ordre ».
Ibidem. Barbès était d’abord monté à la tribune et avait commencé à lancer des noms comme pour faire acclamer un nouveau gouvernement provisoire. Voir Maurice AGULHON, 1848…, ouv. cité, p. 63.
Sur Lemaire, voir chapitre IV, partie A, III « Les prétendants de la République ». En 1851, il est condamné à quatre ans de prison dans le cadre de l’affaire de Laurac.
Le « Cercle du peuple ». Président : Lemaire avocat et propriétaire ; vice-président : Mazon, docteur-médecin.
Notes Intimes p 16.
Photocopie du document transmise par Jacqueline Mazon.
La société fait campagne pour l’établissement d’un impôt direct et indirect proportionnel car « la piquette du pauvre paie comme le vin du riche ; la lucarne de la chaumière comme la fenêtre du château ; car le sel, le sucre et autres paient tant par livre, et la cote personnelle, tant par tête…. ».
Papiers de famille 3. Mazon. Le journal est accompagné d’un avertissement : « C’est le dernier que nous envoyons comme essai, ceux auxquels il sera adressé, sont priés de le refuser à la poste, dans le cas où ils ne voudraient pas être considérés comme abonnés. […] Bureaux à Largentière chez Mazon, médecin.
La diffusion de l’électricité révolutionnaire, gravure en couleur vers 1793, BNF, Paris.
Pour le détail voir chapitre IV, B III 3°) « Les élections à l’Assemblée législative du 13 mai 1849 ».
Arch. dép. Ardèche 2M 338. Imprimerie Grobon à Largentière. Source déjà citée, voir note précédente.
Lettre du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 21 septembre 1849.
Ibidem.
Sur Nègre, voir chapitre II partie C, II 3°) « Décembre 1851 en Ardèche ».
Sur cette affiliation, voir chapitre V, partie A III 1°) « Epiphanie des sociétés secrètes ».
Voir chapitre IV, partie C, II.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Le sous-préfet de Largentière en date du 6 septembre1850.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Lettre du maire de Saint-André-de-Cruzières au sous-préfet en date du 16 septembre 1850.
Arch. dép. Ardèche 5M13. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 4 novembre 1850 pour informations concernant un rapport du commissaire de police.
Ibidem.
Selon l’expression de François JARRIGE, «Une « barricade de papiers » : le pétitionnement contre la restriction du suffrage universel masculin en mai 1850», Revue d'histoire du XIXe siècle, 2004-29, Varia, [En ligne], mis en ligne le 29 juin 2005. URL : http://rh19.revues.org/document698.html.
François JARRIGE, Idem.
Voir chapitre IV, partie C, II. Pour mémoire, par télégramme en date du 16 octobre 1850, le préfet du Rhône a informé ses homologues des départements limitrophes de la vallée du Rhône qu’on « annonce positivement dans les réunions des anarchistes un mouvement insurrectionnel dans le midi ». Arch. dép. Ardèche. 5M13.
Voir la carte insérée dans l’article de François Jarrige. A ma connaissance, il n’y a aucune trace de ces pétitions aux Archives départementales de l’Ardèche. Elles seraient conservées aux Archives Nationales sous les cotes C 2300 à C 2314 que faute de temps je n’ai pas pu consulter.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 16 novembre 1850.
Ibidem.
Ibidem. Le sous-préfet s’interroge sur « le concours dévoué du lieutenant de gendarmerie ami du juge de paix Carcassonne et de Ferdinand André. Il est sans cesse dans le café de ce dernier au milieu des démocrates ardents, là il dit tout haut ce qu’il fait, ce qu’il fera. Le frère de Ferdinand, Amédée André, compagnon ordinaire des Mazon se trouve de la sorte renseigné ; c’est ainsi que nos intentions, nos actes sont discutés et appréciés au café André ».
Albin MAZON, Notes intimes, p. 19.
Albin Mazon, dans ses Notes intimes, révèle qu’ils avaient reçu peu auparavant deux quintaux de poudre à fusil fabriquée à Romans. Une partie avait été transférée la veille dans une grange au bois, sous les feuilles de châtaigniers. Le reste avait été mis dans la cave dans une dame-jeanne ayant son panier d’osier ».
