Conclusion

A-t-on finalement réussi à porter « un nouveau regard » sur cette période de l’histoire contemporaine ou bien notre champ de vision  2585 s’est-il élargi ? La problématique de cette thèse est née d’une interrogation. Comment était-il possible que des habitants de villages, éloignés de plusieurs jours de voyage de la capitale, puissent réagir à un coup d’État perpétré par un président de la République qui n’avait pas respecté la lettre de la constitution ? Pourquoi s’était-on révolté ici et pas ailleurs ? Comment pouvait-on être ou devenir un « résistant » de la cause républicaine ? S’interroger sur ces motivations, c’était aussi prendre le risque « de ne pas voir » et de ne rien découvrir de plus puisqu’en Ardèche, la cause était entendue depuis longtemps avec « le » livre d’Élie Reynier  2586 et la tradition de résistance des milieux protestants installés dans le département depuis plusieurs siècles. Certes, tous les chercheurs ne sont pas des « inventeurs » ou des « découvreurs », mais ils peuvent aussi apporter une réflexion nouvelle sur l’historiographie d’un fait et participer à la déconstruction des idées reçues véhiculées par la « tradition »  2587 .

L’exposé de nos conclusions va, dans un premier temps, présenter les résultats de la recherche, puis il sera structuré en deux parties correspondant chacune à un angle de vue différent, soit deux niveaux d’observation analysant la « résistance » au coup d’État en prenant comme perspective les effets de la rencontre d’une conjoncture avec une prise de conscience personnelle. Nous commencerons d’abord par la vision globale, la perspective macroscopique d’une analyse à petite échelle, puis pour terminer et « aller plus loin », nous changerons de focale pour adopter un objectif microscopique permettant d’atteindre « l’échelle humaine ». Sur les traces laissées par Philippe Vigier qui souhaitait « apprécier dans quelle mesure la conjoncture, c’est-à-dire la crise économique et politique que traversa la France de 1846 à 1851- avait pu influer sur les nombreuses prises de position, d’ordre politique et social »  2588  ; en privilégiant, comme l’avaient expérimentée Maurice Agulhon et Jean-Luc Mayaud, une approche ethnologique enrichie par les réflexions conceptuelles de la sociologie, cette histoire a traversé différentes dimensions des champs de la société : celui de l’histoire politique et culturelle, celui de la sociologie, de la psychologie, de la philosophie, de l’anthropologie. Certes, l’histoire sociale a été privilégiée par rapport au domaine de l’histoire économique classique, mais il s’agissait d’abord de comprendre les relations qui s’établissent dans le processus de la prise de conscience de « l’agir ». Soit, « regarder de plus près »  2589 ces processus dans lesquels se mêlent des dispositions psychologiques (les stocks d’expériences acquises), des valeurs et des comportements civiques. Alors qu’avons-nous observé en Ardèche ?

L’exploitation des archives associée à un traitement informatisé a permis d’esquisser un « profil type » du « résistant » ardéchois de Décembre 1851 : un homme marié, chargé de famille relativement bien alphabétisé qui ne serait pas l’aîné de la famille et dont le propre père serait dans la majorité des cas décédé avant les événements de Décembre 1851. On a ainsi pu constater que les tranches d’âge comprises entre 21 et 35 ans avaient été le plus concernées par cette résistance au coup d’État et que l’alphabétisation pouvait refléter généralement le degré de responsabilité et d’implication dans les événements de Décembre 1851. Mais la construction d’un « modèle », comme le faisait observer Charles Tilly, présente des lacunes : il « n’analyse pas avec précision les raisons pour lesquelles un individu se joindrait à une action collective »  2590 . Il fallait en conséquence aller au-delà de la présentation « statistique » et statique de cette collecte d’informations.

Certains « acquis » ont aussi été réactualisés. Tout d’abord, tous les indemnisés de Décembre 1851 n’avaient pas forcément été des résistants de la cause républicaine au moment du coup d’État. Cela peut se comprendre, en 1881, pour être considéré comme une victime et bénéficier d’une pension d’indemnisation, il fallait faire la preuve de son attachement à la défense des valeurs de la République et les notices individuelles étaient rédigées en conséquence. C’est pour cette raison qu’en établissant le corpus, la nécessité de conserver une certaine « proximité » avec les événements s’imposait. Ensuite, au regard de notre recherche, on ne percevait pas cet « antagonisme » entre catholiques et protestants sous la Seconde République. Selon notre avis, on ne naîtrait pas « catholique » ou « protestant », mais on développerait ce sentiment identitaire lorsque la conjoncture l’exigerait  2591 . Autrement dit, le repli identitaire sur le religieux ou la communauté s’effectuerait lorsque toutes les autres possibilités d’exister sont niées  2592 . De plus, la solidarité religieuse, les liens de voisinage ou les liens de sang n’ont pas été forcément une protection dans le bureau d’un juge d’instruction lorsque certains inculpés n’hésitent pas à donner les noms de ceux dont ils pourraient être proches. Enfin, et ce dernier aspect n’est pas négligeable, il n’y a pas eu hostilité systématique envers les forces de l’ordre. La personnalité des représentants de l’ordre et leur « sympathie » envers les populations dont ils avaient la charge ont compté et ont fait la différence.

Paul Veyne rappelait que « la connaissance historique est ce que font d’elle les sources »  2593 . L’histoire des réactions au coup d’État étant souvent éclairée par la lumière des archives départementales de la série M, BB30 ou F15 des Archives nationales. Il devient alors possible d’écrire une histoire de l’insurrection pour la République dans les départements concernés dans laquelle prendre les armes au lendemain du 2 Décembre devient le symbole d’un acte de résistance républicaine. Donc, à une petite échelle d’observation, l’insurrection peut aisément s’expliquer par un réflexe de défense de la constitution et de la République et fort de cette perspective téléologique, on scrute dans les réactions des insurgés « les preuves républicaines » de l’insurrection. Voyons comment s’est effectuée en Ardèche cette prise de conscience en faveur de la défense de la République.

