II. Distance.

II.1. Jeux et enjeux d’une rencontre.

Dimanche 7 mars 2004, monastère Saint-Antoine-le-Grand, 9h30. L’office liturgique commence. C’est le deuxième dimanche du grand carême de Pâques. L’Eglise commémore aujourd’hui comme tous les dimanches l’événement de la résurrection, ainsi que la mémoire de saint Grégoire Palamas. La communauté est dans l’église depuis 6h30. Elle est rejointe à partir de 9h par les fidèles et certains hôtes qui arrivent au fur et à mesure de la progression des offices matinaux. Ainsi, le ballet des entrées ne cesse tout au long de la matinée jusqu’au moment de la Grande Entrée au cours de laquelle les « saints dons » sont apportés en procession sur l’autel, en prévision de la communion eucharistique. Certains fidèles, au fait du « timing » liturgique, rejoignent l’assemblée à ce moment précis, évitant ainsi la longue préparation qui le précède. Dès leur entrée dans l’église, les fidèles s’empressent de saluer les icônes. D’abord les icônes du Christ et de la Vierge disposées dans le narthex, puis les icônes de la résurrection (la fête du jour), de saint Silouane (le patron de l’église) et de la Vierge déposées sur un pupitre devant le sanctuaire. Les jeunes enfants sont portés par leurs parents pour déposer un baiser sur les icônes. Les nouveaux arrivants se répartissent dans les stalles ou sur les bancs restés inoccupés. S’ils assistent à l’office dans la position assise, les fidèles se lèvent de temps à autre pour les prières importantes avant de se rasseoir. Certains d’entres eux restent debout, adossés contre un mur ou une stalle, en dehors des grands axes de passage, comme le recommande le canon 19 du premier concile œcuménique. Les femmes se répartissent dans la travée de gauche, les hommes investissent la travée de droite, mais cette répartition n’est pas toujours nette : il n’est pas rare que certains visiteurs viennent assister à l’office en simple curieux, ils ne connaissent alors rien des usages observés et imitent les fidèles pour adopter une posture de circonstance, mais la plupart du temps ils ne remarquent pas la dissociation entre les hommes et les femmes 434 . Les moines alternent les lectures et les chants dans le chœur de droite. Ils occupent un espace à l’écart des fidèles auquel certains « vieux amis » du monastère ou hôtes illustres de passage peuvent avoir accès lorsqu’ils sont invités par un moine à participer aux chants. A l’inverse de ces quelques privilégiés, les femmes ne peuvent participer directement au déroulement de l’office. Certaines, toutefois, préparent le pain pour les saints dons, mais sitôt pénétrées dans l’église, elles restent à l’écart de la communauté et chargent leurs enfants d’apporter les prosphores*à l’ecclesiastico à leur place. Néanmoins, en surveillant les jeux des enfants de manière à ce que ceux-ci ne deviennent pas trop bruyants, en empêchant les nourrissons de pleurer, elles participent à l’observance d’un cadre propice à une bonne exécution du rituel. A l’inverse, les hommes ne participant pas au chœur ont un rôle « passif », non directement lié au bon déroulement de l’office.

Hommes ou femmes, les regards convergent avec plus ou moins d’intensité vers le sanctuaire où toute l’action se concentre. Bien entendu, il en est qui sur le chemin se perdent de temps à autre à contempler les fresques des voûtes, ou à observer les chantres, d’autres encore sont absorbés par les jeux des enfants. Quoi qu’il en soit, tous sont orientés de manière à pouvoir contempler le sanctuaire : c’est de là que sortira en temps voulu le don rédempteur de la communion après une mystérieuse alchimie pour laquelle chaque détail, exécuté ici et maintenant, compte. Tout se joue « là-bas ». Cet espace central est occupé par le Père Placide qui aujourd’hui concélèbre avec un autre prêtre. Ils sont assistés de l’ecclesisatico qui tient aussi le rôle de typikaris*, ainsi que de quelques enfants de chœur âgés de cinq à seize ans qui, s’ils ne peuvent séjourner dans le sanctuaire, en ont toutefois l’accès pour des questions logistiques. Les anges y sont aussi présents disent les acteurs. Il nous a même été rapporté que certains saints moines pouvaient les apercevoir seconder le prêtre dans la célébration.

L’essentiel de l’office s’organise autour d’interactions entre l’assemblée représentée par le chœur de moines et de fidèles et le prêtre qui passe l’essentiel de son temps autour de l’autel. Toutefois, les actions et les prières du prêtre qui constituent l’axe central de la célébration liturgique ne sont pas toujours visibles, ni audibles par l’assemblée. En effet, le sanctuaire se trouve par moment caché aux regards de l’assemblée par l’iconostase, ce grand panneau de bois constitué des  « portes saintes » et d’un rideau. Le mystère ne peut se dire, il ne fait que se suggérer par le retranchement, l’absence, l’invisible, le caché, le séparé… Les lectures et les chants alternent avec les dialogues entre le chœur et le prêtre. L’ecclesiastico, aisément distinguable à sa longue cape plissée, allume quelques bougies du polyeleos, ce grand lustre qui surplombe la nef. Le chœur est dirigé par le Père Arsène. Celui-ci donne par moment quelques conseils de chant à un jeune novice installé à ses côtés. Le Père Arsène répartit les chants selon les chantres présents. Il anticipe chaque chant en sortant au fur et à mesure les partitions rangées dans le pupitre. De temps à autre, un moine vient discrètement le questionner concernant la suite de l’office. Chacun s’affaire selon le rôle qui lui est imparti : les prêtres récitent l’office à l’aide d’un petit livret qui ne les quitte jamais, joignant aux paroles les actions de circonstance, les enfants de chœur les assistent en leur tendant le matériel liturgique dont ils ont besoin pour la continuation de l’office, l’ecclesiastico parcourt l’église de long en large pour allumer ou éteindre les différentes veilleuses disséminées ça et là et gérer sa petite armée d’enfants de chœur, les chantres alternent chants et lectures sous la direction du premier chantre, les mères veillent à ce que leurs enfants ne perturbent pas le cours de l’office tout en suivant son déroulement.

Une première procession se forme devant la prothèse pour la « petite entrée ». Le prêtre accompagné du Père Placide va déposer l’évangéliaire sur l’autel en prélude à la liturgie de la parole. Après la lecture du prokimenon, le Père Placide lit un extrait de l’évangile, depuis le seuil du sanctuaire avant de commenter sa lecture. Il parle de la présence du Christ « dans nos cœurs » et énonce les conditions de cette présence. Il fait part ensuite de la joie que procure la présence de Dieu. Il rappelle que la vie chrétienne n’est pas une stricte observance de commandements extérieurs, mais avant tout une obéissance aux préceptes du Christ. Ce qu’il y a de pénible dans la vie chrétienne doit être transfiguré par ce vers quoi on tend. Il traite aussi du rôle de la prière dans la vie chrétienne. Si l’espérance demeure, les observances ne vont pas ternir cette joie. A la suite de l’homélie, les chants reprennent. Le prêtre encense à plusieurs reprises l’assemblée.

