3.1. Le conduit vocal de l’enfant

Comparativement à l’adulte, l’enfant est muni d’un conduit vocal dont la configuration rend plus difficile la prononciation de certains sons. Entre autres, l’enfant possède une langue proportionnellement plus grosse que celle de l’adulte par rapport à l’ensemble du conduit supralaryngal, ainsi qu’un palais dur proportionnellement plus court. Les proportions adultes ne sont en fait graduellement atteintes qu’à partir de l’âge de six ans (p.ex. Kent 1981, Crelin 1987, Ménard 2002). Ceci est illustré en (54).

(54) Proportions du conduit vocal de l’enfant

Ces facteurs physiologiques rendent la production de contrastes linguaux (c’est-à-dire les contrastes entre les consonnes articulées avec la langue, qui requièrent un positionnement précis d’une partie de la langue sur le palais ou les alvéoles) beaucoup plus difficile pour l’enfant que pour l’adulte (Inkelas et Rose 2003, à paraître). Deux processus observés en acquisition peuvent être liés à cette observation : l’antériorisation des vélaires et la postériorisation des coronales, c’est-à-dire deux processus causant la neutralisation de contrastes exprimés phonétiquement à l’aide d’une articulation linguale (coronal ou vélaire). Comme on peut le voir en (55), l’antériorisation des vélaires est un processus de neutralisation du lieu d’articulation de ces consonnes, lesquelles sont réalisées comme des coronales en surface (p. ex. Inkelas et Rose 2003 , à paraître).

(55) Antériorisation des vélaires (Inkelas et Rose 2003, à paraître)

En (56), le processus de postériorisation des coronales tel que rapporté par Morrisette, Dinnsen et Gierut (2003) est présenté. Comme on peut le voir, ce processus force la réalisation des coronales cibles en consonnes vélaires.

(56) Postériorisation de coronales (Morrisette, Dinnsen et Gierut, 2003)

On peut noter que contrairement à l’harmonie consonantique, ces deux processus (antériorisation des vélaires et postériorisation des coronales) ne sont pas causés par la présence d’autres sons dans les formes cibles.

Le facteur physiologique décrit ci-avant permet de faire des prédictions sur les types de phénomènes pouvant être rencontrés dans les productions des jeunes enfants. Notamment, du fait que les principales différences entre le tractus vocal de l’enfant et de l’adulte se situent dans la cavité buccale, on peut prédire que la production des consonnes labiales sera généralement moins problématique que la production des consonnes linguales (coronales et vélaires) puisque celles-ci sont réalisées en dehors de cette cavité. Ce facteur peut également avoir un impact sur la production de séquences de consonnes linguales comme nous le verrons dans la prochaine section.