Introduction

La présentation des données concernant l’acquisition des consonnes chez Marilyn est organisée en trois grandes sections. Dans la première de ces sections, j’exposerai les données concernant les consonnes en tête d’attaque de syllabe non accentuée. Dans la deuxième section, je présenterai les données concernant les consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée. Enfin, dans la troisième section seront abordées les données concernant les consonnes en finale de mot.

Différents mots comportant diverses séquences articulatoires peuvent être comptabilisés dans la même section. Pour éviter toute ambiguïté, j’indique ci-dessous les différentes configurations cibles qui peuvent apparaître dans chaque section et la consonne qui est visée.

Pour la première section, tous les mots comprenant une attaque en syllabe non accentuée sont comptabilisés. Étant donné que ces mots possèdent une syllabe non accentuée, ils sont forcément polysyllabiques. Pour la deuxième section, ce sont tous les mots comprenant une attaque en syllabe accentuée qui sont comptabilisés, qu’ils soient monosyllabiques ou polysyllabiques. Les mots de ces deux sections peuvent posséder des attaques branchantes, des consonnes en finale de mot ou des /s/ en position d’appendice (voir chapitre 2 section ). Toutes les combinaisons de ces différents paramètres sont permises tant que le mot cible possède une consonne en attaque de syllabe non accentuée, en ce qui concerne la première section, ou une consonne en attaque de syllabe accentuée en ce qui concerne la deuxième section. Pour simplifier la présentation des données :

  • Les mots de la première section qui possèdent une attaque en syllabe non accentuée, quelles que soient les autres consonnes présentes dans ces mots et le nombre de syllabes qui les composent, seront classifiés comme étant des mots du type CVCV.
  • Les mots polysyllabiques de la deuxième section ayant une attaque en syllabe accentuée, quelles que soient les autres consonnes présentes dans ces mots, seront classifiés comme des mots du type CVCV.
  • Enfin, les mots monosyllabiques de la deuxième section ayant une consonne en attaque de syllabe accentuée seront, quant à eux, classifiés comme étant des mots du type CV qu’ils possèdent ou non une attaque branchante ou une consonne en final de mot.

Pour la troisième section, les mots polysyllabiques possédant une consonne en finale de mot seront classifiés comme étant des mots du type CVCVC. Les mots monosyllabiques, quant à eux, seront classifiés comme étant des mots du type CVC. Pour ces deux types de mot, si plus d’une consonne se trouve en finale de mot, comme par exemple pour le mot souffle /sufl/, aucune d’entre elles n’est comptabilisée.

Le choix de ne pas comptabiliser les groupes de consonnes en finale de mot se base principalement sur deux raisons.

Tout d’abord, il existe dans la littérature un débat sur la syllabation de ces groupes de consonnes en finale de mot. Ainsi, le groupe consonantique [ʁd] du mot garde [ɡaʁd] peut ne pas être syllabé de la même façon que le groupe consonantique [dʁ] dans le mot cadre [kadʁ] (voir le tableau (65) ci-après et section pour une discussion plus poussée).

(65) Exemples de syllabation de groupes consonantiques en finale de mot

Ce problème pose la question de savoir si l’on peut comparer le comportement de [d] dans garde avec le comportement de [d] dans cadre. En ne comptabilisant que les consonnes uniques en finale de mot, on évite ce problème.

Une deuxième façon de contourner ce problème serait de considérer le groupement comme un tout et d’en étudier son comportement. Or, le corpus étudié comporte peu de groupes consonantiques en finale de mot et, de plus, ces groupes sont très diversifiés, ce qui dilue encore leur nombre pour chaque type de groupe particulier. Il est donc difficile d’établir les comportements de ces petits groupes de données.

Pour résumer, j’exemplifie dans le tableau (66) ci-après les différentes configurations cibles étudiées pour chaque section.

(66) Configurations cibles et consonnes étudiées pour chaque section

Les semi-voyelles ou semi-consonnes /j/, /ɥ/ et /w/ ne seront pas abordées dans ce travail, et, donc, ne sont pas comptabilisées en tant qu’attaque de syllabe.

Comme signalé dans la section du chapitre précédent, le corpus de Marilyn comprend 42 enregistrements couvrant une période de près de deux ans (1.0;28 à 2;11.14). Pour l’étude des phénomènes présentés dans cette thèse, 21 enregistrements ont été sélectionnés : les enregistrements numérotés de 19 à 37, l’enregistrement 40 ainsi que le 42. Les 18 premiers enregistrements ont été écartés pour trois raisons :

  • La majorité des productions de Marilyn durant cette période soit étaient du babillage, soit leur cible n’était pas reconnue. Ces données étaient donc grandement inexploitables pour ce qui concerne cette étude.
  • La majorité des productions de Marilyn durant cette période étaient également très simplifiées. Elles se limitaient à une syllabe composée soit d’une consonne en attaque et d’une voyelle (CV), soit uniquement d’une voyelle (V).
  • Enfin, le faible nombre d’items (ou types) lexicaux identifiés ne permettait pas de faire une analyse en profondeur des données.