Observé d’en « haut », « l’agir » cristallise dans « l’inter-esse », c’est-à-dire dans cet « espace qui est–entre–les–hommes »  2594 façonné par l’histoire politique, économique, culturelle, sociale. Dans cet « inter-esse », un événement prend une dimension chargée par des perceptions et des sensibilités qui se sont formées avant qu’il ne survienne. C’est-à-dire que « l’inter-esse » devient réactif à « l’air du temps », lorsque la conjoncture (changement politique et difficultés économiques) interfère avec un événement. Mais l’événement ne devient déclencheur de l’action que lorsqu’il intervient dans un espace chronologique favorable. Autrement dit, pour reprendre l’expression de Maurice Halbwachs, lorsqu’il croise ces « dates marquées au cadran de l’histoire qui ont l’effet de coups d’accélérateur de l’histoire ». D’où l’intérêt de mettre en contexte et en chronologie les faits étudiés. Cependant, pour comprendre cette résistance au coup d’État, on ne pouvait pas faire l’économie d’une réflexion sur l’historicisation de l’idée de République. Charles Nodier (1790-1844) ne faisait pas mystère de ses sympathies royalistes et son témoignage reste important pour comprendre la force mobilisatrice du mot « République » :

‘« La république, a été pour la génération dont je sors un mot talismanique d’une incroyable puissance, et d’autant plus puissant, suivant l’usage, qu’il était plus inintelligible, car on n’a jamais ému les passions des peuples avec des principes lucides ingénument déduits de la nature des choses »  2595

La République, au-delà de sa forme institutionnelle, avait un idéal à atteindre que seul le peintre Daumier avait pu approcher lors du concours de peinture de mars 1848. Fécondée par les Lumières et engendrée par la Révolution de 1789, elle était porteuse d’espérances garanties par les « tables de la loi » de la constitution. Elle conduisait « son peuple » vers la « terre promise » d’un monde toujours plus juste, au service du bien-être de la société et de l’amélioration de la condition humaine, et ce, au nom des valeurs gravées dans le marbre de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Éthique, équité, probité, mérite, tels étaient les fondements républicains sur lesquels allaient s’édifier ce nouveau monde. La fraternité et la solidarité en seraient le ciment. Le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche s’en était fait l’écho, le 10 mai 1848 :

‘« Dans quelque religion que le hasard de la naissance nous ait mis, sous quelques formes extérieurs que nous adorions Dieu, protestants et catholiques, nous sommes tous frères, parce que nous voulons tous la même chose : le bien ; nous sommes animés du même esprit : la charité fraternelle. Jurons de vivre et de mourir républicains »  2596 . ’

C’était aussi « l’intime conviction » de l’avocat républicain Lemaire : « je vis dans l’avènement de la république, la possibilité de réaliser promptement des réformes que mon cœur et ma raison appelaient depuis longtemps »  2597 .

Cependant, les voies pour y parvenir sont multiples. Les combats idéologiques entre républicains démocrates-socialistes et conservateurs membres du parti de l’Ordre se menaient en utilisant la même thématique. « Religion, Famille, Propriété, Liberté et Égalité » étaient des principes communs, mais avec des références différentes. Toute la difficulté de « figuration de la démocratie »  2598 apparaissait car tout dépendait de la perspective dans laquelle se plaçait l’interlocuteur. La poursuite de ce « rêve du bien »  2599 s’accompagnait d’un « cortège de déceptions et de sentiments de trahisons »  2600 . Pour les républicains démocrates-socialistes, la République de 1849 s’était ainsi affranchie de ses principes « intangibles » et avait pris ses distances avec leur idéal de démocratie  2601 . Comment, dès lors, accorder sa confiance à un régime républicain qui s’arrangeait avec les règles de droit ? De plus, lorsque les différentes mesures prises par l’assemblée sur la restriction de la liberté de la presse et du droit de réunion ne laissèrent pour alternative que de passer dans la clandestinité, les sociétés de pensée devinrent « secrètes » et renforcèrent la fidélité de leurs membres par la prestation d’un serment. Le recrutement de nouveaux affiliés suivait le canal habituel du réseau de relations familiales ou de voisinage et le groupe se soudait par la participation à des activités relationnelles à « haute valeur ajoutée »: banquets, fêtes, actions militantes. Alors, effectivement, les insurrections ont bien été mises au point et il y a eu corrélation entre présence d’une société secrète et résistance au coup d’État. Mais, la présence d’une société secrète dans un lieu déterminé ne garantissait pas forcément le passage à l’acte en décembre 1851. Les motivations d’agir pour chacun pouvaient être différentes et il fallait distinguer entre l’insurgé résistant, militant de la cause républicaine ; l’insurgé agissant par « réactivité sociale » et celui qui suivait le mouvement sous l’effet et la pression du groupe. De plus, il n’y avait pas forcément corrélation entre militants républicains des années précédant le coup d’État et participants aux insurrections de Décembre 1851. D’autres paramètres devaient intervenir dans « l’équation de réactivité » de résistance au coup d’État.

A la recherche des clés de l’interprétation des insurrections de Décembre 1851, les « bonnes raisons » de s’insurger pouvaient se retrouver aussi dans des territoires fragilisés par une mauvaise conjoncture économique. Au regard de la fluctuation des prix des céréales sur les marchés  2602 du département, on constate une baisse très nette des revenus agricoles pendant la période de la Seconde République. La pluriactivité des petites exploitations rurales permettait généralement de faire face à ces crises, mais en 1851, en Ardèche, nous sommes à un moment charnière où les « rêves de soie » des sériciculteurs commencent à se transformer en cauchemar pour certains. Notamment ceux qui, pris dans les tourbillons de l’endettement, ont de plus en plus de difficultés à faire face à leurs obligations. C’est aussi l’époque où l’on voit apparaître les premiers signes d’une maladie qui frappe les éducations de vers à soie. La crise de la sériciculture ardéchoise aurait-elle pu fournir son lot d’insurgés ? Il y a effectivement une corrélation entre les régions qui se sont soulevées en décembre 1851 et les territoires marqués par une forte activité séricicole mesurée au nombre de plantations de mûriers. Cependant, s’il y a là une condition nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante. Il fallait aussi vérifier l’endettement des populations apprécié au regard du nombre de saisies suivies d’une adjudication. La corrélation n’était pas concluante car peu de communes avaient été épargnées par cette procédure judiciaire.

Autre facteur de réactivité : la personnalité des autorités et leur rapport à la population pouvaient atteindre la limite du seuil de « l’intolérabilité » en vertu de laquelle un excès d’autorité tue l’autorité. A partir de 1849, les forces de l’ordre prises dans le jeu de l’engrenage de la répression sont sans cesse obligées de « frapper » plus fort pour se faire respecter, générant en retour des réactions de plus en plus violentes de la part des populations concernées. Après novembre 1850, on sait désormais qu’il est possible de pointer les carabines en direction des autorités et l’idée que maintenant le sang puisse couler a fait son chemin.

Mais, il nous fallait « aller plus loin » car, sans entrer dans les hypothèses psychologiques de Serge Moscovici sur les « grands hommes »  2603 , cela n’expliquait pas pourquoi des individus avaient fait le choix de s’engager dans l’action en Décembre 1851. Ainsi, par exemple, dans la famille Mazon, c’est Louis-Victorin qui fait de sa vie une existence tournée vers la « cause du peuple »  2604 . On n’entend pas parler de ses deux autres frères cadets : Jules-Philippe  2605 qui fit carrière comme officier d’infanterie à Moulins et Adolphe qui choisit la voie de l’administration fiscale  2606 . Au sein même d’une famille, les expériences de vie ne sont pas vécues et incorporées avec le même code de perception et de représentation et il est « impossible de prévoir l’apparition d’un comportement social comme on prédit la chute des corps à partir de la loi universelle de la gravité »  2607 . Mary Douglas préciserait que « les conduites dépendent des systèmes de justice qui ont été intériorisés et des institutions qui ont été légitimées »  2608 .