Les acteurs du rituel sont tout entier à leurs tâches réciproques, attentifs à « bien faire » l’office. Tout se passe comme si, de cette bonne effectuation du rituel, dépendait – en partie – son efficacité, même si les textes canoniques assurent du contraire. « Bien faire » l’office c’est pour les chantres bien chanter, mais aussi ne pas se tromper dans l’enchaînement complexe et variable des partitions, éviter tout silence d’hésitation entre les chants, ou encore ne pas oublier de répondre aux prières du prêtre ; c’est pour les officiants accomplir les bonnes actions au bon moment, réciter les bonnes prières en prenant soin d’opter pour une tonalité de circonstance, ne pas se tromper dans la commémoration des saints du jour, ne pas bégayer, ne rien oublier. Les acteurs s’attèlent à bien faire aussi parce qu’ils semblent aimer ce qu’ils font. L’office doit être « beau », à chacun de s’attacher avec rigueur à son rôle. Mais la rigueur n’est pas une crispation. Ceci est tout à fait sérieux mais si une erreur survenait, elle ne mettrait en aucun cas l’issue de l’office en danger. Quoi qu’il arrive, ce sera quand même le corps et le sang du Christ qui sortira tout à l’heure du sanctuaire. En témoigne les comportements latéraux des acteurs, loin d’être entièrement absorbés dans leurs rôles : qu’une connaissance passe à proximité et alors se noue une discrète conversation, interrompue de temps à autre par une métanie ou quelques signes de croix en écho aux prières du prêtre. Les enfants participent aussi à cette latéralité en jouant dans un coin de l’église qu’ils arpentent en toute liberté, en dehors des moments « forts » de l’office pour lesquels leur mère exerce davantage de contrôle. L’office s’achemine d’ailleurs vers un «  temps fort », celui de la présence, marqué par l’acheminement des saints dons vers le sanctuaire. A partir de ce moment là, il nous est demandé de ne plus prendre de photos.

Une nouvelle procession se forme devant la prothèse: les enfants de chœur ouvrent le cortège portant bien haut un cierge, ils sont suivis du Père Placide et du prêtre qui portent la patène et le calice. La procession s’arrête au centre de la nef. Les prêtres se mettent face aux fidèles. Toute l’assemblée se prosterne. Il n’y a plus un bruit dans ses rangs. Puis ils vont déposer le calice et la patène sur l’autel en passant par l’iconostase. Le Père Placide récite de nombreuses prières en interaction avec le chœur 435 . Le sanctuaire demeure visible. Nous y voyons le Père Placide et le prêtre concélébrant s’affairer autour des saints dons. Au moment de la récitation du symbole de foi, ils agitent l’aër* au-dessus des saints dons en signe de descente de l’Esprit-Saint. L’ecclesiastico ferme les portes et le rideau de l’iconostase, il éteint ensuite les bougies du lustre. Les moines, puis à leur suite les fidèles, se mettent au centre de la nef et vénèrent les icônes. Soudain, le son d’une clochette se fait entendre, les fidèles désertent le centre de la nef. Le Père Placide apparaît sur le seuil de l’iconostase pour distribuer la communion, d’abord aux moines (par ordre d’ancienneté) puis aux fidèles. Chacun est attentif à communier dans le recueillement en adoptant une posture corporel de circonstance : la plupart ont les mains jointes ou les bras croisés sur la poitrine et s’approchent en silence du prêtre. Chacun vit ce moment pour lui-même. Il n’y a aucune discussion, les enfants sont maintenus autant que possible dans le calme. Les chants continuent. Après la communion, les fidèles vont s’asseoir pour la plupart dans le narthex. Ils semblent concentrés, non plus attentifs à ce qui se passe autour d’eux, ni même au déroulement de l’office, mais recentrés sur eux-mêmes, contenus. Quelques fidèles ferment même les yeux. D’autres sortent. Chacun adopte une attitude sérieuse, sobre, discrète. Pas d’effusion de joie. Ce « moment fort » de la liturgie a ramené le calme dans les rangs. L’office se termine sur la distribution de l’antidoron. Si les non-orthodoxes ne peuvent communier, ils ont néanmoins la possibilité de recevoir ce « pain béni » des mains du prêtre, contrairement à l’usage grec. Les fidèles se dispersent progressivement dans la cour, alors que les prières du congé sont encore récitées dans l’église.

Dans cette situation, nous avons des laïcs (hommes et femmes) et des moines qui constituent une assemblée 436 . Chacun joue un rôle bien défini. Il y a d’abord les « laïcs-spectateurs » qui occupent le narthex et la nef d’où ils assistent à l’office, les « laïcs-participants » qui chantent au chœur (uniquement les laïcs-hommes, « amis » du monastère ou chantres réputés de certaines paroisses orthodoxes) ou assistent les officiants (par exemple les enfants de chœur), ensuite les moines ou le clergé de passage (régulier ou séculier) qui occupent un espace séparé des fidèles 437 et se divisent en deux groupes : les chantres et les officiants (ecclesiastiko, typikaris, diacre ou prêtre). Ces acteurs se réunissent pour se mettre en présence d’une autre catégorie d’acteurs avec lesquels ils interagissent et qui sont pourtant trop souvent négligés dans les descriptions ethnographiques : les êtres invisibles. Bien entendu nous voulons parler de Dieu qui constitue l’objet de ce rassemblement qui prend l’allure d’un rendez-vous avec l’être aimé. Nous voulons aussi parler de toutes les entités qui l’accompagnent et participent de sa nature : le Christ, la Vierge, ses anges, ses saints. Ils tiennent aussi une place importante dans les prières liturgiques et se confondent avec Dieu auprès duquel ils jouent, dans le discours des acteurs, le rôle d’intercesseur.

Dieu occupe une place à part entière dans l’office liturgique puisqu’il s’agit du lieu où il reçoit et où il donne, et se donne, « en public » 438 , par l’intermédiaire de ses nombreux médiateurs. Il nous semble donc important d’accorder un statut ethnographique à Dieu dans nos descriptions pour comprendre les interactions auxquelles nous assistons, lesquelles reposent sur une double relation : d’une part des hommes à Dieu et d’autre part de Dieu aux hommes. Il ne s’agit pas d’opter pour une posture essentialiste mais de considérer les interactions à l’œuvre pour les acteurs que nous rencontrons dans cette situation. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Pour l’instant, considérons cette situation sous l’angle de trois actions différentes à partir desquelles se définissent les interactions : l’appel des acteurs, les médiations, les réponses de Dieu. L’appel des acteurs regroupe toutes les prières, mais aussi les chants et les psalmodies adressés directement à Dieu. Il est principalement le fait du chœur qui représente l’assemblée des chrétiens. Les médiations sont assurées par les officiants : elles mettent en contact le sanctuaire (lieu de la présence) et la nef (lieu de l’assemblée) – par extension Dieu et les hommes – par une série d’allers-retours du prêtre. A ce titre, l’intrigue de l’office tourne autour d’un dialogue continuel entre le prêtre qui agit et le chœur qui fait échos à ses actes et ses prières par des chants. Les « réponses » de Dieu regroupent tous les « effets » induits par le dispositif rituel et qui rappellent continuellement sa présence.

Nous touchons là une caractéristique essentielle du dispositif rituel puisque, par définition, le rite contient d’abord un principe d’efficacité : « Les rites sont à considérer comme un ensemble de conduites et d’actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique, fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres ou de puissances sacrées, avec lesquels l’homme tente de communiquer en vue d’obtenir un effet déterminé » 439 . Ainsi, la situation à laquelle nous assistons peut se lire comme une construction de la présence qui induit un ensemble d’effets attribués à Dieu. Mais cette efficacité du rituel, comme le rappelle la définition proposée par Mauss, s’envisage sous l’angle d’une compréhension en rupture avec le sens commun 440  puisque « les gestes rituels, sont réputés avoir une efficacité toute spéciale, différente de leur efficacité mécanique. On ne conçoit pas que ce soit l’effet sensible des gestes qui soit le véritable effet. Celui-ci dépasse toujours celui-là et, normalement, il n’est pas du même ordre ; quand, par exemple, on fait pleuvoir, en agitant l’eau d’une source avec un bâton. C’est là le propre des rites qu’on peut appeler des actes traditionnels d’une efficacité sui generis » 441 . D’où la tentation de rapprocher l’action rituelle et son efficacité sui generis des énoncés performatifs de John Langshaw Austin 442 , comme cela a été fait à plusieurs reprises. En effet si « l’efficacité symbolique n’ayant rien de spécifique en tant que cause efficiente, garde néanmoins son originalité en tant qu’efficacité signifiée » 443 alors à ce moment là l’action rituelle suscite une efficacité en la représentant. « L’efficacité signifiée », écrit François Isambert, c’est dès lors bien une efficacité, objet de signification, mais dans un cas où la signification fait elle-même partie d’un processus efficace » 444 . Ce qui nous intéresse dans le cas de la situation que nous rapportons, c’est l’écart rapidement comblé entre l’ « efficacité signifiée » et l’ « efficacité mécanique » dans le processus de construction de la présence. Bien que les actions de mise en présence de Dieu ne le rendent pas physiquement présent, il n’en demeure pas moins que Dieu est, pour les acteurs que nous rencontrons, « réellement » présent dans cette situation puisqu’il agit au travers de ses médiateurs, sur le plan d’une « efficacité signifiée ».