Sur les 21 enregistrements sélectionnés, les 19 premiers sont consécutifs et couvrent la période de 1;11.13 à 2;08.4, c’est-à-dire approximativement deux enregistrements par mois en moyenne. À 2;08.4, la majeure partie du sytème phonologique de Marilyn est en place, et presque plus aucun processus phonologique n’est produit. Les deux derniers enregistrements sélectionnés sont donc un peu plus espacés, ce qui permet de confirmer certaines tendances sur le plus long terme (2;10.3 et 2;11.14).

Le corpus sélectionné comporte environ 21000 productions provenant de plus de 1000 items lexicaux différents. Sur ces productions, les consonnes qui sont en tête d’attaque de syllabe accentuée sont les plus nombreuses avec 17766 occurrences. Les consonnes en position de tête d’attaque de syllabe non accentuée sont ensuite les plus représentées avec 6181 occurrences. Puis viennent les consonnes en finale de mot avec 4887 occurrences. Ces données sont résumées dans le tableau (67) ci-après.

(67) Nombre de consonnes étudiées selon leur position

À ceci, il faut ajouter d’autres positions qui seront également étudiées pour certaines consonnes spécifiques : l’approximante latérale alvéolaire /l/, la fricative uvulaire voisée /ʁ/ et la fricative alvéolaire non voisée /s/. Pour les deux premières consonnes, je présenterai, en plus des données sur les positions mentionnées ci-avant, celles concernant leur présence en coda à l’intérieur du mot (p. ex. comme dans les mots palmier [palmje] ou tortue [tɔʁty]) ainsi que celles concernant leur présence en attaque branchante (p. ex. comme dans les mots plus [ply] ou bras [bʁ a]). Pour le /s/, je présenterai les données de ce /s/ quand il est présent dans le groupement consonantique s+obstruante en initiale de mot (appendice) ainsi que les /s/ qui sont en rime branchante à l’intérieur du mot branchante (p. ex. comme dans les mots stop [stɔp] et casquette [kaskɛt] respectivement).

D’un point de vue temporel, le corpus sous étude a été divisé en 2 parties : la première partie qui s’étend de 1.10;17 à 2.2;29 (10 sessions), et la seconde partie qui s’étend de 2.3;12 à 2.11;14 (11 sessions). La raison principale de ce découpage est le fait que la plupart des processus affectant les consonnes sont attestés principalement durant la première période. Ce découpage permet donc de présenter un état des lieux, pendant deux périodes distinctes, de la production de Marilyn.

Au cours de son développement phonologique, Marilyn va acquérir, soit progressivement, soit de manière presque soudaine, certaines catégories de consonnes. Le tableau (68) permet de connaître l’état de son système consonantique durant la première partie de notre étude. Par la suite, je le comparerai au tableau (69) qui présente l’état du système consonantique de Marilyn durant la deuxième partie de notre étude.

Le critère choisi dans ces tableaux pour définir si une consonne est acquise ou non est très spécifique. Les consonnes ou les classes de consonnes sont considérées acquises ou en cours d’acquisition quand leur taux d’élision est inférieur à 50%. Ceci signifie que les substitutions ne sont pas prises en compte. Ainsi, une classe de consonnes qui possède un faible taux d’élision mais qui présente un fort taux de substitution est, dans ce tableau, considérée comme acquise ou en cours d’acquisition. Ces tableaux n’offrent donc qu’une indication générale sur les tendances d’acquisition. Ces tendances seront détaillées au cours des trois prochaines sections.

Ainsi, dans ces tableaux, un « oui » signifie que la classe est acquise ou en cours d’acquisition et un « non » qu’elle n’est pas acquise. Dans le tableau (68) nous pouvons donc constater que les occlusives sont acquises ou en cours d’acquisition dans toutes les positions étudiées. Les autres consonnes sont, quant à elles, acquises ou en cours d’acquisition dans certaines positions et pas dans d’autres. Le /ʁ/ est la seule consonne à être totalement absente du système consonantique de Marilyn pendant toute la période étudiée. On peut ainsi noter qu’au sein d’une même classe naturelle les comportements des consonnes peuvent varier. Pour les fricatives, le calendrier d’acquisition différent entre les fricatives coronales et les fricatives labiales oblige à une distinction entre ces deux classes naturelles. Il en va de même pour la classe des liquides entre l’approximante latérale alvéolaire /l/ et la fricative uvulaire /ʁ/.

(68) Acquisition des consonnes basée sur l’élision (1.10;17 à 2.2;29)

Le dernier élément à noter dans le tableau (68) est le fait que l’élision en attaque de syllabe est plus élevée pour les syllabes non accentuées que pour les syllabes accentuées. Cette observation met en exergue le phénomène de troncation de mots en début d’acquisition. Ce que l’on mesure dans ce cas n’est donc pas l’acquisition de la consonne en elle-même mais en grande partie le taux de troncations de syllabes non accentuées par l’enfant. Cette question sera abordée plus en détail en section quand les données des consonnes en tête d’attaque de syllabe non accentuée seront présentées.

