2.2.4.2. Troncation et substitution

La majorité des données présentées jusqu’ici traitent des productions de Marilyn comportant au minimum deux syllabes, les données de productions comportant des mots polysyllabiques produits avec une seule voyelle n’étaient pas prises en compte. Dans cette section, je présente leur comportement en détail.

Les consonnes en tête d’attaque de syllabe accentuée de ces mots produits avec une seule voyelle peuvent subir une substitution de trait de lieu d’articulation ou être simplement remplacées par une autre consonne. Ces deux possibilités sont illustrées en (97) ci-dessous. L’exemple en (a) illustre le cas de la substitution du trait de lieu d’articulation par le biais d’un processus : l’harmonie. L’exemple en (b) présente le cas où la consonne en syllabe accentuée est remplacée dans cette position par la consonne qui apparaît en syllabe non accentuée dans la forme cible.

(97) cadeau produit [ko] : deux approches possibles

Il existe donc deux analyses possibles de ce phénomène. Dans la suite de cette section, je présenterai les données sans prendre position pour l’une ou l’autre de ces analyses. J’emploierai le terme général de substitution qui regroupe à la fois la substitution du trait de lieu et celle de la consonne dans sa totalité. J’utiliserai également le terme d’élision de première syllabe pour indiquer à la fois l’élision de la première syllabe (cas (97a)) et l’élision conjointe de la voyelle en syllabe non accentuée avec celle de la consonne en syllabe accentuée (cas (97b))

Le tableau en (98) ci-après présente les données concernant les séquences dont la consonne en tête d’attaque de syllabe accentuée ne subit pas les effets des deux processus observés dans la section antérieure (métathèse et harmonie dorsale).

Sur la première ligne, le nombre de cibles par séquence articulatoire est indiqué. Ce nombre peut être comparé à la production de cette cible subissant l’élision de première syllabe (deuxième ligne). Ensuite, la consonne restante après cette élision est comptabilisée dans trois catégories : réalisation (réalisée comme la cible), substitution et élision.

Le nombre d’élisions de premières syllabes dans ce tableau ne prend pas en compte les mots boudin et tombé produits avec troncation de leur première syllabe par Marilyn (3/16 et 15/29 occurrences respectivement). Ceci est dû au fait que, comme nous l’avons vu en (95), les mots comportant une voyelle nasale présentent un certain degré de variation dans leur réalisation. Le changement de trait de voisement n’est également pas pris en compte dans le dénombrement des substitutions.

On constate, grâce à ce tableau, que seule la séquence [Lab…Cor] présente des substitutions pour la consonne produite. Ces substitutions, au nombre de trois, peuvent être sujettes à discussion puisqu’elles portent sur des mots qui sont souvent produits avec une seule voyelle dans la langue adulte du fait de la non-réalisation du schwa qu’ils contiennent. Il s’agit de petite [p(ə)tit] et de peut-être [p(ø)tɛt(ʁ)]. Ces mots ont été produits [pit] et [pɛt] par Marilyn.

(98) Élision de la première syllabe (1;10.17 à 2;00.25)

Les données présentées dans le tableau ci-avant ne présentent en fait presque aucune substitution. La consonne en syllabe accentuée est donc principalement produite comme la cible. L’élision dans ce cas, affecte bien la syllabe non accentuée (voir section ).

L’étude du tableau (99) ci-après pour les séquences [Dor…Lab] et [Dor…Cor], montre que seul le comportement de la séquence [Dor…Cor] se distingue du comportement des autres séquences articulatoires possibles. En effet, on constate que pour la séquence [Dor…Lab], la syllabe produite est le plus souvent réalisée comme la cible (71% de réalisation). Ce comportement est similaire aux comportements de toutes les séquences étudiées présentées en (98). En revanche, pour la séquence [Dor…Cor], la consonne de la syllabe produite subit généralement une substitution (74%).

(99) Élision de la première syllabe : [Dor…Lab] / [Dor…Cor] (1;10.17 à 2;00.25)

On note, de plus, que les 20 substitutions pour les séquences [Dor…Cor], comptabilisées dans le tableau (99) ci-avant, ne sont pas influencées par les traits de la voyelle, comme le montre le tableau (100) ci-après. On observe, en effet, que ces substitutions ont lieu aussi bien devant des voyelles antérieures (100a) que des voyelles postérieures (100b). Enfin, le nombre de mots différents affectés par ce phénomène écarte l’argument de la lexicalisation du phénomène sur un ou deux mots, contrairement à ce que nous avions vu pour le mot Gaspard [paka] dans la section précédente.

(100) Exemples de troncations et substitutions pour la séquence [Dor…Cor]

Comme déjà indiqué, je ne discute pas, dans cette section, le fait de savoir si c’est la première syllabe dans son entier qui est élidée ou si c’est la voyelle de la première syllabe plus la consonne en attaque de syllabe accentuée qui sont élidées (voir exemple (97)). On peut toutefois noter que le mot gâteau est produit [ako] par Marilyn, ce qui suggère que c’est la première possibilité que l’enfant applique. Malheureusement, trop peu d’exemples sont disponibles pour établir une généralisation.

Pour résumer, une substitution a lieu quand un mot polysyllabique [Dor…Cor] n’est produit qu’avec une consonne en tête d’attaque de syllabe accentuée. La consonne coronale dans ce cas est substituée par une dorsale. Ce phénomène est à mettre en parallèle avec les processus établis dans la section antérieure car il suggère que les phénomènes affectant la séquence [Dor…Cor] ne sont pas de même nature que celui de la séquence [Dor…Lab]. En effet, cette dernière séquence n’est pas affectée par les processus combinés de troncation et de substitution.

Dans la prochaine section, je présenterai les données concernant un phénomène optionnel : la postériorisation des coronales. Ce phénomène qui s’ajoute à ceux déjà constatés que sont l’harmonie, la troncation et la substitution, semble suggérer une faiblesse intrinsèque des occlusives coronales dans la phonologie de Marilyn.