La présence divine devient à ce moment là « perceptible », non immédiatement au travers des données sensorielles mais en filigrane des « effets » que les acteurs lui prêtent : d’abord le simple fait d’être là tous ensemble (Dieu est présent parce que des acteurs se réunissent en son nom et lui adressent des prières), mais aussi ses discours (la lecture de l’Evangile), ses actes (la transsubstantiation), le sacrifice de sa chair et de son sang (l’Eucharistie). D’une part les acteurs assurent la présence de Dieu par un dispositif rituel précis, d’autre part Dieu est présent dans cette situation, capable d’agir autour de lui via ses médiateurs. Les « réponses » de Dieu regroupent donc l’ensemble des « effets » de sa présence, autrement dit ce que les acteurs font faire à Dieu et qui provient de Dieu lui-même. Nous le voyons par exemple dans la descente de l’Esprit-Saint sur les saints dons, pour laquelle les médiateurs agitent l’aër au-dessus du calice : à travers cet acte dont ses médiateurs se font le support, c’est Dieu qui agit pour changer les saints dons en corps et sang du Christ.

Situationnellement présente au travers d’un dispositif de construction collective de la présence, la présence divine devient ce que personne n’a fabriqué. Ce que remarque Bruno Latour pour le fait scientifique semble aussi s’appliquer au fait religieux : « Le faitiche 445 peut donc se définir comme la sagesse de la passe, comme ce qui permet le passage de la fabrication à la réalité ; comme ce qui donne l’autonomie que nous ne possédons pas à des êtres qui ne l’ont pas non plus mais qui, de ce fait, nous la donne » 446 . La présence de Dieu dans la situation que nous rapportons est aussi bien une présence construite socialement qu’une présence « autonome ». Ou plutôt une présence construite au fur et à mesure du rituel, maintenue par un dispositif précis dont elle finit, pour les acteurs, par s’affranchir. D’où le « temps fort » du rituel qui surgit à la fin de l’office et qui est envisagé par les acteurs comme une « présence réelle », ce qui suppose, à l’inverse, tout un temps préalable de présence « moins réelle ». Comme le fait remarquer Albert Piette, toute l’ambivalence du fait religieux réside alors dans cette oscillation constante entre la construction et l’autonomie de l’être divin 447 .

L’attention portée réciproquement à ces deux modes d’existence de l’être divin (le mode substantiviste et le mode constructiviste) distingue les préoccupations théologiques de l’objet sociologique. Pour s’assurer la légitimité scientifique de ses travaux, le sociologue ou l’anthropologue du religieux s’est pendant longtemps astreint, sous le regard de ses pairs, à n’accorder aucune consistance propre à la vision religieuse du monde qu’il s’attelait à étudier. Là se trouvait la condition sine qua non de la scientificité de son travail. Le point de vue théologique devenait, à ce moment là, l’obstacle épistémologique par excellence d’une appréhension scientifique du religieux. Ce qui a durablement alimenté les conflits épistémologiques en sociologie des religions jusque dans les années soixante-dix 448 , mais qui semble encore aujourd’hui demeurer en toile de fond des travaux en sociologie des religions. L’attention sociologique privilégie de surcroît la spécificité du lien social généré par les situations identifiées par le sociologue, suivant diverses modalités de définition, comme religieuses. Cette démarche peut être illustrée par les propos de Jean-Paul Willaime tenus lors du colloque de l’Association française de sociologie religieuse à Paris les trois et quatre février 1997 : « La deuxième chose que j’ai été amené à souligner paraîtra triviale à des sociologues, puisque c’est le fait que la religion est une activité sociale. Mais je le rappelle parce que cela m’a directement conduit à construire un mode d’approche centré sur l’affirmation : Il n’y a pas de religions sans maîtres en religion et la sociologie des religions est avant tout l’étude des effets sociaux de ce singulier rapport social (Willaime, 1995 a, 125). Façon de dire que le point de vue particulier avec lequel la sociologie aborde les phénomènes religieux est celui des rapports sociaux. Considérée sous cet angle, la question est de savoir si une religion se réfère ou non à des êtres surnaturels ou si elle doit être identifiée à partir de la mise en œuvre d’une transcendance m’apparaît d’un faible intérêt sociologique. La question proprement sociologique est plutôt de savoir comment se construisent des rapports sociaux spécifiques en relation avec un ou des porteurs de charismes » 449 .

Tandis que le discours théologique cadre l’analyse sur l’autonomie de l’être divin, l’envisageant de manière exclusivement ontologique, le discours sociologique tend à ne considérer que ses constructions sociales, éliminant de ce fait totalement Dieu. C’est notamment le parti-pris de l’approche constructiviste, tendance dominante de l’analyse sociologique actuelle du fait religieux, énoncée en ces termes par James A. Beckford : « The starting-point is the assertion that, whatever else religion is, it is a social phenomenon. Regardless of whether religious beliefs and experiences actually relate to supernatural, superempirical or noumenal realities, religion is expressed by means of human ideas, symbols, feelings, practices and organisations. These expressions are the products of social interactions, structures and processes and, in turn, they influence social life and cultural meanings to varying degrees. The social scientific study of religion, including social theory, aims to interpret and explain these products and processes » 450 . Selon cette approche, le religieux est le produit d’un processus de construction sociale par des acteurs en interaction. Ce qu’il est. Mais en même temps, dans les situations religieuses auxquelles nous assistons, tout se passe comme si cette construction sociale débouchait sur l’autonomisation des êtres avec lesquels l’acteur entre en interaction. A partir de ce moment là, le religieux ne résiderait-il pas justement dans le passage de l’une à l’autre de ces modalités d’interaction ?

Dieu pour la théologie, le social pour l’anthropologie : le risque encouru est alors de rater le fait religieux en tant que tel, dans la mesure où il se donne avant tout dans une interaction entre ces deux termes. Il ne s’agit pas, bien entendu, de nier que la religion soit un phénomène social, mais, à y regarder de plus près, nous nous rendons compte que c’est un phénomène social qui se tisse autour d’une rencontre présupposée des acteurs avec l’être divin. Partant de cette constatation, pourquoi ne pas prendre en compte cette présence – tout à la fois construite situationnellement et autonome pour les acteurs – qui devient le support des interactions sociales ? Car c’est bien autour de cette rencontre qu’interagissent les acteurs que nous rencontrons. Pourtant, force est de constater à la suite d’Albert Piette, qu’ « il y a comme une impossibilité méthodologique à penser ensemble les hommes et Dieu, à les respecter d’égale façon dans leurs caractéristiques, leurs actions et leurs effets […]. C’est, à coup sûr, les meilleurs moyens de manquer les situations où coexistent les hommes et l’être divin, selon les dispositifs spécifiques, à travers leurs rôles respectifs » 451 . C’est aussi la position d’Elisabeth Claverie dans son travail sur les apparitions de la Vierge dans le village bosniaque de Medjugorje : « On a choisi de considérer la Vierge comme un acteur à part entière dont on restitue fidèlement, sans censure préalable, les paroles, les actions et le statut dans le discours des pèlerins. On reconnaît ainsi sa présence et les différentes formes sous lesquelles elle se manifeste (comme tout ethnologue le ferait pour Shiva et Vishnou 452 ) » 453 . Il est vrai qu’une discipline scientifique dont la perspective est d’analyser les interactions sociales à l’œuvre dans le champ du religieux s’épargne toutes les critiques en ne tenant compte que du social. Mais en même temps elle perd tout moyen de distinguer les spécificités de son objet. Le religieux s’énonce avant tout dans une rencontre, qui devient alors le support des modalités d’interagir en présence de l’être divin.