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport déjà cité du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 16 novembre 1850.
Allusion au préfet Léon Chevreau et à son frère, secrétaire de préfecture.
Albin Mazon, Notes intimes, p. 19.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport déjà cité du sous-préfet de Largentière.
Ibidem.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 30 novembre 1850. Voir carte de situation des lieux en annexes, p. 56.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 28 novembre 1850.
Ibidem. Le sous-préfet Nau de Beauregard donne sa version de la chronologie événementielle du dimanche 3 novembre 1850, jour du fameux banquet de Laurac : « 32 convives dont 25 arrivèrent avec Mazon s’installèrent autour de la table de Louis Hilaire aubergiste, on mangea, on chanta deux fois une chanson très longue dont le refrain est “Allons citoyens, il faut nommer Ledru-Rollin, allons compagnons votons pour les montagnards” ». Mazon aurait prononcé un discours très engagé et très compromettant : « Quand les rouges arriveront les impôts seront presque supprimés en faveur des pauvres, le sel se vendra à un sou la livre et les riches qui mangent maintenant leurs poulets seront justement réduits à ne se nourrir que de pommes de terre du peuple. L’heure de se battre approche, il faut savoir attendre et une fois le signal donné personne ne devra hésiter à marcher sur Largentière ». A l’issue du repas, chaque convive aurait participé à un « stage » d’initiation à une société secrète dont le thème portait sur la manière de « se reconnaître démocrate en se donnant une poignée de main ».
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 30 novembre 1850.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 2 décembre 1850.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Le ministre de L’intérieur Baroche au préfet en date du 5 décembre 1850.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 6 décembre 1850.
Arch. dép. Ardèche. 5M11. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du 26 février 1851. Discours prononcé lors de l’enterrement du fils Bérard à Berrias le 24 février 1850.
Arch. dép. Ardèche 5M11. Lettre de Charles de Baumefort au préfet en date du 18 avril 1851.
Voir chapitre V, partie A, II 3°) « De Labastide-de-Virac à Vinezac en passant par Laurac : dans la chaleur estivale des vogues de l’été 1851 ».
Jacqueline et Pierre MAZON, « Fête votive et conseil de guerre, Laurac, 10 août 1851 », MATP, n°27.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous-préfet de Largentière au préfet en date du lundi 11 août 1851.
Le 14 août 1851 tombe un jeudi. Archives familiales Mazon. Brouillon d’une lettre adressée au procureur de la République au mois d’août 1851. Copie tapée à la machine par Pierre Mazon.
Ibidem.
Ibidem.
Ibidem.
Papiers de famille 4.
Avocat à Largentière.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous préfet de Largentière au préfet en date du 14 août 1851.
Arch. dép. Ardèche. 5M13. Rapport du sous préfet de Largentière au préfet Largentière en date du 5 octobre 1851. Selon le rapport de l’agent secret Vigier en date du 8 octobre 1851expédié depuis Mayres : « Un nommé Avias était chez Le Mairou (Lemaire) depuis trois jours. Mazon est avec Le Mairou et Gravier dans le bois de Bauzon et dix à dix-sept fugitifs dans le bois ».
Arch. dép. Ardèche 5M19 Lettre anonyme au préfet en date du 15 décembre 1851.
Arch. dép. Ardèche 5M16. Déposition d’Antoine Argenson, 40 ans, garde champêtre de la commune de Payzac en date du 11 mars 1852.
Arch. dép. Ardèche 5M19. Lettre de Charousset, maire de Lablachère au procureur de la République en date du 6 janvier 1852.
« Tout en vous priant d’être notre interprète auprès du gouvernement veuillez nous permettre de vous féliciter du poste auquel vient de vous placer sa confiance. Le choix d’un homme du pays et d’un vrai républicain aura l’approbation des patriotes ». Lettre en date du 17 mars 1848, Papiers de famille 3, extrait précédemment cité.
Arch. dép. Ardèche 5M16. Déposition en date du 9 mars 1852 d’Arsène Meynier, 47 ans, docteur, maire de la ville de Joyeuse.