Le principe de reconnaissance fait agir ou réagir un individu et cette thèse ouvre un débat ontologique : ces formes de résistance prenant leur source dans ce concept de reconnaissance ont-elles une valeur universelle que l’on pourrait transposer à chaque fois qu’une population est soumise à une conjoncture lui faisant franchir le seuil de « l’intolérabilité » et qui passerait à l’action au moment de l’apparition d’un événement « traumatisant ». Ce débat renvoie inévitablement à la confrontation des théories de l’action individuelle et des théories de la communauté, soit l’individu versus société. D’un côté, nous sommes confrontés à « l’individualisme » rationnel d’un sujet souverain « entraîné » par son libre arbitre  2609  ; de l’autre, à la vision holiste d’un sujet inséré dans une société qui influence la pensée de ses membres  2610 . On peut trouver un terrain de conciliation en se déplaçant sur le champ des relations sociales. Bien sûr, « l’agir » n’est pas indépendant du contexte et on ne peut pas faire abstraction de la société et de ses institutions, du milieu familial et de l’environnement, de l’histoire de vie personnelle de l’individu pour comprendre les motivations de l’action, mais « l’agir » est aussi dépendant d’un ensemble de valeurs qui fonde la question du « juste »  2611 pour un individu et orienterait la réflexion vers la sphère des valeurs spirituelles. En filigrane de cette étude a donc aussi émergé une réflexion sur la prise de conscience de « l’agir » renvoyant à la question des valeurs et de l’éthique personnelle déclenchant le choix de l’action. Autrement dit comment peut s’effectuer la mobilisation des valeurs de l’individu passées par le filtre de son éthique personnelle, elle-même modelée par les événements de son histoire personnelle ?

Paul Ricœur a distingué trois pôles constituant le triangle de base de l’éthique  2612  : le « pôle-je », le « pôle-tu », le « pole-il » cristallisant ce concept de reconnaissance. Ainsi, le « je » existe par le « tu » et nous retrouvons nos réflexions antérieures sur le regard d’autrui : « je suis visé comme un “me” à l’accusatif par celui à qui je dis “tu” au vocatif et qui dit “je” pour lui-même »  2613 . Les réflexions de Paul Ricœur peuvent trouver un écho dans celles d’Axel Honneth. Ainsi sur le versant du « pôle-je » :

‘« […] les motifs de résistance et de révolte sociale se constituent dans le cadre d’expériences morales qui découlent du non-respect d’attentes de reconnaissance profondément enracinées »  2614 , ’

et sur le versant du « pôle-tu » :

‘« Pour que je puisse apporter à l’étranger ma reconnaissance dans un sentiment de sympathie et de solidarité pour son exemple personnel, il faut d’abord que je sois mû par une expérience qui m’enseigne que nous sommes menacés, sur un plan existentiel, par les mêmes risques »  2615 . ’

On pourrait dire que la motivation de « l’agir » est, au niveau de l’individu, un jugement esthétique, au sens dérivé du grec aisthanesthai –sentir-, soit l’expression sensible d’une vérité propre à la personne. « J’agis, je résiste, donc je suis », et je peux, par la suite, devenir le symbole d’une résistance recontextualisée. Autrement dit, celui qui à l’annonce du coup d’État parisien du 2 Décembre réagit en rejoignant les colonnes armées devient automatiquement un résistant qui a pris les armes pour la défense de la République. Pierre Laborie soulignait à juste titre que « la Résistance est indissociable de la conscience de résister»  2616 . En décembre 1851, cette conscience est présente dans les engagements de nos profils, mais comment un individu parvient-il à cette prise de conscience de l’engagement résistant  2617  ? En descendant à « l’échelle humaine », on s’aperçoit que la réalité était plus complexe car des logiques et des temporalités multiples interféraient dans « l’agir ». Autrement dit : vues « d’en haut », les insurrections de décembre 1851 étaient bien des insurrections à contenu politique, pour la défense de la République, mais « en bas », les motivations pouvaient prendre un caractère plus personnel qu’il nous fallait mettre au jour. En se décentrant de la perspective téléologique, on redonnait ainsi à l’histoire des hommes du « jeu »  2618 dans lequel les parts de liberté et de hasard retrouvaient droit de cité et réinséraient dans l’histoire de vie des individus « une composante omniprésente derrière leurs comportements et leurs choix » : l’incertitude  2619 .

La méthode mise en œuvre dans cette thèse s’est donc d’abord attachée à reconstituer « l’univers de signifiance »  2620 des populations étudiées, à savoir : retrouver « la pluralité des contextes qui sont nécessaires à la compréhension des comportements observés » 2621 . Soit, pour reprendre la justification avancée par Jacques Revel, afin d’étudier le social « non pas comme un objet doté de priorités, mais comme un ensemble d’interrelations mouvantes à l’intérieur de configurations en constante adaptation »  2622 . Pour y parvenir, il fallait mettre en œuvre un « projet objectif » ‑ avec objectif pris dans son sens optique de mise au point d’un système d’observations des sujets ‑ pour étudier les réactions d’hommes ordinaires avec des hypothèses servant de repères pour délimiter un champ d’investigation. La constitution d’un corpus, c’est-à-dire d’un répertoire scientifiquement élaboré devant servir de base à une analyse sociale répondait à ce « cahier des charges ». Ce corpus était établi avec les préoccupations intrinsèques de la micro-histoire qui cherche à saturer les fichiers d’informations recueillies dans diverses sources d’archives, de l’état civil au cadastre en passant par les archives judiciaires. Cependant, en abordant le sujet avec une « perspective généalogique », il fallait éviter les écueils que rencontre l’historien voulant faire une étude nominative des insurgés de 1851 : l’énumération, la tentation du « dictionnaire » ou du « parachutage ». Comme nos prédécesseurs, nous avons fait l’expérience que « l’acteur est sans nul doute, la réalité sociale la plus complexe à appréhender »  2623 , surtout lorsqu’il s’agit de mettre en évidence ce « minuscule x » qui intervient dans l’équation humaine de la vie  2624 et donne « sens » à son existence. Bernard Lahire utilisait la métaphore du « plissement » pour rendre compte de cette complexité :

‘« Si l’on se représente l’espace social dans toutes ses dimensions (économiques, politiques, culturelles, religieuses, sexuelles, familiales, morales, sportives, etc., ces dimensions grossièrement désignées étant elles-mêmes en partie indissociables et en partie décomposables en sous-dimensions) sous la forme d’une feuille de papier ou d’in morceau de papier ou d’un morceau de tissu […] alors chaque individu est comparable à une feuille froissée ou à un tissu chiffonné. Autrement dit, l’acteur individuel est le produit de multiples opérations de plissements (ou d’intériorisation) et se caractérise donc par la multiplicité et la complexité des processus sociaux, des dimensions sociales, des logiques sociales, etc., qu’il a intériorisés. Ces dimensions, ces processus ou ces logiques (ces contextures) se plient toujours de façon relativement singulière en chaque acteur individuel, et le sociologue qui s’intéresse aux acteurs singuliers retrouve en chacun d‘eux l’espace social froissé, chiffonné. Si l’acteur individuel est un être des plus complexes, c’est parce que se trouvent pliés en lui des dimensions, des logiques ou des processus variés »  2625 . ’

