I. Vivre ensemble dans un monastère.

I.1. La règle, la mesure de l’écart.

Mardi 12 février 2002 299 , hôtellerie du monastère Saint-Antoine-le-Grand, 9h. Notre séjour se termine. Après avoir assisté à la liturgie et pris un petit déjeuner avec deux moines, nous nous dirigeons vers l’hôtellerie pour récupérer nos affaires. En raison des travaux du monastère, les moines occupent actuellement ce bâtiment. Nous entrons dans l’hôtellerie et nous dirigeons vers les cellules. Les portes de la cuisine sont entrouvertes. Nous en profitons pour saluer le Père Jacques, un novice récemment entré au monastère et chargé de la préparation des repas. Sitôt qu’il nous aperçoit, celui-ci vient à notre rencontre. Il nous alpague concernant une discussion que nous avons eu la veille au soir avec un Père devant la cuisine : « On ne doit pas discuter après les complies, c’est marqué dans la règle. On peut éventuellement discuter avec un hôte mais l’échange ne doit pas être entendu des autres moines, le typicon le dit. Vous je vous pardonne parce que vous ne saviez pas mais je vais faire la remarque au Père avec qui vous discutiez». Nous nous excusons de cette entorse à la règle et nous nous séparons. 

Nous nous empressons de vérifier les propos de ce novice dans le typicon du monastère et effectivement, nous pouvons lire à la page 33 dans le chapitre consacré au silence : « Comme l’a écrit un Ancien, « le silence matériel introduit au silence spirituel, et le silence spirituel fait monter l’homme jusqu’à vivre en Dieu ; mais si l’homme cesse de vivre en compagnie du silence, il n’aura pas d’entretien avec Dieu » ; et « à celui qui a expérimenté le Christ en lui-même, le silence est plus cher que toute chose ». C’est pourquoi les frères garderont le silence depuis la retraite en cellule le soir [après l’office des complies], jusqu’à la fin de l’office du matin le lendemain. Le reste du temps, bien que le silence n’ait pas à être gardé aussi rigoureusement, ils éviteront avec grand soin de parler beaucoup ». Par la suite, nous faisons part de cette remontrance au Père avec qui nous avions eu cette conversation et lui de nous préciser que les novices s’attachent toujours scrupuleusement à ce qu’ils peuvent lire dans la règle, alors qu’il faut l’adapter aux situations : « tant qu’on n’est pas mu par l’esprit, directement, enfin par Dieu directement, on a besoin de ces règles. Un gamin qui apprend à faire du vélo et bien d’abord il a des petites roulettes sur les côtés, et quand il sait vraiment faire du vélo, on lui enlève les petites roulettes et puis après il va gagner des courses et après il a un vélo de course, il va de plus en plus vite et il peut aller de plus en plus loin, c’est pareil. D’abord il a le tricycle, après il a le vélo avec les petites roues sur les côtés, c’est pareil ».

La vie monastique est indissociable d’une pratique de la règle, bien qu’elle ne s’y limite pas. La règle souligne la nécessité d’organiser la vie communautaire en même temps que la vie spirituelle. Elle renvoie à un effort de régulation. L’idée de réguler s’associe à l’idée de conduire, qu’il s’agisse du temps, de l’espace, du groupe avec ses désirs, ses « tentations » pour reprendre un vocabulaire monastique. Autrement dit, la règle précise la conduite à suivre dans la voie monastique, ses cadres sont autant de bornes à ne pas franchir pour ne pas s’écarter du tracé qu’elle propose. Aujourd’hui nous employons le terme de règle dans un sens normatif, mais la règle n’a pas toujours désigné une norme à respecter. Roland Barthes a bien montré dans ses cours au Collège de France consacrés au « Vivre ensemble » 300 l’origine coutumière de la règle monastique. La règle dans ses premières utilisations monastiques renvoyait à un « système d’habitudes ». En témoigne les premiers écrits monastiques qui prennent plus l’allure de coutumiers que de système normatif. Les Pères spirituels rapportaient par écrit quelques scènes typiques ou situations modèles à l’usage des novices.