Ibidem.
Albin MAZON, Notes intimes, p 23.
Arch. Nat. F15 3990. Dossier Mazon.
Maire d’Aubenas révoqué le 26 mars 1850 à la suite d’une enquête diligentée par le préfet sur les troubles qui ont eu lieu à Aubenas la nuit du Mardi-Gras et du Mercredi des Cendres. Voir Courrier de la Drôme et de l’Ardèche en date du 21 février 1850. Voir Moniteur page 696, séance de l’Assemblée nationale en date du 26 février 1850, évocation de l’arrêté du préfet concernant les chants et les danses et de la suspension du maire Teyssier décrétée pour ne pas avoir su empêcher la farandole.
Arch. dép. Ardèche. Bibliothèque ancienne Br 96.
Mazon parle de lui à la troisième personne du singulier car après avoir disculpé l’avocat Lemaire, Urbain Gravier, Amédée André et Vincent, il poursuit : « Reste le citoyen Mazon. Voici sa conduite. ».
« Déclaration », Arch. dép. Ardèche. Le 1er janvier 1855 dans une sorte de testament politique adressé à ses amis, il maintient sa déclaration : « La main levée vers l’Eternel, je déclare donc que je suis complètement étranger à l’affaire de Laurac où je ne fus un moment que pour engager au calme le plus absolu ».
Samedi 10 août 1851, jour du banquet de Laurac.
« Déclaration », idem.
Source : correspondance Jacqueline Mazon. Albin Mazon reste au service de Corso, le directeur propriétaire de la Gazette de Savoie jusqu’au mois de novembre 1855. Il use de son influence pour faire embaucher Firmin Gamon « qui végétait à Genève où il était réfugié ». A l’automne 1855, Albin Mazon démissionne de la Gazette de Savoie et passe au service de Carlone, directeur de L’Avenir de Nice. Il a été recommandé par le docteur Pollet rencontré chez l’ancien avocat Pierre Alexandre Combier à Chambéry.
La Gazette de Savoie.
Louis-Victorin Mazon, janvier 1855, « Adieux et appel ».
Louis-Victorin Mazon, « Adieux et appel à ses Amis ». Brouillon dans les Papiers de famille et texte calligraphié transmis par Jacqueline Mazon. A son avis, ce texte aurait pu connaître un essai de diffusion.
Victor CONSIDERANT, Au Texas, Paris, librairie phalanstérienne, 1854, 194 p.
« un pays où le climat est doux, où la terre est fertile, où les productions sont variées à l’infini, où règne la salubrité, où pour 150 sols, l’on rachète dix-mille mètres de terrain vierge. […] Un endroit qui donne le bien-être, le calme, le bonheur, la fortune […]. Pour le moment, on n’y trouve que de vastes forêts et d’immenses prairies, des fleuves nombreux, beaucoup de rivières et des milles ruisseaux arrosent cette terre bénie. Les chaleurs sont très supportables et l’hiver dure trente jours […]. Pour le moment, on y voit des troupeaux de buffles et de chevaux sauvages que nous apprivoiserons ; du gibier en abondance ; quelques loups que nous tuerons, quelques ours que nous chasserons et quelques serpents à sonnètes qui fuiront devant nos villes saintes et nos villages harmonieux. Le chamois, le cerf, l’antilope et des troupeaux de dindons sauvages encombrent les bois et les prairies. Le climat et la terre du Texas produisent la canne à sucre, le café, l’indigo, la vanille, le coton ; toutes les céréales, le riz, le tabac, tous les fruits du pays de Nice et de nos pays, l’orange, le limon, melon, pêche, prunes, figues, olives, les doux et succulents ananas, un vin exquis et surtout le murier … Entendez-vous, amis, le murier, l’arbre d’or qui chez vous, à défaut d’or, vous donne beaucoup de soucis, beaucoup de travail et pas de fortune… Allez voir le bureau des hypothèques ? Là bas, dégagés de beaucoup d’entraves sans peaux-jaunes et sans muscardins, le murier et vos bras, sous ce ciel pur et sur cette terre vierge et féconde, vous donneront votre pain quotidien et l’assureront pour vos vieux jours. La-bas, protégé par la justice d’en haut et par les lois de l’harmonie prospérera et restera toujours fleuri cet arbre aux riches et bienfaisants rameaux, en Europe inconnu, qu’on appelle chez nous… Solidarité ! […] ».