Pour filer la métaphore, nous suivons Alphonse Dupront qui assignait à l’histoire la mission de « déplier ce que le temps a durci », mais deux préoccupations essentielles qui taraudaient déjà les maîtres à penser de l’École des Annales émergèrent très rapidement. Tout d’abord il fallait éviter de tomber dans ce que Lucien Febvre dénonçait comme « l’anachronisme psychologique »  2626 , et ensuite surmonter « l’angoisse de l’ensevelissement »  2627 , autrement dit, comment maîtriser la masse d’informations issue de la saturation des fichiers pour écrire une histoire qui ne soit pas un essai d’érudition à l’attention exclusive d’une mémoire locale ou départementale, mais une histoire qui, au carrefour des disciplines historiques, anthropologiques, sociologiques et philosophiques, tentait de fusionner les différentes approches. L’établissement des « profils » d’insurgés analysés selon le paradigme du concept de « reconnaissance » permettait de pallier cette difficulté.

A l’échelle d’une vie, il n’y pas « d’histoire immobile » et à l’échelle humaine toutes les expériences vécues ne sont pas sans conséquence sur les « chemins de vie » empruntés par les uns ou les autres. Ces « insignifiances au regard de l’Histoire », parfois subies d’une manière douloureuse pour l’intéressé, se déposent comme des sédiments dans son inconscient constituant ainsi le substrat qui le fera « réagir » lorsqu’il sera face à une situation. Ainsi, à des moments clés de sa vie, l’individu est confronté à un choix de possibles et l’un des « ressorts de l’action », pour reprendre l’expression de Bernard Lahire  2628 , se situe dans ce « stock »  2629 approvisionné par les « expériences socialisatrices antérieures ». Autrement dit, si, comme nous l’avons évoqué précédemment, « l’agir » cristallise dans « l’inter-esse », il se substantialise aussi dans cet « espace intérieur » qui abrite les répertoires d’actions d’une personne, « jardin secret », intime, dont l’agencement porte les traces et les marques de tous les événements et rencontres qui ont marqué « l’histoire de vie » de l’individu.

Quels peuvent être les « déclencheurs de la mobilisation »  2630 des schèmes d’action ? La galerie de portraits du chapitre VI analysée à travers le prisme de la reconnaissance a permis d’en observer quelques uns. Ainsi, la prise de conscience personnelle peut se faire dans les solidarités tissées dans un réseau de relations  2631 et on ne pouvait pas éviter de faire l’étude de « la suite des générations » d’un individu : contemporains, prédécesseurs et successeurs  2632 . Ce lien transgénérationnel est essentiel et Paul Ricœur, s’appuyant sur les thèses de Maurice Halbwachs, attire l’attention sur « le rôle des récits reçus de la bouche des anciens de la famille dans l’élargissement de l’horizon temporel que consacre la notion de mémoire historique »  2633 . Mais, ce n’est pas parce qu’on a eu des ancêtres révolutionnaires qu’on deviendra un révolutionnaire ou un résistant lorsque l’occasion se présentera. C’est pour cette raison que Paul Ricœur, dans son livre Temps et Récit affine cette réflexion en s’appuyant sur les travaux de Karl Mannheim  2634  :

‘« Karl Mannheim s’emploie à affiner cette notion d’appartenance à la même génération, en ajoutant aux critères biologiques un critère sociologique dispositionnel, tenant autant compte des pesanteurs que des propensions à agir, sentir penser d’une certaine façon. […] En ce sens, le concept de génération requiert qu’on distingue l’“apparentement par localisation” (verwandte Lagerung) de la simple appartenance à un “groupe social”, pour désigner ces affinités plus subies et reçues qu’intentionnellement et activement recherchées, et qu’on caractérise “le lien de génération” (Generationszusammenhang) par la participation préréflexive à un destin commun autant que par la participation réelle à des intentions directrices et des tendances formatrices reconnues »  2635 . ’

Des « ponts de la mémoire » mettent ainsi en relation les générations précédentes exposées aux mêmes influences, marquées par les mêmes événements et les mêmes changements avec les contemporains qui peuvent réactiver une mémoire historique lorsque un événement « extraordinaire » calqué sur le même modèle se présente à eux. Certains projettent dans la répression des insurrections armées des références aux persécutions religieuses  2636 menées lors de la politique de renforcement du pouvoir monarchique sous Louis XIII et Louis XIV, d’autres ont été marqués par les récits de « La » Révolution française de 1789. La Liberté brisait les chaînes des privilèges de l’Ancien Régime, les nuages de l’obscurantisme étaient dissipés par la lumière de la Raison éclairant un monde nouveau dans lequel les hommes naissaient désormais libres et égaux en droit. L’ombre des échafauds avait pu éclipser l’éclat de cette lumière, mais c’était un temps où « la nécessité faisait force de loi ». Il fallait propager à la surface du globe les principes et les valeurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et, d’ouest en est, du sud au nord, des « braves » ont pu accompagner l’empereur Napoléon Ier sur les champs de bataille de l’Europe. Cette mémoire historique a bercé l’enfance de ceux qui arrivent à l’âge adulte lors de la révolution de février 1848  2637 et en décembre 1851, il y a eu souvent un passif réactivé au moment de événement « coup d’État ». Claude-Isabelle Brelot note dans sa communication au colloque de Lyon que les insurrections s’inscrivent « en des lieux qui connaissent de 1789 à 1793 et à 1816-1817 une succession de peurs récurrentes » :

‘« La cartographie de leurs domiciles, qui dessine une nouvelle fois les contours du périmètre dans lequel les insurgés sont en mesure de mobiliser une mémoire active de la Révolution. […] Autant d’épisodes qui réactivent la mémoire individuelle, familiales, voire collective, tant des peurs que des reprises en main »  2638 . ’

Éric Teyssier  2639 avait remarqué cette permanence de la géographie de la violence  2640 quand on superposait la carte de la répression ardéchoise de 1851 avec celle de la révolte des « Masques armés »  2641 de 1783 ou celle des insurgés du Camp de Jalès en 1792. Bref, tout ce « poids du passé » que Peter McPhee avait pu observer :

‘« Tout comme le caractère particulier de chaque communauté était le résultat de sa propre évolution historique, de même ses habitants percevaient leur univers à travers le prisme de leurs propres expériences et par le souvenir des autres transmis oralement. Lorsqu’ils réagissaient aux menaces contre leur bien-être, ils ne le faisaient pas d’une manière machinale ou dépourvue d’idéologies mais en fonction d’une compréhension historiquement et culturellement définie par leur milieu »  2642

Christian Bougeard et Jean-Marie Guillon constataient aussi que pendant la Seconde Guerre mondiale, la Résistance s’est insérée dans un passé qui a pesé sur les pratiques fournissant les modèles et les références et conditionnant les représentations et les comportements  2643 . Mais les acteurs de la résistance avaient-ils conscience de l’existence de ces modèles au moment de l’action, ou y a-t-il eu« réinvention » de la référence historique ? Ainsi, Christian Bougeard et Jean-Marie Guillon faisaient aussi remarquer que dans le cas de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, cette revendication d’un précédent historique ne devenait explicite qu’assez tardivement, le plus souvent à la fin de la guerre  2644 .

