2.3. Acquisition des fricatives

2.3.1. Introduction

Avant d’entamer l’étude du comportement des fricatives chez Marilyn, il est important de clarifier deux questions que peuvent soulever les fricatives et qui sont liées à la langue étudiée : un problème de classification (typologie) phonético-phonologique et un problème méthodologique.

Le premier problème concerne la classification du /ʁ/ en français qui est, dans le tableau de l’API, c’est-à-dire d’un point de vue phonétique, classé comme étant une fricative uvulaire, alors que d’un point de vue phonologique, il est généralement assigné à la classe naturelle des liquides, et plus particulièrement à celle des rhotiques. En ce qui concerne la présente étude, le /ʁ/ ne sera pas comptabilisé dans les fricatives, mais plutôt étudié séparément du fait de son comportement particulier dans le parler de Marilyn (voir chapitre 2 section pour une discussion plus complète du cas du /ʁ/ en général et en français en particulier).

Le second problème, qui est d’ordre méthodologique, concerne l’adéquation des transcriptions par rapport aux les productions de l’enfant. L’enfant peut produire des sons qui ne sont pas présents dans le système phonétique du français en lieu et place de fricatives existantes. Par exemple, une fricative post-alvéolaire non voisée /ʃ/ peut être réalisée en [s̥] ou [ç]. Ces fricatives ne sont pas présentes dans le système phonétique du français. Il en va de même pour les sons [ɸ], [β], [ð], [θ], [ʝ], [h], [ʔ], qui peuvent également apparaître dans les transcriptions en remplacement de fricatives. Comme les transcripteurs sont de langue maternelle française, la transcription d’un son, qui n’est pas présent dans le système phonétique du français peut être sujette à variation. Le même son entendu peut ainsi être transcrit selon les sessions et selon les transcripteurs, comme étant la cible ou comme étant un son apparenté mais non présent dans le système phonétique du français (voir exemple dans le tableau (104a) ci-après). Les cas du /h/ et du /ʔ/ sont particuliers car ces sons sont soit transcrits tels quels, soit purement et simplement omis parce que non perçus de manière systématique (en (104b) et (104c), respectivement).

(104) Fricatives : Exemples de variations entre transcriptions

Pour ces raisons, un certain nombre de critères a dû être établi pour le dénombrement des fricatives dans la présente étude. D’une part, si une fricative est substituée par une fricative glottale non voisée [h] ou par une occlusive glottale [ʔ], la fricative substituée est considérée comme élidée. D’autre part, si une fricative a été substituée par une autre fricative ayant un lieu d’articulation proche mais absente du système phonologique du français, elle est considérée comme acquise. Dans ce dernier cas, elle ne sera considérée comme acquise que s’il n’y a pas de changement de trait de voisement. L’application de ces critères est illustrée dans le tableau (105) ci-après.

(105) Tableau récapitulatif de transcription des fricatives

La classe des fricatives représente 21% (3695 occurrences sur 17766 au total) des consonnes cibles en position de tête d’attaque de syllabe accentuée. La fricative /s/ représente à elle seule 57% des fricatives tentées par Marilyn. C’est bien plus que sa fréquence dans la langue adulte (38%). Ceci s’explique par la fréquence élevée de certains mots possédant cette consonne en position de tête d’attaque de syllabe accentuée chez Marilyn. Par exemple, sur 2110 occurrences de cette fricative, 739 proviennent uniquement du mot ça. 26

Du fait de la faible représentation de certaines fricatives comme la fricative post-alvéolaire non voisée /ʃ/, qui n’est produite que moins de quatre fois en moyenne par session, j’ai dû grouper les sessions deux par deux. Ceci a permis de présenter les données avec un nombre suffisant d’observations pour chaque période établie. J’ai également conservé l’étude du corpus en deux parties établie en introduction de ce chapitre (partie 1 : période allant de 1.10;17 à 2.2;29 ; partie 2 : période allant de 2.3;12 à 2.11;14). Malgré ceci, la fenêtre d’étude sera plus réduite dans les cas où l’observation de certains phénomènes le nécessite.

Dans les prochaines sections, je dresserai un tableau exhaustif de l’acquisition des fricatives en tête d’attaque de syllabe accentuée par Marilyn. Cette présentation sera divisée en trois parties. Tout d’abord, je présenterai les fricatives tentées par Marilyn que je comparerai à leurs fréquences dans la langue adulte. Ensuite, j’exposerai les données des fricatives réalisées comme la cible et établirai ainsi un calendrier d’acquisition de ces phonèmes. Enfin, je présenterai les données concernant les substitutions et les élisions de ces fricatives. Nous verrons alors que les fricatives peuvent être divisées en deux groupes selon leur comportement. Comme nous le verrons, les fricatives coronales sont majoritairement substituées alors que les fricatives labiales sont majoritairement élidées.

Notes
26.

Une présentation plus détaillée de cette différence en sera donnée dans la prochaine section.