« Notre Dieu à nous est celui qui a dit, (et il l’a payé de son sang), que tous les hommes sont égaux et doivent être frères, et que nul n’a le droit de tromper son semblable ; c’est celui qui a dit de jeter au feu l’arbre qui ne produit pas de fruit et de ne pas afficher un luxe insolent à côté de la misère. Aime ton prochain comme toi-même, et ne lui fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’il te fît ». Sur cette thématique de la nation américaine « voulue par Dieu » et pour la réalisation de ses desseins voir Elise MARIENSTRAS, Les mythes fondateurs de la nation américaine. Essai sur le discours idéologique aux États-Unis à l’époque de l’indépendance (1763-1800), Éditions Complexe, pp. 89-98.
Louis-Victorin MAZON, « Adieux et appel à ses Amis ».
François Cantagrel (1810-1887), ingénieur des Ponts et Chaussées, gérant du journal La Phalange (1836) puis de La Démocratie Pacifique (1843) que dirige Considérant.
Voir James PRATT, « Jeudi 22 décembre 1854. Les premiers fouriéristes foulent le sol du Texas », Cahiers Charles Fourier, n°4, décembre 1993, pp. 28-39.
Paul Emmanuel Mallet (1835-1906). Descendance de la branche d’Emmanuel Gamon (1783-1852). Le 2 octobre 1869, la sœur d’Emmanuel Mallet, Marie Pauline Élise, épouse Charles Albin Mazon veuf depuis le décès de Clotilde Molliard survenu le 21 octobre 1868.
Papiers de famille 4. Lettre d’Emmanuel Mallet, de Privas à Albin Mazon en date du 19 juin 1857.
Albin Mazon est rédacteur en chef à Nice du journal L’Avenir. Ses articles favorables à l’idée de l’annexion par la France lui valurent un ordre d’expulsion des autorités sardes en janvier 1860.
Arch. dép. Ardèche 5M23. Le préfet de l’Ardèche au Ministre de l’Intérieur en date du 22 octobre 1857.
Arch. dép. Ardèche 5M23. Lettre de Louis-Victorin Mazon au Consul de Genève en date du 16 septembre 1857.
Arch. dép. Ardèche 5M31. Le sous-préfet de Largentière au préfet en date du 17 mars 1858 pour transmettre l’état des condamnés politiques de l’arrondissement.
Ibidem.
Article en date du 17 mars 1861 d’un correspondant du journal genevois la Nation en résidence à Bonneville. Archives privées de la famille Mazon.
Archives privées de la famille Mazon. Pièce de vers écrite par Marie Flandin, des Vans.
Article de la Nation en date du 17 mars 1861. Au mois d’août 1859, un habitant de Largentière passant à Bonneville veut rendre visite à Louis-Victorin. Il ne le trouve pas car, selon la rumeur, il serait parti rejoindre le champ de bataille de Solferino, en Italie, pour y soigner des blessés.
A deux reprises, il a reçu la visite de ses filles : Octavie en octobre 1859, Émilie au printemps 1890.
Extraits d’une tragédie perdue. Cité par Plutarque dans Vie de Pompée, LXXXIV. « […] Après avoir embrassé Cornélie, qui pleurait déjà sa mort, il ordonna à deux centurions de sa suite, à Philippe, un de ses affranchis, et à un de ses esclaves, nommé Scyné, de monter les premiers dans la barque ; et, voyant Achillas lui tendre la main de dessus le bateau, il se retourna vers sa femme et son fils, et leur dit ces vers de Sophocle : “Dans la cour d’un tyran quiconque s’est jeté, Quelque libre qu’il soit, y perd sa liberté”.Ce furent les dernières paroles qu’il dit aux siens, et il passa dans la barque ».
Echo de Largentière de mars 1861. Arch. dép. Ardèche. Encyclopédie Albin Mazon.