Si les acteurs accordent une existence en situation à l’être divin, alors l’ethnologue se doit de prendre en considération aussi bien les constructions sociales qui prévalent à sa présence que l’autonomie que les acteurs lui accordent et qui en fait un interactant à part entière. Ce que par ailleurs la démarche constructiviste supposerait si nous allions jusqu’au bout des implications méthodologiques de ses positions théoriques. En effet, James A. Beckford déclare à propos de la stérilité des efforts déployés en vue de proposer une définition scientifique du terme de religion : « A better strategy is to map the varieties of meaning attributed to religion in social settings, to discern the relative frequency of the prevailing meanings and to monitor changes over time. In this way, the twin dangers of arbitrariness and narrow essentialism would be avoided. This strategy also offers the advantage of maintaining a close connection between everyday uses of the term ‘religion’ and the identification of religion as an object of social scientific study […]. I am not prepared simply to nominate a meaning for ‘religion’. On the contrary, I am advocating an approach that remains attentive to the uses that individual and collective actors make of the term » 454 . L’approche revendiquée par A. Beckford invite à considérer les usages que les acteurs font du terme de religion et à les envisager comme un matériau de travail, plutôt que de chercher à tout prix à proposer une définition scientifique du religieux qui ne parvient à emporter l’assentiment général. De la même façon, pourquoi ne serions-nous pas aussi attentifs aux usages que les acteurs font de la présence de Dieu, sans apporter aucune restriction à ces usages mais, bien au contraire, comme le suggère Albert Piette, en laissant être méthodologiquement l’être divin en situation ?

Que se passe-t-il si nous considérons Dieu comme interactant de la situation liturgique que nous rapportons en tête de cette partie ? Nous nous heurtons de prime abord à l’impossibilité de circonscrire précisément son mode d’existence : selon le discours des acteurs, Dieu est partout présent et en tout, mais plus particulièrement dans le sanctuaire et à certains moments, laissant émerger ça et là quelques « pics » de présence ; il est « déjà là » dès le début de l’office et pourtant sa présence est souhaitée et appelée tout au long de la célébration, construite dirons-nous. Sa présence semble donc diffuse, néanmoins elle se stabilise dans certains objets (icônes, reliques, autel) et va jusqu’à se substantiver dans l’eucharistie, autonome ajouterons-nous. Son mode d’existence est par conséquent « essentiellement » ambivalent, fluide, en constante circulation et recomposition. Il en va de même pour ses modalités d’action, qui contribuent aussi à rendre sa présence ambiguë car, finalement, Dieu n’agit qu’au travers de ses médiateurs. C’est à travers eux que sa parole est proclamée, c’est aussi à travers eux que son corps et son sang sont donnés. Si nous reprenons l’exemple de l’aër, c’est au travers des gestes et des prières des officiants que l’Esprit-Saint descend. L’action relève bien des prêtres, mais son efficacité n’appartient qu’à Dieu, c’est en cela que l’action est attribuée à Dieu et non plus aux officiants. Le dispositif rituel de mise en présence s’oriente petit à petit vers une présence qui ne doit plus rien aux hommes.

La présence de l’être divin devient donc, au fur et à mesure du déroulement de l’office, « réelle », c’est-à-dire, pour les acteurs, de plus en plus palpable jusqu’à devenir matérielle. Au début de l’office liturgique Dieu est déjà présent, mais en quelque sorte, il n’en montre rien. D’ailleurs la plupart des fidèles arrivent en cours d’office, témoignant par là-même d’une attention moindre envers ce qui s’y passe initialement. Nous observons de nombreux comportements latéraux : les jeux des enfants ne sont pas freinés par les adultes, les regards se perdent dans la contemplation des fresques, quelques discussions se font entendre, il y a beaucoup de déplacements. L’attention, loin d’être soutenue, est éparse et fluctuante. Puis Dieu devient de plus en plus présent : d’abord sa parole, puis sa chair et son sang. Parallèlement à l’intensification de la présence, le cadre du rituel se rigidifie progressivement : les acteurs semblent de moins en moins distraits, les jeux des enfants sont davantage contrôlés. Les acteurs s’apprêtent à vivre quelque chose d’important. Au « temps fort » du rituel, les acteurs paraissent fortement absorbés dans la situation. Chacun semble se concentrer sur ce qui se passe, mesurer ses ressentis, ruminer quelques pensées pour vivre cette situation de présence en lui-même. Mais là encore, l’absorption n’est pas totale, la ferveur des acteurs pourrait être qualifiée de « tiède ». Voire plus : il y a quelque chose de presque habituel dans leur comportement. Est-ce à dire que la présence de Dieu relèverait de l’ordinaire ? Bien entendu les acteurs rétorqueront que cette présence est toujours un événement. Mais voilà, c’est un événement qui a lieu tous les jours, certes de manière plus forte tous les dimanches et de manière encore plus forte tous les ans pour les grandes fêtes du calendrier liturgique. Mais c’est un événement auquel les acteurs sont habitués, même si une gradation cyclique permet de réaffirmer à chaque fois son caractère événementiel. Bien plus il n’y a, en quelque sorte, aucune « surprise », rien d’inattendu : chacun connaît le dénouement du rituel car Dieu y est toujours présent dans les mêmes manières aux mêmes moments.

Les comportements des acteurs envers sa présence soulèvent un curieux paradoxe : les acteurs semblent y croire modérément, en s’en convaincant continuellement mais sans que leurs comportements laissent à penser qu’ils en sont pleinement convaincus. Ils ne vivent pas quelque chose d’exceptionnel. Bien plus, certains moines nous confient parfois leur ennui au cours des offices très longs. Il n’est pas rare que nous notions certains témoignages de fatigue, voire de lassitude, même s’ils s’en gardent. A l’inverse, quand les offices leur semblent courts, c’est parce qu’ils sont « beaux », non parce qu’ils ont particulièrement éprouvé la présence de l’être divin. Un bel office, ce sont de beaux chants, une collaboration harmonieuse entre les officiants, un sermon pertinent, une qualité de recueillement, le sentiment d’une concordance entre ce qui est dit et ce qui est éprouvé intérieurement. Autant de modalités qui dépendent des acteurs eux-mêmes et non de Dieu. Quand les acteurs sont émus par les prières, ils sont émus par le dispositif de mise en présence de Dieu plus que par sa présence elle-même. Autrement dit, ils témoignent d’une capacité à s’émouvoir de la sincérité de leurs propres attentes envers la présence. La question que nous nous posons – à laquelle il nous semble néanmoins difficile d’apporter une réponse – est la suivante : les acteurs agiraient-ils de la même façon dans une situation de pleine présence ? Il y a fort à parier que non.

Un jour, alors que nous contemplions un reliquaire contenant un morceau de « la vraie croix » en compagnie d’un ami dominicain, celui-ci fit une remarque qu’il nous semble intéressant de rapporter ici : « je crois que, s’il s’agissait de la vraie croix, je serai capable de briser la vitre, de m’emparer du reliquaire et de partir avec en courant ». Est-ce à dire qu’il pensait que la relique en question était un faux ? Pas forcément, toujours est-il qu’il n’était pas non plus convaincu qu’il s’agissait là d’un authentique morceau de l’instrument de la Passion et de la Résurrection, objet central de la foi chrétienne. Autrement dit, s’il était pleinement convaincu de ce à quoi il croit, son comportement aurait été plus excessif. Bien entendu le commerce des fausses reliques au Moyen-Age est bien connu. Mais la distance dont il témoigne face à l’objet même de sa foi nous semble représentative de ce qu’il peut se passer dans la situation rituelle que nous rapportons. Il s’agit d’y croire sans en être convaincu.