Les images recomposées de ce passé transmis par les générations se mêlent aux expériences vécues par l’individu et paradoxalement, le « désenchantement de la vie »  2645 peut devenir une dynamique de l’action. Le « désenchantement de la vie », c’est par exemple Firmin Gamon écrivant en 1839 à son cousin Gleizal pour lui annoncer « qu’il va s’engager en Afrique, où probablement il se fera bientôt tuer, n’ayant pas le courage de le faire lui-même »  2646 ; c’est Louis-Victorin Mazon portant en lui la souffrance de la disparition de son fils. En somme, ce serait toutes ces blessures de l’âme  2647 qui contribuent à forger une représentation du monde et rendent le sujet nostalgique ou mélancolique. Cette souffrance qu’Albin Mazon fait exprimer à l’un de ses personnages dans les dernières lignes de son roman Le premier amour d’un vieux grognard  2648  :

‘« Voilà, neveu, mon histoire. Nous avons tous dans notre existence un clou qui fixe la destinée, une impulsion décisive qui en détermine la direction. Le souvenir de Jeanne la Morte a dominé ma vie. Mes compagnons d’armes s’étonnaient d’une sauvagerie rare à mon âge et d’une bravoure qui dépassait les bornes du devoir militaire : ils ne savais pas que je voyais Jeanne dans mon âme et que je voulais hâter le moment de notre réunion. Ce sentiment subit sans doute plus tard quelque transformation ; il finit par atteindre le calme que seul le temps amène, mais sans rien perdre de sa force. La gracieuse image de Jeanne, après m’avoir suivi dans toute ma carrière militaire, n’a pas voulu m’abandonner et je la vois encore, comme un brillant feu follet, illuminant le crépuscule de la mystérieuse nuit où je vais bientôt m’endormir ». ’

C’est aussi ce besoin de reconnaissance qui a pu motiver l’action d’un Louis Bérard ou d’un Daniel Merlin. L’essentiel de leur demande de reconnaissance leur était donné par l’exercice de responsabilités municipales. Lorsqu’ils ont été évincés du pouvoir par le suffrage universel, c’est toute leur existence qui a été mise en jeu et une « lutte pour la reconnaissance »  2649 commença. Ils étaient à la recherche d’un autre équilibre  2650 . Selon Boris Cyrulnik, l’être humain aurait une capacité étonnante, la résilience, à se remettre des traumatismes psychiques les plus violents et à se sortir des situations les plus désespérées grâce à l’élaboration d’un récit intérieur et sa rencontre avec l’« autre ». En conséquence, la thématique du regard n’est pas à négliger, car l’identité est aussi définie par cette reconnaissance des autres. Personnage à la « pluralité des moi », l’individu analysé à travers le prisme de la « reconnaissance » peut, à un moment donné, se conformer à l’image qu’on attend de lui. Lorsque la nécessité fait force de loi, il se rattache au groupe par cette identité de façade à laquelle il finit par s’identifier. Par la suite, il lui sera difficile de déroger à cette identité sans passer pour un apostat ou un renégat. Mais aussi, par le regard d’autrui, le « je » peut devenir « immortel », entrer dans les livres d’histoire de la mémoire locale ou nationale, se démarquer du commun des mortels, et faire que peut-être, « s’il n’en reste qu’un, il soit celui-là ».

Besoin d’exister par la reconnaissance, les clés de l’interprétation de la résistance de Décembre 1851 sont-elles là ? Il faudrait y ajouter l’espérance d’un meilleur avenir. En février 1848, la République, sans prévenir, entrait dans la salle du conseil des ministres de Louis-Philippe  2651 . Son apparition provoquant la panique et la fuite des ministres avait suscité bien des espoirs pour la « cause du peuple ». Après décembre 1851, les partisans de la République démocratique et sociale s’apprêtaient à assister à l’enterrement de leur « bonne République » avec les attentes d’événements heureux qu’elle portait  2652 . Sous le Second Empire, les résistants de Décembre sont rentrés dans le rang, se sont ralliés ou se sont résignés. « Résistants ou renonçants ?» s’interrogeait Louis Hincker dans la conclusion du colloque Autour du 2 décembre  2653 . Mais il y aussi des « hibernants » qui sentent toujours le « faible souffle de l’air dans lequel vivaient les hommes d’hier »  2654 et qui se sont aussi réfugiés dans l’attente et la foi d’une autre espérance, car finalement, en jouant sur les mots, « prêter serment de fidélité à l’empereur ne signifiait pas l’avoir donné »  2655 . L’espérance ? Les dernières lignes de cette conclusion auraient pu s’achever sur les vers du poète allemand Friedrich Hölderlin  2656 décédé en 1843, mais laissons les plutôt à la plume d’un contemporain :

‘« Quiconque les a vus alors ne désespérera jamais d’un pareil peuple. C’est le cœur du pays ; il suffit de le toucher pour qu’il en sorte des trésors de désintéressement, de résignation et de courage. L’espérance les gouvernait »  2657 . ’
Notes
2585.

Pour Paul Veyne, « l’histoire ne progresse pas, elle s’élargit », dans Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1996, troisième édition, p 301.

2586.

Préface de Jean-Luc Mayaud à la réédition de La Seconde République dans l’Ardèche, déjà cité, pp. I-V. Il concluait en rappelant que « la postérité intellectuelle d’Élie Reynier est encore à venir » et espérait que cette réédition suscite de « nouvelles vocations ».

2587.

Voir les réflexions de Pierre Cornu, « Pour une archéologie sociale des sentiers migratoires. Retour historien sur la question de la mobilité spatiale dans la France rurale du XIXe siècle », dans MAYAUD Jean-Luc et RAPHAEL Lutz [dir.], Histoire de l'Europe rurale contemporaine.., déjà cité, pp. 72-93.

2588.

Philippe VIGIER, La Seconde République dans la région alpine…Tome II, déjà cité, p. 440.

2589.

Bernard Lahire soulignait qu’on « ne peut continuer impunément à employer un vocabulaire proche de la sociologie, sans déclencher un jour l’envie, proprement sociologique, de la soumettre à l’interrogation critique et à l’évaluation empirique, bref à y regarder de près », dans Bernard LAHIRE, L’homme pluriel, déjà cité, p. 330.

2590.

Charles TILLY, « Action collective et mobilisation individuelle », dans Pierre BIRNBAUM et Jean LECA [dir.], Sur l’individualisme, déjà cité, p 213.

2591.

C’est pourquoi la mise en contexte et en chronologie des faits est essentielle.

2592.