Sortes de petits guides pédagogiques, ces écrits énoncent sous la forme de préceptes les postures à adopter au quotidien pour une mise en œuvre des principes chrétiens, mais aussi les attitudes à observer dans la lutte contre les « passions ». Ces écrits se basent avant tout sur une connaissance pratique de leurs auteurs : eux aussi ont expérimenté l’ascèse monastique, ont souffert de leurs passions et se sont employés à les combattre par différents moyens. Dans leurs écrits destinés en premier lieu à l’usage des novices, ils font part de leurs propres expériences du combat monastique, mais aussi de leurs « recettes » pour le mener à bien. Pour illustrer notre propos, nous rapportons un exemple tiré de La lettre sur les trois degrés de la vie monastique attribuée à Joseph Hazzaya (VIIIe siècle) : « Or le Maudit [le démon], à mesure qu’il compose ses chansons 301 s’approche de la chair et l’excite. Oh ! Que cette heure est difficile ! Qu’elle est violente et rude la lutte engagée contre le frère à ce moment ! C’est le moment où les exercitants sont couronnés de la couronne du vrai martyre […]. Ce combat ne dure pas longtemps, car la grâce de Dieu ne le laisse pas durer, autrement il ferait disparaître l’âme du frère, il lui endommagerait même les reins à cause de l’ardeur de la flamme de sa passion. Que de fois même des congestions se produisent au cours de ces combats et entraînent un mal au cerveau. Or, les remèdes par lesquels les maux de ce combat sont guéris sont les suivants : le jeûne des semaines 302 , les veilles ininterrompues pendant toute la nuit, l’abstinence de toute nourriture sauf le pain sec, la privation de la vue des femmes et de la conversation avec elles, la lecture continuelle, les métanies 303 ininterrompues la nuit et le jour » 304 . Nous le voyons bien ici, le jeûne, les veilles et tout ce que propose Joseph Hazzaya sont autant de moyens de ne pas céder aux « passions » et de sortir vainqueur de son combat avec le diable. Il s’agit ici de « remèdes », nullement de normes monastiques à respecter scrupuleusement. Nous retrouvons aussi nombre de ces « cas d’école » dans les apophtegmes des Pères du désert. Ces « recommandations » se sont par la suite codifiées sous forme de règles avec le développement du cénobitisme.

Roland Barthes précise dans son cours que la « règle-coutume » s’est orientée vers la « règle-loi » 305 telle que nous la connaissons actuellement avec la notion de contrat introduite notamment par la Règle de saint Benoît (VIe siècle). Saint Benoît écrit une Règle qui va mettre en place une vie communautaire solidement structurée. Cette règle prévoit que le moine soit rattaché à son monastère par un lien indissoluble : ce qui était autrefois une résolution devient l’expression d’un vœu perpétuel. Après une période de noviciat estimée à un an par saint Benoît, le moine professe des vœux perpétuels et remet à son abbé la promesse écrite selon laquelle il s’engage à obéir à son supérieur et à rester toute sa vie durant dans la communauté pour y vivre en moine. La profession monastique revêt à ce moment là l’allure d’un contrat passé entre le moine et la communauté. Roland Barthes note à ce sujet que la notion de contrat est néanmoins présente dès les premiers temps du cénobitisme : le successeur de Pacôme 306 au IVe siècle faisait déjà signer à ses moines une profession d’obéissance aux règles. Nous ne pouvons donc isoler précisément un basculement de la « règle-coutume » vers la « règle-loi ». Néanmoins, la règle de saint Benoît va contribuer par toute une série de règles détaillées à légiférer la vie monastique.

L’idée d’un « contrat » passé entre le moine profès et la communauté va introduire l’idée d’infraction et de désobéissance. C’est ici qu’apparaît la notion d’écart vis-à-vis d’une conduite « type » détaillée dans la règle. A ce moment là, la règle ne regroupe plus seulement un ensemble de recommandations spirituelles mais fait état d’une loi à observer, délimitant tout un ensemble d’interdits dont l’infraction est sévèrement punie comme le précise la règle de saint Benoît : « 1. Le frère qui est coupable d’une faute grave sera privé à la fois du réfectoire et de l’oratoire, 2. Aucun frère n’ira le trouver pour lui tenir compagnie ou lui parler, 3. Il sera seul pour faire le travail qu’on lui a demandé et il restera dans la tristesse que lui cause son repentir […], 5. Ce frère mangera seul. Pour la quantité de nourriture et l’heure du repas, c’est l’abbé qui jugera de ce qui est bon pour lui, 6. En passant près de lui, personne ne le bénira, ni lui, ni la nourriture qu’on lui donne » 307 . La faute est punie par le retranchement de la communauté. La pénitence est dans de nombreux cas un isolement momentané, une mise à l’écart de la communauté. Nous le voyons bien, la règle monastique constitue un véritable contrat du « vivre-ensemble » dont toute entorse se solde par une mise à l’écart de la vie commune. Dès lors elle ne se circonscrit plus uniquement à l’aide spirituelle, s’y ajoute le règlement de la vie en communauté. Autrement dit, la règle est à ce moment là destinée tout autant à l’expérience spirituelle qu’à la conduite d’une vie communautaire. Bien plus, avec le développement de la « règle-loi », la vie en communauté devient aussi un facteur de progression spirituelle. Ce qui nécessite de préciser ses modalités d’action.

