2.1.2. Combinaison contraintes/règles

Il existe un autre moyen de conceptualiser les alternances régulières dans la forme phonologique. Il s’agit de poser des contraintes universelles qui permettent à certains phénomènes de se réaliser et à d’autres d’être interdits. Les contraintes sont établies, entre autres, par les recherches en typologie qui se sont développées à partir de la deuxième moitié du XXème siècle. Ces contraintes seraient donc présentes dans toutes les langues. Par exemple, Greenberg, (1978) a proposé l’observation suivante : aucun mot ne peut se terminer par une suite consonne non voisée - occlusive voisée.

Quand un mot enfreint une telle contrainte, il est impossible, il n’existe pas. Posons que la représentation sous-jacente du prétérit de l’anglais (-ed) est /d/. Un verbe comme /wɑk/ donnerait au prétérit /wɑk+d/  *[wɑkd]. Or, ceci est impossible d’après la contrainte posée, il faut alors faire appel à des règles nommées stratégies de réparation pour résoudre le problème (Paradis 1993). Les mots mal formés, comme c’est le cas dans cet exemple, subissent une stratégie de réparation afin de devenir bien formés.

Dans cette approche, les règles ne sont plus entièrement arbitraires. Elles sont motivées par la malformation d’un mot que le locuteur doit prononcer malgré tout. Toutefois, il existe encore une certaine dose d’arbitraire. Le choix d’une règle de réparation peut varier. *[wɑkd] peut être réparé en dévoisant le [d], en insérant un schwa entre le [k] et le [d], en supprimant soit le [d] soit le [t].

Chaque langue choisira sa propre stratégie de réparation pour la même contrainte rencontrée. Mais l’explication du choix de la stratégie de réparation adoptée n’est pas claire. De plus, si on applique cette approche à l’enfant, cela nous amène à un paradoxe. L’enfant, disposant d’un système plus limité, fait face à un ensemble plus grand de contraintes. Ceci implique que pour chaque mot prononcé, un nombre important de stratégies de réparation doivent se mettre à l’œuvre.

Bien que cette approche soit plus satisfaisante que l’approche par règles puisqu’elle justifie la présence de règles, elle pose néanmoins quelques problèmes non négligeables. Une charge cognitive importante de l’enfant doit être impliquée dans chaque mot que l’enfant prononce afin d’en réparer la malformation. De plus, l’arbitraire n’est pas encore totalement absent de cette approche. Les règles posent donc des problèmes qu’elles soient utilisées seules ou avec des contraintes. Seul un système sans règles pourrait éviter ceux-ci, comme le soutient Tranel (2000 : 47) :

‘"On ne peut qu’être surpris par l’existence des règles, puisque la grammaire serait beaucoup plus simple et par conséquent préférable sans aucune règle ne modifiant les représentations sous-jacentes."’