Dans la situation liturgique que nous rapportons, les acteurs entrent en un lieu pour se mettre en présence de Dieu. Cette situation comporte pour les acteurs quelque chose de prodigieux : c’est tout de même d’une rencontre avec Dieu dont il s’agit ! Et pourtant rien dans les comportements que nous observons ne laisse penser que les acteurs se mettent réellement en présence de Dieu : n’ont-ils pas quelques appréhensions devant l’ampleur de cette rencontre ? Bien loin de l’exprimer, ils se dirigent machinalement vers les icônes pour les saluer en même temps qu’ils saluent d’autres acteurs, font des gestes approximatifs quand ils se signent, voire ne finissent pas toujours leurs métanies (par exemple ils ne vont pas jusqu’à toucher le sol en signe d’humilité mais se contentent de la moitié du parcours), ont des regards latéraux, semblent par moments plus attentifs aux menus intrigues qui accompagnent le déroulement du rituel (quelques hésitations dans l’enchaînement des chants par exemple, une partition que les chantres ne retrouvent pas, etc.) qu’au sens des textes proclamés, pensent à autre chose, etc. Et s’ils témoignent d’une certaine concentration, c’est bien souvent parce qu’ils sont davantage préoccupés par le bon déroulement de l’office (et par ce que peuvent en penser les hôtes illustres qui y assistent) que par la présence de Dieu. Bien entendu certains observent un recueillement prononcé. Mais ce recueillement n’est pas permanent et alterne avec des moments plus ou moins longs de relâchement.

Les acteurs organisent une rencontre avec Dieu avec une nonchalance déconcertante. Tout laisse à penser qu’ils font « bien » davantage parce qu’ils aiment ce qu’ils font que parce qu’ils se placent devant Dieu et courent par conséquent le risque de son jugement, comme le rappelle une fresque de l’archange Gabriel représentée sur le fronton d’une des entrées de la nef 455 . Bref, nous n’observons rien dans ces comportements qui permettrait de conclure à une totale adhésion des acteurs envers l’idée d’une « réelle » présence de Dieu. Ils y croient, c’est tout. Ce qui ne va pas sans nous rappeler les mots de Paul Veyne pour qui les croyances sont « de grandes choses qui existent en elles-mêmes, que chacun s’efforce de rejoindre et que personne ne vit pleinement » 456 . Autrement dit « de grandes choses » qui se vivent « petitement », sur un mode mineur. Ces grandes choses sont admises sans que les acteurs puissent en reconstruire la démonstration. Il s’agit en quelque sorte de choses objectives qui demeurent à bonne distance de l’expérience de chaque jour. Lui même se souvient d’une anecdote qu’il rapporte en ces termes : « Je ne sais où j’ai lu, ou rêvé, l’histoire d’un jeune ethnographe, parti étudier une tribu qui croyait, disait-on, que le monde s’écroulerait si les prêtres laissaient s’éteindre le feu sacré ; il supposait que ces prêtres étaient aussi angoissés que s’ils retenaient le détonateur d’une bombe atomique. Admis à jeter un coup d’œil dans le temple du feu, il aperçut de paisibles ecclésiastiques qui s’acquittaient d’une tâche de routine. La réalité est rarement emphatique » 457 . Le rite contribue à l’équilibre du cosmos 458 . C’est donc une action lourde de responsabilité à laquelle s’attèlent ces acteurs. Et pourtant, le rite est effectué avec une décontraction déroutante. Les acteurs accomplissent les rites en conservant un certain détachement vis-à-vis de la signification attribuée à leurs gestes et paroles. Ils y croient, mais sans la gravité qui devrait logiquement accompagner ces actions lourdes de sens. Est-ce à dire que, pour les acteurs, le rite ne contribue « pas vraiment » à l’ordre du monde et que Dieu n’est pas non plus « réellement » présent dans ce rite ? Rien n’est moins sûr.

Force est de constater que nous sommes loin d’une adéquation totale entre le comportement des acteurs et les significations qu’ils attribuent à leurs actions rituelles. Bien plus, ces comportements semblent quelquefois jeter un discrédit sur les capacités des acteurs à « y croire » de par les nombreux paradoxes qu’ils soulèvent : comment est-ce possible par exemple de saluer une icône machinalement, un peu par habitude, sans terminer ses gestes, si l’acteur est convaincu d’une « réelle présence » de l’entité représentée ? Il n’y croit pas vraiment, serions-nous tentés de conclure, sinon il agirait avec une ferveur autrement convaincante. « La réalité d’une croyance, écrit Paul Veyne, ne se mesure, ni à sa non-contradiction, ni aux applications pratiques qu’on en fait : la foi qui n’agit pas est souvent une foi sincère. On peut croire à une survie des défunts dans le tombeau, tout en constatant de ses yeux qu’ils ne sont que poussière ; on peut croire qu’ils continuent à se nourrir, sans tirer les conséquences matérielles de cette croyance (on ne renouvelle pas la nourriture sur la tombe, mais on la dépose une seule fois, le jour des funérailles) » 459 .

La croyance s’émancipe de tout critère de validité. Elle ne s’encombre pas d’hypothèses empiriquement vérifiables. En ce sens elle fonctionne comme le discours symbolique tel que l’entend Dan Sperber : « L’économie de l’erreur ne diffère pas essentiellement de celle de l’inférence valide. L’une et l’autre tendent à rendre compte d’un maximum de données au moyen d’un minimum d’hypothèses, et restent soumises à la réfutation de l’expérience ; l’effort intellectuel, qu’il aboutisse ou qu’il échoue, est rationnellement proportionné à sa fin qui est de connaissance. Le discours symbolique, au contraire, ignore cette économie, il ne retient de l’expérience qu’un minimum de fragments pour établir un maximum d’hypothèses, sans souci de les mettre à l’épreuve : si sa fin est de connaissance, alors l’effort intellectuel accompli est disproportionné et mal appliqué » 460 . Ainsi, la croyance assume ses contradictions. La concordance entre ce qu’elle propose et les données de l’expérience lui est indifférente, en premier lieu parce qu’elle se situe sur un autre plan : « Enfin, nous parlions de la contradiction entre la réalité du cadavre et la croyance en la survie des morts qu’il faut nourrir en leur tombe : la contradiction peut être vécue sans difficulté, pour la simple raison que l’expérience du cadavre est une « expérience », tandis que la croyance en l’au-delà est une chose bien plus élaborée, à savoir un esprit objectif ; or, comme les esprits objectifs sont toujours à distance, on ne souscrit à ses croyances qu’à moitié, par devoir et, à l’occasion, en en plaisantant » 461 . Croire à moitié c’est pratiquer sans certitude, admettre mollement une réalité qui échappe, parce qu’elle échappe. D’où les comportements latéraux, les relâchements, les prises de distance que nous observons en situation.

