Annexe 10. Extraits d’apophtegmes des pères du désert

Source : www.missa.org/apophtegmes.php

Sur la parole du geronda  :

Des frères ont des laïcs avec eux. Ils viennent trouver Abba* Félix et ils le supplient : « Dis-nous une parole ». Mais l'ancien garde le silence. Ils le supplient longtemps.

Alors, Abba Félix leur dit : « Vous voulez entendre une parole ? ». Ils disent : « Oui, Abba ». L'ancien leur dit : « Maintenant il n'y a plus de parole. Avant les frères posaient des questions aux anciens et ils faisaient ce que les anciens disaient. A ce moment-là, Dieu montrait comment parler. Mais maintenant, ils posent des questions et ils ne font pas ce qu'ils entendent. Alors Dieu a enlevé aux anciens le don de la parole, et ils ne trouvent plus quoi dire, parce qu'il n'y a plus de travailleurs ». En entendant ces paroles, les frères gémirent et ils lui dirent : « Prie pour nous, Abba ! »

Sur l’obéissance au geronda  :

Un frère trouva dans le désert un lieu retiré et tranquille. Il supplia son Abba en ces termes : « Ordonne-moi d'habiter là et j'espère qu'avec la grâce de Dieu et tes prières, je m'y mortifierai beaucoup ». Mais son Abba ne le lui permit pas : « Je sais bien que tu te mortifierais beaucoup ; mais parce que tu n'aurais pas d'ancien, tu aurais confiance en tes oeuvres, persuadé qu'elles plaisent à Dieu, et par cette confiance que tu aurais de faire oeuvre de moine, tu perdrais ta peine et ta raison ».

On racontait ceci sur Jean le Petit : il s'était retiré chez un ancien originaire de Thèbes, à Scété, qui demeurait dans le désert. Un jour, son Abba prend un bois sec, il le plante et il dit à Jean : « Arrose-le tous les jours avec un pot d'eau jusqu'à ce qu'il donne des fruits ». Or l'eau était si loin que Jean partait le soir et ne revenait qu'au matin. Trois ans plus tard, ce bois se mit à reprendre vie et à donner des fruits. Alors l'ancien prend un fruit. Il le porte à l'église où les frères se rassemblaient, et dit aux frères : « Prenez et mangez le fruit de l'obéissance ».

Sur la juste mesure :

Abba Abraham va voir Abba Arès. Ils sont assis ensemble. Un frère arrive chez l'ancien ; il lui dit : « Dis-moi ce que je dois faire pour être sauvé ». Abba Arès répond : « Va. Pendant toute cette année, mange seulement du pain et du sel, le soir. Puis reviens ici et je te parlerai ».
Le moine s'en va et il fait cela. A la fin de l'année, il revient chez Abba Arès. Abba Abraham est encore là, par hasard. L'ancien dit de nouveau au frère : « Va, jeûne encore toute cette année, un jour sur deux ». Après le départ du frère, Abba Abraham dit à Abba Arès : « Tu conseilles à tous les frères une charge légère. Mais à celui-là tu imposes une charge lourde. Pourquoi donc ? L'ancien lui répond : « Ma parole dépend de ce que les frères viennent chercher. Ce frère est un homme courageux. Il vient entendre une parole à cause de Dieu. Et il obéit avec joie. C'est pourquoi, moi aussi, je lui dis la parole de Dieu ».

Sur l’humilité :

Un jour, des anciens viennent voir Abba Antoine. Abba Joseph est avec eux. Abba Antoine veut les mettre à l'épreuve. Alors il leur donne une parole de la Bible.
Abba Antoine interroge d'abord les plus jeunes. Il leur demande : « Que veut dire cette parole ? » Chacun explique le mieux possible. Mais Abba Antoine dit à chacun : « Non, tu n'as pas trouvé ». Abba Joseph est le dernier qui doit répondre ; l'ancien lui dit : « Et toi, Abba Joseph, comment expliques-tu cette parole de la Bible ? » Il répond : « Je ne sais pas ». Alors Abba Antoine dit : « Vraiment, Abba Joseph a trouvé le vrai chemin. En effet, il a dit : « Je ne sais pas ».

Sur la durée de l’épreuve :

Un frère interrogea un ancien : « Comment se fait-il que mon âme désire pleurer comme les anciens, et que les larmes ne viennent pas, alors que mon âme est affligée ? » L'ancien lui dit : « C'est au bout de quarante ans que les fils d'Israël sont entrés dans la Terre promise. Si tu arrives à y entrer, tu n'auras plus de combat à livrer. Car Dieu veut que l'âme soit tourmentée, afin qu'elle désire toujours entrer dans cette terre ».