C’est pour cela que la thèse d’André Siegfried sur le partage de l’Ardèche en « deux races » religieuses que tout oppose peut se vérifier, mais plus tard, sous la Troisième République, notamment lorsque les lois Ferry sur l’éducation déclenchent « la guerre scolaire » dans certains communes. Voir Éric DARRIEUX, instituteurs ardéchois dans la crise des années trente, ouv. cité.

2593.

Paul VEYNE, idem, p 295.

2594.

Hannah ARENDT, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Éditions du Seuil, L’Ordre Philosophique, 1995, p. 33.

2595.

Charles Nodier (1790-1844), Souvenirs, épisodes et portraits pour servir à l'histoire de la Révolution et de l'Empire paru en 1831, cité dans Le Moniteur du 6 septembre 1881.

2596.

Ce qui fait écho à ce que Raymond Huard constatait sur l’idéologie républicaine « Elle repose sur l’idée simple selon laquelle la mise en place d’institutions républicaines suffit à créer les conditions d’un progrès infini de la liberté et du bien-être », Raymond HUARD, Le mouvement républicain en Bas-Languedoc…, déjà cité, p. 442.

2597.

Arch. dép. Ardèche 5M23. Lemaire au préfet en date du 17 avril 1853. Il s’inscrit dans l’idée portée par Saint-Just à la Convention, le 13 ventôse de l’An II, lorsqu’il affirmait que « le bonheur est une idée neuve en Europe ». La démocratie peut le garantir, la constitution en sera son vecteur.

2598.

Pierre ROSANVALLON, Pour une histoire conceptuelle, ouv. cité, p. 25.

2599.

Pierre ROSANVALLON, idem, p. 15.

2600.

Pierre ROSANVALLON, ibidem.

2601.

Et Gustave Courbet l’enterrait de manière symbolique à Ornans. Voir Jean-Luc MAYAUD, Courbet, l’Enterrement à Ornans  : un tombeau pour la République, Paris, La Boutique de l’histoire, 1999, 183 p.

2602.

Voir tableaux joints en annexes, p. 193.

2603.

Serge MOSCOVICI, « Hypothèses sur les grands hommes » dans L’âge des foules, huitième partie, déjà cité, pp 409-458. S’appuyant sur les travaux de Marcel Mauss qu’il complète par les théories de Freud, il distingue « l’individu divisé » de l’individu « uni et total ». « L’homme total » ou l’homme-masse » n’est pas maître de lui-même, il est dominé par « la composante érotique » de sa libido. « L’amour des autres est sa grande affaire, et la perte de cet amour, son grand souci. Il le rend dépendant de ceux qui pourraient lui offrir leur amour, ou au contraire le lui soustraire. Le voilà donc prêt à plier devant les exigences de ses pulsions ». A l’inverse, « l’homme divisé » grâce à sa conscience séparée peut maîtriser ses instincts. « On peut supposer qu’il possède un surmoi bien distinct et un moi ayant un fort amour de soi. […], il y a chez lui un aspect obsessionnel et une ténacité qui exprime la prédominance du surmoi. D’où le sens de la mission qui le caractérise et fait de lui un homme d’action », pp. 417-420.

2604.

George SAND, La cause du peuple, Verdier, 2004, 18 p. Lors de la Révolution de février 1848, en avril, George Sand crée un journal La cause du peuple qui sort trois numéros.

2605.

Jules Philippe Mazon est né le 30 août 1803 à Largentière et est décédé à Moulins en 1884. Après une carrière militaire, il atteint le grade de commandant au moment de sa retraite.

2606.

Il fit sa carrière dans l’Enregistrement. Il est né à Largentière le 12 août 1806 et est décédé à Paisia dans le Jura, le 18 octobre 1873.

2607.

Bernard LAHIRE, L’homme pluriel, ouv. cité, p. 346.

2608.

Mary DOUGLAS, Comment pensent les institutions, La Découverte, 2004, p. 168. Elle appelle « institution » un groupement social légitimé : une famille, un jeu ou une cérémonie... L’autorité légitimante peut venir d’une personne, se fonder sur un consensus ou sur un principe fondateur général, idem, p. 81.

2609.

Les idées reçues concernant le comportement rationnel de l’Homo œconomicus ont été revisitées par les travaux en sciences économiques de Daniel KAHNEMAN et Vernon L. SMITH (récompensés par le prix Nobel d’économie en 2002). Ces deux chercheurs ont contribué à montrer qu’en situation d’incertitude, les individus réagissent avec une variable « d’irrationalité » induite par leurs émotions. Sur émotions et valeurs, voir aussi Pierre LIVET, Émotions et rationalité morale, PUF, 2002.

2610.

Mary Douglas nuance ce propos nécessairement simplificateur en écrivant : « Les institutions dirigent de façon systématique la mémoire individuelle et canalisent nos perceptions vers des formes compatibles avec le type de relations qu’elles autorisent. Les processus qu’elles fixent sont essentiellement de type dynamique, et elles situent nos émotions à un niveau standard sur des sujets eux aussi standardisés », Mary DOUGLAS, idem p. 134, puis elle conclue : « Pour le meilleur et pour le pire, les individus partagent réellement leurs pensées et harmonisent leurs préférences dans une certaine mesure ; et ils ne peuvent prendre de grandes décisions que dans le cadre des institutions qu’ils construisent », Mary DOUGLAS, idem, p. 175.

2611.

« Juste » pris dans la dimension philosophique « d’essence » s’opposant à « l’accidentel », considéré comme un principe suprême à caractère universel. Par exemple l’esclavage au regard du Code noir du XVIIe siècle n’apparaissait pas comme une monstruosité injuste.

2612.

Paul RICŒUR, « Éthique » Dictionnaire de la philosophie, déjà cité, p 570.

2613.

Paul RICŒUR, idem, p 571. Le « pôle-il » représente le tiers médian, le référent commun correspondant à une « cause à défendre, un “idéal” à réaliser, une “œuvre” à faire, des valeurs auxquelles nous donnons des noms abstraits : la justice, la fraternité, l’égalité ». Emmanuel Lévinas dirait que « dès lors qu’autrui me regarde, j’en suis responsable », Emmanuel LÉVINAS, Éthique et infini, Fayard, 1982, p. 92

2614.

Axel HONNETH, « La lutte pour la reconnaissance », déjà cité, p. 195.

2615.

Axel HONNETH, « La lutte pour la reconnaissance », déjà cité, p. 110.

2616.

Pierre LABORIE, ibidem, « Un geste de compassion peut sauver la vie d’un clandestin ou d’un juif : s’il n’est pas fait avec l’intention de nuire à l’occupant, ou à ses complices, il reste un geste de compassion. Hors de toute considération morale, et tout jugement de valeur exclu, un acte de charité ou d’amitié, qui ne veut que charité ou amitié, n’est pas un acte de Résistance ».

2617.