Si les acteurs de cette situation semblent interpréter leur rôle avec plus ou moins de conviction, avec plus ou moins de distance, c’est dans la mesure où Dieu n’y est pas « pleinement » présent. Malgré tout, les acteurs « croient » qu’il est présent. Loin d’être une certitude, le statut ambivalent de l’être divin devient la condition sine qua non de la foi 462 . C’est parce que Dieu n’est ni pleinement présent ni totalement absent qu’il génère chez les acteurs que nous rencontrons l’élan d’une attente, malgré toute l’évidence des conclusions empiriques. Cette attente se vit « à moitié » justement dans la mesure où, pour les acteurs, la réalité se situe au-delà des conclusions empiriques. Le rituel devient, à ce moment là, l’acte de parier, malgré tout, sur la présence. Indissociable de la foi, le comportement paradoxal de l’acteur vis-à-vis de la présence se comprend face au statut ambivalent d’un Dieu partagé entre la construction sociale et l’autonomie. Dieu n’est dans cette situation ni totalement présent ni véritablement absent, l’acteur à son tour n’est ni entièrement absorbé ni définitivement distant. Les deux sont plus ou moins là, accordant du crédit à l’interaction mais sans se révéler terrifiés devant l’éventualité de rater cette rencontre. C’est une rencontre sans enjeux.

Lundi 28 février 2005, chapelle du monastère Saint-Antoine-le-Grand, 6 heures. Quelques moines célèbrent l’Orthros dans la petite chapelle dédiée à saint Antoine. Le Père Côme et le Père Cyrille sont au chœur. Le Père Damien tient le rôle d’ecclesiastico. Ce matin, il n’y a pas de prêtre. Les moines ne célébreront donc pas la liturgie. Le Père Damien se charge d’encenser la chapelle à l’aide d’une petite cassolette* d’argent, ornée de clochettes, le grand encensoir étant l’apanage du prêtre. Depuis le sanctuaire, il prépare les charbons ardents sur lesquels il dispose quelques grains d’encens, puis, après avoir encensé l’autel, il investit le reste de la chapelle. Une fumée épaisse se dégage de la cassolette. Le Père Damien encense en direction de quelques icônes situées de part et d’autre des portes saintes, puis c’est au tour des saints représentés sur les fresques. Il se dirige ensuite vers le chœur qui se charge de chanter les prières de l’office du matin. D’un geste généreux il enfume abondamment les deux chantres. Habitué à l’espace de l’église, il semble avoir un peu forcé la dose pour encenser la surface beaucoup plus restreinte de la chapelle.

L’effet ne tarde pas : les voix des chantres, appliquées à réciter les psaumes des heures ordinaires, s’étranglent immédiatement. Imperturbable, le Père Damien continue l’encensement. Les chantres toussent de la manière la plus discrète possible, en se tournant légèrement en direction du mur. Après quelques raclements de gorge, ils essaient de reprendre leur chant, mais les voix n’y sont plus. Ils peinent à réciter quelques versets et les voix s’étranglent de nouveau. Rien à faire. Les deux chantres se regardent et éclatent de rire. Essayant de reprendre leur sérieux, ils s’attèlent de nouveau à la lecture des partitions. Mais l’esprit n’y est plus : au moindre déraillement de l’un, l’autre s’esclaffe de rire. Les moines ne témoignent d’aucune gêne, ni d’aucune exaspération devant ce léger désordre. Bien plus, ce petit dérapage est accueilli sur le mode de la dérision. Ils rient de bon cœur devant leur propre incapacité à tenir une solennité de circonstance. L’un d’eux ouvre une fenêtre pour remédier à cette fumée inhibitrice. Quelques regards complices sont échangés puis les chants reprennent progressivement, déclamés par des moines particulièrement souriants. Cet imprévu ne trouble nullement le cours ordinaire de l’office.

Un fou rire pendant l’office du matin : voilà une situation qui pourrait paraître incongrue dans le cadre d’une célébration monastique. Ce comportement semble inadéquat dans une telle situation. Pourquoi ? Tout simplement dans la mesure où il peut être jugé « décalé » par rapport à la solennité induite par le cadre rituel. Ce fou rire résulte d’un incident mineur (la surcharge des doses d’encens) mais qui va néanmoins provoquer une interruption des prières. Bien loin d’envisager cet incident comme une menace pour l’équilibre rituel, les acteurs en rient. De quoi rient-ils ? De leur propre incapacité à conserver une solennité de circonstance pour tenir le cadre rituel. Cette situation rituelle nous montre que si chaque acteur s’attache avec attention à la fonction qui lui est impartie, cette attention n’est pas pour autant une crispation dans la mesure où l’incident est toujours décevant mais pas irréparable. Bien plus, l’incident peut être traité avec un certain détachement qui semble insérer les acteurs dans une autre approche du rituel.

La plupart du temps, le rite est associé à une logique d’ordre – que la littérature anthropologique a par ailleurs largement exploitée – dans la mesure où il y trouve en premier lieu sa racine étymologique puisque les mots « rite » et « ordre » ont la même origine indo-européenne védique rta, arta. « C’est là, écrit Emile Benvéniste, une des notions cardinales de l’univers juridique et aussi religieux et moral des Indo-Européens : c’est l’ « Ordre » qui règle aussi bien l’ordonnance de l’univers, le mouvement des astres, la périodicité des saisons et des années, que les rapports des hommes et des dieux, enfin des hommes entre eux. Rien de ce qui touche à l’homme, au monde, n’échappe à l’empire de l’ « Ordre ». C’est donc le fondement tant religieux que moral de toute société ; sans ce principe, tout retournerait au chaos » 463 . L’ordre devrait caractériser les relations instaurées entre Dieu et les hommes.

Le rite viserait à ce moment là à préserver l’ordre et, par extension, à prévenir aussi tout élément de désordre dans les relations des hommes entre eux. C’est pourquoi il se retrouverait jusque dans les interactions sociales à propos desquelles Erving Goffman n’hésite pas à employer le terme de rite pour qualifier toutes les stratégies mises en œuvre afin de conserver la « face » : « Lorsque ceux qui participent à une entreprise ou à une rencontre ne parviennent pas à prévenir un événement qui, par ce qu’il exprime, est incompatible avec les valeurs sociales défendues, et sur lequel il est difficile de fermer les yeux, le plus fréquent est qu’ils reconnaissent cet événement en tant qu’incident – en tant que danger qui mérite une attention directe et officielle – et s’efforcent d’en réparer les effets. A ce moment, un ou plusieurs participants se trouvent ouvertement en déséquilibre, en disgrâce, et il leur faut essayer de rétablir entre eux un état rituel satisfaisant. J’emploie le terme rituel parce qu’il s’agit ici d’actes dont le comportement symbolique sert à montrer combien la personne agissante est digne de respect, ou combien elle estime que les autres en sont dignes. L’équilibre est une image adéquate, car la durée et l’intensité de l’effort de réparation s’ajustent exactement à la persistance et à la gravité du danger. La face est donc un objet sacré, et il s’ensuit que l’ordre expressif nécessaire à sa préservation est un ordre rituel » 464 . Si nous envisageons la relation entre les moines et Dieu comme un ensemble d’interactions, nous devrions pouvoir interpréter cette situation à la manière de Goffman, c’est-à-dire en terme d’équilibre.

Le rire sort bien entendu des cadres comportementaux qui constituent ordinairement la solennité des offices du matin. En ce sens, nous pouvons parler d’un incident, peut-être d’un désordre, dont il faut réduire le plus rapidement possible les effets pour le bon déroulement des prières. Mais voilà, tout dans le comportement des acteurs laisse présager une certaine distance vis-à-vis de la menace que pourrait constituer le rire pour l’équilibre rituel. Aucun geste de colère, pas de signe d’exaspération ni aucune gêne. Bien au contraire, face au trouble induit par l’encensement généreux de l’ecclesiastico et à l’incapacité de conduire la lecture des prières ordinaires, les acteurs traitent cet imprévu sur le mode de la dérision et semblent s’amuser de cette situation. Le cadrage des comportements issus de la situation rituelle se voile à un moment donné et laisse place à un autre contexte qui laisse envisager une certaine réserve des acteurs quant au contexte initial. Ce qui ne les empêche pas d’y croire. Le manquement aux normes rituelles n’est pas grave puisqu’il est traité sur le mode de la dérision. Pourquoi ? Ce n’est pas tout à fait comme si l’office mis en scène était la réalité, ce qui autorise, de fait, quelques « ratés ». Alors qu’ils affirment une présence réelle dans l’office, le comportement des acteurs laisse supposer une certaine distance vis-à-vis de l’énoncé rituel. Autrement dit, les acteurs font « comme si » Dieu était présent, sans risquer les conséquences qu’aurait sa présence réelle (physique).