Les règles vont se multiplier avec l’expansion du cénobitisme, et de nombreux supérieurs de monastère rédigeront leur propre règle en s’inspirant des références qui font autorité et des écrits fondateurs du monachisme 308 . De ce fait, un même monastère pourra observer simultanément plusieurs règles. L’idée étant toujours d’offrir dans une règle locale une synthèse des expériences monastiques antérieures et leur adaptation aux contingences particulières d’un monastère. Tout comme leurs prestigieuses références, ces règles « locales » ont pour objet la vie quotidienne, son organisation pratique tout autant que ses combats spirituels, ces deux éléments étant dans la vie monastique intimement liés.

La règle de vie d’un monastère orthodoxe est appelée typicon. L’usage distingue le typicon liturgique traitant de l’organisation des offices, du typicon de la vie quotidienne organisant les différents aspects de la vie d’une communauté monastique 309 . Le typicon liturgique du monastère Saint-Antoine-le-Grand est la réplique exacte du typicon du monastère de Simonos Petra. Les typica liturgiques puisent tous à la source d’un archétype unique : le typicon liturgique du monastère de Saint Sabas en Palestine, rédigé à la fin du Vesiècle, est devenu le typicon officiel de l’Eglise orthodoxe. Il fait état de la composition des différents offices orthodoxes. Contrairement au typicon liturgique, il existe une grande variété de typica de la vie quotidienne, chaque communauté disposant du sien propre, inspiré des grandes règles monastiques tout autant que des enseignements des Pères de l’Eglise et ajusté en fonction des particularités du monastère (son lieu d’implantation, la taille de la communauté, ses activités, etc.).

Si chaque monastère dispose d’une version écrite du typicon liturgique, nécessaire à l’organisation des offices, il en va tout autrement du typicon de la vie quotidienne qui est rarement écrit. Lorsque nous nous étonnons de cette absence de document écrit de la règle monastique, les moines rétorquent qu’il n’est pas besoin d’écrire ce que tout un chacun apprend directement de son Père spirituel. Autrement dit, le typicon de la vie quotidienne est dans la majeure partie des cas l’objet d’une transmission orale, car il fait partie intégrante des enseignements d’un higoumène, des « principes » à mettre en œuvre quotidiennement. Il peut arriver que ce Père spirituel consigne par écrit ses enseignements, ou bien que ses disciples enregistrent et retranscrivent ses propos. Le document obtenu tiendra à ce moment là lieu de typicon de la vie quotidienne. Ainsi lorsque nous demandions de consulter le typicon de la vie quotidienne du monastère de Simonos Petra dans l’optique de le comparer avec son équivalent écrit du monastère Saint-Antoine-le-Grand, les moines nous invitèrent à consulter les publications récentes de la traduction française des catéchèses et discours de l’Archimandrite Aimilianos (l’ancien supérieur de la communauté de Simonos Petra amené à repeupler le monastère dans les années soixante-dix) et notamment sur le tome I regroupant des conférences et des homélies sur le monachisme 310 . La règle de vie du monastère se confond ici avec les enseignements spirituels de son higoumène. Autant de principes susceptibles de refléter l’ « esprit » de la tradition à mettre en œuvre au quotidien. La règle ne peut donc être réduite à un système codifié d’observances, pas moins qu’à un simple coutumier. Il s’agit bien plus d’un véritable support spirituel pour le moine : y est consigné une synthèse des principes monastiques issus des expériences antérieures. A la « règle-coutume » et la « règle-loi » distinguées par Roland Barthes, nous ajouterions la « règle-mode d’emploi » proposant en quelque sorte les « règles du jeu » de la vie monastique. Ce sont avant tout des règles d’action visant à une efficacité monastique au quotidien.

