2.2.2. Occlusives cibles

Dans cette partie, j’expose et détaille les données concernant la fréquence des occlusives en position de tête d’attaque de syllabe accentuée tentées par Marilyn (occlusives cibles). Comme on peut le voir dans l’histogramme (86), la part de chacun des types d’occlusives tentées par Marilyn par rapport à l’ensemble des occlusives tentées est indiquée pour chaque session. La moyenne sur l’ensemble des sessions (MOY.) de chaque type d’occlusives et leur fréquence dans la langue adulte (L.A.) sont également indiquées dans les deux premières colonnes pour permettre une comparaison. À partir de ce graphique, on constate une forte variabilité d’une session à l’autre dans la proportion des différentes occlusives cibles chez Marilyn. Cette variabilité avait déjà été constatée pour la fréquence de l’ensemble des consonnes cibles dans cette position.

Trois différences sont particulièrement remarquables. Elles concernent les occlusives /b/, /t/ et /d/. L’occlusive labiale voisée /b/ est en général tentée beaucoup plus souvent par Marilyn (elle représente 15% des occlusives tentées), que ce que pourrait laisser suggérer sa fréquence dans la langue adulte (5% des occlusives). A contrario, les deux occlusives alvéolaires non voisée et voisée /t/ et /d/ ont une fréquence de 30% et 25% respectivement, dans la langue adulte, alors que dans le parler de Marilyn, elles sont en général peu fréquemment tentées. Ainsi, chez Marilyn et durant la période étudiée, elles ne représentent que 22% et 16%, respectivement, des occlusives tentées.

(86) Fréquences des occlusives cibles en tête d’attaque de syllabe accentuée

Si on observe de plus près ces trois différences entre langue adulte et parler de Marilyn, on peut constater, encore une fois, une forte influence du lexique qu’utilise Marilyn, comme nous l’avons vu en section pour le cas des nasales. Ainsi, pour /b/, on constate que la fréquence plus élevée de cette consonne chez Marilyn par rapport à la langue adulte provient essentiellement de trois mots : boule, bleu et bébé.

Le graphique (87) ci-après permet une comparaison entre le pourcentage des mots boule, bleu et bébé tentées par Marilyn sur l’ensemble des occlusives, la fréquence de l’occlusive labiale voisée /b/, toujours par rapport à l’ensemble des occlusives tentées par Marilyn, et la fréquence de ces /b/ en ayant soustrait ceux de boule, bleu et bébé au cours des sessions sous étude. Les formes féminines et/ou plurielles des mots boule, bleu et bébé sont également comptabilisées, par souci de rigueur, dans cette figure, même si elles n’ont qu’une influence marginale sur le résultat (23 occurrences sur 419 au total).

(87) Fréquence de /b/ cible et influence du lexique

On observe de manière très nette, grâce à ce graphique, que la courbe de la fréquence des mots boule, bleu et bébé suit les mêmes variations que la courbe des pourcentages de /b/ tentées par Marilyn, principalement pendant la première moitié de la période étudiée. Ces trois mots permettent donc d’expliquer, pour cette période, l’écart entre la fréquence de l’occlusive labiale voisée /b/ en position de tête d’attaque de syllabe accentuée chez Marilyn et la fréquence de cette dernière dans la langue adulte.

En ce qui concerne la fréquence moins élevée des occlusives alvéolaires /t/ et /d/ chez Marilyn en comparaison avec la langue adulte, elle peut être en partie due à la non acquisition des pronoms et prépositions par Marilyn au début de notre étude, lesquels contribuent de manière considérable à la prépondérance des occlusives alvéolaires dans la langue. Premièrement, pour ce qui est de l’occlusive alvéolaire non voisée /t/ en position de tête d’attaque de syllabe accentuée, la fréquence du pronom personnel conjoint « tu » ainsi que du pronom « te » (et sa forme abrégée « t’ ») jouent un rôle important dans sa fréquence élevée dans la langue adulte. En effet, une compilation des données de la base films de Lexique 3 révèle que ces deux pronoms représentent à eux seuls 27% des occurrences de /t/ en position de tête d’attaque de syllabe accentuée.

Deuxièmement, en ce qui concerne /d/ pour la même position, c’est encore plus flagrant puisque 44% de sa fréquence dans la langue adulte est due à un unique mot, la préposition « de » (et sa forme abrégée « d’ »).

Les pronoms et les prépositions n’étant pas acquis au début de la période étudiée, nous pouvons raisonnablement émettre l’hypothèse que le lexique employé par l’enfant influe sur les fréquences des consonnes tentées par cette enfant. Cette hypothèse sera confirmée par la section du chapitre 4, consacrée à la question de l’influence de la fréquence des consonnes dans la langue adulte ou de la fréquence des consonnes tentées par Marilyn sur l’ordre d’acquisition de ces mêmes consonnes par Marilyn.

Dans cette section, j’ai présenté les données concernant la fréquence des occlusives cibles en tête d’attaque de syllabe accentuée. Nous avons pu constater que ces fréquences sont en partie liées à la taille du lexique que Marilyn produit, soit qu’un mot fréquent dans la langue adulte n’est pas encore présent chez Marilyn (pronoms, préposition…), soit qu’un mot que Marilyn emploie fréquemment est moins fréquent dans la langue adulte. Dans la prochaine section, je décrirai les occlusives réalisées comme la cible par Marilyn.