Georges Fournier note dans sa contribution faite en décembre 1993 au colloque tenu à l’université de Toulouse-Le Mirail de Toulouse : « […], les réfractaires [au STO], qui n’avaient pas forcément au départ une volonté de résistance active et des positions politiques bien affirmées, sont souvent contraints, pour échapper à ceux qui les pourchassent, de s’intégrer à des structures adaptées à la clandestinité, qui favorisent leur prise de conscience et les préparent à la lutte armée », dans Georges FOURNIER, Mémoire et Histoire, déjà cité, p. 60.

2618.

Au sens dynamique de mouvement et spatial d’espace aménagé pour obtenir le déplacement aisé d’un objet.

2619.

Jacques REVEL, « L’histoire au ras du sol », idem, p. XXIII. « Ainsi se comprend sans doute que le personnage central de ce livre ne soit ni l’exorciste Giovan Battista Chiesa ni même la communauté de Santena, mais une notion abstraite et pourtant omniprésente derrière les comportements et les choix : c’est l’incertitude. Elle est la figure majeure à travers laquelle les hommes de Santena appréhendent leur temps. Ils doivent composer avec elle et, dans la mesure du possible, la réduire ». Pour Maurizio Gribaudi, la démarche micro-historique reconstruit l’espace social d’une époque et réintroduit dans l’histoire de vie des individus la dimension de l’incertitude, de l’aléatoire et de l’ordre du possible : « Ce sont les intentionnalités et les situations d’incertitude qui permettent de comprendre les contenus spécifiques des comportements »., Maurizio GRIBAUDI, « Échelle, pertinence, configuration », dans Jacques REVEL [dir.], idem, p. 130.

2620.

François DOSSE, « L’histoire intellectuelle après le linguistic turn », déjà cité, p. 329.

2621.

Jacques REVEL, « Micro-analyse et construction du social », dans Jacques REVEL [dir.], déjà cité, p. 26. Sur le contexte, Alban Bensa apporte la précision suivante : « Ce que nous désignons, pour une période déterminée par “contexte” est bien distinct de ce qu’on entend habituellement par “culture”, à savoir de cet hypothétique réservoir de représentations ordonnées qui préexisterait aux pratiques et leur donnerait a priori du sens. Le contexte ou la culture ne peuvent être assimilés à un cadre de référence ; il faut les comprendre comme un ensemble d’attitudes et de pensées dotées de leur logique propre mais qu’une situation peut momentanément réunir au cœur d’un même phénomène », Alban BENSA « « De la micro-histoire vers une anthropologie critique », dans Jacques REVEL [dir.], Jeu d’échelles, déjà cité, p.44

2622.

Jacques REVEL, « L’histoire au ras du sol », préface du livre de Giovanni LEVI, Le pouvoir au village, déjà cité, p. XII. L’option micro historique permettait aussi d’esquiver la critique de Pierre Bourdieu pour qui : « Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’événements successifs sans autre lien que l’association à un “sujet” dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations », Pierre BOURDIEU, « L’illusion biographique », déjà cité, p. 88.

2623.

Bernard LAHIRE, L’homme pluriel, ouv. cité, p. 343.

2624.

Johan Gustav DROYSEN, Historik. Vorlesungen über Enzyklopädie und Methodologie des Geschichte, R. Hüner, R. Oldenbourg, 1937, p. 406-407. Cité par Sabrina LORIGA, « La biographie comme problème », dans Jacques REVEL [dir.], p. 216. « Ce minuscule x qui peut avoir un poids démesuré » participe des joies et des peines de la personne.

2625.

Bernard LAHIRE, idem, p. 344.

2626.

« L’anachronisme, le perpétuel et irritant anachronisme d’hommes qui se projettent, tels qu’ils sont, dans le passé, avec leurs sentiments, leurs idées, leurs préjugés intellectuels et moraux, et qui, ayant travesti Ramsès II, Sesostris, Jules César, Charlemagne, Philippe II, et même Louis XIV, en Dupont ou Durand 1938, retrouvent dans leurs héros ce qu’ils viennent d’y mettre, s’en étonnent gentiment et concluent leur “analyse” par ce nil novi déconcertant : “Ainsi l’homme est toujours identique à lui-même” », Lucien FEBVRE, « Histoire et psychologie », dans Combats pour l’histoire, 1938.

2627.

Gérard NOIRIEL, « Pour une approche subjectiviste du social », Annales ESC, novembre-décembre 1989, no 6, Histoire et sciences sociales, un tournant critique, pp. 1442

2628.

Bernard LAHIRE, L’homme pluriel, ouv. cité, « Les ressorts de l’action », p. 77-116.

2629.

Bernard LAHIRE, idem, p. 61. « […] on dira que ce stock […] se distingue du simple “empilement”, du “tas” ou de l’“amas” en ce qu’il s’avère organisé sous forme de répertoires sociaux (comme il existe des répertoires alphabétiques ou logiques qui classent les éléments selon un principe alphabétique ou logique, on peut utiliser la métaphore du répertoire socio-logique) de schèmes, répertoires distincts les uns des autres, mais interconnectés et comportant sans doute des éléments en commun ».

2630.

Bernard LAHIRE, idem, p. 62.

2631.

Mary Douglas s’appuyant sur les travaux de Lawrence Rosen sur la société marocaine fait observer que « l’identité sociale au Maroc débute avec la notion de lieu, qui ne désigne pas seulement le lieu d’origine, mais également la compilation de toutes les relations et réseaux qu’une personne aura tissés dans l’espace : “Une part considérable de la personnalité des individus est constituée par le milieu social dont ils tirent leurs substance” », dans Mary DOUGLAS, Comment pensent les institutions, déjà cité, p. 148.

2632.

Paul RICŒUR, Temps et Récit, tome III, ouv. cité, pp. 198-211. Jacques Attali dans un entretien avec Frédéric Lenoir et Karine Papillaud pour le Monde des Religions pense « qu’un être humain n’est pas ce qu’il reçoit, mais ce qu’il transmet », n°22, mars-avril 2007, p. 79.

2633.

Paul RICŒUR, La mémoire, l’histoire, l’oubli, ouv. cité, p. 515.

2634.

Karl MANNHEIM: « Das problem des Generationen », Kölner Viertel jahrschefte für Soziologie, VII, Munich et Leipzig, 1928, p. 157-185, 309-330.

2635.

Paul RICŒUR, Temps et Récit, tome III, ouv. cité, p. 202.

2636.

Des notices individuelles établies dans le but d’obtenir une pension en tant que victime du 2 Décembre y font souvent référence sur le modèle suivant : « Il parvint à échapper à des poursuites prolongées en se réfugiant durant plus d'une année dans les montagnes, les bois et les grottes qui 2 siècles auparavant avaient servi d’asile aux protestants ». Arch. départ. Ardèche 5M54. Exemple de Louis Cyprien Charre, de Saint-Martin-le-Supérieur, né en 1822 et de Louis Frédéric Eldin, de Vallon, né en 1815. Tous deux sont fugitifs en Décembre 1851 et indemnisés 400 francs en 1881. Voir aussi Patrick CABANEL, « Résistance civile, résistance armée. Étude d’un cas : les Cévennes, dans Mémoire et Histoire : la Résistance, Toulouse, du 16 au 18 décembre 1993, co‑direction : Jean-Marie GUILLON et Pierre LABORIE, pp. 271-280.