Cet imprévu laisse entrevoir un deuxième niveau d’interprétation de l’action rituelle : ceci est un « jeu ». Les données du rituel sont recontextualisées sous un cadre ludique, tel que l’entend Gregory Bateson : « L’essence du jeu réside dans la dénégation partielle de la signification qu’aurait dans d’autres situations les actes du jeu » 465 . C’est bien ce qui semble se passer dans les deux situations d’offices que nous rapportons : ce qui est dit ou fait n’est pas à prendre littéralement car, si les acteurs se mettent en présence de Dieu, il n’en reste pas moins que la mise en scène rituelle de la présence ne dénote pas tout à fait la même chose que la réelle présence pour laquelle elle vaut. Dieu n’est pas présent dans le rituel car l’acteur ne court pas le risque inhérent à sa présence mais il n’est pas non plus absent car l’acteur ne peut pas non plus se permettre de ne pas prendre au sérieux ce qui se passe. Ces comportements ambivalents brouillent les pistes de la présence et insèrent le rituel dans un univers paradoxal : « En même temps qu’il exprime au moins implicitement la fictionnalité de ce qu’il dit et de ce qu’il fait, écrit Albert Piette, le prêtre affirme aussi, et sans doute à la différence du jeu sportif, son extrême importance. Les gens ont leurs raisons d’accorder leur confiance au prêtre dont ils reconnaissent la compétence particulière, et la place déterminante qu’il occupe dans la tradition de l’Eglise, etc. Dans le rituel religieux, ce n’est pas un Crétois qui dit que tous les Crétois sont des menteurs ; c’est un homme crédible qui ne peut dissimuler la fictionnalité de ses gestes et paroles, tout en se donnant du mal pour montrer leur importance… Mais sans éviter l’autonégation implicite, le rituel incite ainsi à l’interrogation nécessairement sans réponse : est-ce du sérieux ? ou est-ce du spectacle ? est-ce la réalité ? la fiction ? La réussite du rituel se trouve sans doute dans l’oscillation infinie entre ces questions. Aux gens de jouer ou de ne pas jouer le jeu proposé » 466 . Le rituel apparaît comme intrinsèquement ambivalent, oscillant entre la réalité et la représentation. Le jeu des acteurs s’y découvre sur fond d’écart par rapport à une norme idéale du rituel.

A considérer ce registre de l’ambivalence, nous ne pouvons que convoquer de nouveau les travaux de Victor Turner sur la liminalité 467 . Comme nous l’avons vu précédemment, Victor Turner s’est intéressé à l’entre-deux, qu’il développe notamment à partir du schéma proposé par Arnold Van Gennep sur les rites de passage 468 . Il retient surtout de ce schéma son étape centrale, la marge, et toutes les ambivalences qu’elle génère dans les comportements des acteurs qu’il comprend comme une recombinaison de la hiérarchie des statuts et valeurs du quotidien. Sa vision de l’entre-deux déplace l’opposition ordre/désordre sur le plan d’une relation contrastée entre un régime dûment structuré, différencié et hiérarchisé des liens sociaux et la communitas marquée par la communion d’individus égaux.

L’œuvre de Turner permet ainsi de distinguer les caractéristiques fondamentales de l’action rituelle dont la dimension ludique constitue l’axe central, comme le note Albert Piette : « Alors que le mode indicatif, celui de la relation pragmatique de cause à effet serait réservé au quotidien, c’est le mode subjonctif, du désir ou de la fantaisie, du comme si, du « peut » (ou « pourrait ») être qui caractérise l’espace-temps situé entre les deux de la liminalité. Même si ce subjonctif est aussi compatible avec la dimension sérieuse de la performance culturelle, le jeu en constitue un aspect prépondérant : libre recombinaison du quotidien, de sa hiérarchie, de ses valeurs ou statuts, éclatement de l’ordre linéaire du langage, construction de masques et costumes à partir d’éléments familiers, assemblés de nouvelle façon  469 . Ainsi cette perspective non seulement instaure d’emblée une différence entre la vie quotidienne et le rituel comme jeu fonctionnant sur une logique différente, mais aussi permet d’entrevoir un rapport dialectique (et non plus d’affrontement et de rupture) entre le quotidien et l’espace-temps liminal, celui-ci consistant en un processus de transformation partielle de comportements, messages et relations issus de celui-là » 470 .

Toutefois, même si elle prend en compte les comportements liminaux et l’écart qu’ils instaurent vis à vis d’un principe d’ordre, force est de constater que la logique intervallaire revient à penser leur position en terme de dissociation et souscrit en dernière instance, tout comme la logique contradictoire, au registre de l’ordre et de ses écarts : « La logique dialectique, insistant tantôt sur ce qui unit deux termes contraires, tantôt sur ce qui les oppose, participe d’un même processus à finalité simple de rupture ou de fusion. Les contradictions qu’elle met en valeur n’excluent pas, comme on l’a vu avec l’ambivalence, la cohérence et l’unité des contraires. C’est la même idée d’un système comme « quelque chose d’univoque » qui reste présente dans la logique binaire opposant ordre à désordre, comme si l’ordre n’était pas dans le désordre et inversement 471 […] » 472 .

Les choses sont plus mêlées, donc moins dissociables. C’est pourquoi, Albert Piette substitue à la logique intervallaire la logique paradoxale, davantage attentive à saisir la spécificité contextuelle de la liminalité : « Selon cette perspective, les rapports ordre-désordre et vie quotidienne-jeu glissent vers une autre formule et l’espace-temps du rite prend une nouvelle dimension : il n’est plus contre ou à côté du quotidien ; le rite est à la fois jeu et non-jeu tout autant que quotidien et non quotidien » 473 . Le rituel superpose deux niveaux différents d’interprétation de l’action : sitôt qu’un premier message est énoncé sous la forme suivante « ceci est la réalité », il est immédiatement suivi d’un « méta-message » le disqualifiant. Ce méta-message regroupe le rire, mais aussi tous les comportements latéraux que nous rapportons dans notre situation liturgique et qui témoignent d’une certaine distance de l’acteur vis-à-vis du rituel : les regards de côté, les gestes inachevés, les petites discussions, toute sorte de distractions qui montrent que les acteurs ne sont pas dans une absorption totale dans leur rencontre avec l’être divin. Ils sont plus ou moins là parce que l’être divin est, lui aussi, plus ou moins là. Cette superposition de deux niveaux d’interprétation est à même d’éclairer le comportement ambivalent des acteurs vis-à-vis d’une présence à la fois autonome et construite de l’être divin, d’une présence réelle et d’une présence moins réelle, d’une rencontre extraordinaire vécue sur un mode mineur, d’un événement répété quotidiennement.

Notes
434.

Au cours de nos premières observations, à l’affût d’observations signifiantes, nous faisions remarquer à notre informateur l’écrasante majorité de femmes autour de nous, et lui de nous préciser : « c’est normal, nous sommes dans l’espace qui leur est réservé ! ».

435.

En ce sens, l’espace du sanctuaire interagit avec la nef.

436.

Le terme « église » vient du grec ekklesia qui signifie « assemblée ». L’église est considérée comme la représentation architecturale de l’Eglise, « corps » du Christ et assemblée des chrétiens. Les fresques de la nef représentent cette assemblée : nous pouvons y voir sur le mur de droite les saints et sur le mur de gauche les saintes de l’Eglise, aux pieds desquels les stalles contiennent les saints actuels ou à venir, matérialisant cette présence du corps du Christ.

437.