La comparaison du tableau (68) avec le tableau (69) permet d’observer les consonnes que Marilyn n’a toujours pas acquises entre ces deux périodes. Ainsi, dans le tableau (69), Marilyn n’a toujours pas acquis les fricatives labiales en tête d’attaque de syllabe non accentuée ainsi que la fricative uvulaire voisée /ʁ/ dans toutes les positions.

(69) Acquisition des consonnes basée sur l’élision (2.3;12 à 2.11;14)

Comme indiqué, le critère des 50% d’élision utilisé dans ces tableaux ((68) et (69)) est très spécifique. Cependant, il ne permet pas de décrire de manière complète un parcours d’acquisition. En effet, l’acquisition d’une consonne particulière en phonologie s’effectue au sein d’un espace discret (i.e. opposable à un espace continu comme on peut en trouver en phonétique) : cette consonne est tout d’abord complètement élidée, puis, progressivement va acquérir les traits qui correspondront à sa cible (voir chapitre 2 section ). C’est donc un phénomène dynamique. Pour étudier ce phénomène dynamique, dans les prochaines sections, j’utiliserai les termes d’acquis / non acquis avec des critères spécifiques. Je détaille, dans le tableau (70) ci-après, les critères que j’emploierai ainsi que les termes leur correspondant.

(70) Critères pour établir l’acquisition ou non d’une consonne ou d’un trait

Le calcul de ces pourcentages doit ce faire si possible à partir de mot monosyllabique CV sans attaque branchante ni consonne en finale de mot et où C est la consonne étudiée afin d’éviter les effets du contexte. En effet, une consonne peut avoir un pourcentage de susbtitution élevé tout contexte confondu et être malgré tout acquise. Ainsi, pour Marilyn durant la période de 1.10;17 à 2.2;29, /t/ en attaque de syllabe accentuée n’est pas réalisée à 80%. Pourtant, comme nous le verrons, cette consonne sera considérée comme acquise car en dehors de tout contexte, c’est-à-dire dans un mot monosyllabique CV, elle est produite. Toutefois, dans certaines positions, il est impossible de supprimer le contexte. C’est évidemment le cas pour l’étude des consonnes en tête d’attaque de syllabe non accentuée mais également pour l’étude des consonnes en finale de mot. Pour ces dernières, le corpus ne comporte pas forcément de mot monosyllabique VC (peu fréquent en français) qui permettrait d’éliminer tout contexte. Dans ce cas, il est important d’étudier le type de substitution et le contexte de la consonne substituée afin de statuer sur son acquisition. Ceci sera fait dans les sections qui suivent.

D’après ces critères, les tableaux (68) et (69) représentent donc la dichotomie entre consonnes non acquises et consonnes acquises ou en cours d’acquisition. Ils ne nous permettent donc pas de savoir si ces consonnes sont totalement acquises ou toujours en cours d’acquisition. Ces tableaux ne nous permettent pas non plus de voir les dynamiques d’acquisition puisqu’ils ne présentent qu’un état des lieux statique pour chacune des deux périodes considérées. De plus, les processus liés à l’interaction entre les différentes consonnes présentes dans le mot cible et qui produisent de la substitution ne peuvent être circonscrits puisque les taux de substitution n’y sont pas mentionnés.

Dans les prochaines sections, je détaillerai donc l’acquisition de ces consonnes d’un point de vue dynamique et présenterai de manière exhaustive les données concernant leurs substitutions et élisions. Pour cela, je présenterai les données par classes naturelles : occlusives, fricatives, nasales et liquides. Selon leur comportement, ces quatre grandes classes naturelles pourront être également divisées à leur tour en sous classes comme nous l’avons vu pour les fricatives ou pour les liquides dans les tableaux (68) et (69). Pour chaque classe naturelle étudiée, les consonnes seront classées en quatre catégories afin de simplifier la présentation des données :

  • consonnes cibles : consonnes tentées par Marilyn
  • consonnes réalisées (ou consonnes cibles réalisées) : consonnes tentées et produites comme la cible
  • consonnes substituées (ou consonnes cibles substituées) : consonnes tentées mais non produites comme les consonnes cibles
  • consonnes élidées (ou consonnes cibles élidées) : consonnes cibles qui n’apparaissent pas dans les productions de Marilyn
(71) Exemples de consonnes cibles, réalisées, élidées et substituées :
(71) Exemples de consonnes cibles, réalisées, élidées et substituées :

Dans la prochaine section, je discuterai plus particulièrement des données concernant les consonnes en attaque de syllabe non accentuée. Comme mentionné précédemment, une grande partie de cette section sera consacrée à la présentation des données concernant plus particulièrement la troncation des syllabes non accentuées chez Marilyn.