2637.

Sur la mémoire de l’Empire, voir Nathalie PETITEAU, Lendemains d’Empire Les soldats de Napoléon dans la France du XIX e  siècle, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003, 400 p.

2638.

Claude-Isabelle BRELOT, « Élites déclassées en résistance au coup d’État : une génération perdue ? », dans Comment meurt une République, Actes du colloque de Lyon, déjà cité, p. 350.

2639.

Journée d’étude Telemme du 3 février 1999, Aix-en-Provence. Éric Teyssier, Université Paul Valéry, Montpellier.

2640.

Pendant deux jours, le 28 et le 29 juillet 1789, les populations riveraines du Rhône dans l’Ardèche méridionale sont mises en en émoi par la nouvelle d’une invasion de Piémontais emmenés par le comte d’Artois et qu’une « bande de brigands, d’environ 10 à 12 000 étaient répandue dans la province du Dauphiné où elle saccageait, pillait et brûlait tous les villages, hameaux et domaines ». Cité par Jacky BEAU, dans Jacky BEAU, Jean-Louis ISSARTEL, René GASPIN, Les chemins de la Révolution. Bourg-Saint-Andéol, un bastion sans-culotte en Ardèche, p. 57. La rumeur se propagea de Bourg-Saint-Andéol à Valgorge en passant par Vallon et Joyeuse et déclencha des mobilisations armées. A cette Grande Peur, succéda des émotions paysannes contre les droits féodaux. Des livres terriers, des châteaux et maisons seigneuriales flambèrent à Rochemaure, Meysse, Saint-Montan, La Voulte, Villeneuve-de-berg. Autant de lieux qui ont vu se mobiliser des hommes en Décembre 1851.

2641.

Sur les « Masques armés » : Arsène NÈGRE, « Des Masques armés aux Chouans de Jalès, sur les pas de Degout-Lachamp », La Révolution française en Ardèche, Actes des colloques de Villeneuve-de-Berg et Annonay. Septembre 1988, Mémoire d’Ardèche et Temps présent, 1989, pp. 223-234. Jacques SCHNETZLER, « La révolte des Masques armés de 1783 » dans MATP, n°62, 1999, pp. 27-38. Gérard SABATIER, « De la révolte de Roure aux Masques armés. Réflexions sur la contestation en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, MATP, n°62, 1999, pp. 39-48.

2642.

Peter McPHEE, Les semailles de la République, déjà cité, p. 177.

2643.

Christian BOUGEARD et Jean-Marie GUILLON, « La résistance et l’histoire, passé/présent », dans La Résistance et les Français. Nouvelles Approches – Les cahiers de l’IHTP, déjà cité, p. 37.

2644.

Christian BOUGEARD et Jean-Marie GUILLON, « La résistance et l’histoire, passé/présent », dans La Résistance et les Français. Nouvelles Approches – Les cahiers de l’IHTP, déjà cité, p. 42. « Ainsi dans le Var où la référence aux insurgés républicains de 1851 est loin d’être immédiate et s’impose surtout après la Libération pour héroïser encore mieux les résistants victimes de la répression ».

2645.

Ce « désenchantement de la vie que Louis-Ferdinand Céline exprime dans son Voyage au bout de la nuit : « On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà », Paris, Gallimard, Folio, n°28, 1972, p.200, [1ère édition Denoël et Steelle, 1932].

2646.

Arch. dép. Ardèche 14J6. Fonds Gleizal, lettre de Firmin Gamon à Gleizal en date du 2 août 1839.

2647.

On pourrait citer Alfred de MUSSET, Confessions d’un enfant du siècle, première partie, chapitre IX, « Tout-à-coup, au milieu du plus noir chagrin, le désespoir, la jeunesse et le hasard, me firent commettre une action qui décida de mon sort ».

2648.

Albin MAZON, Le premier amour d’un vieux grognard, Lyon, Imprimerie Mougin-Rusand, 1886, 123 p. Sur un exemplaire tiré à part, Albin Mazon a rayé d’un coup de plume le titre original et a annoté : « Ce livre aurait du être intitulé : L’amour d’une morte ».

2649.

Axel HONNETH, La lutte pour la reconnaissance, ouv. cité.

2650.

Boris CYRULNIK, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 2002. « Ainsi se tricote la résilience. Elle n’est pas à rechercher seulement à l’intérieur de la personne, ni dans son entourage, mais entre les deux, parce qu’elle noue sans cesse un devenir intime avec le devenir social », p. 206.

2651.

Lithographie de Daumier.

2652.

Jean-Luc MAYAUD, Courbet. L’enterrement à Ornans, déjà cité.

2653.

Louis HINCKER, « De la mort d’une République à la mort d’une révolution », dans Comment meurt une République ? ouv. cité, p ; 451.

2654.

Walter BENJAMIN, Œuvres III, Paris, Folio, Essais Gallimard, 2000, p. 428. « Le passé est marqué d’un indice secret, qui le renvoie à la rédemption. Ne sentons-nous pas nous-mêmes un faible souffle de l’air dans lequel vivaient les hommes d’hier ? Les voix auxquelles nous prêtons l’oreille n’apportent-elles pas un écho de voix désormais éteintes ? ».

2655.

Arch. dép. Ardèche 5M 21, le commissaire de Police de Privas au préfet en date du 12 avril 1859, déjà cité. Christof Dipper propose l’analyse suivante : « [La politisation] dépend étroitement des événements tels que crises ou révolutions. Ces événements provoquent en effet une “politisation de base” qui n’est pas appelée à perdurer mais, au contraire, à s’éteindre dans ses manifestations concrètes – tout en laissant des traces dans la mémoire collective », Christof DIPPER, « La politisation des paysans allemands… », dans MAYAUD Jean-Luc et RAPHAEL Lutz [dir.], Histoire de l'Europe rurale contemporaine.., déjà cité, p. 353.

Pour Patrice Decormeille, les républicains « renonçant à opposer à l’Empire une révolution, se déterminent à lui opposer une doctrine républicaine. Ils développent et consolident la théorie faute de pouvoir agir, mais aussi pour méditer la formule de leur action prochaine. La répression a donc paradoxalement, et même puissamment, réactivé le travail intellectuel et les études philosophiques », dans Patrice DECORMEILLE, « La philosophie politique républicaine sous le Second Empire », Léon HAMON [dir.], 9 e Entretien d’Auxerre, Les républicains sous le Second Empire, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1992, p. 112.

2656.

HÖLDERLIN Friedrich, « Patmos » dans Œuvres, Paris Gallimard, 1967, p. 867 : « Est proche / Et rude à saisir le dieu / Mais là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve », traduction de l’allemand « Nah ist / Und schwer zu fassen der Gott / Wo aber Gefahr ist, wächst / Das Rettende auch ».

2657.

Alphonse de LAMARTINE, Histoire de la Révolution de 1848, tome second, Paris, Garnier, 1859, p. 4.