Lors des agrypnies ou des fêtes importantes, il n’est pas rare que certains fidèles investissent en partie les stalles d’ordinaire réservées aux moines ou aux hôtes de passage membres du clergé orthodoxe (notamment les stalles situées dans la travée de gauche).

438.

Rappelons ici l’origine étymologique du terme de « liturgie » qui proviendrait du grec leitourgia, composé de leitos (« public ») et ergon (« œuvre ») et désignait à Athènes « un service public coûteux rendu en faveur du peuple par les classes les plus riches de la cité », Claude RIVIERE (1997) Socio-anthropologie des religions, Armand Colin, p.81. Sur le don, voir Jean-Noël DUMONT (dir.) (2001) Le don, Théologie, Philosophie, Psychologie, Sociologie, Actes du colloque interdisciplinaire tenu à Lyon les 24-25 novembre 2001), Le Collège supérieur.

439.

Claude RIVIERE (1997) op. cit., p.81. Nous pouvons nous poser la question de la pertinence d’une telle définition en ce qui concerne les rites dits « profanes » qui, par absence de configuration mythique et de référence explicite à la transcendance se démarquent de la sphère religieuse. Quoi qu’il en soit, il est toujours question d’agir sur le monde comme le rappelle Pierre Smith : « Les procédures rituelles sont plus paradoxales que significatives car le rite se propose d’accomplir une tâche et de produire un effet en jouant de certaines pratiques pour capturer la pensée, menée ainsi à « y croire », plutôt qu’à en analyser le sens », Pierre SMITH (1991) « Rite » in Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Presses Universitaires de France, p. 630. Nous n’énumèrerons pas dans ce travail la liste exhaustive des nombreuses théories anthropologiques sur le rite car une telle liste n’aurait comme effet que de noyer notre propos qui par ailleurs se situe sur un autre plan, non pas celui du rite mais celui des interactions (non seulement sociales mais aussi transcendantales) dans un contexte rituel.

440.

Ce qui en fait un énoncé symbolique. A ce sujet, voir Dan SPERBER (1974) Le symbolisme en général, Hermann.

441.

Marcel MAUSS (2003) op. cit., p. 12. C’est l’auteur qui souligne.

442.

John Langshaw AUSTIN (1962) How to do things with words, Oxford University Press, traduit de l’anglais par Gilles LANE (1970) Quand dire, c’est faire, Editions du Seuil.

443.

François-André ISAMBERT (1979) Rite et efficacité symbolique. Essai d’anthropologie sociologique, Les Editions du Cerf, p. 87. C’est l’auteur qui souligne.

444.

François-André ISAMBERT (1979) op. cit., p.88.

445.

L’écriture choisie par Bruno Latour rend compte de cette ambivalence entre à la fois ce qui est construit et ce que personne n’a fabriqué.

446.

Bruno LATOUR (1996) Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Synthélabo, p. 67.

447.

Albert PIETTE (1999) op. cit., p. 59.

448.

Danièle HERVIEU-LEGER (1997) « De l’utopie à la tradition : retour sur une trajectoire de recherche » in Yves LAMBERT, GUY MICHELAT, Albert PIETTE, Le religieux des sociologues. Trajectoires personnelles et débats scientifiques, Actes du Colloque de l’Association française de sociologie religieuse, Paris 3-4 février 1997, L’Harmattan, p. 22.

449.

Jean-Paul WILLAIME (1997) « La construction des liens socio-religieux : essai de typologie à partir des modes de médiation du charisme » in Le religieux des sociologues, op. cit., p. 102. C’est l’auteur qui souligne. Jean-Paul Willaime se situe ici dans la lignée des conceptions weberiennes sur le charisme. Mais l’orientation de Willaime ne s’applique pas spécifiquement au religieux, c’est d’ailleurs ce que lui reproche Pierre Bréchon : « Même si Jean-Paul Willaime n’applique sa définition et sa typologie qu’à des groupes religieux institués, je ne vois pas ce qui empêche d’utiliser cette définition pour la plupart des partis politiques, qui s’appuient sur des porteurs de charismes et dont les fidèles se reconnaissent dans la filiation des maîtres (qu’il s’agisse pour la France de de Gaulle, de Jean Jaurès, de François Mitterrand ou de Jean Monnet) », Pierre BRECHON (1997) « Variations conclusives : de l’itinéraire à la pratique » in Le religieux des sociologues, op. cit., p. 252.

450.

James A. BECKFORD (2003) Social Theory and Religion, Cambridge University Press, p. 2.

451.

Albert PIETTE (1999) op. cit., pp. 55-56.

452.

…mais ne le fait pas pour le Dieu chrétien ! Accorder un statut ethnographique au Dieu chrétien semble entrer dans une totale dissonance avec les sciences sociales françaises qui se sont construites en rupture avec le discours théologique. Le Dieu chrétien n’est pas suffisamment « autre » pour garantir l’objectivité du chercheur et semble de ce fait bénéficier d’un traitement particulier (à savoir celui d’un athéisme méthodologique radical) dans l’anthropologie des faits religieux.

453.

Elisabeth CLAVERIE (1990) « La Vierge, le désordre, la critique » in Terrain, 14, mars 1990, p.64.

454.

James A. BECKFORD (2003) op. cit., pp.20-21.

455.

L’archange Gabriel tient un rouleau sur lequel nous pouvons lire : « D’une main agile je note les dispositions de ceux qui entrent en ce lieu ».

456.

Paul VEYNE (1988) op. cit., p.20.

457.

Paul VEYNE (1988) op. cit., p. 3.

458.

A ce sujet, il nous fût rapporté que les prières des moines contribuent à maintenir le monde, qui sans un minimum de piété (le nombre des justes priants est fixé à trente) sombrerait dans le chaos.

459.

Paul VEYNE (1988) op. cit., p. 18.

460.

Dan SPERBER (1974) op. cit., p. 16.

461.

Paul VEYNE (1988) op. cit., p.22.

462.

Ce terme provient du latin fides, « confiance ». A ce titre, Paul Veyne souligne que la modalité de croyance la plus répandue est celle où l’acteur croit « sur la foi d’autrui ». Le croyant accorde du crédit à la parole d’autrui en qui il a confiance (du fait, par exemple qu’il ne trouve pas l’intérêt que pourrait avoir autrui à le tromper). Nous pouvons donc supposer que la foi en Dieu se construit à ce moment là autour de la confiance accordée à ce qu’énonce l’Eglise, au travers de ses représentants actuels, sur Dieu. Paul VEYNE (1983) « Répartition sociale du savoir et modalités de croyance » in Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Seuil, pp.39-51.

463.

Emile BENVENISTE (1969) Le vocabulaire des institutions indo-européennes, tome 2, Les éditions de Minuit, pp.100-101.

464.

Erving GOFFMAN (1974) op. cit., pp.20-21.

465.

Gregory BATESON (1988) La nature et la pensée, Le Seuil, p. 133. Sur le double niveau de l’interprétation rituelle, voir aussi Albert PIETTE (1988) « Quand faire, ce n’est pas vraiment dire ou le jeu rituel » in Revue de l’Institut de Sociologie, 3-4.

466.

Albert PIETTE (2005) « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains », Terrain, 29 – Vivre le temps (septembre 1997), [En ligne], mis en ligne le 30 août 2005. URL : http://terrain.revues.org/document3261.html . Consulté le 8 février 2007. p.6 sur 22.

467.

Victor TURNER (1990) op. cit.

468.

Arnold VAN GENNEP (1943) op. cit.

469.

Victor TURNER (1982) From Ritual to Theatre, PAJ Publications, pp. 84-86.

470.

Albert PIETTE (1992) op. cit.

471.

A ce sujet voir Georges BALANDIER (1998) op. cit.

472.

Albert PIETTE (1992) op. cit., p.176.

473.

Albert PIETTE (1992) op. cit., pp.176-177.