2.3.7.3. La représentation du [s] dans les groupes consonantiques #sC

Comme nous l’avons vu en début de section, l’attaque d’une syllabe en français sera considérée comme étant composée d’une obstruante suivie d’une liquide. Ceci est illustré par le schéma en (17).

(17) Composition de l’attaque en français

En plus de ces attaques, le français permet aussi les suites sC (où « C » représente une consonne) comme pour le mot spectacle [spɛktakl]. La question de la syllabation d’une telle séquence est plus controversée. Tout d’abord, il faut noter que le besoin d’une structure différente pour ce type de séquence nous est fourni par les données typologiques recueillies jusqu’à présent (voir Goad et Rose 2004 pour un survol de la littérature sur le sujet). En effet, la présence ou l’absence de séquence #sC est indépendante de la présence ou absence de séquences #Obs+Liq, c’est-à-dire d’attaques branchantes typiques, comme le montre le tableau (18) adapté de Goad et Rose (2004).

(18) Indépendance de la présence des séquences #Obs+Liq et #sC en typologie

La comparaison de l’espagnol avec l’acoma (Miller 1965) montre qu’une langue peut comporter une de ces deux séquences sans posséder l’autre. En comparaison, le français, tout comme l’anglais, permet ces deux types de séquences.

Un autre argument en faveur d’un statut particulier pour le [s] dans ce type de groupes consonantiques provient de l’échelle de sonorité. Ainsi, une syllabe, pour être bien formée, doit présenter une sonorité montante jusqu’à la voyelle puis une décroissance de celle-ci par la suite (Clements 1990). Les groupes consonantiques du type #s+Obs dérogent à cette définition de la syllabe.

Plusieurs approches ont donc été proposées afin de rendre compte du statut particulier du [s] dans cette position. Il a ainsi été proposé en phonologie CVCV (Scheer 2004), aussi dénommée théorie latérale de la phonologie, que le [s] soit dans cette position une attaque de noyau vide précédée d’une position attaque et noyau vide (tout comme les autres consonnes en première position d’attaques branchantes). Kaye (1992) propose, quant à lui, que ce [s] fasse partie de la rime d’une syllabe à noyau vide. Enfin, d’autres chercheurs proposent que cette séquence #s+Obs soit considérée comme un segment complexe (p. ex. Fudge 1969, Ewen 1982, Selkirk 1982, Wiese 1996). En ce qui concerne les données qui nous concerne, j’assumerai la représentation illustrée en (19) et partagée par un grand nombre de chercheurs (p. ex. Vennemann 1982, Van der Hulst 1984, Steriade 1982, Fikkert 1994, Kenstowicz 1994, Goad et Rose 2004). Selon cette représentation, [s] est syllabé en position d’appendice initial, et donc légitimé en dehors de l’attaque, directement par le mot prosodique.

(19) Syllabation des séquences #sC en français

En plus de l’aspect particulier de cette représentation, la question de l’acquisition de cette représentation par les enfants se pose tout particulièrement pour les séquences du type #s+Liq, où la contrainte de sonorité n’est pas enfreinte. Cette séquence peut donc constituer, pour les enfants acquérant une langue contenant cette séquence, une attaque branchante valide. Une analyse translinguistique détaillée de cette acquisition chez des enfants anglais, néerlandais et allemands a été conduite par Goad et Rose (2004). En français, la question de l’acquisition des séquences #s+Liq ne se pose pas dans les mêmes termes puisque les mots comportant ce type de séquence y sont très peu nombreux, d’un emploi peu fréquent et dans leur grande majorité issus d’emprunts (p. ex. : slalom, slave, slow…). J’assumerai donc, pour le français, la représentation exposée en (19) avec comme prédiction, en accord avec les principes énoncés dans les sections précédentes, le fait que dans le cas d’une réduction seule la tête est conservée. Par conséquent, un mot comme ski [ski] devrait être produit [ki] à un stade précoce.