2.1.1. Fréquence des consonnes cibles

Dans cette partie, j’expose et détaille les données concernant la fréquence des consonnes en position de tête d’attaque de syllabe accentuée tentées par Marilyn (consonnes cibles). L’étude de la fréquence de ces consonnes cibles tentées par l’enfant permet de caractériser les consonnes utilisées dans son vocabulaire. Ces fréquences de consonnes peuvent être différentes des fréquences de ces mêmes consonnes dans la langue adulte (voir chapitre 2 section pour une discussion des facteurs pouvant influencer l’acquisition des consonnes). En effet, le vocabulaire de l’enfant étant un sous-ensemble du vocabulaire de l’adulte, il ne présente pas forcément les mêmes fréquences. La comparaison de fréquences de Marilyn avec celles de la langue adulte permettra de quantifier l’influence de la langue adulte sur le vocabulaire de l’enfant. L’étude de ces fréquences nous permettra également par la suite de comparer leur influence sur le calendrier d’acquisition des consonnes par Marilyn (voir chapitre 4 section ).

L’histogramme (82) ci-après présente le pourcentage des consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée tentées par Marilyn au cours de la période étudiée, par mode d’articulation. Pour fins de comparaison, l’histogramme est complété par deux autres colonnes situées à l’extrême gauche de la figure. La première de ces deux colonnes présente la fréquence de consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée dans la langue adulte (L.A.) calculée à partir de la base films de Lexique 3 (voir chapitre 2 section ). La deuxième colonne présente la moyenne de ces fréquences sur l’ensemble du corpus de Marilyn (MOY.).

(82) Fréquence des consonnes cibles en tête d’attaque de syllabe accentuée

Trois informations principales peuvent être tirées de la comparaison des fréquences de la langue adulte avec la moyenne des fréquences de Marilyn sur la période. Premièrement, la fréquence du /l/ observée dans les productions de Marilyn est bien plus élevée (19%) que celle observée dans la langue adulte (11%). Deuxièmement, la fréquence des fricatives (21%), quant à elle, est bien moins importante dans les productions de l’enfant que dans la langue adulte (33%). Troisièmement, la fréquence des nasales cibles dans la langue adulte (14%) est moins élevée que la fréquence des nasales cibles chez Marilyn (22%).

La cause des deux premières constatations, sur le /l/ et les fricatives, peut être potentiellement due à un biais lexical ou à une stratégie d’évitement (voir chapitre 4 section pour une discussion détaillée sur l’influence de ce facteur chez Marilyn). Elle peut également être en partie due aux limites de l’exercice de la transcription. En effet, comme nous le verrons en section , les fricatives sont en général substituées par l’approximante latérale alvéolaire /l/. Or la présence de deux déictiques, l’un exprimant des coordonnées spatiales et l’autre un objet ça, peuvent, de par leur fréquence élevée dans les productions de Marilyn, fausser l’interprétation de données comme le montre l’exemple (83).

(83) Exemple de confusion possible entre le mot cible et le mot transcrit

Une des conséquences de cette confusion, surtout si elle est fréquente, est de réduire la fréquence des fricatives cibles tout en augmentant artificiellement la fréquence des approximantes latérales alvéolaires cibles, puisque le transcripteur se méprend sur le mot cible tenté par l’enfant ( est transcrit en lieu et place de ça dans l’exemple (83)). Ceci n’a, toutefois, qu’un impact au niveau de la comparaison entre fréquences de la langue adulte pour /s/ et /l/ et celles de ces mêmes consonnes tentées par Marilyn, et non sur les autres chiffres présentés, notamment le pourcentage de réalisation de ces consonnes.

Pour la troisième constatation, celle-ci concernant les nasales, l’écart observé entre la fréquence de Marilyn et la fréquence dans la langue adulte s’explique par l’omniprésence dans les productions de Marilyn de trois mots particuliers : maman, nounours et non. La forte fréquence des nasales est directement corrélée à la forte proportion de ces trois mots cibles dans la session. Le graphique (84) ci-après permet une comparaison session par session entre la fréquence des mots maman, nounours et non tentées par Marilyn et la fréquence de toutes les consonnes nasales cibles de Marilyn en position de tête d’attaque de syllabe accentuée par rapport à l’ensemble des consonnes cibles tentées. La dernière courbe représente le pourcentage de consonnes nasales (C [+nas]) par rapport aux occlusives dans leur ensemble, moins les occurrences de consonnes nasales présentes dans les mots maman, nounours et non.

(84) Fréquence des mots maman, nounours et non comparativement aux nasales

On constate bien en (84) que la courbe des fréquences des mots maman, nounours et non suit les mêmes variations que la courbe des pourcentages des nasales tentées par Marilyn. La courbe représentant ces consonnes nasales mais en ayant soustrait les occurrences de ces trois mots, reste, quant à elle, assez stable. Ces trois mots permettent donc d’expliquer, dans une certaine mesure, l’écart entre la fréquence de ces nasales chez Marilyn et la fréquence des nasales en position de tête d’attaque de syllabe accentuée dans la langue adulte.

Cet exemple montre que même si la fréquence des consonnes dans la langue adulte peut avoir une influence, le lexique utilisé par l’enfant joue un rôle important dans la répartition des fréquences consonantiques dans les productions de l’enfant. Cette observation est renforcée par le fait que les fréquences des différentes classes de consonnes tentées par l’enfant est fortement variable entre chaque session.

Après avoir passé en revue les différences les plus importantes entre la fréquence des consonnes de la langue adulte et celle des consonnes cibles de Marilyn, je vais, dans la prochaine section, détailler la fréquence de réalisation de ces consonnes tentées par Marilyn. Les données présentées permettront ainsi d’établir un premier calendrier global d’acquisition pour Marilyn.