Abba Synclétique dit : « Au début, ceux qui s'approchent de Dieu luttent et se fatiguent beaucoup. Ensuite ils connaissent une joie qu'on ne peut dire. En effet, ceux qui allument du feu sont d'abord dans la fumée et ils pleurent. Par ce moyen, ils obtiennent ce qu'ils cherchent. En effet, dans la Bible on lit : « Notre Dieu est un feu brûlant" (Hébreux 12, 29). De la même façon, nous devons, nous aussi, allumer en nous le feu de Dieu, avec des larmes et des peines ».

Sur le retranchement :

Un jour, L'archevêque Théophile et un notable viennent voir Abba Arsène. Théophile pose des questions à l'ancien. Il veut entendre des paroles de sa bouche. Après un petit moment de silence, l'ancien lui répond : « Ce que je vais vous dire, est-ce que vous allez le faire ? », « Nous te le promettons », répondent-ils. Alors l'ancien leur dit : « Quand on vous dira : Arsène est là-bas, eh bien n'y allez pas ».

Abba Marc dit à Abba Arsène : « Pourquoi est-ce que tu pars loin de nous ? ». L'ancien lui répond : « Ah ! je vous aime, Dieu le sait bien ! Mais je ne peux pas vivre avec Dieu et les hommes. Des millions et des millions d'anges n'ont qu'un seul désir, les hommes en ont beaucoup. C'est pourquoi je ne peux pas abandonner Dieu pour venir avec les hommes ».

Sur le silence :

Un jour qu'Abba Isaac était assis chez l'Abba Poémen, on entendit le cri d'un coq. Il lui dit : « Il y a donc cela ici, Abba ? ». Le vieillard lui dit : « Isaac, pourquoi me forcer à parler ? Toi et tes semblables, vous entendez cela. Mais celui qui est vigilant n'en a nul souci »

Sur le travail :

Un frère se rendit chez Abba Sylvain, au mont Sinaï, et voyant les frères travailler, il dit au vieillard : « Ne travaillez pas pour la nourriture périssable ; Marie, en effet, a choisi la meilleure part ». Le vieillard dit à son disciple : « Zacharie, donne au frère un livre, et mets-le dans une cellule où il n'y a rien ». Quand donc fut venue la neuvième heure, le frère tenait les yeux fixés sur la porte pour voir si l'on ne viendrait pas le chercher pour manger. Mais comme personne ne l'appelait, il se leva, alla trouver le vieillard et lui dit : « Les frères n'ont-ils pas mangé aujourd'hui, abbé ? ». Le vieillard lui dit : « Si, mais toi, tu es un homme spirituel et tu n'as pas besoin de cette nourriture charnelle. Nous autres qui sommes charnels, nous tenons à manger, et pour cela, nous travaillons. Toi, tu as choisi la meilleure part : tu lis toute la journée et tu ne veux pas manger de nourriture charnelle ». Ayant entendu ces paroles, le frère fit une métanie en disant : « Pardonne-moi, abbé ». Le vieillard lui dit : « Assurément, Marie elle-même a besoin de Marthe, et c'est en effet, grâce à Marthe que Marie a été louée ».

Sur la prière :

Des frères firent le récit suivant : Nous étions un jour chez des anciens, et, selon la coutume, nous nous asseyons. Après avoir causé, nous voulons partir et demandons à faire la prière. Et l'un des anciens dit : « Quoi, vous n'avez donc pas prié ? ». Et nous répondons : « Abba, en arrivant, il y a eu la prière ; mais jusqu'à présent, nous avons parlé ». L'ancien dit : « Pardonnez-moi, frères, mais il y a un frère assis avec vous et parlant, qui a fait cent trois prières ». Et après avoir dit cela, ils firent la prière et nous sommes partis.

Sur la vie communautaire :

Deux anciens demeuraient ensemble depuis de nombreuses années, et jamais ils ne s'étaient battus. Le premier dit à l'autre : « Faisons, nous aussi, une bataille pour faire comme tous les autres hommes ». L'autre répondit : « Je ne sais pas comment on fait une bataille ». Le premier dit : « Vois, je vais mettre au milieu une brique et je vais dire qu'elle est à moi ; toi, tu diras : « Non elle est à moi », et ainsi commencera la bataille ». Ils mirent donc une brique au milieu d'eux, et le premier dit : « Cette brique est à moi ». Et l'autre dit : « Non, elle est à moi ». Et le premier reprit : « Si elle est à toi, prends-la et va-t-en ». Et ils se retirèrent sans avoir réussi à se disputer.