Un typicon de la vie quotidienne fut rédigé par le Père Placide pour les dépendances françaises du monastère de Simonos Petra. Commencée à Aubazine, la rédaction de cette règle de vie s’acheva en 2001, avec l’aide de l’higoumène de Simonos Petra nouvellement élu, le Père Elisée, mais aussi le Père Macaire (moine de Simonos Petra) et le Père Simon (aumônier du monastère d’Ormylia, autre dépendance féminine de Simonos Petra, fondée en Grèce). Une fois rédigé, le texte du typicon fut soumis à l’approbation du conseil des anciens du monastère de Simonos Petra. La consignation par écrit d’une règle de vie introduit la notion de modèle. Pourquoi écrire une règle monastique pour les dépendances françaises alors même que l’usage orthodoxe privilégie la transmission orale à travers la figure du Père spirituel ? Il s’agit bien là d’une préoccupation de rester fidèle malgré l’éloignement culturel à la « tradition » du monastère de Simonos Petra que le typicon français consignerait par écrit pour en garder la « trace » et pouvoir à tout moment s’y référer. Le typicon constitue à ce moment là un modèle permettant de rester dans la lignée de l’ « esprit » du monastère-mère. Jean Pouillon écrit à ce sujet : « Qu’on dispose d’un modèle, et tout change : on peut s’y reporter, apprécier la conformité des récits et éliminer les versions incorrectes. C’est alors en effet que se forge la notion de « correction ». Il n’est pas nécessaire que le modèle soit l’original, qu’il se caractérise par une qualité intrinsèque ; ce peut être une version comme une autre, il suffit qu’elle soit fixée et proposée comme ce qu’il faut reproduire exactement. Evidemment, il peut y avoir plusieurs modèles – qui ne sont plus alors que des versions – mais en ce cas on cherche à réduire cette pluralité : les divergences ne sont plus admissibles, précisément parce qu’on en prend conscience et qu’on peut les mesurer » 311 . Autrement dit la consignation par écrit d’une règle de vie traditionnellement transmise par voie orale permettrait plus aisément la mesure des écarts, des divergences possibles susceptibles de rompre avec la tradition de référence. L’écriture permet à ce moment là de contrôler la conformité de la vie monastique dans les dépendances avec le monastère-mère.

Le typicon précise un ensemble de repères permettant une mise en œuvre locale de la tradition athonite, la construction d’un « Athos hors de l’Athos » pour reprendre le titre d’une brochure de présentation des metochia de Simonos Petra. Mais la consignation par écrit n’épuise pas pour autant la démarche créatrice d’une transmission orale : elle n’en reste pas moins qu’une synthèse écrite de diverses écoutes qui ne permettent aucunement la recherche d’un archétype fondateur. Le typicon du monastère Saint-Antoine-le-Grand n’est pas la retranscription fidèle de la tradition du monastère de Simonos Petra, dont au demeurant il serait vain d’en rechercher une formulation originelle et homogène telle qu’elle aurait pu être transmise au cours des siècles de « geronda à geronda » et amenée à être reproduite à la lettre dans les dépendances françaises. Bien plus cette synthèse écrite de la tradition est dite momentanée de la bouche même de son auteur et puise dans un fond monastique occidental par certains aspects. De ce fait la vie monastique s’organise moins autour de la stricte observance d’une règle – intrinsèquement multiple – que sous la direction « élastique » d’un Père spirituel.

Le typicon du monastère Saint-Antoine-le-Grand s’apparente davantage à un programme spirituel qu’à une règle à proprement parler. Il énonce les principes sous-jacents à la vie monastique mais sans circonscrire avec précision ses petits interdits de tous les jours. Qui plus est, le typicon est le support d’un enseignement oral du Père spirituel de la communauté. Ses différents chapitres font l’objet de nombreuses catéchèses auprès des moines et des moniales lors des synaxes de la communauté. La consignation par écrit des enseignements d’un Père tient lieu de véritable programme rappelant l’objectif monastique et les moyens d’y parvenir. Chaque moine possédant un exemplaire de ce typicon, il lui est facile de se référer à cette synthèse des enseignements de son Père spirituel concernant la voie monastique. A ce propos, le typicon de la vie quotidienne du monastère Saint-Antoine-le-Grand mentionne dans son prologue : « La présente « Règle de vie » (typicon) est formée principalement de textes recueillis à travers l’ensemble de la tradition monastique et choisis en fonction de l’esprit et des nécessités propres de notre monastère ; à l’exemple de saint Nicodème l’Hagiorite, nous avons fait quelques emprunts à la tradition spirituelle de l’Occident chrétien, où nous sommes appelés à vivre, en veillant soigneusement à ce que ces textes soient en pleine consonance avec la doctrine orthodoxe. Cette règle ne constitue ni un traité exhaustif de spiritualité monastique, ni un code complet d’observances ; mais elle cerne de façon assez précise l’orientation de notre vie. Nous y trouverons la réponse à la question que nous devrons souvent nous poser, à l’exemple de nos Pères : « Pourquoi es-tu venu ? » Au postulant qui se présentera, nous pourrons dire : « Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l’observer, entre ; mais si tu ne le peux pas, tu es libre de partir ». Cette loi, en effet, n’est rien d’autre que la voie royale par laquelle le moine devient entièrement libre d’être mû par l’Esprit de Dieu. Et si nous mettons ces directives en pratique, avec l’aide des prières de la Toute Sainte Mère de Dieu et de nos saints Pères les moines d’Orient et d’Occident, « c’est aux plus hauts sommets de vertus et de contemplation que nous parviendrons. Amen » 312 . Le typicon est donc moins compris comme une synthèse de la spiritualité monastique qu’une sélection. Il fait état de principes « choisis » et mobilisés dans la définition d’une « orientation de vie ».

