2.3.7. La syllabe et sa structure

Dans ce travail, j’opterai pour une version de la structure de la syllabe qui présente une organisation interne et non une simple structure plate. Cette version est dans la droite ligne des propositions émises par exemple, par Pike et Pike (1947), Fudge (1969), Halle et Vergnaud (1978), McCarthy (1979), et Selkirk (1982) entre autres. 5 Bien que toutes ces propositions varient dans les détails, ils reconnaissent généralement l’existence d’une organisation hiérarchique pour les constituants de la syllabe dont une possible représentation est donnée en (12). Cette représentation de la syllabe (en (12)) sera celle utilisée dans la suite de ce travail. La syllabe comprend donc, d’après (12), un constituant qui représente la tête de la structure syllabe : la rime, et un constituant qui représente un élément non tête (ou dépendant) : l’attaque. La rime domine un autre constituant, le noyau. Le segment qui est syllabé à l’intérieur de ce dernier constituant représente la tête de la syllabe (généralement ce segment est une voyelle ; il peut aussi être une consonne syllabique dans des langues comme l’anglais). Dans cette représentation, seul le noyau est obligatoire, puisqu’il est l’élément tête. L’attaque est facultative pour la plupart des langues du monde (les parenthèses pour l’attaque indiquent que ce constituant est facultatif (optionnel)).

(12) Structure de la syllabe

Dans la plupart des propositions mentionnées ci-avant, la rime domine non pas un mais deux constituants prosodiques : le noyau et la coda. Dans ce travail, je ne considérerai pas la coda comme un constituant de plein droit de la syllabe. Je reprends en cela la proposition de Kaye (1990) et Kaye, Lowenstamm et Vergnaud (1990). Les consonnes dites en position de coda sont par conséquent syllabées comme des consonnes post-nucléaires associées directement à la rime, c’est-à-dire en position de dépendance. Je décrirai plus en détail ce cas en section .

Les syllabes sans attaque sont relativement plus marquées que les syllabes présentant une attaque. Ce constat se base essentiellement sur deux faits issus d’une part de la typologie et d’autre part du domaine de l’acquisition du langage. En ce qui concerne la typologie, Clements et Keyser (1983), Prince et Smolensky (1993) et Blevins (1995 : 217), qui développent les idées de Jakobson (1962), signalent que, alors que toutes les langues décrites jusqu’à présent comportent des syllabes du type CV, certaines langues ne comportent pas de type de syllabes sans attaque comme par exemple V ou VC. Ce travail de typologie a été approfondi par Rousset (2004), qui a notamment montré que si une langue possède à la fois le type syllabique avec consonne initiale et le type syllabique sans consonne à l’initiale comme le français, alors elle a une nette préférence pour l’utilisation de syllabes avec consonne à l’initiale. En acquisition, Fikkert (1994 : 57-58) constate que de nombreux enfants néerlandais produisent uniquement des syllabes CV avant de produire des syllabes avec voyelles initiales. Selkirk (1982, 1984) propose à partir de ces observations un principe de maximisation de l’attaque (« Maximal Onset Principle »), souvent repris en phonologie, indiquant que l’attaque à une ascendance sur la position de coda en ce qui concerne la syllabation d’une consonne. Ce principe permet ainsi de déterminer les frontières syllabiques. Par exemple, d’après ce principe, un mot de la forme VCV comme épi [epi] est syllabé V.CV (le point marque une frontière syllabique) et non pas VC.V.

De plus, ce principe permet d’encoder une tendance généralement observée pour les groupements consonantiques tautosyllabiques à apparaître de préférence en attaque. Notons cependant que cette tendance peut avoir une base phonétique. Des contraintes liées à l’articulation peuvent être mises en avant. Par exemple, la phase d’abaissement étant plus longue que la phase de remontée, dans le cycle mandibulaire, elle laisserait plus de place à l’articulation consonantique en position initiale de syllabe (Redford 1999). La prédominance des types de syllabe avec consonnes initiales sur celles avec voyelles initiales peut enfin être liée aux résultats obtenus en perception sur la stabilité des structures CV et VC (Tuller et Kelso 1990, 1991), ainsi qu’aux études portant sur la reconnaissance des types syllabiques par des nouveau-nés (Bijeljac-Babic et al. 1993, Bertoncini et al. 1995, Ooijen et al. 1997, Mattys et Jusczyk 2001). Ces travaux montrent que les structures syllabiques possédant une attaque sont perçues plus rapidement et de manière plus stable chez l’adulte, alors que la segmentation de structures syllabiques sans attaque est plus lente et plus aléatoire dans une tâche de perception.

Dans les prochaines sections, je discuterai de manière détaillée des trois constituants qui composent la syllabe, c’est-à-dire, l’attaque, la rime et le noyau. Je présenterai également les possibles relations qui ont lieu entre ces constituants.