Chapitre III. Situations ordinaires

Il est temps maintenant pour nous de considérer quelques situations qui font l’ordinaire de la vie des moines. Dans ce chapitre, nous allons porter notre attention sur des activités de tous les jours observées dans l’enceinte monastique: d’une part ses occupations qui ne sont pas fort éloignées de celles de ses contemporains, d’autre part ses préoccupations concentrées autour de la mise en œuvre d’une tradition dans laquelle se vit Dieu. Dans cette ethnographie du quotidien monastique une conviction s’impose rapidement à nous : ces activités de tous les jours ne sont pas les mêmes tous les jours. Contrairement à une idée largement répandue, la vie monastique ne se construit pas dans la scrupuleuse observance d’une tradition (quand bien même nous pouvons nous demander, suite à notre précédent chapitre, si elle est vraiment « une ») à même de figer sa quotidienneté dans un présent immuable.

En matière de tradition, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Le risque ethnographique serait alors de concevoir ces journées, à la suite de ses acteurs, selon un mode idéal de répétition. Bien entendu des « grands axes », garants d’une relative permanence des pratiques, sont identifiables – il y a la Règle, à même d’inscrire les expériences actuelles dans la continuité des expériences passées ; il y a aussi la clôture, permettant de mettre à distance les changements du « monde » – mais ils ne définissent que l’intervalle à l’intérieur duquel s’élaborent les variations orthodoxes. Autrement dit, l’ajustement se révèle être une nécessité pratique de la transmission. Si la tradition n’est pas synonyme de répétition, c’est dans la mesure où, comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, elle se construit en premier lieu à l’intérieur d’une relation sociale de transmission. C’est aussi parce qu’elle se donne dans une expérience liée à des temps et lieux précis. Ces journées monastiques sont partie prenante d’un cycle (le parcours christique) amené à se répéter quotidiennement, hebdomadairement, annuellement, et pourtant jamais répété de la même façon ni vécu sur le même mode. L’observation de ces « situations ordinaires » de la vie monastique consiste en un repérage des logiques à l’œuvre dans la définition « traditionnelle » des modalités d’action et d’interaction de tous les jours.