2.3.7.6. Attaque de syllabe à noyau vide et spécificité du français

Comme nous l’avons vu, en français, les consonnes en finale de mot sont incorporées à une attaque de syllabe à noyau vide (du moins pour la langue adulte). Ces consonnes ne peuvent faire partie de la syllabe accentuée puisque celle-ci pour être accentuée doit avoir un noyau pleinement réalisé. Elle ne fait donc pas non plus partie de la tête du pied. En français, comme nous l’avons vu en (9), le pied a sa tête à droite, ce qui contraste avec l’anglais dont la tête du pied est à gauche. Ainsi pour un mot CVCV, qui ne contient donc pas d’attaque de syllabe à noyau vide, la tête se situe sur la deuxième syllabe en français alors que pour l’anglais, la tête est située sur la première syllabe, comme l’illustre les représentations prosodiques de chacune de ces deux langues en (26).

(26) Structure prosodique de mots CVCV en français et en anglais

Les mots CVC, quant à eux, comportent également deux syllabes puisque la dernière consonne est intégrée à une attaque de syllabe à noyau vide. Ces mots CVC sont donc en réalité des mots CVC∅. Par conséquent, la représentation de la structure prosodique de l’anglais ne diffère pas pour ces types de mots de ceux de type CVCV. La tête du pied est portée par la première syllabe dans les deux cas, l’attaque de la deuxième syllabe intégrant automatiquement ce pied en position dépendante. En français, par contre, comme nous l’avons vu, l’accent porte sur la dernière syllabe pleinement réalisée. Le pied ayant la tête à droite, les seules consonnes qui pourraient intégrer ce pied sont celles qui se trouvent avant la consonne de la syllabe accentuée pleinement réalisée. D’après ces constatations, explicitées dans Charette (1991) et Rose (2000), la dernière consonne des mots CVC∅ ne fait donc pas partie du pied. Cette consonne fait partie d’une syllabe dite dégénérée. Afin d’être réalisée phonétiquement cette syllabe est ancrée au reste de la structure prosodique au niveau du mot prosodique. Cette position rejoint celle de Charette (1991) qui propose que les syllabes n’incorporant pas un pied soient ancrées au mot prosodique. Les représentations des structures prosodiques du français et de l’anglais pour les mots CVC∅ sont illustrées en (27).

(27) Structure prosodique des mots CVC∅ en français et en anglais (Rose 2000)

Comme nous le verrons, cette spécificité du français par rapport aux langues possédant un pied accentuel avec tête à gauche comme l’anglais permettra de rendre compte en partie de certains patrons d’harmonies observées chez Marilyn. Cette spécificité implique des patrons d’harmonies consonantiques différents entre l’anglais et le français quand le domaine où s’applique cette harmonie est le pied. Dans ce cas, le français harmonisera le mot entier dans le cas de mot du type CVCV alors qu’il n’harmonisera pas dans le cas de mot CVC∅ puisque la dernière syllabe ne fait pas partie du pied. Par contre en anglais, les deux types de mots, CVCV et CVC∅, seront harmonisés puisque dans les deux cas, les deux consonnes du mot font partie du pied.

Cette dernière section clôt la présentation de la représentation segmentale et prosodique que j’adopterai tout au long de ce travail. Dans la prochaine section, j’introduirai la théorie basée sur les contraintes que j’utiliserai pour mes analyses. Je présenterai également les contraintes auxquelles je ferai appel durant cette analyse.