Le typicon n’est pas une « règle-loi » à proprement parler comme peut l’être la règle de saint Benoît mais bien plutôt une « règle du jeu » apte à définir une direction, un projet de vie en fonction d’une part d’une lecture actuelle des expériences déjà menées par le passé qui contribuent à composer une tradition monastique et d’autre part des possibilités actuelles de son expérimentation. Le Père Placide précise par ailleurs que les règles monastiques « sont moins des textes juridiques que des écrits destinés à transmettre l’expérience des grands moines jadis suscités par l’Esprit-Saint pour engendrer une lignée de fils spirituels. C’est en définitive la paternité spirituelle des Pères du monachisme qui s’exerce à travers les règles ; et celles-ci n’ont de sens que transmises et interprétées par un abbé, un Père spirituel vivant, en qui s’incarne la continuité de la tradition » 313 . Force est de constater ici que la règle n’est pas envisagée comme un règlement, encore moins comme un référent objectif puisqu’il est précisé qu’elle n’a de sens qu’en regard des enseignements d’un Père spirituel 314 . La règle participe de la constitution d’une tradition monastique dans la mesure où elle assure la transmission d’un ensemble d’expériences significatives. Elle s’emploie à « faire le tri » dans un passé monastique pour l’éclairer en regard des engagements actuels. Mais son rôle semble secondaire puisque la vie monastique se construit moins sous la stricte observance d’une règle que sous la direction d’un Père spirituel qui introduit toute une démarche créatrice. La règle délimite à ce moment-là que l’intervalle « orthodoxe » au sein duquel s’élaborent les variations.

Notes
299.

Cette situation est tirée d’un travail de maîtrise d’ethnologie sur la place de l’environnement dans la fondation monastique, réalisé à partir d’une ethnographie du monastère Saint-Antoine-le-Grand .

300.

Ses notes de cours ont fait l’objet d’une publication. Voir Roland BARTHES (2002) op. cit., Séance du 20 avril 1977.

301.

Joseph Hazzaya fait ici référence à un démon que les spirituels nomment le « compositeur de chanson » parce qu’il excite chez le moine la « passion » de la luxure par des paroles obscènes.

302.

L’observance du jeûne pendant les périodes de carême.

303.

Les métanies sont des prostrations effectuées soit dans la prière (liturgique ou personnelle) soit dans les interactions, en signe de respect envers les supérieurs ou pour se demander mutuellement pardon.

304.

Joseph HAZZAYA (1961) op. cit., pp. 65-66.

305.

Roland BARTHES (2002) op.cit., p. 163.

306.

Saint Pacôme est considéré comme le fondateur du cénobitisme.

307.

Extrait de la règle 25 « Les fautes graves » de la Règle de saint Benoît, disponible sur le net : www.users.skynet.be/scourmont/script/rb.htm

308.

Citons entres autres pour les plus connues : les Règles de saint Basile, les Règles de saint Pacôme, la Règle de saint Augustin, la Règle des moines de saint Benoît de Nursie.

309.

Voir le typicon du monastère Saint-Antoine-le-Grand en annexes.

310.

Archimandrite AIMILIANOS (1998) Le Sceau véritable, Catéchèses et conférences tome I, Editions Ormylia. Archimandrite AIMILIANOS (2000) Sous les ailes de la Colombe, Catéchèses et conférences tome II, Editions Ormylia. Archimandrite AIMILIANOS (2002) Exultons pour le Seigneur, Catéchèses et conférences tome III, Editions Ormylia.

311.

Jean POUILLON (1977) op. cit., p.207. Sur les rapports entre écriture et tradition, voir aussi Gérard LENCLUD (1987) op. cit.

312.

Extrait du prologue du typicon du monastère Saint-Antoine-le-Grand, p. 2.

313.

Archimandrite Placide DESEILLE (1999) L’évangile au désert, Les éditions du Cerf, pp. 99-100.

314.

Le terme d’abbé est dérivé du grec abba qui signifie « Père ».